Démocratie en Afrique: entre transitions inachevées et résurgences autoritaires


Par Sékou Chérif DIALLO


L’Afrique de l’Ouest est confrontée depuis plusieurs années à une recrudescence inquiétante des coups d’État militaires. En 2023 seulement, les dirigeants du Niger et du Gabon ont été renversés par des putschs. Au total, six pays de la région ont vu leur régime déposé par l’armée en seulement quatre ans.

Cette instabilité politique sévère affecte particulièrement des États déjà fragilisés par la menace jihadiste et les crises économiques, comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger. L’insurrection islamiste qui déstabilise le Sahel depuis plusieurs années semble avoir catalysé les velléités putschistes de certains hauts gradés.

La Guinée illustre bien les causes profondes de cette résurgence des coups d’État. Avant d’être renversé en 2021, le régime du président Alpha Condé était confronté à une contestation grandissante en raison de la corruption, du népotisme et de la dérive autoritaire du pouvoir.

La Guinée a connu de nombreux coups d’État dans son histoire récente, reflétant l’instabilité politique et le manque de démocratie véritable dans ce pays. Cependant, légitimer ces prises de pouvoir par la force pourrait banaliser des pratiques dangereuses pour les droits humains et le bien-être des citoyens, comme l’ont montré les régimes autoritaires issus des coups d’État de 1984 et 2008.

Depuis les années 1990, une vague de démocratisation a pourtant traversé l’Afrique subsaharienne, rompant avec des décennies de régimes autoritaires hérités des indépendances. Plus de trente ans après le début de ce mouvement historique, il convient de dresser un premier bilan sur les progrès et les limites de la démocratisation en Afrique subsaharienne.

Si des progrès certains sont incontestables, de nombreux observateurs soulignent la fragilité des expériences démocratiques émergentes, régulièrement battues en brèche par des logiques autoritaires persistances. Entre espoirs suscités et résistances constatées, le processus chaotique de démocratisation semble donc loin d’être achevé et irréversible.

Entre avancées indéniables et fragilités persistantes

Sous la pression conjuguée des revendications citoyennes locales et de la communauté internationale, la plupart des régimes africains ont été contraints d’entreprendre des réformes politiques d’ouverture démocratique. Cette période a été marquée par l’adoption de nouvelles constitutions, la légalisation du multipartisme et l’organisation régulière d’élections pluralistes dans la grande majorité des pays du continent.

A première vue, ces changements peuvent apparaître comme les signes tangibles d’une transition démocratique profonde. Pourtant, de nombreux analystes politiques soulignent les importants revers qui sont venus tempérer ces avancées prometteuses.

Dans un article paru en 2009, intitulé “La démocratie en Afrique : succès et résistances”[1], Guèye dresse un bilan nuancé du processus de démocratisation engagé en Afrique depuis le début des années 1990. Il met en lumière des progrès notables mais insiste également sur les fragilités persistantes.

Parmi les succès, l’auteur relève l’adoption de nouvelles constitutions garantissant le pluralisme politique, la reconnaissance de l’opposition et les libertés fondamentales. Bien que ces textes restent parfois contournés dans les faits, leur seule proclamation marque une rupture symbolique avec le monolithisme des régimes précédents. Elle ouvre la voie à une participation légale des opposants aux élections.

De plus, la limitation du nombre de mandats présidentiels désormais inscrite dans la plupart des constitutions, de même que le renforcement des prérogatives des parlements, témoignent d’une volonté d’encadrer l’action politique et de limiter l’arbitraire du pouvoir exécutif. Cette ébauche d’État de droit contraste avec l’autoritarisme des décennies post-indépendances.

Mais le progrès le plus notable demeure l’organisation régulière d’élections pluralistes depuis 1990, avec une crédibilité croissante. L’observation internationale indépendante des scrutins s’est généralisée, renforçant leur légitimité. Surtout, dans plusieurs pays, ces élections ont permis une véritable alternance démocratique au pouvoir.

Ces exemples concrets de sanction électorale de gouvernants en place et de passage pacifique du pouvoir à l’opposition, constituent des avancées décisives. Ils sont le signe tangible d’une démocratisation réelle, au-delà des façades institutionnelles.

Les entraves à la démocratisation de l’Afrique

L’analyse de Guèye (2009) met en lumière des résistances qui fragilisent les expériences démocratiques sur le continent. Il pointe notamment la concentration excessive des pouvoirs entre les mains du président, au détriment du contrôle de l’action gouvernementale par l’opposition. Les modifications récurrentes des constitutions visant à abolir les limites de mandats présidentiels sapent l’enracinement de l’État de droit. Ces révisions ad hoc pour permettre à un chef de l’État sortant de se représenter indéfiniment sont clairement antidémocratiques.

Le présidentialisme autoritaire hérité de la période postcoloniale persiste: dans bien des pays, le chef de l’État conserve des prérogatives étendues lui permettant de contrôler étroitement le jeu politique. Les contre-pouvoirs du parlement et de la justice demeurent souvent limités face à un exécutif dominateur.

Par ailleurs, de nombreux scrutins depuis 1990, malgré un cadre formel multipartite, ont été entachés d’irrégularités suffisamment graves pour en fausser la validité. Fraudes électorales, obstacles aux candidatures d’opposants, pressions sur les électeurs, falsifications des résultats… ces pratiques perdurent et biaisent l’expression démocratique.

Ces dérives alimentent logiquement la contestation virulente des résultats par les perdants et des crises post-électorales parfois violentes comme au Kenya en 2007[2]

Loin de canaliser pacifiquement les antagonismes, les élections deviennent un facteur d’instabilité. Le recours fréquent à des juges politisés pour invalider des résultats contestés sape aussi l’indépendance de la justice.

Plus généralement, la montée de l’abstention traduit une désillusion croissante des citoyens. Les taux de participation chutent, révélant la lassitude face à des scrutins perçus comme de vaines mascarades. Cette « fatigue démocratique » montre que les élections n’ont pas encore acquis de pleine légitimité.

Dans la même veine, Sakpane-Gbati (2011) [3] offre un regard similaire, mettant en lumière une “démocratie à l’africaine” caractérisée par la concentration du pouvoir exécutif, des élections entachées de fraudes, une implantation superficielle des partis, le rôle déstabilisateur des armées, l’absence de véritable débat public, et la persistance de la corruption. Selon lui, ce modèle a apporté des progrès mais doit évoluer pour renforcer l’État de droit et ancrer une réelle culture démocratique.

Un constat largement partagé par Jacquemot (2022), dans son essai “Afrique : La démocratie à l’épreuve”[4], qui dresse un bilan nuancé des processus de démocratisation depuis 1990. Il note que le continent a massivement adopté le système électoral multipartite au cours des 30 dernières années, avec l’organisation de plus de 600 scrutins nationaux depuis 1990. Cette généralisation du vote multipartite témoigne d’une volonté réelle d’instaurer la démocratie à travers des élections libres et transparentes.

Cependant, Jacquemot souligne que de nombreux pays peinent à passer d’une “démocratie procédurale” limitée à l’organisation d’élections, à une “démocratie substantielle” intégrant pleinement les libertés fondamentales. En dépit de la multiplication des scrutins, les institutions démocratiques restent fragiles et l’alternance politique n’est pas garantie.

L’auteur identifie plusieurs résistances qui entravent l’enracinement d’une véritable culture démocratique sur le continent. Tout d’abord, la manipulation des élections est fréquente, à travers des fraudes sur les listes électorales, des entraves aux candidatures d’opposition, ou des falsifications des résultats. Ensuite, les résultats sont souvent contestés et débouchent sur des crises post-électorales. Les mandats des dirigeants ne sont pas toujours respectés, avec des modifications constitutionnelles pour se maintenir au pouvoir. L’abstention croissante traduit aussi une désillusion démocratique des citoyens. Enfin, le retour récurrent des militaires au pouvoir par des coups d’État, comme récemment au Mali ou au Burkina Faso, remet en cause la démocratie électorale.

Au-delà des élections, les libertés fondamentales restent restreintes dans de nombreux pays et la justice manque d’indépendance. La corruption demeure un fléau qui sape les efforts de démocratisation. Cette “démocratie substantielle” tant attendue peine à advenir.

Face à ces limites, de nouvelles formes d’expression politique émergent en dehors des urnes, à travers la société civile et les réseaux sociaux. Jacquemot s’interroge toutefois, sur leur capacité à renouveler l’exercice démocratique.

Par ailleurs, le retour en force des militaires sur la scène politique à travers une série de coups d’État, notamment en Afrique de l’Ouest, sonne comme un sérieux rappel à l’ordre. Ces putschs témoignent d’une persistance de la « vocation politique de l’armée » que l’on croyait révolue.

S’intéressant plus particulièrement à l’Afrique de l’Ouest, Jacquemot (2022) constate le retour des coups d’État militaires. Ces putschs bénéficient souvent d’un large soutien populaire, reflétant la défiance envers les régimes civils en place, jugés corrompus et incompétents. Pour l’auteur, cette reprise en main autoritaire du pouvoir par les armées marque l’échec du modèle de la “démocratie électorale”. Incapables de répondre aux attentes des populations, les régimes civils laissent un vide que les militaires occupent en renversant des dirigeants discrédités. Les putschistes promettent une transition politique et un retour rapide des civils au pouvoir. Mais dans les faits, ils dissolvent les institutions existantes et contrôlent étroitement le processus selon leurs intérêts. Cette mainmise risque de reproduire un cycle infernal de coup d’État-élections-coup d’État, sans enraciner durablement la démocratie.

Enfin, l’auteur nuance l’idée d’un “vote ethnique” systématique sur le continent. Il souligne la complexité de ce phénomène, qui n’est pas toujours déterminant dans les choix électoraux. Pierre Jacquemot constate que l’ethnicité ressort surtout en période de tensions, mais tend à s’estomper avec la modernisation de la société.

Une adoption laborieuse aux racines anciennes

Bien avant la colonisation et l’importation des modèles politiques occidentaux, certaines sociétés précoloniales africaines intégraient des éléments pouvant être rapprochés de pratiques démocratiques modernes : élections de chefs, destitution des dirigeants jugés illégitimes ou tyranniques, délibérations collectives, etc.

Ainsi, chez les Igbo[5] du Nigeria ou les Mossi[6] du Burkina Faso, des formes de gouvernement consultatif existaient. Les Akan[7] considéraient que le pouvoir du chef émanait du peuple et pouvait lui être retiré. Ces exemples attestent que des conceptions du pouvoir intégrant une dimension participative ou contrôlée n’étaient pas étrangères aux cultures politiques locales antécoloniales. Certains intellectuels et leaders nationalistes du 20ème siècle s’appuieront d’ailleurs sur ce passé idéalisé pour revendiquer l’existence d’une « démocratie à l’africaine » authentique.

Dans un article paru en 2009, intitulé “La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle”[8], Quantin présente le modèle controversé de la “démocratie à l’africaine”. Selon ce modèle, il existait dans les sociétés précoloniales des éléments démocratiques tels que l’élection des chefs ou la destitution des dirigeants. Certains y voient la preuve d’une démocratie authentiquement africaine.

Démontrant que l’idée d’une inaptitude congénitale de l’Afrique à la démocratie relève du cliché, le politologue Fred Eboko retrace dans un article intitulé “L’Afrique n’est pas prête pour la démocratie”[9], extrait de “L’Afrique des idées reçues” (2006), l’histoire chaotique mais bien réelle de la démocratisation du continent depuis la période précoloniale.

C’est avec la colonisation et l’introduction du modèle occidental que seront posées les bases de la démocratie moderne en Afrique. Dès les années 1920, les puissances coloniales mettent en place des assemblées représentatives localement élues. Puis dans les années 1950, de véritables élections pluralistes sont organisées. Malgré son contexte colonial, cette adoption précoce du suffrage marquera durablement les esprits.

Cependant, après les indépendances des années 1960, la plupart des nouveaux régimes mettent en place des partis uniques, verrouillant le jeu politique. Le modèle dominant devient alors celui d’un « socialisme africain » autoritaire. Les élections perdent leur sens démocratique pluraliste.

Dans un article paru en 2000, intitulé «Les élections en Afrique : Entre rejet et institutionnalisation» [10] Quantin retrace l’histoire mouvementée de la démocratie électorale en Afrique depuis les indépendances. Son analyse nuancée bat en brèche l’idée que le vote serait étranger aux traditions politiques africaines. Il montre que l’institutionnalisation laborieuse des élections n’est pas propre à l’Afrique et appelle à une analyse comparative avec l’Occident.

Plus de trente ans après les transitions démocratiques des années 1990, les systèmes politiques africains demeurent hybrides, oscillant entre ouverture et autoritarisme. Cette hybridation atteste de la difficulté du modèle libéral à s’implanter tel quel. Pour Quantin (2009), le référentiel démocratique en Afrique est composite, fait de différentes strates historiques, sans qu’un modèle unique ne s’impose. Le processus chaotique de démocratisation en Afrique n’est pas si différent de celui qu’ont connu les démocraties occidentales.


NOTES

[1] Guèye, B. (2009). La démocratie en Afrique : succès et résistances. Pouvoirs, 129, 5-26. https://doi.org/10.3917/pouv.129.0005

[2] Somerville, K. (2011). Violences et discours radiophoniques de haine au Kenya: Problèmes de définition et d’identification. Afrique contemporaine, 240, 125-140. https://doi.org/10.3917/afco.240.0125

[3] Biléou Sakpane-Gbati, “La démocratie à l’africaine”, Éthique publique [Online], vol. 13, n° 2 | 2011 http://journals.openedition.org/ethiquepublique/679

[4] Pierre Jacquemot. Afrique, la démocratie à l’épreuve. Fondation Jean-Jaurès. Fondation jean-Jaurès-Edition de l’Aube, 2022. https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2022/04/Essai-Afrique-democratie.pdf

[5] Uchenna Osigwe, « Démocratie et consensus: le cas igbo », Revue Phares, Vol 6, 2006, Université Laval. https://revuephares.com/wp-content/uploads/2013/08/Phares-VI.pdf

[6] Tiendrebeogo Yamba. Histoire traditionnelle des Mossi de Ouagadougou. In: Journal de la Société des Africanistes, 1963, tome 33. https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1963_num_33_1_1365

[7] PERROT, Claude-Hélène. Le pouvoir du roi et ses limitations dans un royaume akan de Côte d’Ivoire In : Pouvoirs anciens, pouvoirs modernes de l’Afrique d’aujourd’hui.Presses universitaires de Rennes, 2015. https://books.openedition.org/pur/62371?lang=fr

[8] Quantin, P. (2009). La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle. Pouvoirs, 129, 65 76. https://doi.org/10.3917/pouv.129.0065

[9] Eboko Fred. L’Afrique n’est pas prête pour la démocratie. In : Courade Georges (dir.). L’Afrique des idées reçues. Paris : Belin, 2006, p. 197-204. https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers21-03/010038499.pdf

[10] QUANTIN, P., Les élections en Afrique : Entre rejet et institutionnalisation, Bordeaux, Centre d’Étude d’Afrique Noire/I.E.P. de Bordeaux, 2000, p. 2. http://polis.sciencespobordeaux.fr/vol9ns/quantin1.pdf


Sékou Chérif Diallo
Fondateur/Administrateur
www.guineepolitique.com




Forces spéciales en Afrique: de la lutte contre le terrorisme aux coups d’État, histoire d’une imposture

Transition/Afrique


« … J’ai demandé l’année dernière des munitions pour entraîner mes troupes au tir, mais [je] ne les ai jamais reçues parce que mes dirigeants [politiques] craignent que je m’en serve pour provoquer un coup d’État… », ainsi s’exprimait le commandant Mamadi Doumbouya dans le cadre d’un témoignage livré à l’occasion du colloque organisé à l’école militaire de Paris le 27 novembre 2017 sur le thème de la prise en compte de l’interculturalité dans les actions militaires.

Ironie du sort, un coup d’État militaire, perpétré par le Groupement des forces spéciales (GFS), a renversé le régime du président Alpha Condé le 5 septembre 2021, après que ces fameuses munitions destinées à l’entrainement ont été mises à la disposition du désormais colonel Mamadi Doumbouya. De façon analogue, le double coup d’État intervenu au Mali est l’œuvre du Bataillon autonome des forces spéciales (BAFS) dirigé par le colonel Assimi Goïta. À ce même titre, ce sont les éléments de l’armée burkinabè directement en charge de la lutte contre le terrorisme qui ont pris le leadership dans le coup d’État intervenu dans ce pays.

Ces trois exemples illustrent un paradoxe ouest-africain. Ces unités d’élite des armées mises en place pour défendre leurs pays respectifs contre le terrorisme et d’autres types de menaces, se retrouvent aujourd’hui à la tête de ces États à la faveur des coups d’État, et exercent des fonctions politiques pour lesquelles elles ne sont pas formées.

Par conséquent, il nous appartient de nous interroger si la lutte antiterroriste ou les dérives dictatoriales dans un pays suffisent pour s’accaparer du pouvoir civil sans jamais donner une visibilité sur le retour à l’ordre constitutionnel tel qu’il résulte des transitions malienne et guinéenne. En d’autres termes, au regard des volontés de confiscation du pouvoir politique qui se manifestent dans ces deux pays, sommes-nous en droit de considérer ces forces spéciales comme une imposture ? et Comment les pouvoirs civils peuvent-ils se renouveler pour éviter les coups d’État à l’avenir ?

Forces spéciales, des résultats limités dans la lutte anti-terroriste

Les conséquences directes de la guerre en Libye se sont traduites par l’émergence avec acuité de nouveaux problèmes de sécurité et de stabilité dans notre sous-région. La colonne de blindés qui se dirigeait tout droit vers Bamako en 2013 n’a été arrêtée qu’avec le concours de l’armée française. Ce terrorisme, naguère présent dans la zone sahélienne sans représenter un danger direct pour l’État central, est devenu aujourd’hui une menace existentielle beaucoup plus importante pour la survie même de nos États ouest-africains à l’image de ce qui s’est produit sur les parties des territoires de la Syrie et de l’Irak sous le joug de l’État islamique. Rien pourtant ne préparait nos États à cet enjeu de sécurité et de stabilité.

C’est à cet instar que les forces spéciales ont été instituées un peu partout en Afrique de l’Ouest dans le cadre de vastes programmes de réformes des secteurs de la sécurité touchant à la fois la police, la gendarmerie et les armées. La coopération internationale a été d’une grande aide dans cette démarche.  Particulièrement, des forces spéciales, unités d’élite des forces armées surentraînées et bien équipées pour tenir tête aux djihadistes ont été constituées et rendues opérationnelles à travers notre sous-région.

Mais il faut avouer tout d’abord que les résultats militaires ne sont pas au rendez-vous, en partie en raison de leur manque d’expérience dans la lutte antiterroriste.

Le terrorisme est une guerre non conventionnelle, qui nécessite des stratégies et techniques particulières, et nos armées se retrouvent souvent dépassées par ce phénomène, notamment au Mali, avec un bilan humain et matériel loin d’être satisfaisant. Il faut rappeler que même les armées les plus puissantes au monde continuent de mener cette lutte, sur leurs territoires et ailleurs dans le monde, en se servant régulièrement des expériences acquises de façon très douloureuse pour améliorer continûment leurs méthodes et techniques de lutte contre le terrorisme. C’est en ce sens qu’il est primordial de renforcer nos partenariats avec ces puissances occidentales pour continuer à former et équiper nos militaires et leur inculquer un savoir-faire indispensable aux échanges d’informations et à l’obtention des résultats palpables pour nos forces de défense et de sécurité.

Dans le cas guinéen, c’est davantage le manque de professionnalisme des forces de défense et de sécurité qu’il convient de souligner. C’est un fait qui caractérise notre armée depuis l’accession à l’indépendance de notre pays et en dépit de tous les investissements réalisés dans ce domaine par les gouvernements successifs. Beaucoup de pays voisins ont pourtant réussi à améliorer le professionnalisme de leurs forces armées notamment le Nigeria, le Sénégal et la Côte d’Ivoire pendant que la Guinée se démène encore sur ce sujet. Les forces spéciales n’ont pas réussi à changer cette image peu reluisante.

Les forces spéciales, une solution erronée pour des problèmes réels

Depuis quelques années désormais, ces unités d’élite des forces armées se sont peu à peu éloignées de leur mission initiale et fondamentale de lutte contre le terrorisme et de sauvegarde de l’intégrité territoriale pour se reconvertir de facto en politiques par le truchement des renversements de gouvernements élus. Ce fut le cas au Mali, en Guinée et au Burkina Faso comme évoqué plus haut. Aussitôt arrivé au pouvoir, ces juntes revêtent une forme de pseudo-nationalisme, se drapent dans une sorte de panafricanisme du dimanche, et s’érigent contre la communauté internationale, simplement parce que celle-ci dénonce par principe tous les coups d’État et appelle à un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

Cet état de fait pose un sérieux problème, empêche dans nos pays des alternances politiques et pacifiques régulières et altère les acquis démocratiques précédemment enregistrés.

Faire ce constat ne signifie pas qu’il faille occulter les problèmes posés par les régimes civils. La véritable problématique, résultant de l’incapacité de ces pouvoirs élus à satisfaire les besoins primaires de leurs populations, reste tout entière. En ce sens, le tripatouillage constitutionnel et la mauvaise gouvernance doivent être combattus sous toutes ses formes. Comme en Guinée, la modification constitutionnelle irrégulière a représenté la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ce fut le prétexte parfait pour ceux-là mêmes qui ont pourtant été le bras armé du pouvoir d’Alpha Condé pour réprimer les militants opposés à ces révisions constitutionnelles. Au Mali et au Burkina-Faso, c’est l’absence de moyens et de résultats dans la lutte antiterroriste et les problèmes de gouvernance qui ont été évoqués pour justifier les putschs. Il faut avouer que c’est un bien curieux procès fait au pouvoir civil par ceux-là même qui sont formés pour apporter des solutions et mener cette lutte contre le terrorisme.

On retrouve encore des éléments de ces forces spéciales en grand nombre se balader dans les rues avec des équipements tactiques et des engins de guerre, en dehors de tout cadre légal, contribuant au passage à renforcer le sentiment d’insécurité dans nos pays.

Par ailleurs, le fait que nous nous retrouvons, après plusieurs mois déjà, dans un processus de transition où on ne parle encore que de la durée de la transition et du chronogramme en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel, notamment en Guinée et au Mali, prouve à suffisance que le recours à ces forces spéciales n’est pas une bonne solution pour diriger un État. Il ne pouvait s’agir au mieux que d’une solution temporaire. Nous observons en outre le mépris opposé par ces autorités militaires à l’égard de la main tendue de la classe politique, la société civile et la communauté internationale afin de collaborer à la définition d’un agenda pour favoriser la sortie de la transition par l’organisation d’élections inclusives, libres et transparentes.

En tout état de cause, nous pouvons effectivement considérer ces forces spéciales comme une double imposture. Une imposture pour avoir délaissé les missions qui leur ont été confiées et pour lesquelles elles ont été chèrement formées aux frais du contribuable, avec un faible résultat dans la lutte contre le terrorisme notamment au Mali et au Burkina-Faso. Ce délaissement expose ces pays à des risques non maitrisés. Mais plus grave encore, une imposture politique pour avoir trahi les espoirs qu’ils ont fait naitre au lendemain des coups d’États.

Forces spéciales et classe politique, quelles solutions pour éviter ces dépassements de fonctions?

Si ces problèmes d’imposture des forces spéciales d’un côté et quelquefois l’inefficacité du pouvoir politique de l’autre restent prégnants, des solutions vigoureuses s’imposent pour arrêter ce mouvement de balancier entre coup d’État militaire et régimes issus d’élections.

Sur le plan militaire, les actions peuvent porter sur 3 points complémentaires :

  • Il convient tout d’abord de continuer et approfondir les réformes des forces de défense et de sécurité en vue de sa plus grande efficacité et professionnalisation. Les académies militaires au Nigeria peuvent servir de référence en terme de formation.
  • Sur le plan sociologique et surtout en Guinée, il convient de travailler sur les procédures de recrutement dans l’armée. L’image d’une armée perçue comme corps de recyclage des hommes irrécupérables pour la société doit changer. L’armée ne doit plus être une deuxième ou troisième chance pour les gens qui ont un comportement déviant pour la société.
  • Et enfin, sur un plan purement symbolique, les honneurs militaires doivent être renforcés et multipliés au titre de la démonstration d’une soumission séculaire du pouvoir militaire au pouvoir civil, indispensable à l’instauration durable de la démocratie.

Sur le plan politique, nous proposons un substitut démocratique au coup d’État.

Nous appelons, en effet, à doter nos pays d’outils démocratiques dont l’existence décrédibiliserait et disqualifierait tout recours à la force au nom du peuple. La procédure de révocation des dirigeants vis-à-vis desquels les mécontentements du peuple subsistent peuvent être un recours à cet effet. C’est un moyen de donner au peuple la possibilité d’écourter par lui-même le mandat d’un élu déviant.

Il s’agira notamment en Guinée de prévoir dans la prochaine Constitution, une telle disposition, qu’il conviendra toutefois d’encadrer et de faire accompagner par des mesures rendant possible sa mise en œuvre effective sans obstruction possible des dirigeants concernés. Un tel procédé existe dans l’État américain de Californie sous l’appellation de « Recall. »

La stabilité de notre sous-région et la hausse de la pauvreté sont en jeu. Les élites militaires et les forces spéciales doivent se contenter de satisfaire leurs missions de défense et de protection de nos États au prix de la mise à leur disposition des moyens nécessaires à la réalisation de celles-ci.

Les pouvoirs civils doivent, quant à eux, se montrer plus démocratique au bénéfice de leurs populations tout en veillant à couper l’herbe sous une quelconque possibilité de renversement avec l’onction populaire. Cela passe aussi par une très grande culture de transparence dans la gouvernance, l’indépendance de la justice et le renforcement des institutions démocratiques.

Se résigner face à ces juntes serait suicidaire pour notre sous-région et contribuerait à normaliser les coups d’État. Dans une telle situation, aucun pouvoir civil ne sera jamais à l’abri d’un coup d’État, peu importe ses performances démocratiques. Car n’importe quel chef militaire avec des armes et quelques éléments sera capable de renverser n’importe quel pouvoir civil avec le soutien de toute l’armée.

Il est donc temps de mettre fin à cette spirale. D’où les propositions formulées ci-dessus pour faire face à cette double imposture des forces spéciales.

Karamoko Kourouma et LeJour LaNuit (profil facebook)


Ndlr cet article a été initialement publié par les auteurs avec le titre Forces spéciales : de l’espoir à l’imposture.





Mali: « Nous sommes très préoccupés par la détérioration grave et continue de la sécurité qui a dépassé un seuil critique » [Alioune Tine]


Afrique


La violence se répand si rapidement au Mali qu’elle met en péril la survie même de l’État, a déclaré vendredi l’expert des Nations Unies sur les droits de l’homme dans le pays au terme d’une visite officielle de 11 jours au cours de laquelle il a été informé d’une augmentation des exécutions extrajudiciaires, d’autres homicides, des enlèvements de civils et de viols collectifs de femmes.

« Nous sommes très préoccupés par la détérioration grave et continue de la sécurité qui a dépassé un seuil critique », a déclaré l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Mali, Alioune Tine, décrivant « un État affaibli et impuissant, qui assume difficilement son rôle régalien de protection des populations civiles face aux groupes armés qui essaiment dans tout le pays ».

La volonté politique des autorités remise en question

« Il est grave de constater que les populations civiles subissent aussi des violences de la part des Forces de Défense et de Sécurité Maliennes (FDSM) censées les protéger », a-t-il ajouté.  

M. Tine a déclaré que certaines personnes rencontrées lors de sa visite ont exprimé de sérieux doutes sur la volonté politique des autorités maliennes de prendre des mesures concrètes pour garantir la sécurité des populations civiles, en particulier dans les régions les plus touchées par la crise et les conflits.

« Cela doit absolument changer », a-t-il déclaré. « Il faut un sursaut national et une volonté inébranlable des autorités maliennes, avec le soutien actif de leurs partenaires, pour restaurer l’autorité de l’Etat et assurer la protection des populations civiles. »

Tous azimuts contre les populations civiles

M. Tine s’est dit gravement préoccupée par la dégradation rapide et continue de la sécurité créée par la défaillance des institutions de l’État et qui donne lieu à des attaques tous azimuts contre les populations civiles par des groupes armés tels que la Jama’at Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM), l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et d’autres qui consolident leur contrôle sur des zones dans le nord et le centre du pays. Ils s’étendent également aux régions méridionales du Mali, et la violence communautaire augmente dans le centre du pays.

Les populations civiles du nord (régions de Gao, Menaka et Tombouctou), du centre (régions de Bandiagara, Douentza, Mopti et Ségou) et du sud (régions de Koutiala, San et Sikasso) subissent des violations de leurs droits humains fondamentaux et atteintes à ces droits et sont même tuées. 

Violations par les forces maliennes, les forces internationales et groupes armés

La détérioration du respect des droits de l’homme s’inscrit dans un contexte d’impunité généralisée des auteurs de ces violations and atteintes. 

L’opération de maintien de la paix des Nations Unies, la MINUSMA, a recensé au moins 43 exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires commises par les Forces de Défense et de Sécurité Maliennes (FDSM) entre le 1er avril et le 30 juin 2021. 

L’augmentation des atteintes aux droits de l’homme commises par les groupes armés et les milices communautaires est encore pire, le total des six premiers mois de cette année, soit 258 cas, représentant déjà 88 % du nombre de cas signalés pour toute l’année 2020.

Les enlèvements sont également en hausse spectaculaire. Au cours des seuls six premiers mois de cette année, la MINUSMA a documenté 435 enlèvements – cinq fois plus que pour toute l’année 2019.  

Les ravisseurs sont principalement les groupes armés et les milices communautaires du centre du Mali, notamment la milice Da Na Ambassagou, mais aussi des groupes armés tels que la Jama’at Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM) et d’autres groupes similaires.   

Les viols collectifs et autres violences à l’encontre des femmes sont en augmentation, tout comme les attaques contre les « esclaves », un problème que l’expert indépendant a souligné le mois dernier.

Mettre fin à l’impunité et restaurer la confiance des populations 

Lors des rencontres avec les autorités maliennes, M. Tine a fait part de ses sérieuses préoccupations quant à la détérioration continue de la situation des droits de l’homme. Les autorités maliennes se sont engagées à prendre des mesures concrètes pour répondre à ses préoccupations et améliorer la situation des droits de l’homme.

« Nous invitons donc les autorités maliennes à honorer leurs engagements », a déclaré Alioune Tine. « Cela permettra de rassurer et de restaurer la confiance des populations civiles et des nombreux interlocuteurs face aux institutions de l’Etat ».

Selon l’expert, une « priorité absolue doit être réservée par les autorités au traitement de la question préoccupante de l’impunité au Mali ». 

L’impact sur le droit des femmes

Selon M. Tine la dégradation de la sécurité a un impact considérable sur la situation des droits fondamentaux de la femme avec la récurrence inquiétante des cas de violence basée sur le genre, y compris les viols collectifs. 

Il a signalé que la MINUSMA a documenté plusieurs viol collectifs en mars.  Aussi, dans les localités sous le contrôle ou l’influence des groupes extrémistes violents, les femmes sont forcées de porter le voile. Une vingtaine de cas de flagellations des femmes en guise de punition pour n’avoir pas porté le voile ou avoir porté le mauvais voile, auraient été signalés depuis le début de l’année. 

L’expert a rappelé que les femmes continuent d’être sous-représentées dans la sphère publique et politique au Mali, en violation de la loi no 2015-052 du 18 décembre 2015, qui fixe un quota d’au moins 30 % de femmes aux fonctions nominatives et électives.

Des détentions à caractère illégal

Lors de sa visite, M. Tine a notamment rencontré le Premier Ministre, le Ministre des affaires étrangères et de la Coopération internationale, le Ministre de la Défense et des anciens combattants, le Ministre de la justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, le Ministre de la Refondation de l’Etat chargé des relations avec les institutions, le ministre de la Réconciliation, de la Paix et de la Cohésion nationale, chargé de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, le président de la Commission nationale des droits de l’homme et les autorités judiciaires. 

« Nous avons pu rencontrer l’ancien président Bah N’Daw et l’ancien Premier ministre Moctar Ouane qui sont toujours en résidence surveillée » a déclaré Tine. « Nous avons discuté avec les autorités maliennes sur le caractère illégal de cette situation et la nécessité d’y mettre fin dans les meilleurs délais. Nous avons pris bonne note des dispositions concrètes prises par les autorités maliennes allant dans le sens d’une prochaine libération ». 

L’Expert a également discuté avec les autorités sur le décès en détention dans des conditions non encore élucidées de l’individu arrêté pour tentative d’assassinat du Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta. 

« Nous demandons aux autorités maliennes d’ouvrir d’une enquête approfondie, rapide et impartiale conformément aux obligations internationales pertinentes du Mali en matière des droits humains », a informé M.Tine.

Il a également rencontré les organisations de la société civile, y compris celles des personnes atteintes d’albinisme et des personnes vivant avec un handicap, les organisations de la société civile et les associations de victimes de l’esclavage par ascendance et les associations luttant contre cette pratique, les organisations non gouvernementales, des représentants du corps diplomatique, les agences, fonds et programmes des Nations Unies ainsi que le Représentant Spécial du Secrétaire général des Nations Unies et Chef de la MINUSMA. 

Il s’est également rendu dans la région de Gao, où il a rencontré les autorités locales, les associations de femmes et les agences des Nations unies.

À l’issue de sa visite, AliouneTine a publié une déclaration. Il soumettra le rapport complet de sa visite au Conseil des droits de l’homme en mars 2022.


Cet article est republié à partir de news.un.org. Lire l’original ici.





Côte d’Ivoire: le président Ouattara annonce des libérations et des grâces dans un geste d’apaisement


Afrique


Message à la nation du président Ouattara, à la veille du 61e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Un discours très attendu. Alassane Ouattara a fait un nouveau geste d’apaisement dans le processus de réconciliation des Ivoiriens, en annonçant avoir accordé « la grâce » à neuf détenus arrêtés lors des troubles et violences électorales d’octobre 2020 et la mise en « liberté provisoire de 69 inculpés ». Le chef de l’État tente de répondre ainsi à ses opposants, les anciens présidents Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié.

On l’attendait beaucoup sur le terrain de la décrispation, Alassane Ouattara y a consacré quelques lignes et a rajouté une séquence qu’il affectionne, un point sur l’état de la Nation. Les attaques terroristes sont désormais maîtrisées, s’est réjoui le président, fier aussi de sa gestion de la Covid-19. Le chef d’État a communiqué un bilan de « un million d’Ivoiriens vaccinés, une mortalité faible et un taux de croissance économique de 2% », rapporte notre correspondant à Abidjan, Jean-Luc Aplogan.

Sur le plan politique, la Côte d’Ivoire a réussi, selon Alassane Ouattara, à aller au bout de son cycle électoral, en organisant une présidentielle et des législatives. Le chef de l’État fait remarquer que pour la première fois, depuis de longues années, tous les partis sont représentés au Parlement.

Volonté de réconciliation

Il a regretté les violences meurtrières et rendu hommage aux victimes. Il répond positivement aux requêtes de l’opposition – dialogue, réconciliation, libération de prisonniers – mais il souligne qu’il a toujours été à l’initiative sur ce terrain-là.

Le président Ouattara salue la rencontre Bédié-Gbagbo et celle qu’il a eue avec l’ancien président Laurent Gbagbo le 27 juillet. Rien ne doit entraver la bonne marche de la Côte d’Ivoire, mais tout doit se faire dans le respect des lois et des institutions, précise le capitaine du bateau ivoirien.

Comme attendu Alassane Ouattara a annoncé la libération provisoire de 69 personnes et la grâce de 9 autres détenus arrêtés au moment des violences politiques lors de la dernière présidentielle. Pour rappel, l’ancien président Gbagbo avait donné une liste de 110 noms de détenus qu’il souhaitait voir libérer. « L’examen de la situation d’autres personnes encore détenues se poursuit », a-t-il affirmé.

Le président Ouattara a aussi annoncé 3 000 autres grâces pour des détenus à qui il restait un an ou moins à purger.


Cet article est republié à partir de rfi.fr. Lire l’original ici.





« Toutes les sociétés divisées sont condamnées à la régression » [Par Tierno Monénembo]


Interview


Quand avions- nous constaté progressivement les actes d’ethnocentrisme et de racisme en Afrique en générale et en particulier en république de Guinée et comment ont-ils évolué négativement ?

Les conflits dus aux problèmes fonciers et aux différences en matière de culture et de religion sont inhérents à toutes les sociétés. En Afrique et en particulièrement en Guinée, le colonisateur (depuis Faidherbe, surtout) a aggravé les différences en sortant les ethnies de leur dynamique historique, en les figeant dans le temps. Et les décolonisateurs qui ont succédé aux colonisateurs n’ont rien fait pour remédier à cet état de fait. Ce qui fait qu’aujourd’hui, un mur de verre sépare nos ethnies qui, sorties du même moule historique et culturel, ont longtemps pratiqué l’osmose et la réversibilité. Dans les temps anciens, un Diallo venu du Fouta-Djalon et installé en Haute-Guinée devenait après quelques années, un Camara, un Traoré ou un Fofana. Inversement, un Condé venu de Haute-Guinée et installé au Fouta-Djalon, devenait facilement un Bah. Personnellement, je connais plein de Bah de Pita qui sont en vérité des Condé venus de Kankan ou de Kouroussa.  A Faranah, Siguiri et ailleurs, on ne compte pas le nombre de Camara ou de Fofana qui ne sont rien d’autre que des Diallo venus de Mamou ou de Dalaba.

Notre malheur est que nos dirigeants ont détourné à leur profit la fameuse règle du « diviser pour régner » chère au colonisateur.

L’ethnie chez nous est une plaisanterie. Savez-vous par exemple que les Peuls, les Malinkés et les Soussous viennent tous des Sarakolés (Les soussous, les vrais, par leur père et leur mère ; les Peuls, par leur mère et les Malinkés, par leur père) ? Savez-vous que ceux que les Blancs ont appelés les Forestiers sont en fait des Proto-Mandingues, c’est-à-dire des Mandingues d’avant la création de l’empire.   

Quelles en sont des causes profondes de ces actes ethnocentriques et de racisme en Afrique et en particulier en Guinée ?

De tout temps, les différences ont nourri les conflits. Seulement, la psychologie des sociétés a beaucoup évolué ces dernières années du fait du fulgurant progrès technique, intellectuel et moral. Généralement, les êtres humains s’acceptent mieux aujourd’hui qu’il y a des siècles. Malgré la Somalie, la Syrie et l’Afghanistan, malgré la Birmanie et le Congo, jamais le monde n’a connu une période aussi pacifique. Savez-vous que dans la Préhistoire, 40% de l’Humanité mourait dans les guerres ?

Mais revenons au problème ethnique guinéen. Et permettez-moi de répéter ce que j’ai plusieurs fois dit ou écrit ailleurs : pour moi, le djihadisme et le tribalisme ne sont pas des causes objectives, ce sont les conséquences de la mal-gouvernance Deux cas illustrent parfaitement cela : la Côte d’Ivoire et la Somalie. Sous Houphouet- Boigny, toutes les ethnies d’Afrique de l’Ouest vivaient en Côte d’Ivoire et elles ne se sont pas fait la guerre ; au contraire, elles ont produit la meilleure économie d’Afrique de l’Ouest. Au contraire, la Somalie qui est peuplée à 100% de Somalis, musulmans à 100%, parlant somali à 100% a éclaté en 5 morceaux à cause des conneries de ses dirigeants.

Ceci dit, les sociétés harmonieuses, ça n’existe pas. Les conflits sont inhérents à la vie humaine. Mais ils disparaissent ou deviennent parfaitement supportables quand la gouvernance est bonne.

Quelles sont les conséquences sur la vie sociale, économique, religieuse et politique dans notre pays ?  Quelques exemples africains et mondiaux.

Qu’elle soit familiale ou nationale, les conséquences de la division sont connues, c’est le dysfonctionnement social, la discorde politique et la stagnation économique. Toutes les sociétés divisées sont condamnées à la régression. En Afrique, la Somalie citée plus haut en est un bel exemple, le Rwanda de Habaryamana aussi. Ailleurs, dans le monde, ce sont les conflits ethniques et religieux qui ont eu raison de la belle Yougoslavie de Tito. 

Comment faire du jeune guinéen un acteur et un ambassadeur de la déconstruction des consciences racistes et ethnocentriques ?  

C’est simple : il faut le former. Il faut d’urgence lui apprendre son histoire et sa géographie. Au Mali, Alpha Oumar Konaré a institué deux choses qui m’ont particulièrement  ravi : la vulgarisation du tourisme scolaire et la diversification des bibliothèques. Lire et voyager,  ça civilise la bête humaine !

Notre système éducatif doit faire comprendre au petit Guinéen que sa langue, son village et son ethnie ne sont pas les seuls, qu’il y a d’autres langues, d’autres villages, d’autres ethnies. Qu’il se rende compte dès son plus jeune âge de la diversité ethnique et culturelle de son pays et qu’il se prédispose à l’assumer. Vous s savez, la citoyenneté n’est pas une chose innée, ce n’est pas un produit naturel. On ne cueille pas la citoyenneté comme on cueille la mangue. La citoyenneté est un produit artificiel et récent. Elle est apparue (dans sa version moderne tout au moins) avec la Révolution Française de 1789.  Je répète que le citoyen, ça ne cueille pas, ça se fabrique. Le citoyen cela se fabrique de toute pièce dans le moule de l’école dans celui de l’armée. Question : dispense-t-on des cours d’instruction civique en Guinée ?

Quelle stratégie pour lutter contre le phénomène dans nos pays ?

D’abord, en l’appréciant à sa juste valeur : le tribalisme en Guinée est loin d’égaler celui de certains pays d’Afrique. Mon ami Milly Honomou qui a longtemps vécu au Burundi me disait l’autre jour : « Ici, le tribalisme, c’est de la blague ! Au Burundi, il n’y a même pas la parenté à plaisanterie. Là-bas, c’est 50 000 morts pour le moindre écart de langage». Chez nous, le tribalisme, c’est de la pure et simple manipulation politique. Comme je l’ai dit plus haut, nous n’avons même pas d’ethnie au sens vrai du terme. De ce point de vue, avec un minimum de bonne volonté, il n’y a pas de pays aussi facile à gouverner que la Guinée. La configuration malienne par exemple est beaucoup plus complexe : c’est un pays multiracial, multiethnique et multiconfessionnel.

Quel message que doit porter les jeunes leaders d’opinion de Guinée pour impacter les générations montantes positivement ?

Mon message à moi est le suivant : l’ethnie n’est pas un handicap, ce n’est pas une barrière infranchissable, non plus. Notre diversité ethnique est une richesse. Eh bien, enrichissons-nous mutuellement !

Quel est le rôle des jeunes dans la déconstruction des consciences ethniques et racistes en Afrique et en particulier en Guinée ?

La conscience ethnique n’est pas un délit, c’est même un droit. Le délit, le crime, c’est d’opposer les ethnies les unes autres. L’unité nationale, ce n’est pas la suppression des ethnies, c’est la reconnaissance pleine et entière de chacune et de toutes.

Une interview réalisée par Jean-Zézé GUILAVOGUI





Guinée : Une élite qui refuse de rêver [ Par Tierno Monénembo]


Point de vue


L’intellectuel guinéen a un gros problème : son ventre est dix fois plus curieux que sa tête. Préoccupé de belle maison et de bonne  bouffe, de bolides et de blazers, englué jusqu’au cou dans le plus sordide des quotidiens, notre bonhomme a définitivement déserté le champ historique et culturel. Ce qui laisse la porte grandement ouverte aux  crétins et aux fripouilles. Est-ce bien malin que de se faire guider par plus petit, plus vil et plus ignorant que soi ?

Vous l’avez compris : tous les malheurs de ce pays viennent de lui. Si, dès le début, il avait pris ses responsabilités, la Guinée aurait été tout autre. Et comme notre pays est une espèce de Balnibarbi (ce pays fictif et mal fichu, imaginé par Jonathan Swift) où l’on passe son temps à dire la même chose et à répéter les mêmes gestes bref, à commettre les mêmes erreurs,  rien ne dit que le passé est derrière nous. Pour que le passé passe, il faut un minimum de rupture. Or, de rupture, il n’y en a point eu. Nos grosses têtes d’aujourd’hui ressemblent point par point à celles d’hier. Le même manque d’idéalisme, la même paresse d’esprit, le même individualisme, le même carriérisme, le même culte fanatique du quotidien, la même inguérissable naïveté ! A chaque fois que je pense à nos regrettés, brillants et prestigieux martyrs du camp Boiro, me revient en tête ce vers du poète turc, Nazim Hikmet :

« …tu es comme le mouton

 et quand le bourreau habillé de ta peau

quand le bourreau lève son bâton

tu te hâtes de rentrer dans le troupeau

et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier… »

Parfois, je sens dans l’air quelque chose qui rappelle l’odeur sulfureuse des années Sékou Touré, 1967 en particulier.  Ce fut cette année-là que notre sanguinaire « Responsable Suprême »réussit à concentrer tous les pouvoirs dans ses mains : après la chefferie traditionnelle, les partis d’opposition, les syndicats, l’armée, elle aussi passe à la trappe. C’est exactement ce qui se répète aujourd’hui : Alpha Condé est devenu aussi puissant que le Sékou Touré de 1967. Que nous réserve-t-il : un nouveau Camp Boiro ou carrément un Auschwitz voire un Buchenwald  pour engloutir à son tour ce qui nous reste de roseaux pensants ? Faudrait-il dans ce cas, rouler dans la poussière et verser des larmes de sang ? Je ne le pense pas. Les intellectuels de ce pays (de l’Afrique, plus généralement) ne sont pas  des victimes pures et simples, ce sont les complices actifs de leur propre anéantissement. Le monde est foutu quand les grands clercs plient sous le charme de la démagogie et ajoutent leur voix au bruit étourdissant de la vox populi. Penser, c’est garder à tout moment, en toute circonstance, un autre son de cloche !

Pourquoi d’après vous, les Indépendances africaines si chèrement acquises sont très vite devenues des usines à broyer des Nègres ? Tout simplement parce l’intellectuel africain (guinéen, en l‘occurrence) a renoncé au principe-même qui fait qu’un intellectuel est un intellectuel : l’esprit critique. Cette propriété qui porte les deux valeurs essentielles de la pensée : la lucidité et la liberté.

Nos intellectuels ont-ils été lucides ? Nos intellectuels ont-ils été libres ?

Critiquer les conneries du Blanc, c’était bien et même très bien mais cela ne pouvait suffire. Il fallait aussi et dès le début, critiquer nos propres conneries. Je vous assure que si dès le 3 Octobre 1958, Aimé Césaire, Cheik Anta Diop, Ki-Zerbo avaient mis le holà, Sékou Touré n’aurait pas osé faire ce qu’il a fait.

Le rôle d’une élite, c’est de tirer la société vers le haut. Et cela n’est possible que si elle se prémunit de la médiocrité et garde comme un inestimable trésor, son libre-arbitre. Le rôle d’une élite ce n’est pas de revendre des parcelles et d’amasser des dollars ; de spéculer sur le diamant ou de vendre des clous rouillés,  c’est de produire des idées fortes et des émotions saines, bref de galvaniser le peuple, de lui donner de quoi se projeter dans l’avenir en toute lucidité et en confiance. Si la dictature se perpétue dans ce pays, c’est à cause du manque cruel de parapets, de garde-fous, de contre-pouvoirs. Et il va de soi que le premier moyen de résistance est d’ordre mental ; il va de soi que le  premier contre-pouvoir est d’ordre intellectuel. La dictature reculera dans ce pays le jour où les intellectuels se réveilleront, le jour où ils se réconcilieront avec les notions d’idéal (c’est le plus beau des rêves, l’idéal !), de solidarité,  d’indépendance d’esprit et de débat d’idées.

Que nos intellectuels ne se leurrent pas : Sékou Touré, Lansana Conté, Dadis Camara, Sékouba Konaté et Alpha Condé ont trouvé leur raison d’être et leur force dans leur laxisme ou dans leur opportunisme. Qu’ils sachent bien qu’en cas de grabuge, aujourd’hui comme hier, ils seront les premiers à remplir les prisons et les tombes.

Tierno Monénembo, écrivain guinéen francophone

1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex aequo, pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la Francophonie pour l’ensemble de son œuvre.





Mali, un coup dans le coup [J.H Jezequel, expert Crisis Group]


Afrique


Des militaires ont arrêté les chefs de l’Etat et du gouvernement de transition maliens installés suite au coup d’Etat militaire d’août 2020. L’expert de Crisis Group Jean-Hervé Jezequel détaille les retombées possibles de ce second putsch dans un pays déjà fragilisé par le conflit avec les jihadistes.

Que sait-on de ce coup d’Etat au Mali, le second en neuf mois ?

Le lundi 24 mai, le président de la transition Bah N’Daw, son Premier ministre Moctar Ouane et quelques autres responsables maliens ont été arrêtés et conduits au camp militaire de Kati, près de Bamako. Cette arrestation a été décidée peu après la nomination d’un nouveau gouvernement, dont la composition a été âprement négociée pendant plus d’une semaine mais dans lequel ne figuraient plus les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministres de la Défense et de la Sécurité. Ces deux officiers de la garde nationale sont aussi membres dirigeants de l’ex-Comité National de Salut du Peuple (CNSP), le groupe à l’origine du coup d’État du 18 août 2020 et officiellement dissous en janvier 2021.  

Le lendemain, le colonel Assimi Goïta, chef de l’ex-CNSP et actuel vice-président de la transition, a fait lire un communiqué à la télévision nationale dans lequel il annonce « placer hors de leurs prérogatives » le président et son Premier ministre. Il les accuse d’incompétence et surtout d’avoir constitué un nouveau gouvernement sans le consulter – ce qui est peu probable étant donné la durée des négociations pour former le gouvernement – violant ainsi la charte de la transition, un texte adopté en septembre 2020 qui lui donne des prérogatives en matière de défense et de sécurité. Cette même charte invoquée par le colonel Goïta ne lui donne pourtant aucun pouvoir de suspendre le président ou le Premier ministre. A ce titre, le coup de force des militaires de l’ex-CNSP est bien une tentative de coup d’Etat pour reprendre le contrôle d’une transition en train de leur échapper.

Ces derniers jours, les relations s’étaient tendues entre, d’une part, les anciens putschistes et, d’autre part, le président Bah N’Daw, lui-même ancien militaire à la retraite, et Moctar Ouane, son Premier ministre. Ces derniers avaient l’intention de mettre en place un gouvernement plus inclusif, pour construire une union plus forte autour de la transition sur fond de tensions sociales dans le pays, et notamment d’une grève générale décrétée par la principale union syndicale du pays. N’Daw et Ouane ont également saisi cette occasion pour tenter de réduire la forte influence que les militaires de l’ex-CNSP avaient établie sur les institutions de transition et qui, selon plusieurs sources consultées par Crisis Group, limitait considérablement les marges de manœuvre du chef de gouvernement.

Ces tensions entre autorités civiles de transition et ex-putschistes rappellent étrangement l’éviction forcée du Premier ministre Cheick Modibo Diarra en décembre 2012 par des putschistes quelques mois après leur coup d’Etat contre le président Touré. Les militaires de l’ex-CNSP, que des officiels occidentaux décrivaient il y a encore quelques mois comme des « officiers éclairés », ne se comportent finalement pas mieux que les sous-officiers ayant pris le pouvoir en 2012. Le Mali donne parfois l’impression d’un inquiétant retour à la case départ.

Quels sont les risques pour le Mali ?

En août 2020, la destitution du président élu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) par le CNSP avait suscité très peu de violences, en grande partie parce que le régime était épuisé et que le départ d’IBK a été accueilli avec un certain soulagement par une large partie de la population après des semaines de manifestations populaires. Cette fois, il s’agit d’une confiscation du pouvoir par des militaires dont l’action bénéficie d’un bien moindre soutien populaire. Des rumeurs font état de tensions au sein de l’armée, où ce “coup dans le coup” ne fait pas l’unanimité. Jusqu’ici les casernes restent tranquilles, mais on ne peut écarter le risque de combats fratricides entre forces de sécurité, comme ce fut le cas après le coup d’Etat de mars 2012. Par ailleurs, il n’y a pour le moment pas de mobilisation de la société civile dans la rue pour défendre les autorités suspendues, mais plusieurs associations, partis politiques et personnalités se sont publiquement prononcées pour exiger leur libération. A l’inverse, peu d’organisations maliennes ont exprimé un soutien en faveur de l’action des militaires. Beaucoup, comme la Coordination des mouvements, associations et sympathisant (CMAS) de l’influent imam Mahmoud Dicko, réservent encore leur jugement ou mènent d’intenses négociations avec les miliaires de l’ex-CNSP, sans doute dans l’espoir d’obtenir des positions d‘influence dans un éventuel prochain gouvernement.

En effet, si la démission forcée de N’Daw et Ouane le 26 mai se confirme, les militaires de l’ex-CNSP vont maintenant vouloir consolider leur coup en faisant nommer un nouveau Premier ministre et un nouveau président de la transition. Ils pourraient trouver un chef du gouvernement au sein du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), une coalition hétéroclite de partis et d’associations qui a joué un rôle clé dans le renversement du président Keita mais avait ensuite été divisé et marginalisé par le CNSP au moment de la création des institutions de transition. Ils comptent sur une telle alliance avec des forces politiques maliennes pour convaincre les acteurs internationaux de les laisser poursuivre la transition. Le vice-président, dans une tentative d’amadouer les acteurs internationaux, a d’ailleurs annoncé après l’arrestation du président qu’il comptait toujours terminer la transition en respectant le calendrier négocié avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en septembre 2020. 

Les jours qui viennent vont donc être déterminants et une situation de blocage politique durable est l’un des scénarios envisageables. Mais quelle que soit l’issue des évènements actuels, cette nouvelle crise met à jour l’absence d’une coalition forte soutenant l’action de la transition et notamment son ambition déclarée de réformer le système politique malien. C’est là l’élément peut-être le plus inquiétant : après avoir traversé toutes ces crises, le Mali ne sait toujours pas quelles forces politiques sont capables de porter le changement dont le pays a besoin.

Quelles ont été les réactions internationales ?

La condamnation internationale est forte et jusqu’ici unanime. Les principaux partenaires de la transition du Mali, la Cedeao, l’Union africaine, la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), la France, l’Union européenne et les États-Unis, ont rejeté cette tentative de coup d’Etat. Les militaires de l’ex-CNSP s’y attendaient sans doute mais ils ont pris le risque, estimant peut-être que les même acteurs internationaux qui ont laissé une junte militaire s’installer récemment au pouvoir au Tchad après la mort du président Idriss Déby, finiront également par composer avec eux comme ils l’ont d’ailleurs fait en août dernier.

Une mission de la Cedeao est déjà arrivée à Bamako pour rencontrer les différents protagonistes et tenter de dénouer cette crise. Les partenaires internationaux du Mali savent cependant que les outils de pression dont ils disposent sont à double tranchant. Comme en août 2020, la Cedeao pourrait suspendre le Mali de ses institutions et imposer des sanctions économiques qui pèsent sur les décideurs maliens. Mais ces mesures frappent aussi la population malienne, au risque d’aggraver les tensions internes et même de nourrir un sentiment de rejet des partenaires du Mali. L’an passé, ces sanctions avaient permis d’arracher d’importants compromis aux militaires du CNSP, mais sans les écarter de l’exercice réel du pouvoir. Des sanctions internationales ciblées sur les responsables du coup d’Etat pourraient aussi être adoptées, mais elles sont peu susceptibles d’avoir un impact à court terme et pourraient même entrainer la suspension des programmes de collaboration avec les autorités maliennes si les personnalités sanctionnées se maintiennent au pouvoir. Cette suspension possible des programmes de collaboration était déjà la hantise de nombreux bailleurs de fonds suite au putsch d’août 2020.

Les acteurs internationaux devraient continuer à refuser la confiscation du pouvoir par les militaires de l’ex-CNSP et faire pression pour que le pays renoue avec un pouvoir civil qui n’en soit pas l’otage. Ils ne peuvent cependant peser que s’ils restent unis. En août 2020, certains partenaires du Mali avaient trop précocement envoyé aux militaires le signal qu’ils pourraient garder une influence déterminante sur la conduite des affaires du pays. 

Les partenaires internationaux ont aujourd’hui deux options principales, dont aucune n’est sans risque : soit, ils restent fermes sur les principes et exigent le retour en fonction du président N’Daw et du Premier ministre Ouane, dont la démission a été obtenue manifestement sous la contrainte. Cette position de fermeté engendrera une situation de confrontation avec l’ex-CNSP et un blocage politique à l’issue incertaine, mais elle offrira plus de chance d’enrayer durablement la mainmise préjudiciable d’un groupe de militaires sur le pouvoir au Mali. 

L’autre option est de condamner les arrestations et d’appeler au retour, dans les plus brefs délais, d’une transition civile mais sans exiger le retour en fonction du président et du premier ministre. Cela ouvre la porte à des négociations avec la junte pour réinstaller des autorités civiles. Mais, comme en août dernier, l’ex-CNSP pourrait en profiter pour mettre en place l’apparence d’une autorité civile tout en conservant la réalité du pouvoir, au risque de reproduire les mêmes effets dans un proche avenir. C’est cette option que le Conseil de sécurité des Nations unies semble suivre dans son communiqué du 26 mai. Si le reste des partenaires, et notamment la Cedeao, suivent également cette option, il faudrait cette fois assortir les négociations avec les militaires de dispositions permettant de réduire plus efficacement la part d’influence politique qu’ils conserveront afin que les autorités civiles n’en soient plus l’otage.  Dans les deux cas, l’efficacité des pressions internationales dépendra aussi de leur capacité à s’articuler à un mouvement intérieur de refus du coup de force qui pour l’instant tarde à prendre de l’ampleur.

Cette instabilité politique peut-elle peser sur le conflit avec les jihadistes ? 

Ces crises à répétition entament la crédibilité de l’Etat malien, déjà confronté aux insurrections de plusieurs groupes armés sur son territoire. Pour les populations qui vivent dans des zones en état d’insurrection, le retour ou le déploiement d’un État englué dans des querelles intestines à Bamako est un scénario de plus en plus improbable. Cela donne de l’espace aux jihadistes et à d’autres groupes armés qui se présentent de fait comme des alternatives durables à l’autorités d’un Etat absent. Par ailleurs, on ne peut écarter non plus que cette nouvelle crise entame la confiance déjà très fragile dans l’accord de paix inter-malien, signé en 2015 mais dont les principales dispositions en matière de sécurité et de décentralisation n’ont toujours pas été mises en place. Si on félicitait il y a quelques mois les autorités de transition pour avoir développé de meilleures relations que leurs prédécesseurs avec les groupes armés signataires, en particulier ceux de la Coordination des mouvements de l’Azawad, la crise actuelle à Bamako pourrait convaincre certains de ces mêmes signataires que rester dans le giron d’un Etat malade et incapable d’honorer ses engagements n’est pas la meilleure solution. Ces tensions pourraient d’autant plus se développer que le M5-RFP, dont un des dirigeants pourrait former le prochain gouvernement à l’appel des militaires de l’ex-CNSP, intègre des personnalités connues pour leur hostilité à l’accord de paix de 2015.


Cet article est republié à partir de crisisgroup.org. Lire l’original ici.





Sommet de Paris sur le financement des économies africaines [Déclaration finale]


Afrique


Le président français, Emmanuel Macron a réuni à Paris plusieurs dirigeants africains et européens, dans le cadre du sommet sur le financement des économies africaines. Objectif : aider les pays d’Afrique à s’extraire du piège de la dette et financer leur développement futur. 

Une trentaine de chefs d’État et de Gouvernement ainsi que des dirigeants d’organisations internationales y participaient 

Ce Sommet faisait suite à la diffusion d’une tribune de 18 dirigeants africains et européens, publiée le 15 avril 2020, en faveur d’une mobilisation de la communauté internationale pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique causée en Afrique par la pandémie.

Déclaration finale _ Sommet sur le financement des économies africaines [source: elysee.fr]





Idriss Déby Itno en 19 dates


Afrique


Retour sur les grandes dates qui ont fait l’histoire du dirigeant tchadien.

1952 – Naissance
Naissance à Berdoba (nord-est du Tchad) dans une famille musulmane.

1980 – Entrée en rébellion
Idriss Déby entre en rébellion aux côtés de Hissène Habré, ancien Premier ministre tchadien, qui le nomme commandant en chef des Forces armées du nord (FAN).

1982 – Renversement de Goukouny Weddeye
Toujours aux côtés de Habré, Déby participe au renversement du régime de Goukouny Weddeye. Hissène Habré devient président de la République.

1989 – Fuite au Soudan
Idriss Déby, alors conseiller de Habré pour la Défense et la sécurité est soupçonné de complot par la présidence tchadienne. Il fuit au Soudan.

1990 – Renversement de Hissène Habré
À la tête du Mouvement patriotique de salut (MPS), qu’il a créé plus tôt dans l’année, Idriss Déby s’empare de Ndjamena le 1er décembre et chasse Habré du pouvoir. Le 4 décembre, il devient président du Conseil d’État.

1991 – Désigné président de la République
Idriss Déby est désigné président de la République par le MPS. Dans les premiers temps de son mandat, il fait adopter le pluripartisme avant qu’une conférence nationale, tenue en 1993, ne donne au pays des institutions provisoires.

1996 – Première élection au suffrage universel
Idriss Déby est élu à la présidence lors du premier scrutin pluraliste au suffrage universel organisé au Tchad, suite à l’adoption de la Constitution de 1996. Il bat Abdelkader Wadal Kamougué avec 69,09 % des voix au deuxième tour. Ce mandat sera marqué, à partir de 1998, par une rébellion du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) dans le Tibesti (nord).

2001 – Deuxième élection à la présidence
Idriss Déby remporte l’élection présidentielle dès le premier tour avec 63,17 % des voix.

2004 – Modification de la Constitution
Alors que le Tchad est devenu producteur de pétrole un an auparavant, Idriss Déby fait modifier la Constitution. La limitation à deux mandats présidentiels est supprimée pour lui permettre de se représenter. Le texte est adopté à main levée, par 123 voix pour, 0 contre et une abstention, alors que les députés de l’opposition ont refusé de prendre part au vote.

2006 – Troisième élection à la présidence
Idriss Déby est réélu président de la République du Tchad pour la troisième fois. Il s’impose au premier tour avec 77,53 % des suffrages. Cette élection intervient dans un climat de crise : en avril, une offensive rebelle sur Ndjamena avait été repoussée par les forces loyalistes. Les relations diplomatiques avec le Soudan avaient alors été rompues, le Tchad soupçonnant l’implication de son voisin. Cette rébellion s’était appuyée sur une vague de désertions dans l’armée durant l’année précédente. Les mutins s’étaient retranchés dans l’est du pays, proche du Soudan.

2008 – Attaque rebelle contre Idriss Déby
La plus importante attaque rebelle contre le régime sur Ndjamena depuis 1990, encercle le palais présidentiel avant d’être repoussée. La France apporte à cette occasion un soutien logistique au régime tchadien.

2010 – Processus de normalisation avec le Soudan
Après cinq ans de guerre par rébellions interposées, Ndjamena et Khartoum s’engagent dans un processus de normalisation. Au Tchad, le président soudanais Omar el-Béchir affirme vouloir « tourner la page ».

2011 – Idriss Déby, réélu pour la quatrième fois 
Idriss Déby se présente à l’élection présidentielle. Celle-ci intervient dans un climat politique tendu. Les résultats des législatives de février ont été rejetés par l’opposition et trois des principaux opposants au président appellent au boycott de l’élection. Le 25 avril 2011, il remporte l’élection avec 88,66 % des voix.  
 
2013 – La lutte contre la menace terroriste 
Idriss Déby envoie ses troupes combattre les jihadistes dans le nord du Mali lors de l’intervention française Serval. 
 
2016 – Le cinquième mandat  
Idriss Déby prend la tête de l’Union africaine pour un mandat d’un an. Il est réélu en avril au premier tour de la présidentielle pour un cinquième mandat d’affilée.  

2018 : Une Constitution pour Déby 
Le Tchad adopte une nouvelle Constitution autorisant Idriss Déby à rester au pouvoir jusqu’en 2033. 

2019 – Nouvelle tentative de renversement 
Une colonne de rebelles tchadiens venus de Libye pour renverser le président est stoppée par des bombardements français sur demande de Ndjamena. 

2020 – Maréchal du Tchad 
Idriss Déby est élevé au titre de maréchal du Tchad pour célébrer la victoire en mars de l’armée tchadienne contre le groupe Boko Haram.  

2021- Décès d’Idriss Déby Itno 
Le 20 avril, Idriss Déby décède des suites de blessures reçues alors qu’il commandait son armée contre des rebelles dans le nord. Il avait été réélu pour un sixième mandat avec 79,32 % des suffrages exprimés, selon des résultats officiels énoncés la veille.


Cet article est republié à partir de savoirs.rfi.fr. Lire l’original ici





Mohamed Bazoum, dans la continuité de son mentor Issoufou


Afrique


Fidèle parmi les fidèles de l’ex-président nigérien Mahamadou Issoufou, son successeur Mohamed Bazoum, investi vendredi, entend assurer la “continuité” à la tête d’un pays en crise confronté à d’immenses défis, particulièrement des attaques jihadistes de plus en plus nombreuses et meurtrières.

Mohamed Bazoum est le premier président à accéder au pouvoir après une transition démocratique entre deux présidents élus dans ce pays en proie aux coups d’Etat et tentatives de putsch depuis l’indépendance en 1960. Une dernière tentative a été déjouée mercredi, selon le gouvernement.

La “continuité” a été le maître mot de la campagne de celui qui fut le bras droit d’Issoufou durant ses dix années de pouvoir : dans le développement de l’un des pays les plus pauvres du monde, comme dans la lutte contre l’insécurité qui n’a fait qu’augmenter récemment, avec plus de 300 morts dans des attaques attribuées au jihadistes depuis le début de l’année.

Bazoum, qui entend “poursuivre” l’oeuvre de son mentor, est longtemps resté à l’arrière-plan, s’occupant de l’appareil du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, dont il est un des membres fondateurs comme Issoufou). Mais aussi en jouant les fidèles lieutenants comme ministre de l’Intérieur ou ministre d’Etat à la présidence lors de la réélection d’Issoufou en 2016.

Homme de réseau, avec de bonnes relations à l’étranger, il a quitté ses fonctions mi-2020 pour se consacrer à la présidentielle, objectif programmé d’un homme de l’ombre propulsé au premier rang de l’imposante machine déployée pour l’élection par le PNDS.

Né en 1960 à Bilabrine dans la région de Diffa (sud-est), Bazoum est arabe, une ethnie minoritaire au Niger, ce qui lui a valu des accusations sur ses origines “étrangères” lors de la campagne.

Dans son discours d’investiture, il a dénoncé “l’usage inédit dans notre pays d’arguments consistant pour certains à stigmatiser l’origine et le teint de la peau de certains de leurs adversaires. De tels arguments sont fort regrettables, car personne n’est responsable de son origine, les hommes sont reponsables seulement de ce qu’ils font”.

Après des études à Gouré (sud-est), puis un baccalauréat à Zinder, Bazoum part étudier la philosophie au Sénégal. Il y enseigne pendant six ans dans des lycées de province, y gagnant un certain talent d’orateur.

– Rigueur et fermeté –

Son contact facile et son ancrage philosophique à gauche sont nuancés par un “air dur, celui de quelqu’un dont on sait qu’il peut avoir la main ferme”, selon un observateur de la politique nigérienne à Niamey.

Les partenaires du Niger, principaux bailleurs d’un pays très fortement dépendant de l’aide internationale, où France comme Etats-Unis ont des bases militaires, préfèrent voir dans Bazoum l’assurance d’un leader sûr, quitte à détourner le regard sur certains sujets.

Notamment sur les affaires de corruption qui ont miné la présidence Issoufou. Mais, avantage certain pour Bazoum, “son nom n’est pas cité dans les principaux scandales de corruption qui ont souvent éclaboussé le régime” et “on lui reconnaît une certaine rigueur dans la gestion des affaires publiques et un franc-parler”, selon Ibrahim Yahya Ibrahim, chercheur à International Crisis Group (ICG).

Sous Issoufou, il se disait de lui qu’il était le vrai numéro deux de l’Etat, devant le Premier ministre Brigi Rafini, qu’il gérait toutes les affaires sensibles et qu’il était consulté sur tous les dossiers, de la diplomatie à l’économie, mais particulièrement sur les questions sécuritaires, centrales dans un pays en proie aux attaques jihadistes.

Reste que ses relations futures avec l’ex-président font déjà l’objet de débats: Issoufou et Bazoum resteront-ils comme les deux doigts d’une même main, ou bien le Niger doit-il redouter un scénario où, comme en Mauritanie, l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz et ex-mentor de l’actuel chef d’Etat, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, est tombé en disgrâce après avoir quitté le pouvoir ?


Cet article est republié à partir de information.tv5monde.com. Lire l’original ici





Sur le départ, le président du Niger appelle à ne pas “tripoter” les Constitutions


Afrique


“Fier” de son bilan, Mahamadou Issoufou, 68 ans, qui quitte volontairement le pouvoir à l’issue de ses deux mandats comme président du Niger, se veut “optimiste” pour l’avenir de son pays et du continent, qu’il aimerait voir émerger malgré le jihadisme, la démographique galopante ou la difficile intégration continentale.

Son pays, parmi les plus pauvres du monde, est en proie aux attaques jihadistes récurrentes qui ont fait des centaines de morts. Il a aussi le record mondial de fécondité avec 7,6 enfants par femmes, ce qui entrave le développement d’un pays, marqué de sucroît par les coups d’Etat.

“C’est la première fois depuis 60 ans qu’il y a un passage de témoin d’un président démocratiquement élu vers un autre démocratiquement élu. On est en train d’asseoir une tradition démocratique”, se réjouit-il, à l’issue des deux mandats, maximum prévu par la Constitution.

Il assure ne pas avoir eu à résister aux sirènes d’un troisième mandat, comme certains de ses pairs africains, qui s’accrochent au pouvoir.

“On ne peut pas avoir des institutions fortes en tripotant les Constitutions, en changeant la règle du jeu en cours de jeu. Je ne peux pas m’engager dans l’aventure d’un troisième mandat. Cela aurait affaibli les institutions que nous sommes en train de construire”, souligne-t-il.

Le grand favori de la présidentielle dont le second tour se tiendra le 20 février n’est autre que Mohamed Bazoum, son dauphin et bras droit, qui a bénéficié de l’appareil d’Etat pour sa campagne.

Mahamadou Issoufou balaie les accusations des opposants nigériens qui taxent le pays de “démocrature”, regrettant des interdictions de manifester ou des arrestations fréquentes de militants de la société civile: “La démocratie c’est la liberté et l’ordre”, répond le président. “Il y pas de démocratie sans ordre, de la même manière qu’il n’y a pas de démocratie sans liberté”.

Sur le plan de la lutte contre le jihadisme, il demande une “coalition internationale”, un de ses leitmotiv.

– “L’Afro-pessimisme est derrière nous” –

“Tout le Sahel est infesté. La sécurité est un bien public mondial. Ce qui se passe au Sahel concerne le reste du monde. Si le terrorisme arrive à prendre pied en Afrique, il prendra pied en Europe”, estime M. Issoufou, alors que son pays a subi samedi la plus meurtrière attaque jihadiste contre des civils avec 100 morts.

Le président se fâche quand on évoque les critiques locales à l’égard de la présence des forces étrangères, notamment françaises, au Sahel: “Ce ne sont pas des interventions étrangères ce sont des interventions d’alliés, Nous avons une guerre contre un ennemi. Dans toutes les guerres il y a des alliances”.

Et il dit “s’étonner” que ceux-là même qui critiquent les opérations étrangères “ne dénoncent pas les terroristes”.

Sur le plan économique et social, M. Issoufou, qui a été très actif sur le dossier de la zone de libre échange économique africaine (Zlecaf), croit fermement en l’intégration régionale pour faire “émerger le Niger et le continent”.

“L’Afro-pessimisme est derrière nous”, promet-il, appelant à “des politique ambitieuses (et) l’approfondissement de certaines valeurs notamment démocratiques et des droits de l’homme”.

“La zone de libre échange dont les échanges vont commencer le 1er janvier va créer le marché le plus vaste du monde avec 1,2 milliard de consommateurs”, se réjouit-il.

“Cela mettra fin aux marchés balkanisés que l’Afrique a connus et qui ont été à la base d’échecs de beaucoup de politiques industrielles en raison de marchés trop étroits”.

Mais dans ce nouveau marché promis, “il faut avoir de quoi échanger”, assurant qu'”on a prévu un plan de développement industriel” et “un plan de développement agricole afin que l’Afrique puisse se nourrir”.

– Nécessaire transition démographique –

“Avec l’immensité des terres arables qu’on a, il faut que l’Afrique soit capable de produire son alimentation”, déclare M. Issoufou.

“En ce qui concerne le CFA, nous avons fait des réformes qui montrent notre volonté d’aller vers la monnaie unique. (A terme) je vois une monnaie unique au niveau Cédéao”, pense-t-il en estimant que pour “la monnaie unique africaine il faudra attendre plusieurs décennies”.

Le président est aussi optimiste quant à la démographie de son pays, affirmant qu’il est “sur la bonne voie”.

Le Niger, qui n’avait que 3 millions d’habitants à l’indépendance en 1960, en compte aujourd’hui 23 millions. Avec un taux de croissance annuel de la population de 3,9% par an (record mondial), la population atteindra 70 millions en 2050 si rien ne change.

“Nous avons fait baisser le taux de fécondité. C’est une action de longue haleine (…), nous avons mobilisé les leaders religieux et traditionnels avec des arguments religieux qui justifient la nécessité de la transition démographique”.

“La croissance démographique mange une bonne partie de la croissance économique” de 6 à 7% ces dernières années, ajoute le président qui martèle: “Nous arriverons à maitriser cette croissance exponentielle qui malheureusement rend difficile le progrès rapide du Niger vers l’émergence”.

Parmi les axes prioritaires, “il faut maintenir les jeunes filles à l’école au moins jusqu’à 16 ans afin d’éviter mariages et grossesses précoces”, précise-t-il.

A l’heure du bilan, Issoufou sourit: “Je suis fier de l’ensemble, les promesses que j’ai faites au peuple nigérien je les ai tenues”.

Et la suite? “Jusqu’au 2 avril, je continue d’être au gouvernail mais il n’y a pas de vide, il y a une vie après le pouvoir”.


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Le niveau de la gouvernance recule en Afrique [Indice Mo Ibrahim]


Gouvernance


La Fondation Mo Ibrahim vient de publier son rapport 2020 sur la bonne gouvernance en Afrique. Pour la première fois depuis 2010, on note un recul de la performance continentale dans le domaine.

Selon le nouveau rapport, la moyenne africaine en ce qui concerne l’indice Mo Ibrahim de la bonne gouvernance est de 48,8 en 2019 contre 49 sur 100 en 2018 soit un recul de 0,2 point de pourcentage d’une année à l’autre. Cela n’était jamais arrivé depuis le début de la décennie.

L’étude indique que cette situation est due à la détérioration des performances dans trois des quatre catégories de l’indice, à savoir : participation, respect des droits et inclusion des citoyens ; sécurité et Etat de droit ; puis développement humain. En effet, ces dernières années, la progression des pays du continent dans ces secteurs a ralenti avec une baisse plus marquée à partir de 2015.

Entre 2010 et 2019, la performance des pays africains en matière de développement humain s’est améliorée de 3% (51,9 sur 100 en 2019) tandis que celle en matière de fondements pour les opportunités économiques a augmenté de 4,1% (47,8 sur 100 en 2019).

Cependant, le niveau des pays africains a reculé de -1,4% en ce qui concerne la participation, le respect des droits et l’inclusion des citoyens (46,2 sur 100 en 2019), et de – 0,7% en ce qui concerne la sécurité et l’Etat de droit (49,5 sur 100 en 2019). La faute notamment aux crises politiques et sécuritaires qui ont secoué plusieurs pays du continent.

Maurice reste le meilleur pays africain en termes de gouvernance avec un indice de 77,2 tandis que la Somalie est le pire pays du continent en la matière avec un indice de 19,2. Au cours de la dernière décennie, c’est la Gambie qui a réalisé la plus forte progression (+9,2) alors que la Libye détient la palme de la plus forte détérioration avec -5,5. L’Algérie arrive à la 15ème place (+3,3).

En ce qui concerne les régions, c’est l’Afrique australe qui réalise en 2019 la meilleure performance en matière de bonne gouvernance avec un indice de 53,3 suivie de l’Afrique de l’Ouest (53,1), l’Afrique du Nord (52), l’Afrique de l’Est (46,2), et l’Afrique centrale (38,8)

Notons que seuls huit pays ont amélioré leurs performances dans les quatre grandes catégories de l’indice Mo Ibrahim au cours de la dernière  décennie à savoir, l’Angola, le Tchad, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, Madagascar, les Seychelles, le Soudan et le Togo.

AFP

Lire le rapport complet ici





L’élection en Afrique ou la délégitimation d’un « rite démocratique »


Analyse


Légitimer et renforcer des pouvoirs autoritaires, l’élection en Afrique ressemble plus à une simple formalité administrative qu’à une consécration de la démocratie. De Fukuyama qui parle d’un verni démocratique à Michalon qui n’hésite pas à soutenir la suppression de l’élection présidentielle en Afrique, le « théâtre démocratique » expression de Antoine Glaser pour qualifier les élections dans certains pays africains, apparait comme un rendez-vous en absurdie.

L’acte électif est dévalorisé. Dans un article intitulé La démocratie en Afrique: succès et résistances, Babacar Guèye souligne que « L’acte électif n’a de sens, au fond, que s’il permet à terme l’alternance démocratique [  ] » Or, selon l’auteur, « les manipulations électorales, intimidations et recours à la force qui émaillent bien des élections en Afrique sont les signes du refus d’accepter les règles du jeu démocratique ».

Dans le même ordre d’idées, Philippe Aldrin dans un ouvrage collectif intitulé Politiques de l’alternance: sociologie des changements (de) politique, soutient qu’une alternance au pouvoir est un « indicateur de bonne santé démocratique » parce qu’elle est supposée porteuse de changements politiques et sociaux. Les enquêtes Afrobaromètre arrivent à la même conclusion « Dans le système politique particulier à l’Afrique, une alternance au pouvoir insuffle l’espoir populaire selon lequel la performance gouvernementale sera améliorée. » En d’autres termes, « les Africains désirent des élections transparentes, surtout celles porteuses d’alternance ».


Une alternance au pouvoir est un « indicateur de bonne santé démocratique »


Entre démocratie et autoritarisme, les régimes hybrides jouent les intermédiaires (des régimes autoritaires civils qui organisent des élections pour légitimer leur position). Avec une façade compétitive, des consultations manipulées, des institutions factices, ces régimes hybrides africains sont un mélange d’éléments de démocratie (institutions, élections) avec des pratiques autoritaires.

Cependant, « l’élection ne fait pas la démocratie ». Pour Pierre Jacquemot, elle « n’est la démocratie que si elle est l’aboutissement d’un long processus, adossé à une ossature institutionnelle suffisamment robuste pour porter une justice indépendante, garantir les libertés fondamentales, apporter du développement et traquer la corruption ».

En dénonçant « la pseudo démocratie africaine », le journaliste Vincent Hugeux dans un essai intitulé Afrique : le mirage démocratique, est catégorique : c’est une « mascarade ». Selon lui, « Jeunes ou vieux, les caïmans du marigot ont appris à manier le lexique du pluralisme, de la transparence et de la bonne gouvernance [  ] pour mieux s’affranchir de ses effets ». L’auteur dénonce le « tour de passe-passe » que constituent les modifications constitutionnelles avant les scrutins. Des modifications, selon lui,  qui « ont l’apparence de la légalité, mais constituent autant de forfaitures sur le plan éthique et politique ».

Une « démocratie procédurale ». Pour Pierre Jacquemot, elle « renonce à convaincre de la nécessité du politique, désarme le jeu social et rend, entre deux élections, le citoyen superflu. Il en résulte, pour la population pauvre, un sentiment diffus d’impuissance [  ] ». Quant au professeur britannique Nic Cheeseman, il qualifie l’Afrique de « continent remarquablement divisé», avec «presque autant de démocraties défectueuses (15) que de régimes autocratiques (16) parmi les 54 États du continent».

Dans un article publié dans le foreign affairs, intitulé The Retreat of African Democracy. The Autocratic Threat Is Growing, Nic Cheeseman et Jeffrey Smith soulignent qu’un « bon indicateur de l’état de santé de la démocratie en Afrique comme ailleurs consiste à observer si les dirigeants quittent effectivement le pouvoir au terme prévu par leur mandat. Ils sont de plus en plus nombreux à mener des “coups d’État constitutionnels” qui leur permettent de récrire la loi [  ] ». En citant le Freedom House, ces deux auteurs révèlent que 11 % seulement du continent africain est politiquement “libre”, et le niveau moyen de la démocratie n’a cessé de reculer au cours des quatorze dernières années. Cette tendance est confirmée par le score du continent en matière de processus électoral et de pluralisme qui demeure le plus faible du monde. Selon le Democracy Index 2019 deThe Economist Intelligence Unit 3,99/10 contre une moyenne planétaire de 5,9/10. Le journaliste et chercheur indépendant, Régis Marzin, dans un rapport intitulé Démocraties, dictatures et élections en Afrique : bilan 2019 et perspectives 2020 dénote quant à lui, que sur les 582 élections enregistrées entre 1990 et 2019, 294 relèveraient de la « mascarade».

Le contrôle des commissions électorales

Dodzi Kokoroko, dans un article intitulé Les élections disputées : réussites et échecs publié en 2009 dans la revue Pouvoirs, souligne que la « grandeur de l’élection célébrée par sa consécration constitutionnelle s’éclipse rapidement devant les déceptions et régressions engendrées dans la pratique. »

Entre l’habillement normatif et le mode opératoire des institutions et juridictions constitutionnelles, le contraste est saisissant. Si la création de commissions électorales et des cours constitutionnelles est perçue comme une avancée démocratique, censée « en théorie » garantir la transparence, l’indépendance et l’impartialité dans la gestion du processus électoral, force est de reconnaitre que la réalité est aux antipodes de cet habillement normatif parfois « sacralisé ».

Le contrôle des institutions en charge des élections apparait comme un enjeu central pour la conquête et la conservation du pouvoir politique en Afrique.

Eugène Le Yotha Ngartebaye dans sa thèse intitulée Le contentieux électoral et la consolidation démocratique en Afrique francophone. Trajectoire comparative du Bénin et du Tchad (2014), souligne que « l’issue de l’élection ne se joue plus dans les urnes, mais dans les capacités à maitriser et disposer de ces institutions. C’est ce qui explique la politisation outrancière des commissions électorales avec en prime une prépondérance des membres désignés par le parti au pouvoir. » Une lecture partagée par Danielle Béatrice dans un article intitulé Changement des mentalités et changements institutionnels : des impératifs pour crédibiliser la démocratie en Afrique,qui affirme que « l’amélioration de la démocratie et de la vie politique dans les pays afri­cains nécessite une véritable autonomie des institutions responsables des élections et une limitation des pouvoirs des chefs d’État. » Pour elle, les institutions chargées du suivi des élections ont perdu leur crédibilité. Cela est sans doute « dû à la corruption qui sévit dans nos pays africains et au manque d’autonomie desdites institutions. »

La sincérité et l’intégrité du vote en question

Les manipulations du vote se révèlent être une pratique courante dans un environnement où l’administration est partisane et l’organe en charge des élections est instrumentalisé. En guise d’exemple, la loi prévoit un dépouillement sur place dans les bureaux de vote. Cependant, on assiste le plus souvent au déplacement des urnes par la force. Une pratique relevée par Dodzi Kokoroko dans son article Les élections disputées : réussites et échecs. Selon cet auteur, « ce transfert des urnes permet à l’administration de remplacer les urnes dont le contenu est jugé défavorable au pouvoir par des urnes plus dociles, aux résultats facilement contrôlables. La falsification des procès-verbaux constitue l’étape suprême de la machine de fraude électorale. Elle est généralement orchestrée par des représentants locaux de l’administration générale (préfets et sous-préfets) qui vont corriger les résultats. »

Dans le même ordre d’idées, Pierre Jacquemot dans un article intitulé les élections en Afrique, marché de dupes ou apprentissage de la démocratie ? publié en 2019 dans la Revue internationale et stratégique explique que « [  ] la falsification des procès-verbaux, si elle est utilisée peut commencer dans le bureau de vote, mais elle intervient le plus souvent dans un transfert ou un lieu de compilation régional, ou encore dans un lieu de rassemblement national ». Pour cet universitaire et ancien diplomate, « l’élection africaine est la résultante d’une réelle appropriation des normes officielles du jeu électoral conjuguée à des pratiques de contournement de ces règles ». L’auteur n’hésite pas à soutenir que « la transgression fait partie intégrante du jeu électoral africain ». De plus en plus sophistiquée, l’ingénierie de la fraude électorale atteint des proportions inquiétantes en Afrique. Vincent Darracq et Victor Magnani dans un article intitulé Les élections en Afrique : un mirage démocratique ? expliquent que « des savoir-faire multiples, de plus en plus sophistiqués, sont développés par les opérateurs politiques et leurs « petites mains » pour « orienter » les résultats des scrutins ».


« l’élection africaine est la résultante d’une réelle appropriation des normes officielles du jeu électoral conjuguée à des pratiques de contournement de ces règles »

Pierre Jacquemot


Les chercheurs Nic Cheeseman et Brian Klaas, dans un ouvrage intitulé « How to rig an election » qui traite des stratégies au moyen desquelles les tricheurs politiques et leurs auxiliaires administratifs faussent les scrutins démocratiques soutiennent que « Contrairement à ce que l’on pense généralement, les dirigeants autoritaires qui acceptent de tenir des élections sont généralement en mesure de rester au pouvoir plus longtemps que les autocrates qui refusent d’autoriser la population à voter. » En d’autres termes, selon ces auteurs « un autocrate perd rarement une élection ».

Face à cette situation de fraude électorale systématique, les contestations des résultats font désormais partie intégrante du processus. Un fait caractéristique des élections en Afrique, selon Pierre Jacquemot dans une interview sur Francetvinfo. Dans le même ordre d’idées, le sociologue ivoirien Alfred Babo, dans un article dans Le Monde intitulé Faut-il continuer d’organiser des élections présidentielles en Afrique ? affirme que « la contestation des résultats est devenue quasi consubstantielle à l’exercice de ces scrutins ».

Pour conclure, citons cette observation de Alix Boucher de Africa Center, dans un article intitulé Désamorcer la crise politique en Guinée « l’expérience montre que les chefs d’État africains qui sont restés au pouvoir pendant plus de 10 ans ont accumulé les actes de répression et de corruption et généré instabilité financière, sous-développement et conflits dans le pays. »


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur @GuineePolitique




“Refusons toute idée de troisième mandat où que ce soit en Afrique!” trois écrivains africains dénoncent


« Halte à la présidence à vie »


Le projet d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat est un très mauvais signal pour l’avenir de la démocratie en Afrique. Le président ivoirien renie sa déclaration du 15 Mars dernier dans laquelle il promettait de se retirer du pouvoir et tord ainsi la Constitution de son pays uniquement pour convenance personnelle. Les interprétations vont bon train et les juristes de tous bords se contredisent sur ce point, jetant un désarroi sans précédent dans les rangs des démocrates. Pourtant la manœuvre est claire, qui consiste à tripatouiller la charte fondamentale pour se maintenir au pouvoir soit par un plébiscite direct par la voie référendaire ou déguisé en passant par un parlement bâillonné, apeuré et aux ordres. Ces modifications constitutionnelles à répétitions sont une forfaiture et leurs auteurs des prédateurs et des usurpateurs. La messe semble donc dite dès l’instant où la constitution est bafouée, et la ligne rouge tracée par les Conférences nationales des années 90, clairement franchie. Le pire est à craindre. Ce pire a un nom. Il s’appelle parti unique, assemblée monocolore, présidence à vie. Nous en connaissons tous les méfaits. Alors, dès maintenant, exprimons haut et fort notre réprobation. Refusons toute idée de troisième mandat où que ce soit en Afrique ! On se souvient que Nelson Mandela, après tous les sacrifices consentis à son peuple avait promis de ne faire qu’un seul mandat et il s’y est tenu malgré les fortes pressions exercées sur lui par son parti et par des conseillers sans scrupules.


Refusons toute idée de troisième mandat où que ce soit en Afrique !


Il est clair que la nouvelle tentative d’usurpation et de confiscation du pouvoir à Abidjan fera des émules si elle réussit. Alpha Condé qui ne se sent plus seul dans son désir de se succéder à lui-même par, faisant siennes les idées fumeuses d’une dévolution divine du pouvoir, idées attentatoires à la souveraineté du peuple, s’est évidemment dépêché d’adresser un chaleureux message de félicitations à son collègue ivoirien. A Niamey, le président Youssoufou doit se demander s’il ne serait pas mieux de faire comme les autres. Quant à Paul Biya et le Maréchal Idriss Deby, ils se sont essuyés les pieds sur leurs propres constitutions. Pendant que Joseph Kabila ruse, à la mode russe, avec la loi suprême à Kinshasa, à Dakar, la tentation sera désormais grande pour Macky Sall de suivre la voie de la manipulation constitutionnelle érigée en moyen monopolistique du pouvoir.

Non au retour du pouvoir illimité que ce soit par les tanks ou par un jeu d’écriture ! Nous devons agir avant qu’il ne soit trop tard. L’inacceptable candidature de Ouattara nous interpelle tous. Il est important que l’opinion africaine et internationale en mesurent la gravité et réagissent de concert pour que la démocratie en Afrique ne devienne pas une imposture mais une réalité tangible fondée non plus sur le bon vouloir des individus, mais sur la prééminence de la loi et sur le caractère sacré de la Constitution.

La Cedeao, l’Union africaine et l’Organisation Internationale de la Francophonie ont sanctionné le Mali après le coup d’Etat militaire. Mais alors pourquoi ferment-elles les yeux sur le putsch constitutionnel en cours à Abidjan et à Conakry ? Ces institutions veulent- elles nous faire croire que le coup de force des lettrés est plus convenable que celui des gradés ? Cette attitude ambigüe est hautement dommageable au processus démocratique amorcé au début des années 90. La Communauté Internationale risque de briser tout approfondissement concourant à établir une véritable et durable démocratie en Afrique : une démocratie fondée sur des élections libres et transparentes, une démocratie où l’alternance s’effectue sans heurts dans le strict respect des règles établies.


La Cedeao, l’Union africaine et l’Organisation Internationale de la Francophonie ont sanctionné le Mali après le coup d’Etat militaire. Mais alors pourquoi ferment-elles les yeux sur le putsch constitutionnel en cours à Abidjan et à Conakry ?


C’est le moment de mettre en garde les soi-disant comités d’experts censés plancher sur les réformes constitutionnelles et qui se laissent si facilement convaincre ou amadouer. On en veut pour preuve la disparition de la limite d’âge dans la nouvelle constitution ivoirienne qui permet à Henri Konan Bédié, âgé de 86 ans, d’être candidat à la présidentielle. Dans quel abîme sommes-nous donc projetés ? Dans le déni de démocratie et dans la ruine de tout avenir pour les jeunes sacrifiés dans des nations africaines anesthésiées par une oligarchie sans contrepoids, sans âme ni contradicteurs.

Si l’on n’y prend garde, bientôt, les présidents ne se contenteront plus de modifier les Constitutions, ils vont faire du non droit, ou plutôt de la non-alternance politique l’ordinaire de vie publique et transformeront, de fait, la présidence de l’Etat en pré-mausolée, où ne siègent plus les sages, mais les fossoyeurs des peuples.

Faisons en sorte de ne pas en n’arriver là !

SIGNATAIRES

  1. Tierno Monénembo, écrivain (Guinée)
  2. Véronique Tadjo, écrivaine (Côte-d’Ivoire)
  3. Eugène Ebodé, écrivain (Cameroun)






Le syndrome du troisième mandat en Afrique : “les nouvelles formes de coups d’Etat”


Republication de contenu francetvinfo

Afrique


L’inquiétude grandit en Afrique de l’Ouest à l’approche des élections présidentielles d’octobre en Côte d’Ivoire et en Guinée. “La folie du troisième mandat” risque de précipiter toute la région dans le chaos, redoutent les analystes.

Alioune Tine est un familier des crises qui ont secoué l’Afrique de l’Ouest, pour y avoir travaillé longtemps comme directeur régional d’Amnesty International. C’est un fervent défenseur des Droits de l’Homme respecté dans toute la région. Alors que le débat sur le syndrome du troisième mandat fait rage en Côte d’Ivoire et en Guinée, où des élections présidentielles sont prévues en octobre, il redoute une violente déflagration aux conséquences incalculables.

Les présidents Alassane Ouattara et Alpha Condé “fonctionnent en mode pilotage automatique, sourds et aveugles”, obsèrve-t-il dans les colonnes du quotidien sénégalais Vox Populi. Il pointe un risque “de chaos et de somalisation” de la région.

Au mois de mars, Alioune Tine avait qualifié d’historique, la décision du président Alassane Ouattara de ne pas briguer un troisième mandat. Il a déchanté, depuis que le chef de l’Etat ivoirien, privé de son dauphin brutalement décédé, s’est remis dans la course sous la pression de ses partisans. Un revirement qui fait des vagues en Côte d’Ivoire. Des manifestations anti-troisième mandat de Ouattara ont déjà fait six morts et une trentaine de blessés. Et l’on craint le pire dans les jours et les semaines à venir.

“Une imposture intellectuelle”

Pour Alioune Tine, ce troisième mandat, qui suscite tant de tensions et d’inquiétudes en Afrique de l’Ouest, n’a aucune réalité juridique et constitutionnelle. 

C’est une imposture intellectuelle qui dissimule les nouvelles formes de coup d’État constitutionnel et de coup d’État électoral. Cela crée instabilités et régressions

Alioune Tine, défenseur des droits de l’homme sur son compte Twitter

Alioune Tine est formel. Pour lui, la limitation de mandats est évoquée en Afrique pour éviter que ça dépasse deux mandats. Le reste relève “d’extrapolations infectes menant à un coup d’Etat constitutionnel”, dénonce-t-il.

“Les intérêts du clan avant tout”

Pourquoi Allassane Ouattara prend-il le risque de mettre le feu au pays ? Pour l’analyste politique ivoirien, Sylvain N’guessan, si le président ivoirien veut se maintenir au pouvoir, c’est en raison de l’échec de la réconciliation nationale et du processus de justice transitionnelle inachevé après la grave crise postélectorale de 2010-2011 qui s’était soldée par plus de 3000 morts.

“Les tenants du pouvoir actuel redoutent que si l’opposition arrive aux affaires, ils seront obligés de prendre leurs effets et de partir en exil. Dans ce genre de contexte, tous les moyens sont bons pour conserver le pouvoir”, explique Sylvain N’guessan sur l’antenne de la BBC.

L’analyste politique ivoirien observe que même les chefs d’Etats africains qui arrivent à imposer leur dauphin pour prendre leur relève ne s’en tirent pas toujours à bon compte. Il cite le cas de l’ancien président angolais, José Edouardo Dos Santos dont le dauphin s’est émancipé rapidement de son mentor. Résultat : certains membres de sa famille, dont ses propres enfants, ont été traînés devant les tribunaux pour corruption et détournements de fonds publics. D’où la tentation de garder les commandes le plus longtemps possible pour éviter les mauvaises surprises.

Mieux vaut s’accrocher quitte à mourir au pouvoir pour préserver, non seulement sa tête, mais aussi les intérêts de la famille et de son clan

Sylvain N’guessan, analyste politique ivoirien à la BBC

Aux quatre coins de l’Afrique, on ne compte plus le nombre de chefs d’Etat qui, au terme de leur deuxième et dernier mandat, manipulent la constitution pour pouvoir rester au pouvoir. C’est le cas du président de Guinée, Alpha Condé, qui est poussé par ses partisans à briguer, lui aussi, “un mandat de trop”. L’intéressé n’a pas encore annoncé officiellement sa candidature. Mais, après le référendum constitutionnel qu’il a organisé, personne n’en doute plus dans son pays. Ses opposants sont déjà sur le pied de guerre.

Des recettes pour un départ en douceur

Comment inciter les chefs d’Etat africains à quitter le pouvoir pacifiquement ? Comment aider ceux qui se reprochent beaucoup de choses en matière de gouvernance ? Ceux qui craignent des audits pouvant sortir des cadavres de placards ? L’ancien chef de la diplomatie mauritanienne et ancien haut fonctionnaire de l’ONU, Ahmedou Ould Abdallah, a quelques recettes qu’il a exposées sur le site de Wathi, un Think Tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest.

L’ancien diplomate mauritanien propose d’offrir aux anciens chefs d’Etats une amnistie conditionnelle, valide tant qu’ils restent dans leurs pays. Il suggère qu’une pension généreuse leur soit accordée, en même temps que divers avantages pour que leur sécurité matérielle soit durablement assurée. Le tout avec les honneurs protocolaires liés à leur statut d’anciens présidents. Il estime que cette démarche coûterait moins cher que les pillages auxquels ces chefs d’Etats s’adonnent. Mais, comme il le reconnaît lui-même, ses propositions ont reçu une fin de non recevoir de la part des partis d’opposition en Afrique de l’Ouest.

Mobiliser la société civile

Pour sa part, l’analyste politique ivoirien, Sylvain N’Guessan estime qu’il faut que les sociétés civiles africaines prennent leurs responsabilités pour peser dans le débat lors de la rédaction des constitutions et à l’occasion de leur modification. “Elles doivent expliquer les enjeux de ces réformes aux électeurs et aux populations concernées”, pour que ces dernières agissent en connaissance de cause, plaide-t-il.


Cet article est republié à partir de francetvinfo.fr. Lire l’original ici





Un «printemps ouest Africain»? après Bamako, Conakry et Abidjan sur le qui-vive [Par Alpha Boubacar Baldé]


Point de vue


Frantz FANON disait : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, trouver sa mission, la remplir ou la trahir »

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, nos grands-parents et arrières grands-parents qui participèrent à la guerre dans les bataillons de tirailleurs Sénégalais, prirent conscience de la nécessité de libérer les peuples Africains. Cette prise de conscience de leur situation de peuples colonisés fut consécutive à leur participation à la 2nd guerre. Aux côtés des Français qui cherchaient à se libérer du joug Allemand, ils réalisèrent soudain leur propre situation. A leur retour dans leurs pays respectifs, ils vont à travers leurs témoignages auprès de leurs enfants (nos parents) donner naissance à la génération qui permettra aux pays Africains d’accéder à l’indépendance.

La mission de cette génération là (celle de nos parents), était de nous faire accéder à l’indépendance. Elle n’a pas failli à sa mission. Des 1958, la population des rivières du sud oppose un retentissant « NON » au Général De Gaulle lors du référendum d’autodétermination du 28 septembre 1958. Les rivières du sud deviennent le 2 octobre 1958, la République Populaire et Révolutionnaire de Guinée. Non content du « NON » qui lui est opposé, la France du Général De Gaulle, fera de la Guinée un exemple pour dissuader les autres colonies Françaises de faire le même choix. Il faudra deux années supplémentaires en 1960, pour voir les autres colonies Francophones accéder à l’Indépendance dans des conditions moins rocambolesques sans froisser la France.

Sous la Présidence d’Ahmed Sekou TOURÉ (Héros & Tyran) La Guinée qui n’a plus aucune relation avec l’ancien colon opte pour le communisme en se rapprochant de l’axe Russie, Chine, Cuba et Corée. Nous connaissons tous plus ou moins bien l’histoire de notre pays malgré les fossoyeurs et ceux là qui veulent réécrire l’histoire. Il est vrai que : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur » Proverbe Africain.

Aujourd’hui, 62 ans après notre indépendance, quelle est la mission de notre génération ?

Selon moi, le rôle de notre génération est d’ancrer la démocratie dans notre pays, nous décomplexer vis à vis de l’Occident et d’amorcer des projets de développement au bénéfice de notre population.

Alors que la jeunesse ouest Africain aspire à des alternances et à la démocratie, de vieux chefs d’état arrivés tardivement au pouvoir se livrent à des changements de constitution pour seul et unique but de briguer d’ultimes mandats.

  • C’est le cas en Côte d’Ivoire et en Guinée ou ADO & AC après deux mandats constitutionnels sont sur les starting-blocks pour briguer d’ultimes mandats ;
  • Tentative de changement constitutionnel avortée au Mali grâce au vaillant peuple Malien qui a finalement réussi à faire démissionner le pouvoir corrompu d’IBK qui malgré le plébiscite pour son second mandat s’est éloigné des préoccupations des Maliens ;
  • Un changement constitutionnel également au Sénégal dont le peuple doit être vigilant, malgré la tradition démocratique et une société civile plus structurée et alerte.

Pour en revenir à l’événement du 18 mars au Mali, j’espère qu’il s’agit là de l’amorce du printemps vertueux ouest-Africain. Bravo au peuple Malien, à sa société civile et son armée qui ont prouvé que nul, pas même un chef d’état (souvent idolâtré dans nos pays Africains), n’est plus important que l’avenir de la nation. Une armée Malienne républicaine et au service de sa population à prit ses responsabilités devant l’histoire.

En Guinée, malgré les manifestants monstres du FNDC dont le but était d’empêcher le changement de la constitution de 2010. L’armée s’est rangée du côté d’un Dictateur, qui tant bien que mal continu à dérouler son agenda pour briguer un ultime troisième mandat et peut être un quatrième connaissant sa boulimie du pouvoir. Elle a failli a sa mission. Suite au REFERENDRAME de mars 2020, nous sommes aujourd’hui dans un imbroglio Politico-juridico-Social qui rend indispensable une transition. Oui d’aucuns diront que ce n’est pas démocratique, mais j’appelle de mes vœux à une transition dont nous ne pouvons pas faire l’économie dans notre pays.

  • Nous n’avons pas de constitution (elle a fait l’objet d’un faux lors de sa promulgation et elle vient de faire l’objet d’une suspension partielle par une cour constitutionnelle aux ordres) ;
  • Notre Assemblée Nationale comporte des députés élus avec 1000 voix ce qui ne leur confère aucune légitimité pour légiférer au nom d’une population d’au moins 12 millions de Guinéens ;
  • La cour constitutionnelle est totalement décrédibilisée par ses décisions qui n’ont aucun précédent dans l’histoire mondiale du Droit constitutionnel ;
  • La CENI et son fichier électoral qui inclut 2,5 millions d’électeurs fictifs n’offrent aucune crédibilité à une consultation électorale sur cette base. Ne parlons même pas des mineurs enrôlés dans les fiefs du RPG qui rend impossible toute alternance.

L’armée s’est rangée du côté d’un Dictateur, qui tant bien que mal continu à dérouler son agenda pour briguer un ultime troisième mandat et peut être un quatrième connaissant sa boulimie du pouvoir. Elle a failli a sa mission.


Malgré donc la mobilisation du peuple martyr de Guinée aux appels du FNDC depuis le 14 octobre 2019, l’armée s’est érigée en un obstacle pour empêcher la chute de l’administration la plus corrompue depuis notre accession à l’Indépendance en 1958. Pour preuve les nombreux scandales de détournement de deniers publics :

  • 120 millions de USD disparus sur les 700 millions reçus de Rio Tinto en 2010 directement imputable au PRAC ;
  • 51 millions de USD détournés à l’ARPT par deux employés ;
  • Le scandale de l’OPG impliquant le sieur PMD ;
  • Les 3 milliards de USD qui auraient été investis dans l’électricité pour quels résultats.
  • Les fonds investis pour la réfection de nos routes et voiries urbaines qui ne résistent pas aux saisons hivernales.

Chez nous en Guinée, notre armée et nos FDS ne sont pas Républicaines. Elles sont promptes à faire des coups d’état contre des cadavres et à se bomber le torse. Ce fut le cas en 1984 et en 2009. Voilà de quoi elles sont capables. Elles sont spécialistes des violences vis à vis de leur population sur laquelle elles tirent sans retenue, elles s’introduisent dans les domiciles privés des populations pour renverser des marmites et proférer des injures à caractère ethnique, elles excellent dans l’intimidation, les arrestations arbitraires, extra-judiciaires, la torture et la déportation (Camp de Soronkoni où sont arbitrairement détenus des ressortissants de la Guinée Forestière en dehors de tout cadre légal). Des généraux corrompus avec des milliards qu’ils ne redistribuent pas à la troupe (militaires de rang). Une troupe instrumentalisée pour violenter la population afin maintenir un Président octogénaire sénile et peureux au pouvoir en violation de ses serments.

Aujourd’hui, elles (armée et FDS) constituent le seul rempart qui protège cette administration aux abois. Une administration, qui affame le peuple pour ensuite lui jeter des miettes à travers ce qu’ils appellent ANIES.

Cette agence gouvernementale qui au lieu de promouvoir l’autonomie des populations promeut la dépendance de celles-ci via des dotations de riz et huile. Une pratique socialo-communiste dépassée d’un Président dont le cerveau est resté bloqué à l’époque de la Guerre froide. Une administration responsable aurait fait le choix de rendre autonome sa population au lieu de la rendre dépendante. CONFICIUS disait « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ». Comprendras qui pourra ! Il existe des administrations dans lesquelles, les cerveaux des responsables sont réfractaires au développement. Le PRAC et son administration souffrent de cette pathologie.

Le peuple ouest Africain et sa jeunesse sont en marche pour l’instauration de démocraties durables dans nos pays. La Guinée ne doit pas faire exception à ce mouvement.

Nos parents et grands-parents ont gagné le combat de l’indépendance, à nous de gagner celui de l’instauration de la démocratie dans nos pays et de l’émancipation de nos États de la dépendance vis à vis de l’occident. Nous ne voulons plus de « nègre de maison » à la tête de nos États. Cette époque est révolue.

Nous le devons à nos enfants. A chacun de jouer sa partition y compris l’armée et les FDS qui sont partie intégrante du peuple brimé et martyrisé de Guinée.

Marcus GARVEY disait « Il est possible que nous ne vivions pas tous la réalité d’un empire (État) africain si fort, si puissant qu’il imposerait le respect à l’humanité, mais nous pouvons cependant durant notre vie travailler et œuvrer à faire de ce projet une réalité pour une autre génération ». Faisons cet effort pour nos enfants. L’état étant une continuité ils parachèverons notre projet.

Ceci est notre mission !

Faisons-en sorte de pouvoir regarder droit dans les yeux nos enfants au moment de leur passer le témoin.


Alpha Bakar Le Kaizer
Un citoyen concerné

* L’auteur avait proposé le titre : Le printemps politique ouest Africain en marche (MALI – GUINÉE – CÔTE D’IVOIRE)





Mali: IBK contraint à la démission, les militaires mutins appellent à une transition civile


Afrique


Au Mali, tôt ce mercredi 19 août au matin, les militaires mutins ont appelé à une transition politique civile conduisant à des élections et annoncé la création d’un Comité national pour le salut du peuple. Les militaires au pouvoir ont affirmé par ailleurs que tous les accords internationaux seront respectés.

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Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a annoncé dans la nuit de mardi à mercredi sa démission et la dissolution du Parlement suite à son arrestation plus tôt dans la journée par des soldats mutins.

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Liens des articles RFI / Liens vidéos TV5 et igfmsn





Au Mali, des milliers de manifestants demandent la démission du président


Échos d’Afrique


Le rassemblement, organisé par une nouvelle coalition regroupant un large pan de l’opposition politique, a dénoncé la « gouvernance chaotique » d’Ibrahim Boubacar Keïta.


Les Maliens sont descendus par milliers sur la place de l’indépendance au centre de Bamako, ce vendredi 5 juin. Au son des sifflets, des vuvuzelas et d’une fanfare, les manifestants ont repris en chœur les slogans scandés par un speaker perché sur une estrade : « IBK démission ! IBK dégage ! ».

Cette injonction, adressée au président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), a été formulée à l’initiative d’une nouvelle coalition qui regroupe un large pan de l’opposition politique du pays, de l’influent imam Mahmoud Dicko et son mouvement religieux le CMAS, au militant anticorruption Clément Dembélé porté par le mouvement de la société civile Espoir Mali Koura (EMK), en passant par le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD).

Dans la déclaration finale de ce « rassemblement des forces patriotiques du Mali », les organisateurs reprochent au chef de l’Etat, au pouvoir depuis 2013 et réélu pour un second mandat en 2018, une « gouvernance chaotique » qui menace de « précipiter notre pays dans l’impasse ». Le cahier des doléances est épais et couvre presque tout le champ du pouvoir régalien : « gestion catastrophique de la crise multidimensionnelle au Mali ; atteinte à l’intégrité du territoire ; détérioration sans précédent des services sociaux ; paupérisation croissante des populations laborieuses ; gabegie financière ; corruption… ».


une « gouvernance chaotique » qui menace de « précipiter notre pays dans l’impasse ».


« Personne n’a reçu de masque » 

Dans la foule, les pancartes visibles reprennent certaines de ces critiques et en ajoutent d’autres, exigeant « la libération de tous les prisonniers politiques », « plus d’argent pour l’éducation » ou « la fin du coronavirus ». « Il gère le pays avec son fils, sa femme et son clan, tonne Madi Diarra, le pas rapide et le t-shirt ample. Le problème, c’est que cette caste ne connaît pas les réalités du pays, ils ne subissent pas la crise comme nous. » Le manifestant assure pourtant avoir voté deux fois pour IBK, aux présidentielles de 2013 et de 2018 ainsi que pour son parti aux législatives d’avril. Décision qu’il regrette amèrement : « Aujourd’hui, il n’écoute même plus son propre camp. »

En milieu d’après-midi, on comptait environ 20 000 manifestants dont presque aucun ne portait de masque, malgré la pandémie de Covid-19 qui a contaminé 1 461 personnes et en a tué 85 dans le pays. « On ne devrait pas être là, parce qu’il y a le corona, lance Diawara Issaka. Le président avait promis un masque à chaque Malien mais personne ici n’en a reçu, c’est un menteur. Donc on vient ici pour contester ce mensonge comme tous les autres. » Un petit groupe se forme autour de lui, acquiesçant : « On en a marre. Nous, chefs de famille, ça fait trois mois qu’on n’a pas de salaire. »


Le président avait promis un masque à chaque Malien mais personne ici n’en a reçu, c’est un menteur.


Invité à démissionner vendredi à 18 heures

Sur l’estrade, les représentants du rassemblement se succèdent au podium. Le plus acclamé est Mahmoud Dicko, leader politico-religieux tenant d’un salafisme quiétiste, ancien proche du président, désormais opposant énergique, connu pour sa capacité de mobilisation et ses coups d’éclat. En mars, ses fidèles bloquaient le tribunal de grande instance de la commune V de Bamako où l’imam était convoqué.

Sous pression, le gouvernement retirait la plainte visant des propos tenus lors d’une manifestation. L’autre leader du rassemblement, Clément Dembélé, a connu un autre sort. Le 9 mai, il s’est fait enlever en pleine rue par la direction générale de la sécurité de l’Etat, puis interrogé pendant quinze jours dans des conditions extrajudiciaires, sur une suspicion de complot contre le président.

« Cette manifestation est un droit constitutionnel, appuie Clément Dembélé. Il faut montrer au régime l’exaspération du peuple malien. L’insécurité a doublé, il y a des combats quotidiens au nord et dans le centre, plus de 250 milliards sont détournés par la corruption, il n’y a plus d’opportunité de travail et cela pousse les Maliens à émigrer. Nous ne pouvons plus attendre 2023 et la fin du mandat du président, il doit partir maintenant. »

Les organisateurs appelaient IBK à démissionner au plus tard ce vendredi à 18 heures, sinon « le peuple souverain en tirera toutes les conséquences », précise la déclaration finale du rassemblement. La colline de Koulouba où se trouve le palais présidentiel est évidemment restée silencieuse à cet appel. A la faveur d’un lourd orage, la place de l’indépendance s’est calmement vidée. La pluie cinglante a douché les cris de colère, même ceux des manifestants les plus motivés.


Cet article est republié à partir de lemonde.fr. Lire l’original ici





Covid-19: Wole Soyinka et 100 intellectuels africains demandent «de rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines»


Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveurdes populations africaines et selon les priorités africaines.

Extrait de la lettre adressée aux gouvernants africains


Lire l’intégralité de la lettre

Les risques qui planent sur le continent africain relatifs à la propagation du Covid-19, nous interpellent individuellement et collectivement. L’heure est grave. Elle ne consiste pas à juguler une énième crise humanitaire « africaine » mais à contenir les effets d’un virus qui vient bousculer l’ordre du monde et interroger les fondements de notre vivre ensemble.

La pandémie du coronavirus met à nu ce que les classes moyennes et aisées vivant dans les grandes mégalopoles du continent ont feint de ne pas voir. Depuis près de dix ans, en effet, certains médias, intellectuels, hommes politiques et institutions financières internationales s’accrochent à l’image d’une Afrique en mouvement, d’une Afrique nouvelle frontière de l’expansion capitaliste.

Une Afrique sur la voie de l’émergence économique ; une Afrique dont les taux de croissance positifs feraient pâlir d’envie plus d’un pays du Nord. Une telle représentation que l’on finissait par croire réelle à force d’en rêver se déchire désormais devant une crise multiforme qui n’a pas encore livré tous ses secrets.

Dans le même temps, l’ordre global multilatéral que l’on se figurait encadré par un minimum de traités se délite sous nos yeux, faisant place à une lutte géopolitique féroce. Ce nouveau contexte de guerre d’influence économique « du tous contre tous » laisse dans l’ombre les pays du Sud, en leur rappelant s’il le fallait le rôle qui leur échoit : celui de spectateurs dociles d’un ordre du monde qui se construit par-devers eux. 

La pandémie du Covid-19 pourrait saper les bases des États et des administrations africaines dont les défaillances profondes ont trop longtemps été ignorées par la majorité des dirigeants du continent et leur entourage.

Il est impossible de les évoquer toutes, tant elles sont nombreuses : sous-investissement dans les secteurs de la santé publique et de la recherche fondamentale, insécurité alimentaire, gaspillage des finances publiques, priorisation d’infrastructures routières, énergétiques et aéroportuaires aux dépens du bien-être humain, etc.

Autant de sujets qui font pourtant l’objet d’une littérature spécialisée, désormais abondante, mais qui semblent avoir peu pénétré les cercles du pouvoir des différents États du continent. La preuve la plus évidente de ce fossé est fournie par la gestion actuelle de la crise.

De la nécessité de gouverner avec compassion

Reprenant sans souci contextuel le modèle de « containment » et des régimes d’exception adoptés par les pays du Nord, nombreux sont les dirigeants africains imposant un confinement brutal à leurs populations souvent ponctué, lorsqu’il est n’est pas respecté, de violences policières.

Si de telles mesures satisfont les classes aisées, à l’abri de la promiscuité et ayant la possibilité de travailler à domicile, elles demeurent punitives pour ceux qui, pour utiliser une formulation répandue à Kinshasa, doivent recourir à « l’article 15 », c’est-à-dire à la débrouille et aux activités dites informelles.

Soyons clairs. Il n’est nullement question d’opposer sécurité économique et sécurité sanitaire mais plutôt d’insister sur la nécessité pour les gouvernements africains de prendre en compte les conditions de précarité chronique vécue par la majorité de leurs populations. Cela, d’autant plus que le continent africain a une longueur d’avance sur le Nord en matière de gestion de crises sanitaires de grande ampleur, au regard du nombre de pandémies qui l’ont frappé ces dernières années.

La nature ayant horreur du vide, plusieurs initiatives fragiles provenant de la « société civile » se mettent progressivement en place. En aucun cas pourtant, le dynamisme d’individus ou d’acteurs privés ne peut pallier la désorganisation et l’impréparation chronique que seuls les États seraient en mesure d’endiguer à travers le continent.

Plutôt que de subir et tendre la main à nouveau en attendant meilleure fortune, il serait d’ores et déjà souhaitable de repenser notre vivre ensemble en partant de nos contextes spécifiques et des ressources diverses que nous avons.

Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveur des populations africaines et selon les priorités africaines. Bref, il s’agit de mettre en avant la valeur de chaque être humain, quel qu’il soit et quelles que soient ses appartenances, au-delà des logiques de profit, de domination et de monopolisation du pouvoir.

Au-delà de l’urgence 

Les dirigeants africains doivent, et peuvent, proposer à leurs peuples une nouvelle idée politique d’Afrique. C’est une question de survie et non d’arguties intellectuelles comme on a trop souvent tendance à le croire. De profondes réflexions sont nécessaires sur la gestion et le fonctionnement des administrations nationales, de la fonction de l’État et de la place des normes juridiques dans la distribution et l’équilibre des pouvoirs à l’aune de systèmes de pensées adaptés aux réalités du continent.

En effet, la seconde étape de nos indépendances politiques ne se réalisera que sur les terrains de l’inventivité politique et sociale, de la prise en charge par nous-mêmes de notre destinée commune. Des initiatives en ce sens existent déjà. Elles mériteraient simplement d’être écoutées, discutées et encouragées. 

Le panafricanisme aussi a besoin d’un nouveau souffle. Il doit retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements. Si les progrès en matière d’intégration du continent ont été faibles jusque-là, la raison est que celle-ci n’a été conçue que sur la base de la seule « doxa » du libéralisme économique. Or, la pandémie du coronavirus montre tristement l’insuffisance de la réponse collective du continent autant sur le volet sanitaire qu’ailleurs.

Plus que jamais, nous sommes placés devant la nécessité d’une gestion concertée et intégrée de domaines relatifs à la santé publique, à la recherche fondamentale dans toutes les disciplines scientifiques et aux politiques sociales. Dans cette perspective, il est important de repenser la santé comme un bien public essentiel, de revaloriser le statut du personnel de la santé, de relever les plateaux techniques des hôpitaux à un niveau qui permet à tous, y compris les gouvernants eux-mêmes, de se faire soigner en Afrique.

Cette lettre est un morceau de rappel, de rappel de l’évidence : le continent africain doit reprendre son destin en main. Or c’est dans les moments difficiles que des orientations nouvelles doivent être décidées et que des solutions pérennes doivent être mises en place.

Cette lettre est destinée aux dirigeants africains de tous bords, aux peuples africains et à ceux qui essaient de penser le continent. Nous les invitons à saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un État au service du bien-être des peuples, de rompre avec le modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement extérieur, de sortir de la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance, et du profit pour le profit.

Il s’agit pour l’Afrique de retrouver la liberté intellectuelle et la capacité de créer sans lesquelles aucune souveraineté n’est envisageable. De rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines, de renouer avec les configurations locales, de sortir de l’imitation stérile, d’adapter la science, la technique et les programmes de recherche à nos contextes historiques et sociaux, de penser nos institutions en fonction de nos communes singularités et de ce que nous avons, de penser la gouvernance inclusive, le développement endogène, de créer de la valeur en Afrique afin de diminuer notre dépendance systémique.

Surtout, il est primordial de ne pas oublier que le continent dispose de suffisamment de ressources matérielles et humaines pour bâtir une prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun. L’absence de volonté politique et les agissements de l’extérieur ne peuvent plus constituer des excuses pour nos turpitudes. Nous n’avons pas le choix : nous devons changer de cap. Il est plus que temps ! »


Les signataires

Wole Soyinka (Prix Nobel de Littérature 1986)
Makhily Gassama (Essayiste)
Cheikh Hamidou Kane (Écrivain)
Odile Tobner (Librairie des Peuples Noirs, Yaoundé)
Iva Cabral (Université lusophone de Mindelo)
Olivette Otele (Bristol University)
Boubacar Boris Diop (American University of Nigeria)
Siba N’Zatioula Grovogui (Cornell University)
Véronique Tajdo (Écrivain)
Francis Nyamnjoh (University of Cape Town)
Ibrahim Abdullah (Fourah Bay College)
Maria Paula Meneses (Université de Coimbra)
Amadou Elimane Kane (Institut Culturel Panafricain et de Recherche de Yene)
Inocência Mata (Université de Lisbonne)
Anthony Obeng (Institut Africain de Développement économique et de Planification)
Aisha Ibrahim (Fouray Bay College)
Makhtar Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Koulsy Lamko (Écrivain)
Mahamadou Lamine Sagna (American University of Nigeria)
Carlos Nuno Castel-Branco (Économiste, Mozambique)
Touriya Fili-Tullon (Université Lyon 2)
Kako Nubupko (Université de Lomé)
Rosania da Silva (University Foundation for the Development of Education)
Amar Mohand-Amer (CRASC, Oran)
Mame Penda Ba (Université Gaston Berger)
Medhi Alioua(Université Internationale de Rabat)
Rama Salla Dieng (University of Edimburg)
Yoporeka Somet (philosophe, égyptologue, Burkina Faso)
Gazibo Mamoudou (Université de Montréal)
Fatou Kiné Camara (Université Cheikh Anta Diop)
Jonathan b (Witwatersrand University)
Rosa Cruz e Silva (Université Agostinho Neto)
Ismail Rashid (Vassar College)
Abdellali Hajjat (Université Libre de Bruxelles)
Maria das Neves Baptista de Sousa (Université Lusíada de São Tomé e Príncipe)
Lazare Ki-Zerbo (Philosophe)
Lina Benabdallah (Wake Forest University)
Iolanda Evora (Université de Lisbonne)
Kokou Edem Christian Agbobli (Université du Québec à Montréal)
Opeyemi Rabiat Akande (Harvard University)
Lourenço do Rosário (Université Polytechnique du Mozambique)
Issa Ndiaye (Université de Bamako)
Yolande Bouka (Queen’s University)
Adama Samaké (Université Félix Houphouët Boigny)
Bruno Sena Martins (Université de Coimbra)
Charles Ukeje (University of Ile Ife)
Isaie Dougnon (Fordham University)
Cláudio Alves Furtado (Université fédérale de Bahia, Université du Cap-Vert)
Ebrima Ceesay (University of Birmingham)
Rita Chaves (Université de São Paolo)
Benaouda Lebdai (Université du Mans)
Guillaume Johnson (CNRS, Paris-Dauphine)
Ayano Mekonnen (University of Missouri)
Thierno Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mbemba Jabbi (University of Texas)
Abdoulaye Kane (University of Florida)
Muhammadu M.O. Kah (American University of Nigeria & University of the Gambia)
Alpha Amadou Barry Bano (Université de Sonfonia)
Sean Jacobs (The New School of International Affairs)
Yacouba Banhoro (Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo)
Dialo Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Rahmane Idrissa (African Studies Center, Leiden)
José Luís Cabaco (Universidade Técnica de Moçambique)
Mouhamadou Ngouda Mboup (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Hassan Remanoun (Université d’Oran)
Oumar Ba (Morehouse College)
Salif Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Narciso Matos (Université Polytechnique du Mozambique)
Mame Thierno Cissé (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Demba Moussa Dembélé (ARCADE, Sénégal)
Many Camara (Université d’Angers)
Ibrahima Wane (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Thomas Tieku (King’s University College, Western University)
Jibrin Ibrahim (Center for Democracy and Development)
El Hadji Samba Ndiaye (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Benabbou Senouci (Université d’Oran)
José Luís Cabaço (Université technique du Mozambique)
Firoze Manji (Daraja Press)
Mansour Kedidir (CRASC, Oran)
Abdoul Aziz Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mohamed Nachi (Université de Liège)
Alain Kaly (Universidade Federal Rural do Rio de Janeiro)
Last Dumi Moyo (American University of Nigeria)
Hafsi Bedhioufi (Université de la Manouba)
Abdoulaye Niang (Université Gaston Berger de Saint-Louis)
Lionel Zevounou (Université Paris Nanterre)
Amy Niang (University of the Witwatersrand)
Ndongo Samba Sylla (Économiste, Sénégal)


Ecoutez l’entretien accordé par Wolé Soyinka à RFI dans l’emission, “Autour de la question” de Caroline Lachowsy sur cette lettre adressée aux gouvernants africains








Dette africaine: cinq questions pour comprendre


Comment l’aborder ? En quoi peut-elle être un marqueur de la relation entre l’Afrique et les pays occidentaux ? La dette africaine interroge à plus d’un titre.


Une quarantaine de pays africains parmi les plus pauvres du monde vont bénéficier d’une suspension de leur dette pendant 12 mois, une mesure d’urgence décidée par le G20 pour aider des économies déjà vulnérables pétrifiées par le ralentissement mondial lié au coronavirus.

D’où vient la dette africaine ?

À leur indépendance, dans les années 1960, plusieurs pays africains ont hérité de dettes issues de la colonisation et se sont également endettés auprès de la communauté internationale pour bâtir leurs nouveaux États. « C’était très abordable, car les taux d’intérêt étaient proches de zéro. Mais le drame, c’est que les États africains se sont endettés à des taux d’intérêt variables », explique l’économiste togolais Kako Nubukpo. Or, à la fin des années 1970, après les chocs pétroliers, les taux montent en flèche. « Les pays africains se sont retrouvés à rembourser à des taux très élevés une dette qu’ils avaient contractée à des taux très faibles. Le côté insoutenable de la dette africaine est né à ce moment-là », décrypte M. Nubukpo. C’est à cette période que les politiques d’ajustement structurel voient le jour avec des prêts de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international en échange de réformes pour libéraliser l’économie. Un troisième vague d’endettement intervient dans les années 2000 avec l’arrivée de la Chine, qui devient rapidement le premier créancier du continent. « C’est un cycle où nous sommes sortis du colonialisme pour tout de suite entrer sous le joug de l’endettement », déplore pour l’AFP le philosophe camerounais Achille Mbembe.

Suspension, annulation : vraiment possible ?

Mercredi, plusieurs créanciers publics ont accepté la suspension pour douze mois de la dette des pays les plus pauvres, dont font partie 40 États africains. Un report, à défaut d’une annulation, qui ne devrait représenter qu’une petite partie de l’endettement total du continent estimé à 365 milliards de dollars, dont environ un tiers est dû à la seule Chine. « Contrairement à ce que l’on a connu dans les années 1980 où ce n’était que de l’endettement auprès d’États souverains, la dette africaine est aussi détenue désormais par des investisseurs privés, comme des fonds d’investissement », pointe M. Nubukpo. En effet, outre les prêts accordés, souvent à des taux très bas, par certains États ou organisations internationales, les pays africains ont émis de la dette sur les marchés financiers internationaux. « Le fait d’annoncer un moratoire sur la dette et a fortiori une annulation de la dette ne semble pas aussi simple qu’il y a 20 ou 30 ans », craint, à ce titre, Kako Nubukpo.

La dette africaine, mythe de Sisyphe ?

Plusieurs pays africains ont connu des allègements de dette ces dernières années, au titre de l’initiative de la Banque mondiale et du FMI en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Mais le cercle vertueux escompté ne s’est pas enclenché : le Congo-Brazzaville, par exemple, dont la dette a été divisée par trois en 2005, est à nouveau endetté à plus de 100 % de son PIB. « Il ne faut pas perdre de vue la question de la mal gouvernance et de la corruption qui gangrènent certains régimes sur le continent. On parle d’un cycle infernal de l’endettement pour le financement d’un développement qui n’est toujours pas là », explique Bakary Sambé, directeur du Timbuktu Institute basé à Dakar.

Un avis partagé par Kako Nubukpo, qui rappelle également que « beaucoup d’économies africaines exportent des matières premières sans les transformer et se privent donc des possibilités de création de valeurs, d’emplois, de revenus et d’impôts », poursuit-il. Achille Mbembe pointe, lui, « le système de la dette ». « On vous enlève une petite partie de la dette et en échange on vous rajoute un autre prêt. Cela crée un cercle infernal », critique-t-il. « La Chine a mis en place une économie de captation avec des dettes pratiquement irremboursables pour, en échange, mettre la main sur un ensemble de ressources naturelles rares », explique M. Mbembe.

Bâtir une nouvelle relation avec l’Occident ?

« Nous devons instaurer un moratoire immédiat sur le paiement de toutes les dettes bilatérales et multilatérales. […] Nous demandons aussi à tous les partenaires du développement de l’Afrique d’allouer leurs budgets », ont demandé des chefs d’État et de gouvernement africains mais aussi européens comme Emmanuel Macron ou Angela Merkel dans une tribune au Financial Times.

Dettes et aide au développement : la relation Occident-Afrique peut-elle durer ?

« Il faut annuler une bonne fois pour toutes le paiement des intérêts sur la dette dont les montants dépassent souvent de loin l’emprunt originel », plaide Achille Mbembe. Le philosophe préconise aussi des conditions draconiennes aux nouveaux emprunts, en les soumettant aux « délibérations démocratiques » directement des populations concernées. « Il est criminel que les générations d’aujourd’hui, au lieu de laisser un patrimoine aux générations futures, leur laissent des dettes irremboursables », conclut-il.


Cet article est republié à partir de lepoint.fr. Lire l’original ici