Réponse à l’essai “Quel régime politique pour la Guinée ?” du Pr Bano Barry [Par Sylla, Aboubacar Sidiki Amara]


Point de vue


Sylla, Aboubacar Sidiki Amara[1] [Doctorant en Science politique à l’Université de Montréal]

La refondation du système politique et du système partisan de la Guinéecontributions au débat

Quel régime politique pour la Guinée ?

L’essai de Barry[2] est une invitation à la refondation du système politique et du système partisan guinéen. Il porte sur l’analyse de « la primauté du président sur toutes les institutions et [, la primauté] (…) des partis politiques sur le jeu politique avec le monopole de la candidature aux élections nationales et un système électoral dont les deux tiers des députés sont élus au travers d’une liste nationale » [3].  Les origines de cette pratique se situeraient dans les dispositifs de l’article 25 des différentes constitutions guinéennes de 1958, de 1982, de 1990, de 2010 et de 2020[4].  Ensuite, l’auteur explore la question ethnique à travers une approche instrumentaliste. Il reproduit ici la thèse de sa thèse selon laquelle, la mobilisation de l’identité ethnique est un manœuvre essentiellement politique des élites politiques guinéennes dans le seul but d’accéder aux ressources de l’État[5].

De ces constats découlent plusieurs propositions entre autres : l’adoption d’un système de ticket aux élections présidentielles pour élire le président et le vice-président. Une mandature de sept ans (unique ou renouvelable). Un scrutin majoritaire aux élections à un tour —fortement inspiré du modèle ghanéen — pour pallier la primauté du président et des chefs de partis et surtout à l’instrumentalisation de l’identité ethnique[6].

Lire: Quel régime pour la Guinée?

Nous souhaitons revenir sur quelques éléments dans ses propositions. Il ne s’agit pas là de remettre en question ou de discuter de toutes les propositions de l’auteur, tant s’en faut. Par la suite, je vais proposer des alternatives inspirées des expériences d’autres régions du monde qui pourraient intéresser les ingénieurs électoraux guinéens.  

Les origines constitutionnelles de la primauté du président et des chefs de partis politiques.

Sur ce point je partage le constat. En effet, la suprématie du chef de l’État a bel et bien été consacrée dans les constitutions guinéennes de 1958, 1982, 1990, 2010 et 2020. Toutefois, il est confusion entre les causes et les effets, ce qui peut conduire à faire des prescriptions contreproductives.

 Le fait que ces constitutions, en l’occurrence celle de 1958 octroie dans son article 25 une primauté au président est d’une part, le résultat de la victoire du PDG-RDA sur les autres partis politiques à l’issue des luttes politiques entre 1939 et 1958. D’autre part, cet article informe sur le renoncement de la compétition politique au nom de l’unité nationale. Les périodes de lutte pour l’accession à l’indépendance ont été une expérience démocratique dans laquelle le pouvoir de décision revenait davantage à la base qu’au sommet dans nombre d’organisations politiques. Par exemple, c’est la base du PDG-RDA qui a poussé Sékou Touré à s’opposer à la fédération française de 1958. Et, c’est cette base de masse qui non seulement définissait les objectifs politiques du PDG-RDA, mais aussi et surtout façonnait les méthodes d’organisation, en utilisant des chansons, des symboles et des uniformes pour promouvoir le parti au sein d’une population largement analphabète [7]. Plusieurs analyses peuvent être tirées de cette observation. Une d’entre elles est que l’expérience démocratique n’est pas étrangère aux Guinéens. Quand la démocratie est compétitive, il y a moins le risque de la primauté ou la concentration du pouvoir auprès d’une seule personne. La compétitivité politique à cette période a permis de transcender les clivages ethniques et de faire des campagnes politiques sur des enjeux autres que l’ethnicité. Le clivage politique s’était transformé entre les progressistes et les conservateurs (Schmidt 2005 ; 2007).

Par conséquent, l’article 25 de la constitution de 1958 témoigne de la défaite des partis d’opposition et de l’ambition de Sékou Touré (et des autres présidents) de tenir l’essentiel du pouvoir politique [8]. Ce n’est donc pas la « prépondérance absolue du président de la République [qui,] a contribué à affaiblir pratiquement toutes les autres institutions ou à les inféoder à une personne »[9]. Dans le cas de la Guinée, la prépondérance du président est une des conséquences de la disparition des organisations politiques, notamment les partis et les syndicats. Il serait donc essentiel pour lutter contre un présidentialisme fort qu’il y ait, au-delà de la séparation des pouvoirs, des organisations politiques, des partis politiques, des syndicats très puissants et compétitifs.

Brouiller ou consacrer le repérage ethnique ?

Pour brouiller le repérage ethnique, dit-il, la Guinée devrait se doter d’un système de ticket aux élections présidentielles. Ainsi, les candidats choisiront les colistiers dans une autre communauté, ce qui rendrait impossible l’étiquetage ethnique de ces derniers[10]. Le risque dans ce cas de figure est que le mariage, président vice-président issu de différentes ethnies, soit perçu par la population comme une coalition entre deux ethnies pour accéder au pouvoir. Ce qui n’est nullement différent de la situation actuelle du pays, il suffit de regarder la composition du sommet des partis politiques.  L’asymétrie démographique entre les groupes ethniques fera que les coalitions se forment entre les groupes ethniques relativement majoritaires.

Sachant qu’en soi les partis ethniques ne sont ni bons ni mauvais pour la démocratie[11]. M’est avis que la mobilisation de l’identité ethnique dans la vie politique et sociale dans le contexte guinéen est problématique. (Cette problématique renseigne-t-elle sur l’avortement ou l’échec du projet de construction de la nation ?). Pour cause, nos identités sont source de discriminations dans l’accès aux services publics — dépendamment de, qui est au pouvoir et de, qui est à la tête du ministère — et dans la vie de tous les jours.

L’on sait que les politiques, et les institutions ont une grande responsabilité dans cette situation. D’où la nécessité d’agir à ce niveau. Une des stratégies permettant d’atténuer la saillance de l’identité ethnique dans la vie politique et sociale serait la mise en place d’un système qui favorise la formation des partis politiques sur d’autres enjeux que l’ethnie. Notamment, la classe sociale, l’idéologie, la corruption, le népotisme, le développement, l’économie, etc. C’est à ce niveau que l’ingénierie électorale nous sera d’une grande utilité.

Sur le système électoral et l’ethnicité.

La question qui sous-tend les débats académiques sur le choix entre le système proportionnel, le système majoritaire et le système mixte est l’équilibre entre la démocratie (au sens de représentation égale de tous dans les instances politiques) et/ou la stabilité politique et institutionnelle. Les deux ne sont forcément pas exclusifs.

Le système majoritaire réduit-il l’instrumentalisation de l’identité ethnique ?

L’influence du système électoral sur la mobilisation de l’identité ethnique fait débat dans la littérature et demeure problématique[12]. L’argument traditionnel concernant l’ethnicisation de la vie politique des pays à forte diversité ethnique était que, dans les systèmes majoritaires, pour être plus précis, les systèmes uninominaux, contrairement aux systèmes proportionnels, atténuaient l’exacerbation de l’ethnicité dans la vie politique lors des élections[13]. Pour cause, les systèmes majoritaires induisent vers le dualisme dans les circonscriptions électorales[14] obligeant les partis qui veulent obtenir une majorité, d’aller au-delà d’un électorat strictement mono-ethnique en formant des coalitions, qui contribueraient à réduire le nombre de partis politiques [15]

Cependant, à regarder de plus près, les systèmes majoritaires conduisent à une représentation inégale des membres de la société au sein des organes représentatifs. Parce que dans les États où le vote est ethnique et où il y a des groupes ethniques relativement majoritaires, les systèmes majoritaires contribuent à l’exclusion des groupes minoritaires [16]. De plus, contrairement à l’argumentaire traditionnel sur le caractère nuisible des systèmes proportionnels dans les pays à forte diversité ethnique, les études récentes soulignent que les systèmes proportionnels contribuent moins à l’ethnicisation de la compétition électorale. En effet, dans la mesure où, dans les pays à forte diversité ethnique, les systèmes proportionnels facilitent la formation de plusieurs partis politiques qui, en ciblant les membres d’un même groupe ethnique, divisent le groupe et, ce faisant, obligent les partis à trouver d’autres thèmes de démarcation que l’identité ethnique [17]. Ainsi, l’étude de Fox (2018) sur l’Indonésie souligne l’effet du passage d’un système proportionnel à un système majoritaire, sur la politisation de l’identité ethnique. Ce passage a contribué à ce que les candidats recourent à leurs identités ethniques dans leurs circonscriptions électorales afin de recueillir plus de voix [18]

Sur le Ghana

Barry soutient un système partisan stable comme au Ghana, en affirmant qu’« on sait que le scrutin majoritaire contribue fortement à une bipolarisation de l’expression du suffrage politique […] Donc la mesure la plus simple et la moins sujette à discussions pour réduire le nombre de partis politiques est la mise en place d’un système indirect au travers de l’utilisation du système électoral majoritaire à un tour ». Il est vrai que le Ghana à un système partisan stable, institutionnalisé. Il est aussi vrai qu’il a un système majoritaire. Toutefois, cette stabilisation est moins liée au mode de scrutin majoritaire qu’à la nature du régime autoritaire qui a accompagné le processus de démocratisation. Les pays avec un régime autoritaire fort ayant réussi à incorporer les élites locales puissantes ont pu contrôler la participation politique et ont déterminé l’agenda de la transition, ce qui a influencé les formations des partis politiques, les règles du jeu politique et le système partisan, lors des élections fondatrices [19]. Par ailleurs, la stabilisation, l’institutionnalisation du système partisan n’a pas du tout empêché la saillance de l’identité ethnique dans la vie politique[20].

Quel système électoral pour la Guinée ?

Dans cette dernière partie, les différents points soulevés ci-dessous seront des invitations à la prise en compte d’autres exemples certes lointains, mais riches en leçons pour surmonter la saillance de l’ethnicité dans la vie politique guinéenne.

Les propositions ici seront inspirées des expériences récentes des sociétés multiethniques, comme la Guinée, qui ont réussi à contraindre les partis à mobiliser d’autres enjeux que l’ethnicité tout en les incitant à collaborer.  

Les ingénieurs électoraux pourraient exiger les enregistrements transrégionaux des partis comme c’est le cas des pays de l’Amérique latine notamment, la Colombie, l’Équateur, le Guatemala, le Nicaragua, le Honduras, le Mexique et le Pérou. De même, ils peuvent exiger les seuils interrégionaux dans la formation des partis politiques. La Turquie et des pays d’Asie du Sud-Est tel que les Philippines, la Thaïlande et l’Indonésie peuvent servir d’inspiration aux ingénieurs électoraux guinéens.

L’Indonésie peut être une référence pour les ingénieurs guinéens. En effet, c’est l’un des pays les plus vastes et les plus complexes de par sa composition ethnique. Il s’était démarqué dans sa tentative d’ingénierie politique de son système partisan pour contrer le sécessionnisme ethnique et construire une démocratie stable[21].  Les ingénieurs politiques de ce pays ont élaboré un ensemble complexe d’incitations et de restrictions au développement du système de partis. Par exemple, tous les partis politiques devraient démontrer qu’ils disposaient d’une base de soutien nationale avant de participer aux élections. En Guinée, l’on peut requérir des partis politiques de prouver qu’ils disposent d’une structure établie et fonctionnelle dans toutes les préfectures et les sous-préfectures. Chaque unité de ces structures devrait avoir un seuil minimum d’adhérents, lequel pourrait être déterminé après le recensement national de la population. Une telle disposition obligera les partis ou les candidats individuels à recueillir des soutiens dans différentes régions du pays.

Par ailleurs, les règles de financement des partis pourraient être utilisées comme incitatifs pour favoriser la candidature des femmes et remédier à leur sous-représentation dans les partis et dans la vie politique.  La Papouasie Nouvelle-Guinée serait à cet égard une source d’inspiration intéressante. Dans ce pays, les partis qui présentent des candidates aux élections récupèrent une grande partie de leurs dépenses électorales[22]. Un tel aménagement dans un système où le financement des partis se fait seulement par la cotisation de ses membres et les subventions de l’État, tous les partis auront intérêt à présenter des femmes aux élections étant donné que les financements des membres ne seront pas suffisants pour faire campagne.

Une autre innovation du système électoral pourrait être la mise en commun des votes qui permettra aux électeurs de classer les candidats par ordre d’importance. Ensuite ces votes seront transférés en fonction de ces classements. Ces systèmes peuvent encourager la coopération entre les partis en rendant les politiciens de différents partis réciproquement dépendants des votes de transfert de leurs rivaux.

Ce papier est une contribution aux débats sur la refondation politique de la Guinée. Il s’inscrit dans la lignée des dialogues et propositions des citoyens de tout bord, mais plus précisément des chercheurs.


Sylla, Aboubacar Sidiki Amara Doctorant en Science politique à l’Université de Montréal

NOTES

[1] Doctorant en Science politique à l’Université de Montréal.

[2] Je résume certaines grandes lignes de l’essai. Néanmoins pour une mise en contexte j’exhorte les lecteurs qui n’ont pas encore lu cet essai de cliquer sur la suivante référence :  Alpha Amadou Bano Barry, « Quel régime pour la Guinée ? », Mosaiqueguinee.com (blog), 27 février 2023, https://mosaiqueguinee.com/quel-regime-pour-la-guinee-par-pr-alpha-amadou-bano-barry/.

[3] Barry.

[4] Barry.

[5] A. Amadou Bano Barry, Les violences collectives en Afrique: le cas guinéen, Études africaines (Paris ; L’Harmattan, 2000).

[6] Barry, « Quel régime pour la Guinée ? »

[7] Schmidt, Mobilizing The Masses: Gender, Ethnicity, and Class in the Nationalist Movement in Guinea, 1939-1958, Annotated edition (Portsmouth, NH: Heinemann Educational Books,U.S., 2005); pour comprendre les dynamiques politiques avant l’indépendance cet autre ouvrage est du même auteur est d’une richesse inégalée:

Elizabeth Schmidt, Cold War and Decolonization in Guinea, 1946-1958, Western African Studies (Athens: Ohio University Press, 2007).

[8] Cette concentration du pouvoir s’explique en partie de l’ambition des chefs d’État de l’Afrique à cette époque de vouloir construire une nouvelle nation avec une identité commune et unique. La phrase « Que la Nation guinéenne est née de l’État » s’inscrit dans cette logique. Voir dans le contexte africain après les indépendances : Daniel Bourmaud, « Aux sources de l’autoritarisme en Afrique : des idéologies et des hommes », Revue internationale de politique comparée 13, no 4 (2006): 625‑41.  Christof Hartmann, « Managing Ethnicity in African Politics », in Oxford Research Encyclopedia of Politics, par Christof Hartmann (Oxford University Press, 2019) ; Crawford Young, The African Colonial State in Comparative Perspective (New Haven: Yale University Press, 1994).

[9] Barry, « Quel régime pour la Guinée ? »

[10] Barry.

[11] Voir à ce propos les articles: Jan Rovny, « Antidote to Backsliding: Ethnic Politics and Democratic Resilience », American Political Science Review, 23 janvier 2023, 1‑19; Anika Becher et Matthias Basedau, « Promoting Peace and Democracy Through Party Regulation? Ethnic Party Bans in Africa », SSRN Scholarly Paper (Rochester, NY: Social Science Research Network, 1 janvier 2008) ; Jóhanna Kristín Birnir, Ethnicity and Electoral Politics (Cambridge: Cambridge University Press, 2006).

[12] Les arguments déployés dans cette partie sont issus de mon mémoire de maîtrise :  Aboubacar Sidiki Amara Sylla, « Institutionnalisation du système partisan à l’épreuve des partis ethniques en Afrique subsaharienne. Étude de cas de la Guinée. » (Mémoire de maitrise 2, Grenoble, Sciences Po Grenoble, 2021).

[13] VAN EVERA, Stephen. Hypotheses on Nationalism and War. International Security. 1994, Vol. 18, no 4, p. 1‑35  ; James R Scarritt et Shaheen Mozaffar, « The Specification of Ethnic Cleavages and Ethnopolitical Groups for the Analysis of Democratic Compe », 1999, 1‑37.

[14] Maurice Duverger, L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique, Académique (Paris: Presses de Sciences Po, 1950).

[15] ORDESHOOK, Peter C. et SHVETSOVA, Olga V. Ethnic Heterogeneity, District Magnitude, and the Number of Parties. American Journal of Political Science. [Midwest Political Science Association, Wiley], 1994, Vol. 38, no 1, p. 100‑123 ;  CLARK, William Roberts et GOLDER, Matt. Rehabilitating Duverger’s Theory: Testing the Mechanical and Strategic Modifying Effects of Electoral Laws. Comparative Political Studies. Août 2006, Vol. 39, no 6, p. 679‑708. ; SELWAY, Joel Sawat. The Measurement of Cross-cutting Cleavages and Other Multidimensional Cleavage Structures. Political Analysis. Cambridge University Press, Ed 2011, Vol. 19, no 1, p. 48‑65.

[16] LIJPHART, Arend. Constitutional Design for Divided Societies. Journal of Democracy. 2004, Vol. 15, no 2, p. 96‑109.

[17] John D. Huber, « Measuring Ethnic Voting: Do Proportional Electoral Laws Politicize Ethnicity? », American Journal of Political Science 56, no 4 (2012): 986‑1001.

[18] FOX, Colm. Candidate-centric systems and the politicization of ethnicity: evidence from Indonesia. Democratization. Routledge, Octobre 2018, Vol. 25, no 7, p. 1190‑1209.

[19] Rachel Beatty Riedl, Authoritarian Origins of Democratic Party Systems in Africa (Cambridge: Cambridge University Press, 2014), p.12.

[20] Nicholas Cheeseman et Robert Ford, « ETHNICITY AS A POLITICAL CLEAVAGE », Afrobarometer Working Paper., 2007, 1‑41; Matthias Basedau et Alexander Stroh, « How Ethnic Are African Parties Really? Evidence from Four Francophone Countries », International Political Science Review 33, no 1 (2011): 5‑24 ; Riedl, Authoritarian Origins of Democratic Party Systems in Africa; Staffan Lindberg et Minion Morrison, « Are African Voters Really Ethnic or Clientelistic? Survey Evidence from Ghana », Political Science Quarterly 123 (12 septembre 2007).

[21] Benjamin Reilly, « Political Engineering and Party Politics in Conflict-Prone Societies », Democratization 13, no 5 (1 décembre 2006): p.817.

[22] Reilly, « Political Engineering and Party Politics in Conflict-Prone Societies ».





Quel régime pour la Guinée?


Point de vue


Par Pr. Alpha Amadou Bano BARRY (PhD, sociologie)

Au regard de l’histoire politique guinéenne marquée par le même type de régime politique et trois transitions, cet essai se propose de dévoiler les constantes du système politique qui sont au nombre de deux : la primauté du président sur toutes les institutions et celle des partis politiques sur le jeu politique avec le monopole de la candidature aux élections nationales et un système électoral dont les deux tiers des députés sont élus au travers d’une liste nationale. Ce texte a cherché aussi à déconstruire le fondement de la question ethnique en Guinée, sujet récurrent dans les échanges des salons et des bureaux, mais rarement en public. La question ethnique en Guinée est essentiellement politique et sert aux élites à assurer le contrôle de l’État et de ses ressources. Un président fort est le point central du dispositif du contrôle ethnique. Au regard de cette réalité, la Guinée gagnerait à expérimenter un autre système, celui du ticket aux élections présidentielles et d’un système électoral majoritaire à un tour et une forte décentralisation pour rendre le peuple plus responsable de son destin.

Cet essai est mon second sur la question du régime politique en Guinée. Le premier a été publié après 2010 et n’a servi, ni à doter le pays d’une constitution adaptée aux réalités sociologiques de Guinée, ni à éviter une troisième prise du pouvoir par les armes.

En 2023, je refais le même exercice tout en étant conscient que les intérêts sont si antagoniques dans ce pays qu’il est difficile d’arriver à soutenir ce qui ne favorise pas certains groupes. D’autres aussi n’aimeront tout simplement pas cette réflexion qui vient d’un ancien ministre[1] du régime précédent, car il a toujours été un crime de servir son pays en Guinée. Enfin, je sais aussi que les leaders politiques les plus représentatifs dans le paysage politique guinéen ne vont pas aimer. Car tous veulent un régime présidentialiste comme celui en vigueur depuis 1958 dans l’espoir qu’ils en seront les bénéficiaires. N’étant pas constitutionnaliste ni juriste, mon regard ne porte pas sur les règles du droit, mais sur leurs effets attendus ou imprévus sur le système politique et sur la société. Le regard du sociologue glisse en quelque sorte sur le droit, pour « obliquer» vers les contextes sociaux, économiques, politiques, culturels dans lesquels il prend naissance.

Au centre de la préoccupation du sociologue, c’est « l’esprit de la loi », c’est-à-dire ce qui serait le mieux en fonction des réalités sociologiques des populations et de ses élites à un moment donné de son histoire, la prise en compte de la réaction du milieu à la règle du droit avec un focus sur les acteurs et le processus de rédaction et d’adoption d’une constitution.

Durant le symposium organisé par le Conseil National de la Transition (CNT), j’ai eu le privilège d’écouter des sommités sur l’ensemble des composantes du système politique, de l’administration et de l’État. Il m’a été donné d’entendre par certains que la constitution des USA est la plus stable, car elle est dans les principes, la philosophie et laisse à la cour suprême le soin de trancher sur chaque cas qui pose un problème d’interprétation. Mais il est certain que le second amendement de la constitution américaine n’aurait pas été si ce pays n’a pas utilisé les armes pour conquérir son territoire, ni avoir des esclaves qu’il fallait dominer ni une guerre civile. Dans chaque constitution, l’histoire politique et les réalités sociologiques s’incrustent.

D’autres ont insisté pour faire valoir que le meilleur texte constitutionnel ne résoudra pas les problèmes d’éthique, de compétences et de courage des hommes et des femmes en charge d’appliquer et de faire appliquer le droit. On peut néanmoins ajouter que cela n’empêche pas d’avoir des « bons textes », c’est-à-dire des textes qui pourraient prendre en charge les réalités sociologiques et aider à corriger les lacunes. Car même si presque tous les conducteurs de mototaxis de Conakry ne respectent pas les feux de signalisation, personne ne se risquera à recommander qu’on élimine pour autant ces feux ou de ne pas prévoir des sanctions dans le code de la route.

La règle de droit est un discours normatif qui dit ce qui doit être, ce qu’il faut faire ou ne pas faire, et parfois comment le faire, et prévoit la sanction positive ou négative des actions permises, imposées ou prohibées.

Comme norme, la loi ne valide pas seulement une pratique en cours, elle peut aussi vouloir corriger une norme car elle possède une capacité de coercition pour amener la conduite individuelle vers ce qui est prescrit. C’est dans cette logique qu’il faut inscrire la loi sur la polygamie, l’excision et beaucoup d’autres dispositions de normes sociales. Donc, une bonne règle de droit a aussi pour vocation d’imposer une norme juridique pour qu’elle devienne une norme sociale.

Certes, la meilleure constitution n’éliminera pas les « faux démocrates », mais une « bonne loi démocratique » permettra d’avoir des leviers sur lesquels compter pour lutter et protéger les règles démocratiques. Le meilleur exemple de texte de lois ayant changé radicalement les choses est le travail fait par Jerry Rawlings au Ghana avec un système politique qui a permis d’asseoir une alternance démocratique. Ma lecture du marxisme et ma compréhension de la réalité sociale me font admettre que les hommes ne sont pas « bons » ni « mauvais » de façon génétique, ils sont simplement le produit de leur milieu. Si le milieu change, l’environnement impose de nouvelles normes, les Hommes s’ajustent et s’adaptent.

Le défi de la Guinée est, dans cette transition, d’avoir « des textes adaptés à nos réalités ». C’est-à-dire des textes qui corrigent les effets des différentes constitutions sur la société guinéenne. Car certaines des dérives actuelles dans la vie politique ne proviennent pas seulement du « mauvais Guinéen » non courageux, mais des textes comme je vais le montrer dans l’analyse sociologique des constitutions de 1958 à 2020.

LES EFFETS DE CERTAINES DISPOSITIONS DES CONSTITUTIONS DE 1958 A 2020

La Guinée, depuis sa première constitution de 1958, s’est inscrite dans un régime avec une forte primauté du Président de la République sur les autres pouvoirs et institutions de la République.

C’est la première constitution du 10 novembre 1958 qui a conféré au président de la République, en son article 25, l’autorité de nommer « […] à tous les emplois de l’administration publique. Il nomme à tous les emplois et fonctions militaires ». Cette disposition est restée intangible dans toutes les constitutions même si en 2010, un effort non abouti a été tenté pour donner un peu de pouvoir au premier des ministres avec deux articles contradictoires dont l’article 46 qui dit que le président : « nomme en conseil des Ministres aux emplois civils dont la liste est fixée par une loi organique » et l’article 58 qui dispose que : « Le Premier Ministre dispose de l’administration et nomme à tous les emplois civils, excepté ceux réservés au chef de l’État ».

Il était prévu que l’Assemblée Nationale, qui sortirait des urnes à la fin de la transition, devrait se charger de l’élaboration et de l’adoption de cette loi organique. Pendant les 11 ans, cette loi organique n’a jamais vu le jour et les nominations n’ont jamais été faites en Conseil des Ministres.

C’est la constitution de 1982 qui met au-dessus de l’édifice institutionnel le parti unique, le Parti Démocratique de Guinée (PDG) sur l’État et les institutions de la République avec la formule suivante :

a) Que la Nation Guinéenne est née de l’État ;

b) Qu’elle est engendrée par l’action des masses populaires mobilisées au sein du Parti Démocratique de Guinée ;

c) Que c’est le Parti qui a fondé l’État et que cet État ne peut donc que s’identifier au Parti qui l’organise, le dirige et le contrôle, en assumant réellement toutes les fonctions en tant que Parti-État et en œuvrant à la réalisation du Peuple-État.

Les constitutions de 1990 et les suivantes (2010 et 2020) ont aussi gardé les dispositions de l’article 25 de 1958 qui garantit la prépondérance du Président de la République dans l’agencement des pouvoirs, mais celle de 90 dans son article 3 (dans sa première version et dans sa version révisée de 2001) et celle de 2010 ont renforcé de leur côté la puissance des partis politiques en réservant aux seuls partis politiques, le droit de présenter « les candidats aux élections nationales », avec unsystème électoral qui fait élire les deux tiers des députés (76 sur les 114 députés) à la proportionnelle et seulement 38 à l’uninominal.

Les conséquences de l’article 25 et de la suprématie du parti unique ont fait du Président de la République un homme qui règne comme un monarque et qui gouverne seul et parfois avec des hommes de l’ombre qui deviennent plus puissants que ceux en position institutionnelle. Cette prépondérance absolue du président de la République a contribué à affaiblir pratiquement toutes les autres institutions ou à les inféoder à une personne oubliant les remarques de Montesquieu qui disait que : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Le droit accordé aux seuls partis politiques dans la désignation des candidats aux élections nationales (législatives et présidentielles) dans la constitution de 90 et le système électoral qui fait que les deux tiers des députés sont élus sous la bannière des partis politiques sur une liste nationale expliquent la toute-puissance des leaders des partis politiques et la subordination des élites administratives, commerciales et coutumières aux leaders politiques. Car ce sont les leaders des partis politiques qui déterminent les chances des uns et des autres à devenir député par leur positionnement sur la liste à la proportionnelle.

Élu sous la bannière d’une liste nationale d’un parti politique, sans aucun contact avec le peuple et avec la bénédiction des premiers responsables des partis politiques, les députés de la liste nationale n’ont aucune redevabilité envers la population, parce que n’étant pas élus directement par elle. C’est cette disposition qui explique la prolifération des partis politiques (186 semble-t-il). N’ayant pas d’ancrage local, ceux qui veulent devenir député et qui ne peuvent l’obtenir à partir d’un parti établi sont donc dans l’obligation de créer un parti et se présenter sur la liste nationale dans l’espoir de bénéficier du plus fort reste. Ce n’est pas le laxisme des fonctionnaires du ministère de l’administration du territoire dans la création et le contrôle de la fonctionnalité des partis politiques qui explique la prolifération des partis politiques. Ce sont les dispositions des constitutions guinéennes qui expliquent la prolifération des partis politiques et la tribalisation du jeu politique.

Pour corriger ces créations exponentielles des partis politiques, des solutions existent à travers les règles des systèmes électoraux[2] comme le font les pays anglophones et en particulier ce que Jerry Rawlings a fait pour le Ghana[3]. C’est donc en corrigeant ces dispositions institutionnelles dans la future constitution qu’il sera possible de solutionner certains dysfonctionnements actuels. C’est ce dispositif qui est exposé ci-dessous.

COMMENT RATIONNALISER LE NOMBRE DE PARTIS POLITIQUES DANS UN PAYS ?

Cette question sur le nombre de partis politiques en Guinée est dans le débat depuis 1990 avec la proposition du Président Lansana Conté de légaliser 2 partis politiques. Ce débat est redevenu actuel, polluant même la réflexion, après le retour de mission du Conseil National de la Transition (CNT) de l’intérieur du pays avec la demande de la population de réduire le nombre de partis politiques.

Le 5 septembre 2021, suite au changement de régime, avec la dissolution du gouvernement et de l’assemblée nationale, il aurait été plus compréhensible d’accompagner ces mesures par la dissolution des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile au nom de la « refondation ».

En ne le faisant pas à ce moment, il est devenu problématique de proposer dans la nouvelle constitution un système direct de réduction des partis politiques à 2 ou à 3. En 2023, plus de 15 mois après le changement de régime, toute tentative dans ce sens risque de ne pas bénéficier de consensus et pourrait soulever des revendications. D’autant que les plus farouches partisans de cette dissolution des partis politiques sont des leaders politiques qui ne pèsent presque rien sur l’échiquier politique. L’un pourrait justifier l’autre. De par l’expérience universelle, deux procédés existent pour réduire le nombre de partis politiques dans un pays. Il y a la formule directe et celle indirecte. Dans l’article de Jean Laponce (1962) ; « Bipartisme de droit et bipartisme de fait », Revue française de sciences politique, Paris, France, pp. 877-887, il est clairement mentionné que la restriction directe du nombre de parti politique est « d’établir par la loi le nombre des partis politiques autorisés à présenter des candidats aux élections ou bien encore de définir le nombre des partis autorisés à envoyer des représentants au Parlement ». Cet auteur met en évidence que « la limitation du nombre de parti n’est pas en contradiction avec les règles du jeu démocratique »,

De façon indirecte, il est possible d’y arriver aussi par des mesures législatives comme de restreindre le « droit de présenter des candidats aux deux seuls partis ayant obtenu le plus de voix à une élection primaire dans le cadre national ». De même, « la loi peut chercher à agir directement sur le nombre des partis en interdisant la représentation aux partis n’ayant pas obtenu un minimum de voix ». Dans ces conditions, « plus le minimum légal est élevé, plus grande est la pression sur les partis existants pour qu’ils se groupent » et donc se réduisent.

On peut aussi agir en changeant le système électoral. On sait que le scrutin majoritaire contribue fortement à une bipolarisation de l’expression du suffrage politique. Souvent pour obtenir une application stricte du bipartisme, d’autres dispositions complémentaires sont édictées sur les structures internes des partis, en imposant par exemple, comme c’est le cas aux Etats-Unis dans la majorité des États, l’élection des dirigeants du parti par l’ensemble non pas des membres du corps électoral mais seulement des électeurs du parti.

Le Ghana est, en Afrique, l’exemple typique d’un système indirect. Bien qu’ayant seize partis officiellement enregistrés, c’est deux partis politiques (National Democratic Congress, « NDC » et le National People’s Party « NPP ») qui s’alternent au pouvoir.

Le système électoral dans ce pays est fait de sorte qu’il apparaît difficile aux autres partis de remporter une élection. Au Ghana, les 230 membres du parlement du Ghana représentent les 230 circonscriptions du pays. Comme pour l’élection présidentielle, ils sont élus au suffrage majoritaire uninominal. C’est ce modèle qui donne le résultat de cette alternance démocratique tant vantée par les Guinéens.

Avec ce système indirect, le Ghana confirme la théorie de Maurice Duverger[4] qui démontre que le système électoral majoritaire à un tour est de nature à favoriser l’émergence d’un système bipartite. Donc la mesure la plus simple et la moins sujette à discussions pour réduire le nombre de partis politiques est la mise en place d’un système indirect au travers de l’utilisation du système électoral majoritaire à un tour.

Pour mettre en place ce dispositif, on devrait supprimer l’élection à la proportionnelle sur la liste nationale pour n’avoir que des députés élus dans une circonscription électorale et procéder au découpage du territoire national en circonscription électorale en tenant compte de certaines contraintes :

  1. Les préfectures qui ne remplissent pas le nombre d’électeurs requis pour atteindre le quorum doivent néanmoins se faire représenter à l’assemblée par un député élu à l’uninominal ;
  2. Dans les préfectures du pays qui dépassent ce quorum et ne font pas le double ou le triple ou quadruple, on procède toujours à l’arrondissement par le haut pour déterminer le nombre de députés qui sont tous élus à l’uninominal ;
  3. Les Guinéens de l’étranger devront être représentés par des députés élus dans des circonscriptions électorales. Ces circonscriptions peuvent regrouper plusieurs pays mis ensemble si le nombre d’électeurs n’atteint pas le quorum ou d’un seul pays si le nombre d’électeurs est conforme au quorum fixé.

D’ailleurs, personne ne devrait se soucier du nombre et de la gouvernance interne des partis politiques si l’article 3 disparaît. Sans cette disposition, chaque Guinéen qui remplit les conditions d’éligibilité devrait avoir la latitude de se présenter à toutes les élections nationales et locales. Dès que cette disposition sera adoptée, les partis politiques vont se vider de ceux qui y sont pour devenir député ou maire et se rempliront plus tard sur la base de la proximité idéologique.

La question de la tribalisation du débat politique en Guinée vient aussi du système politique avec un président élu seul à la tête d’un parti politique au suffrage universel à deux tours s’il n’a pas la majorité absolue au premier tour. C’est pour cette raison que je vais me permettre de dire quelques mots sur la question ethnique pour la déconstruire, car l’existence des ethnies ne signifie pas que les Guinéens sont des « ethnos ».

LA QUESTION ETHNIQUE EN GUINÉE

Les ethnies existent en Guinée et existeront pour toujours. Certains groupes ethniques actuels, ou qui se considèrent comme tels, n’existaient pas il y a de cela quelques siècles auparavant. D’autres groupes ethniques se sont détachés par la migration et se sont différenciés dans le temps avec des groupes qui les englobaient hier. D’autres enfin qui existaient jadis ont été absorbés au cours des siècles à travers les migrations, les cohabitations, les brassages et les assimilations.

Parmi ceux qui existent, certains vont disparaître, d’autres vont s’agrandir, d’autres enfin garderont l’étiquette et perdront certains de leurs attributs. Bref, les ethnies sont comme un corps : elles naissent, se développent, meurt et renaissent pour certaines et disparaissent pour toujours pour d’autres.

Tous les spécialistes de l’installation des populations que le colon a désigné par « Guinée », s’accordent à reconnaitre que les populations de la Guinée sont originaires du Sahel, à l’exception notable des Mandeyi et des Lomas, et que ces populations sont arrivées sur le territoire guinéen par vagues successives au cours des siècles. Certains des membres de ces groupes ne sont même pas venus ensemble comme les Bagas, les Nalous et les Peuls.

Les groupes ethniques en Guinée (que l’on dénombre à 24) donnent l’illusion à leurs membres d’avoir une origine lointaine commune, un destin identique et des valeurs meilleures que celles des autres. C’est ce sentiment développé et véhiculé qui consolide l’unité du groupe et renforce la solidarité. Pourtant, il n’est pas rare de constater dans la même ethnie, la pratique de plusieurs religions et des variations du phénotype et des ressemblances entre des individus appartenant à des ethnies différentes.

Chaque groupe fait croire, par la socialisation de ses membres, que sa culture, la manière d’être et de vivre sont les seules valeurs respectables. Dans la réalité, les différences affichées et parfois revendiquées ne sont que variations d’adaptation.

Les Guinéens ont une longue histoire commune, une histoire antérieure à celle de l’État guinéen et même à la colonisation. On sait avec certitude que le dessèchement du Sahara et la chute de l’empire du Ghana (vers 1076) ont eu pour conséquence une très grande mobilité des populations africaines de l’Ouest.

Cette mobilité s’est poursuivie et s’est prolongée avec la naissance et la disparition de tous les empires et États de la région (Mali au 13ème siècle, Songhaï au 15ème siècle, Ségou au 17ème siècle, Foutah Djalon et Macina au 19ème siècle, etc.) qui se sont succédé sur ce vaste espace qui va du désert à la lisière de la forêt en passant par la savane et les zones montagneuses du Foutah Djalon.

Cette histoire commune a façonné des liens (parenté à plaisanterie, liens matrimoniaux et autres liens de solidarité) qui soudent la société guinéenne et lui permet d’affronter les vicissitudes du « vivre ensemble ». Les ethnies qui habitent la Guinée sont semblables sur l’essentiel. Le mariage est le lieu privilégié de procréation, le système dominant est le patriarcat et la gérontocratie et la solidarité sont valorisées. Bref, les ethnies ont, pour l’essentiel, les mêmes valeurs. Les différences sont surtout linguistiques et organisationnelles, résultats des particularités historiques, démographiques et d’adaptation à l’environnement de vie. Même linguistiquement, ces 24 groupes ethniques se regroupent en deux familles de langues[5] pour parler comme les linguistes :

  1. Le groupe mandé qui regroupe le maninka, le Koniaka, le sosoxui, le dialonka, le lomagi, le kpèlèwoo etc. et ;
  2. Le groupe atlantique qui regroupe le tanda, le pular, le toucouleur, le kisiéi, le baga, le nalou et même d’autres langues de pays voisins comme le ouolof, le sérère, le diola au Sénégal et le balante en Guinée-Bissau.

Les Guinéens n’ont aucun problème à vivre ensemble, au sein du même quartier, dans la même cour, se marier entre eux, sans aucune considération autre que les sentiments des prétendants et le revenu de l’un ou de l’autre. Certes, les hommes de certaines communautés ont plus de difficulté que d’autres à contracter des liens matrimoniaux dans toutes les communautés et surtout dans toutes les familles.

Dans la vie de tous les jours, la différence ethnique est moins importante que celle en lien avec les classes sociales (pauvres et riches) et aux stratifications sociales (castes et autres catégories stigmatisées).

Ce n’est pas pour rien qu’en dépit des tensions orchestrées par certains acteurs politiques au moment des seconds tours des élections présidentielles, la Guinée n’a jamais basculé dans la guerre civile, ni dans la tentation de la sécession régionaliste. C’est d’ailleurs l’une des particularités de la Guinée : pays fragile sans mouvement sécessionniste.

Ce que tous les Guinéens ont voulu et veulent, en dépit de la suspicion, de la méfiance et de l’instrumentalisation ethnique, c’est d’être des Guinéens avec des droits identiques, des possibilités réelles de s’épanouir, de se réaliser et de pouvoir bénéficier des mêmes droits dans le choix des dirigeants du pays, d’accéder à la présidence de la République, aux hautes fonctions de l’administration publique et aux marchés publics sans aucune discrimination.

On peut dire, et ma spécialité et ma connaissance de la Guinée me le permettent, le problème de l’ethnicité en Guinée porte essentiellement sur l’accès aux ressources de l’État, aux avantages qu’ils procurent, aux privilèges qui s’y rattachent, à savoir :

  1. La présidence de la République et les accessoires que ce régime présidentiel offre, car il est sans contrôle ; les postes de l’administration publique (le président de la République nomme et révoque du plus grand au plus petit fonctionnaire) ;
  2. Les marchés publics (le président de la République attribue, à sa guise, richesses et pauvreté à qui il veut, comme Dieu) ;
  3. Les services sociaux comme les évacuations sanitaires aux frais de l’État et les bourses d’études à l’étranger logées à la présidence de la République.

On peut donc dire que l’ethnicité au niveau des élites administratives, politiques et commerciales est une stratégie individuelle qui permet d’accéder aux ressources de l’État. C’est une stratégie identique qui a été utilisée par certains jeunes après le 5 septembre pour éliminer toute concurrence en obtenant du nouveau chef de l’État qu’il dise qu’il n’y a pas « une école d’expérience » et « pas de recyclage ». L’ethnie, la jeunesse, les femmes, les handicapés ne sont rien d’autres que des variables que certains activent pour éliminer la concurrence, en vendant une catégorie « naturelles » en lieu et place d’une compétence.

Cette stratégie peut devenir collective en raison du fait que celui qui contrôle le pouvoir suprême récompense les membres de son « groupe ethnique » pour service rendu, l’appui à accéder à la présidence.

Contrairement à une idée largement répandue, tous les partis politiques guinéens ne sont pas « ethniques », certains qui ont recours à l’ethnicité le font à leur corps défendant. Rares sont aussi les partis politiques qui ne jouent pas de la corde ethnique à un moment ou à un autre, en des circonstances particulières et en présence de certains enjeux.

Si les partis se servent du fait ethnique ou sont facilement identifiables à des groupes ethniques, c’est parce qu’en dépit de l’existence de la réalité ethnique, les règles juridiques de la Guinée soumettent les candidats à la présidence, surtout au second tour, à l’instrumentalisation de l’ethnie pour gagner l’élection.

Depuis notre indépendance, nous mimons d’autres pays comme si nous avions une même histoire, un même processus de construction étatique et les mêmes populations avec la même sociologie.Le fait de demander que la nouvelle constitution tienne compte de la dimension sociologique ne signifie pas que les Guinéens doivent avoir une « constitution ethnique » comme au Liban ou le Burundi avec un partage ethnique du pouvoir. Cela ne veut pas dire que tous les Guinéens sont des « ethnos », ni plus, ni moins que d’autres Africains dans la sous-région. Il s’agit simplement d’avoir une constitution qui renvoie l’ethnie dans la sphère privée et domestique. C’est ma proposition exposée ci-dessous.

QUELLE CONSTITUTION POUR LA GUINÉE

La configuration ethnique de la Guinée et le passé politique devraient amener le législateur « pouvoir constituant dérivé » à proposer une constitution qui brouille le repérage ethnique en choisissant un régime politique de type présidentiel avec un ticket (président et vice-président), sans un premier Ministre, comme dans le modèle des Etats-Unis ou du Nigéria.

Ce modèle est celui du Nigéria après la guerre de sécession, du Kenya après les violences ethniques post-électorales, de l’Afghanistan après la longue guerre civile, de la Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire après les sanglantes guerres civiles dans ces deux pays.

Les critiques « juridiques » peuvent faire valoir que le vice-président dans le modèle américain est un président en réserve « un corps sans vie » jusqu’à l’empêchement de « l’autre », le président en exercice à la suite duquel il achève le mandat.

Dans la sociologie électorale de la Guinée, l’objectif n’est pas d’avoir un président « bis », mais plutôt d’avoir quelqu’un avec lequel on fait la campagne électorale pour éviter la « tribalisation » du débat électoral. Celui qui va aider son colistier à ne pas nommer seulement les membres de sa communauté, à ne pas tribaliser l’administration.

Dans une configuration institutionnelle pareille (président et vice-président), il serait suicidaire politiquement pour chaque candidat de choisir son colistier au sein de sa communauté. Quel que soit le nombre de candidats, on aura une configuration des tickets avec des combinaisons « mathématiques » de la Guinée dans sa diversité la plus large.

Dans ces conditions, il sera impossible de coller des étiquettes ethniques aux candidats en compétition. Et en même temps, on réduit la capacité des manipulateurs de la « chose ethnique », à trouver la faille à partir de laquelle ils pourraient l’instrumentaliser. En fait, ce type de régime aurait pour mérite de brouiller les logiques ethniques qui se rattachent à la candidature singulière d’un homme qui demande le suffrage du peuple.

Dans ce type de régime politique proposé et, pour permettre à l’équipe présidentielle d’avoir un bilan avant la fin de son mandat, il serait souhaitable d’avoir un mandat de 7 ans non renouvelable[6]. Un mandat de 7 ans devrait permettre à l’exécutif de faire un état des lieux des différents ministères, de monter des projets et des programmes, de mobiliser les ressources et de conduire les actions jusqu’au bout du mandat sans se soucier de l’élection à venir. Si la performance de ce mandat est probante, il serait possible que ce ticket dans sa combinaison actuelle ou dans une autre formule de se représenter après le mandat de ses successeurs afin de faire mieux lors du second mandat qui n’est possible que 7 ans après. Cette disposition a un double avantage à savoir :

  1. Ce mandat unique prédispose l’équipe présidentielle élue à se concentrer exclusivement sur son mandat et à la mise en œuvre de son programme (état des lieux, élaboration des projets, mobilisation des ressources et mise en œuvre, suivi et évaluation) et donner à voir les résultats avant de quitter le pouvoir ;
  2. Ce mandat unique empêche l’utilisation des ressources publiques par l’équipe sortante dans le cadre d’une nouvelle campagne électorale.

Si les Guinéens souhaitent deux mandats, il est préférable d’avoir deux mandats de 7 ans que deux mandats de 5 ans. Car dans un mandat de 5 ans, compte tenu du temps nécessaire pour des ministres de comprendre les rouages de l’administration publique, de faire un état des lieux objectif, de proposer une vision, de mobiliser des ressources[7], un gouvernement perd au minimum 18 mois avant de commencer de mettre en œuvre son programme. Dès la 4ème année, le président et son équipe retournent en campagne pour une année. S’il est reconduit, le processus recommence. De sorte que sur 10 ans, un président ne peut travailler réellement que 5 ans. Par contre, dans un mandat de 7 ans renouvelable, le président peut avoir 12 ans pour mettre en œuvre ses projets et programmes.

Une élection présidentielle et législative chaque 7 ans aurait l’avantage d’utiliser le budget national et l’appui budgétaire des partenaires techniques et financiers à autre chose qu’à financer des élections. Selon le rédacteur en chef[8] du Lynx, les élections législatives et présidentielles entre 2015 et 2020 ont « englouti pas moins de 1 695 milliards de francs guinéens soit près de 139 millions d’Euros. Un budget qui vaut plus du tiers du montant pour la réalisation de la route Mamou-Dabola qui est en chantier. Car le coût de ce projet est de 357 millions 302 942 mille Euros pour 370 Km ».

Dans ce régime, il serait souhaitable de canaliser l’équipe présidentielle dans l’exercice de son mandat, car « tout homme qui a du pouvoir est tenté d’en abuser. Seul le pouvoir arrête le pouvoir », en indiquant dans la constitution le nombre maximum des membres du gouvernement, de conseillers à la présidence et en limitant les postes à nomination qui relèvent de l’autorité du président (les ministres, les ambassadeurs et les chefs militaires).

Les ministres et les ambassadeurs proposés par le Président de la République devraient se soumettre à l’obligation d’audition devant les députés pour décliner leur feuille de route et permettre aux députés de produire une fiche évaluative à l’attention du Président de la République sur leur capacité à présenter et à défendre leurs dossiers et leur vision du secteur avant la signature de leur décret. Le président n’est pas obligé de modifier sa décision de nomination, mais il a une évaluation objective sur le personnel le plus élevé de sa gouvernance.

Les ministres devraient bénéficier de l’autorité nécessaire pour désigner les membres de leur cabinet (chef de cabinet, conseillers et attaché de cabinet) et les directeurs nationaux y compris ceux du pool financier, des ressources humaines et de la passation des marchés[9]. De même, chaque directeur devrait avoir l’autorité de proposer les chefs de division de sa direction et les chefs de section devraient être proposés par chaque chef de division.

Ce régime présidentiel doit l’être dans toute sa plénitude avec une séparation nette et étanche entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Il faut trouver les mécanismes et des modalités visant à garantir l’indépendance et l’intégrité du judiciaire en réduisant de façon drastique l’instrumentalisation des cours et des tribunaux par l’exécutif.

Il existe aussi dans l’air du temps l’idée d’avoir deux chambres (Haute et Basse), personnellement, je suggère une véritable décentralisation comme le dit si bien Bérété[10] dans sa thèse de doctorat en proposant que « Ces réformes devraient consacrer la séparation réelle des pouvoirs et la clarification des compétences entre l’Etat et les structures administratives en milieu local. Elles devraient ensuite impliquer l’augmentation des échelons territoriaux, le transfert progressif des compétences et des ressources et la définition du rôle des nouveaux acteurs du développement à la base : les Organisations de la Société Civile »[11]. Il a été transféré à des collectivités de base, les communes, des compétences qu’il aurait fallu donner à la région et à la préfecture. Car elles sont mieux outillées pour assurer ce transfert de compétences que les communes en l’état actuel. Au niveau des partis politiques qui arrivent à avoir des députés à l’assemblée nationale, il serait souhaitable de prévoir une subvention de 5% pour les financer afin d’éviter le financement du président fondateur. Naturellement, ce financement devrait avoir comme conséquence le non-financement d’un parti par un leader et toute autre personne, entité et/ou société avec obligation d’assurer le contrôle des dépenses des partis politiques par la Cour des Comptes, comme n’importe quelle entité qui reçoit des finances publiques. Si les dons et legs sont acceptés, ceux-ci devraient passer par le bureau de l’assemblée nationale pour assurer leur traçabilité.

Dans ce cas de figure, on devrait prévoir et codifier une procédure démocratique interne à chaque parti politique. Un cadre organique devrait indiquer certaines modalités de gestion de chaque parti politique avec l’obligation d’avoir une carte du parti et de payer ses cotisations annuelles pour être électeur et éligible au sein du parti. Les élections internes devraient être régulières et précéder les consultations nationales. Ces élections devraient se faire par l’organisme national en charge des élections du pays qui doit être à l’image de celle du Ghana avec des commissaires techniques qui ont la sécurité de mandat : « ils sont nommés à vie et ne peuvent pas être relevés brutalement de leur fonction par le Président de la République ». Dans ce système,aucun des élus ne devrait pouvoir changer d’étiquette politique en quittant son parti pour rejoindre un autre parti en cours de mandat ou créer un groupe politique.

En termes clairs, cette transition pour réussir doit rompre avec la trajectoire des précédentes pour que la démocratie ne soit ni communautaire, ni un moyen de créer et d’entretenir des dirigeants autoritaires, ni d’aider à avoir des politiciens de « chambre » d’accéder au pouvoir par le jeu de la transhumance et des allégeances de circonstances. De même, on ne devrait pas refaire les erreurs de 2010 en créant plusieurs organes[12] budgétivores pour caser le plus grand nombre de personnes.

On se doit de tirer les leçons des décisions sociologiquement erronées des deux premières transitions (1984 et 2009), pour éviter d’être schizophrénique, car “la folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent” (Albert EINSTEIN).

CONCLUSION

Au terme de cet exposé, il me plait de dire en quelques mots les grandes lignes de ma réflexion sous la forme de propositions non noyées dans des considérations théoriques et académiques dans l’espoir que quelques-unes au moins trouveront une oreille attentive auprès des Guinéens.

  • Considérant que le régime politique guinéen a toujours été un régime marqué par une forte primauté du Président de la République sur les autres pouvoirs et institutions de la République avec un pouvoir de nomination à tous les emplois militaires et civils, y compris ceux qui pourraient relever des ministres sectoriels ;
  • Constatant l’instrumentalisation ethnique et régionaliste lors du second tour des élections présidentielles ;
  • Soucieux de doter le pays d’un système politique qui corrige les erreurs du pays ;
  • Proposons un régime politique de type présidentiel avec un ticket (président et vice-président), sans un Premier Ministre, pour brouiller les logiques ethniques qui se rattachent à la candidature singulière d’un homme qui demande le suffrage du peuple ;
  • Suggérons que la durée du mandat présidentiel soit de 7 ans non renouvelable ;
  • Proposons qu’il soit prévu que le Vice-Président achève le mandat du Président en cas de vacance du pouvoir ;
  • Insistons pour que le nombre de ministres dans un gouvernement, de conseillers à la présidence et dans les cabinets ministériels soit déterminé dans une loi organique à adopter avant la constitution ;
  • Plaidons pour que les futurs ministres soient auditionnés par les députés, avant leur nomination, afin qu’il soit établi par les députés à l’attention du Président de la République une fiche d’avis technique ;
  • Demandons que le Président ne nome que les ministres, les conseillers à la présidence, les ambassadeurs et les chefs militaires ;
  • Suggérons que les ministres bénéficient de l’autorité nécessaire pour désigner les membres de leur cabinet (chef de cabinet, conseillers et attaché de cabinet) et les directeurs nationaux techniques et le pool financier, les ressources humaines et la passation des marchés. De même, chaque directeur devrait avoir l’autorité de proposer les chefs de division de sa direction et les chefs de section devraient être proposés par chaque chef de division ;
  • Exigeons la possibilité de candidatures indépendantes à toutes les élections (présidentielle, législative et locales) ;
  • Demandons la refonte totale du code électoral pour l’adapter au mode électoral majoritaire et en supprimant en particulier plusieurs dispositions qui facilitent la fraude électorale du bureau de vote à l’organe de gestion des élections ;
  • Proposons un Organe de gestion des élections (OGE) technique avec des membres qui ont la sécurité de mandat comme au Ghana : « ils sont nommés à vie et ne peuvent pas être relevés brutalement de leur fonction par le Président de la République ». On peut même y ajouter d’autres éléments de sécurité supplémentaire.

Pr. Alpha Amadou Bano BARRY (PhD, sociologie) Enseignant-chercheur/Université de Sonfonia/Conakry/Guinée

NOTES

[1]En Guinée, on ne devient coupable que lorsqu’on a été ministre. Tous les autres, ceux au-bas de l’échelle administrative, ne sont coupables de rien.

[2]Le système électoral d’un État comprend l’ensemble des règles, normes et institutions régissant la préparation, l’organisation et la conduite des élections. Il peut difficilement être analysé en dehors du cadre institutionnel du régime politique en vigueur.

[3]Le Ghana a connu sa première alternance lors des élections présidentielles de 2000 qui vit la défaite de Jerry Rawlings en faveur de John Kufuor.

[4]Duverger, M (1976) ; « Les partis politiques » ; Armand Colin, Paris, France.

[5]Contrairement à ce que beaucoup « d’analphabètes » diplômés disent, une famille linguistique n’est pas une parenté ethnique ni une appartenance au même groupe ethnique.

[6]Dans tous les cas, on se souviendra que dans un mandat de 5 ans, la pré-campagne et de la post-campagne absorbent 2 ans et ont des effets réels sur la création et la gestion des ressources nationales.

[7]Si le financement vient des partenaires techniques et financiers et non d’un prêt que la FMI refuse au nom du principe du taux d’endettement admise pour ces gendarmes des pays pauvres, il faut compter 2 ans avant de voir la couleur de l’argent. Car avec ces partenaires, le processus est plus important que le résultat.

[8]Mamadou Siré Diallo.

[9]L’ancien président avait déjà acté la nomination du responsable de passation des marchés par chaque ministre de tutelle. Il faut aller plus loin en éliminant le fait que les ministres sectoriels (finances, budget et fonction publique) nomment du personnel au sein des autres ministères. Sur d’autres publications, je vais revenir plus en détail sur cette nécessité.

[10]Mohamed Bérété (2007) ; « La décentralisation et le problème de la monopolisation du pouvoir par l’appareil d’Etat en République de Guinée », Thèse de Doctorat, Université Robert Schuman, Strasbourg, France.

[11]Rares sont les cadres du ministère de l’administration du territoire qui ont lu ladite thèse et il aurait plus utile dans ce ministère qu’à la santé.

[12]11 ans plus tard, certains de ses organes (Haute Cour de la justice, Haut conseil des collectivités) n’ont pas vu le jour.





[Repost] Comment la Guinée a-t-elle été peuplée ? [Par Dr Bano Barry]


Etudes


« Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables “Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne!” » (Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité, 1755).[1]

Comment la Guinée a-t-elle été peuplée ? Qui en sont les premiers occupants et qui en sont les derniers ? Ceux qui habitent la Guinée en 2014, d’où viennent-ils ? Par où sont-ils passés ? Quel groupe ethnique a fait quoi, avec quel groupe, contre quel autre groupe et dans quelles circonstances ? Ces interrogations sont les préoccupations de cet article.

Ces interrogations plongent leurs racines dans l’histoire du mouvement migratoire et de la mise en place des populations guinéennes ou tout simplement dans l’histoire de la Guinée. Puisqu’il s’agit de l’histoire, il est possible que certains disent que nous ne sommes pas la bonne personne pour traiter de ce sujet. En effet, n’étant pas historien[2]de formation, certains pourraient s’offusquer que nous parlions à la place des spécialistes.

Nous savons qu’il existe en Guinée des historiens de très haut niveau; ils sont à la fois de l’ancienne et de la nouvelle génération. Ces historiens, nous le croyons fermement, ont la qualification requise et le savoir suffisant pour faire cet article à notre place.

Cependant, tout sociologue est un peu un historien. En tous cas, tout sociologue est obligé de faire de l’histoire, car les faits sociaux au centre de la recherche du sociologue ont un passé. Et cette réalité qu’étudie le sociologue est historique, c’est-à-dire qu’elle est datée et circonscrite dans un espace géographique et temporel. C’est autant dire que la sociologie et l’histoire se complètent sans se confondre. Cette complémentarité indéniable est suffisamment expliquée par G. SMETS (1929 : 89)[3] qui disait que :

« La sociologie n’atteint au réel qu’à travers l’histoire, mais l’histoire n’explique le réel que grâce à la sociologie ».

Partant, on pourrait dire que le sociologue apporte à l’historien le cadre théorique sans lequel son étude n’est que narration, technique que le journaliste maîtrise mieux que lui. D’ailleurs, l’un des plus grands historiens américains, G. E. HOWARD[4], affirmait, pour étayer cette complémentarité, que « l’histoire est la sociologie du passé et la sociologie l’histoire du présent ».

En fait, nous écrivons pour faire écrire. Nous écrivons dans l’espoir que notre ignorance, nos errements et nos égarements, que nous revendiquons et acceptons, vont amener les historiens à sortir de leur silence assourdissant et « historique » pour faire face aux dérives de la politique politicienne qui falsifie l’histoire de la Guinée et des Guinéens de nos jours. Peut-être qu’en écrivant et en nous trompant, les historiens qui sont les mieux placés pour nous entendre et comprendre notre cri de cœur, vont rompre leur silence, leur mutisme et leur indifférence face à leur devoir, leur mission et leurs responsabilités.

Dans cet article, il y aura des trous et des inexactitudes. Les uns et les autres découvriront notre ignorance et la faiblesse de notre documentation sur certains groupes ethniques et sur certains aspects. Et comme disait Amadou Ham Pâté BAH, dont nous sommes un disciple livresque :

« Je ne cherche pas à avoir raison, plutôt je cherche à ce que nos raisons et nos diverses vérités édifient la vérité vraie ».

Nous souhaitons que nos lecteurs ne gardent qu’une seule chose de ce texte : notre volonté de privilégier ce qui unit les Guinéens dans leur passé et aussi dans le présent, car comme le disait Professeur Djibril Tamsir NIANE (1963 : 21) :

« Il faut prendre garde, parce que l’histoire reste très vivante encore et vous n’êtes pas sans savoir que des querelles qui remontent parfois au 13ème et au 12ème siècles peuvent resurgir avec une recrudescence inattendue ».

Cet article est donc une façon de faire taire les « scientifiques » de certaines radios privées de Conakry, les « insulteurs publics » et les « révisionnistes historiques » qui brisent, chaque fois qu’ils ouvrent la bouche, ce qui reste de la Guinée : notre pays.

Je cherche à déconstruire le discours qui falsifie pour humilier, le discours qui divise pour rabaisser, le discours qui incite à la haine et à la violence. Il y a longtemps que j’ai appris, pour avoir duré sur les bancs de l’école, que l’histoire d’une nation, celle enseignée et diffusée, est une « reconstruction » intelligente pour apaiser les passions et flatter le « vouloir vivre ensemble ».

Face aux pyromanes de Guinée qui veulent manger, se vêtir et se loger en mentant et en falsifiant pour faire plaisir aux égos de leur mentor, j’ai pensé qu’il est temps que quelqu’un assume en puisant et rendant public une petite partie des travaux des historiens de Guinée (je ne nomme personne pour ne pas insulter ceux qui ne le seront pas) et les centaines de diplômés qui ont réalisé des mémoires sur les mouvements migratoires et la mise en place des populations guinéennes, malheureusement, rarement consultés de nos jours. C’est à tous ces devanciers que je voudrais rendre hommage[5] en présentant, sans les dénaturer, leurs travaux non publiés et souvent utilisés par les vendeuses pour emballer du « takoula » et du « malè gato » dans la cour des écoles publiques et privées et à leurs abords ou gardés dans les caves moisies et obscures des bibliothèques publiques du pays.

LE PEUPLEMENT DE LA GUINÉE

Faire l’historique du peuplement de la République de Guinée est un exercice à la fois simple et complexe. Il est simple, car il est toujours possible de « répéter » les nombreux écrits réalisés sur certaines des populations de ce pays avec le risque de reproduire des vérités connues, parfois reconstruites, souvent parcellaires et forcement tronquées.

L’exercice est complexe, car il existe peu de documentation sur le peuplement de toutes les populations guinéennes et celle qui existe porte sur certains groupes, en particulier (baga, soussou, Peul, kissi et malinké) et est souvent des partis pris ethnologiques. Il est encore très difficile de faire de l’histoire en Afrique car cet exercice, comme le disait Boubacar BARRY (1975 : 12)[6], « se heurte à des sérieuses difficultés, car entre légende et histoire, la frontière est souvent indécise. »

C’est avec ces précautions et ces limites que nous aborderons la question du peuplement. C’est dire, autant que possible, nous viserons à être exhaustif tout en évitant les stéréotypes et les clichés faciles d’écriture mais réducteurs de la réalité historique et sociologique. Nous nous abstiendrons de présenter l’organisation sociale, les mœurs et les coutumes des différentes populations qui constituent la mosaïque humaine guinéenne. Cette question est suffisamment importante pour être diluée à l’intérieur du présent article.

S’il est difficile de dire avec une date précise à quelle époque remonte l’arrivée des premières vagues de populations dans les différentes régions du territoire qui est aujourd’hui désigné par le nom de République de Guinée, la plupart des documents disponibles et utilisés par les historiens qui s’intéressent à la question des mouvements migratoires des populations situent le début de l’occupation de ce territoire autour du moyen âge africain (approximativement entre le Vème et le XVIème siècles). En fait, cette période, comme toutes ces périodes éloignées et mal documentées, est arbitraire et correspondrait davantage à la période à partir de laquelle il existerait des documents plus ou moins fiables et utilisables (souvent de sources arabes) dans le cadre des canaux scientifiques.

On sait, cependant, avec certitude que le dessèchement du Sahara et la chute de l’empire du Ghana (1076) ont eu pour conséquence une très grande mobilité des populations africaines de l’Ouest. Cette mobilité s’est poursuivie, et s’est prolongée avec la naissance et la disparition de tous les empires et Etats de la région (Mali au XIIIème siècle, Songhaï au XVème siècle, Ségou au XVIIème siècle, Foutah Djalon au XVIIIème siècle, Macina au XIXème siècle, etc.) qui se sont succédé sur ce vaste espace qui va du désert à la lisière de la forêt en passant par la savane et les zones montagneuses du Foutah Djalon.

On sait aussi depuis les travaux de l’historien Djibril Tamsir NIANE[7], qui s’est appuyé sur ceux de Maurice DELAFOSSE (1912)[8], que :

« Les noirs ne sont pas autochtones, en cela toutes les traditions locales sont unanimes et on connaît la tendance générale en Afrique Occidentale à faire venir les ancêtres de l’Est. » (1960 : 43).

Ce point de vue est aussi celui de la quasi-totalité des spécialistes de la question qui s’accordent à reconnaitre que, pour l’essentiel, les populations de la Guinée sont originaires du Sahel et que ces populations sont arrivées sur le territoire guinéen par vagues successives au cours des siècles. La première conséquence de cette conclusion est simple : nous sommes tous des «étrangers» à part égale dans les pays dans lesquels nous vivons présentement, les premiers comme les derniers arrivés.

Cela dit et pour faciliter la lecture lourde et fastidieuse du présent article, nous allons, pour en aérer la lecture, le découper en de petits morceaux avec des titres que nous espérons significatifs.

LES COTIERS DE LA GUINEE (MANDENYI, SOUSSOU, BAGA, NALOU, LANDOUMA, MIKHIFORE)

LES MANDENYI

Les Mandenyi seraient les premiers occupants de la zone côtière de la Guinée. Cette affirmation est celle de Zainoul A. SANOUSSI (1969 : 25)[9] qui défend dans son Mémoire de Fin d’Etudes Supérieures que : « les traditions et les documents s’accordent pour dire que les 1er occupants de la zone comprise entre Dubréka, Conakry, Coyah et Forécariah seraient les Mandenyi »

Les rares historiens qui se sont intéressés à la migration des Mandenyi s’accordent sur deux choses. La première est de considérer qu’ils auraient occupé, selon CONTE, reprenant André ARCIN (1911 : 186)[10], « tout le versant Sud-Ouest du Foutah d’où ils furent en partie expulsés à la suite du refoulement général des Baga du Nord vers la mer ». La seconde est de considérer que du Foutah Djalon, les Mandenyi seraient descendus dans la région forestière (entre Faranah et Macenta) avant de migrer vers la côte en traversant le territoire actuel de la Sierra Leone.

C’est probablement pour cette raison que Demba CONTE (1979 : 21)[11] a affirmé dans son Mémoire que : « Forécariah a été habité par une population de souche Mandeyi dont le pays d’origine serait aux confins de Macenta et de Guéckédou ». Ce sont les mêmes propos que l’on retrouve dans les écrits d’André ARCIN (1909 : 14) « les Mandeyi, tout comme les Baga, sont venus du Solina actuel ». Dans tous les cas, en 2014, il y a plus de Mandenyi en Sierra Leone qu’en Guinée. Ce qui atteste, on ne peut plus mieux, leur pérégrination dans la région Ouest africaine.

LES SOUSSOU

Ce que l’on désigne en français par le mot Soussou se désignent eux-mêmes Sosoé ou Sosé. Pour faire simple, on dira dans ce texte les « Soussou » pour les désigner. Mahawa BANGOURA (1972)[12] relate qu’ils seraient venus du Mali après la victoire de Soundiata KEITA sur Soumangourou KANTE à la suite de la défaite de ce dernier à la bataille de Kirina en 1235. Pour BANGOURA (1972), du Mali, les Soussou auraient emprunté quatre voies :

  • Le 1er groupe aurait passé par Sibi Menien pour trouver asile dans l’actuelle Haute Guinée et au Foutah Djalon avant de rejoindre le littoral guinéen. Il semble que ceux qui ont séjourné au Foutah Djalon se seraient scindés en deux groupes : le premier aurait longé le bassin du Konkouré pour occuper le Kabitaye, le Labaya et le Bramaya et le second aurait longé le cours des scories, se serait emparé du Benna et de Tamisso avec les Mandeyi avant de s’installer dans le Kemalaye, le Kissi-Kissi, le Soumbouya et le Moricanie;
  • Le 2ème groupe serait parti vers le Sénégal et aurait été assimilé par les Wolofs ;
  • Le 3ème groupe aurait traversé le Sénégal avant de contourner le Foutah Djalon pour rejoindre la côte guinéenne ;
  • Le 4ème groupe aurait longé le fleuve Niger pour aller en Guinée Forestière tout en conservant les noms de famille comme KANDE, BAMBA et SOUMAORO (BANGOURA, 1972 : 14).

Sur ces quatre trajectoires migratoires, l’unique que l’on retrouve dans les écrits de Jean SURET-CANALE[13], qui sont antérieurs à ceux de Mahawa BANGOURA, est la troisième route migratoire. En effet, Jean SURET-CANALE (1970) s’appuyant sur la tradition orale du Rio Pongo affirme qu’« il est probable que les soussous soient venus des vallées moyennes du Bafing et de la Gambie vers le littoral, en contournant la région du Foutah par la vallée du Cogon, à une époque très ancienne » (1970 : 47).

Pour Cheick Sidy Mohamed DIALLO (1975)[14], les Dialonké et les Soussou auraient migré du Ghana vers 1250. Pour être si affirmatif, il s’appuie non seulement sur ses propres recherches sur le terrain mais aussi sur les travaux antérieurs de Maurice GAUTHIER (1908 : 12)[15] qui soutenait que :

« C’est probablement mal accueillis par les Banbaras qui peuplaient le Soudan méridional que les Dialonké durent continuer leur marche vers le Sud jusqu’au Foutah actuel où ils s’établirent »

Ces versions ne sont pas totalement différentes de celles Charles Emmanuel SORRY (1974)[16]. Sans les faire venir de loin comme les autres, il reconnait toutefois leur mouvement d’Est-Ouest. Pour lui, les Soussou seraient des chasseurs d’éléphants originaires de Funyi et de Sangalan aux abords de la Falémé. A la quête d’éléphants, ils se dirigèrent d’Est vers l’Ouest. Dans cette marche, ils auraient utilisé le trajet relaté par SURET-CANALE (1970), c’est-à-dire en passant par le Cogon avant d’être repoussés par les Badiaranké vers le Sud-ouest. C’est ce groupe qui se serait agrandi en absorbant et en assimilant certains membres des autres groupes qui seraient arrivés plus tard comme les Baga et les Landouma. Enfin, l’on notera que de nos jours, la plupart de ceux qui l’on désigne par le nom de Soussou occupent surtout le Sud de la région maritime : Conakry, Kindia, Coyah, Forécariah et Dubréka, alors que le Nord est majoritairement peuplé par les autres ethnies du littoral tels les Baga, les Nalou, les Landouma, etc.

Après avoir fait ce bref rappel historique sur les Soussou de Guinée dans leur trajectoire migratoire, il reste plusieurs questions sans réponses. La première question est de savoir si les Dialonké et les Soussou sont un et même peuple ? La seconde question est de savoir si l’empire Soso a été fondé par les Soussou, les Dialonké ou un autre groupe humain ? Cette dernière question pose indirectement celle de l’appartenance ethnique de Soumangourou KANTE, le roi du Soso.

Sur la première question, Cheick Sidy Mohamed DIALLO (1975) ne répond pas directement, mais se contente d’affirmer que si les deux groupes (Sousou et Dialonké) ne sont issus du même peuple, les seconds sont rattachables à l’embranchement du premier nommé à cause de l’identité quasi-totale de leurs deux langues. Pour l’affirmer, il s’appuie sur la tradition orale qu’il rapporte.

Il est vrai qu’en écoutant un Dialonké et un Soussou parler leur langue, on décèle des mots identiques avec quelques différences ou nuances linguistiques. Ces nuances linguistiques ne permettent ni d’infirmer ni de confirmer qu’il s’agit d’un même et unique groupe ethnique. On peut supposer que ces différences pourraient s’expliquer par des migrations différenciées dans le temps et l’espace et par la longue cohabitation avec les Malinké dans le Manding et les Peul au Foutah Djalon. Ces différentes cohabitations auraient eu pour effets des emprunts réciproques.

On pourrait affirmer, à la suite de Jean SURET-CANALE, la « parenté linguistique » entre les deux groupes (Soussou et Dialonké), cependant nous ne soutiendrons pas, vaille que vaille, que les deux groupes constituent un même peuple. Des recherches ponctuelles, intenses et suivies sont nécessaires pour trancher la question sur ce lien parental entre Dialonké et Soussou.

Sur la seconde question, la réponse de Maurice DELAFOSSE (1912) est catégorique. Ce chercheur, affirme, à la suite de IBN KHALDOUM, que les :

« Sossé [   ] ont été longtemps confondu à celui des Soussou, alors que, à mon avis, ces derniers n’ont jamais participé à sa formation ni à sa gloire : c’est tout au moins ce qui résulte d’un examen consciencieux des traditions locales, comme de la lecture attentive de quelques documents écrits » (1912 : 162).

Pour Maurice DELAFOSSE (1912), la constitution du Soso en un empire est le prolongement de l’affaiblissement de l’empire du Ghana par les Almoravides. Sur les lambeaux de l’empire du Ghana et après que la domination berbère eut pris fin en 1090, un Etat vassal du nom du Royaume de KANIAGA put, à son tour, devenir un empire avec comme capitale Soso et comme premier dirigeant des princes Soninké de la dynastie des DIARISO qui venaient de l’intérieur de l’empire du Ghana.

Il semblerait que c’est sous le règne de Banna-Boubou (1100-1120) que des Peul qui appartenaient au clan des So ou Férobhè se seraient métissés avec les dirigeants Soninké du Royaume de KANIAGA :

« C’est ce qui fit donner aux descendants de ces unions le nom de Sossé (descendance des SO) ; plus tard, l’emploi de cette appellation s’étant généralisé, elle fut appliquée à tous les habitants de KANIAGA ou tout au moins à toute la casse dirigeante. C’est également cette circonstance qui fit donner le nom de Soso (village des SO) à la capitale de l’Etat » (Maurice DELAFOSSE (1912 : 164).

Sur la seconde interrogation toujours, il y a peu de chance que Soumangourou KANTE soit Soussou ou Dialonké. Il est fort probable qu’il soit un Malinké. On sait, à travers l’histoire relatée par Maurice DELAFOSSE (1912), que Soumangourou KANTE est le fils d’un usurpateur de pouvoir du nom de Diaara KANTE.

Maurice DELAFOSSE (1912) affirme qu’à la mort de Birama DIARISO (le dernier prince de la dynastie des DIARISO), la lutte pour la succession va opposer les neufs fils issus de deux épouses du défunt roi. C’est cette bataille fratricide qui va conduire les enfants de la seconde épouse à faire appel au plus grand soldat du Royaume du nom de Diaara KANTE. Ce dernier va aider à vaincre les enfants de la première épouse, mais finira par prendre le pouvoir aux mains des enfants de la seconde épouse qui eux-mêmes ne s’entendirent pas après leur victoire. Soumangourou KANTE (1200 environ à 1235) est donc l’héritier de Diaara KANTE et se serait sous son règne que l’empire Soso atteindra son apogée et son déclin.

Au vu de ses éléments et de ce que nous savons de Soumangourou KANTE et du patronyme KANTE hier et aujourd’hui, il est difficile de soutenir que celui-ci ne serait pas Malinké. En effet, comment expliquer qu’on ne trouve nulle part, en dehors du Manding, assez de familles KANTE à l’échelle communautaire ? Pourquoi les KANTE, eux, sont-ils restés si massivement dans le Manding après la défaite militaire de leur roi et la décision de les reléguer au simple statut d’homme de caste au service de la nouvelle dynastie du vainqueur de Kirina ? Peut-on alors supposer que la plupart des KANTE qui seraient restés dans le Manding auraient changé de nom pour se confondre et éviter des représailles ? Peut-on, enfin, croire que ceux qui ont préféré partir ont gardé leur nom de famille par souvenir et/ou par fierté ? Ce sont là des questions d’importance capitale qui, pour leurs réponse, demandent de la volonté, de courage et des moyens appropriés pour mener des recherches pluridisciplinaires, suivies et intenses à plusieurs niveaux dans la sous-région.

D’ici là, on peut se permettre certaines hypothèses qui ouvrent de nouvelles pistes de recherches. On peut, par exemple, légitimement se douter du fait que les descendants de Soumangourou KANTE ne soient pas encore dans les limites de l’ancien empire de son fondateur. Aussi, si les KANTE sont restés dans le Manding, et on sait qu’ils l’ont été pour la majorité d’entre eux, c’est probablement parce que le pouvoir n’appartenait pas à tous les KANTE. Si cette hypothèse est la bonne, on pourrait dire que ceux qui ont émigré après Kirina l’ont fait pour quitter une zone de trouble où la sécurité n’était pas encore rétablie et non parce qu’ils ont perdu un pouvoir qui n’était pas collectif, mais bien individuel.

En plus, les armes (couteaux, flèches, coupe-coupe, sabre, etc.) sont le fait des forgerons et donnent un avantage certain à ceux qui les ont, à ceux qui les fabriquent, mais surtout à ceux qui savent les utiliser à des fins politiques. En tous cas, l’histoire du Soundiata KEITA, tout comme celle du Foutah Djalon, montre très clairement que les armes utilisées lors de la bataille de de Kirina ou de Talansan n’ont été confectionnées ni par les KEITA, ni par les Peul musulmans. Les uns et les autres en ont fait des moyens de conquête et de conservation du pouvoir politique à leurs propres fins, souvent au détriment d’autres dont certains avaient le secret du fer.

Enfin, l’on a toujours pensé, depuis l’empire du Mali, que les KANTE sont des forgerons[17], il se pourrait que tous les KANTE d’avant Kirina ne soient pas tous des forgerons de fabrication et d’usage. Soumangourou, tout comme d’autres chefs après lui, aurait eu juste le génie et la force de commander sa fabrication, de contrôler sa circulation et d’administrer son usage dans son empire. Car, la maitrise du fer, disons des armes, a toujours joué un rôle essentiel dans l’accès et l’exercice du pouvoir.

LES AUTRES COTIERS

Il semble qu’avant d’arriver sur le long du littoral, les Baga, les Landouma et les Nalou ont aussi transité par la région du Foutah Djalon. Arrivés en ces lieux depuis le haut Moyen Age et devenus sédentaires, ils s’occupaient essentiellement de l’agriculture et d’élevage. Ils seraient refoulés vers les côtes atlantiques par les Dialonké qui occupaient alors les plateaux du Nord et du Centre du Foutahh d’où certains parmi eux seraient, plus tard au XVIIIe siècle, refoulés à leur tour par les Peul musulmans.[18]

LES BAGA

Reprenant F. K. Voeltz, MOUSER(1999)[19] écrit que le mot « Baga » dérive du susuxuy bae, « la mer », et raka, « de là », d’où baeraka, « ceux de la mer », terme utilisé pour désigner ceux qui vivent le long de la côte. Une conclusion allant dans le sens de ce que WILSON (1961: 1) indiquait il y a quarante ans, lorsqu’il remarquait que « Baga » est plutôt prononcé Baka par les intéressés et les Temne.

Dans le cours développé par Zaïnoul A. SANOUSSI et ses autres collègues du Département d’Histoire-Sociologie, d’Histoire-Philosophie et autres binaires de l’époque de l’Institut Polytechnique « Gamal Abdel Nasser » de Guinée, intitulée « la mise en place des populations guinéennes »[20], il est affirmé que les Baga seraient l’une des toutes premières migrations du Tekrur vers la côte. En tous cas, les explorateurs portugais notent la présence des Baga dès le XVIème siècle le long des côtes atlantiques de la Guinée. Ils auraient emprunté plusieurs chemins et à des périodes étalées sur plusieurs siècles. Ce qui aurait conduit à l’existence de plusieurs groupes sociolinguistiques Baga.

MOUSER (1999) nous apprend qu’en 1885, le révérend P.H. DOUGHLIN divise les Baga en Baga Koba, Baga Kakisa, Baga Nus ou Baga Noirs, Mikhii-Fori et Baga Kalum. Quand à Denise PAULME (1956)[21], il distingue de son côté les embranchements suivants de Baga :

  1. Mandori autour de l’embouchure du Rio Componi (ils cohabitent avec les Nalous). Ils viendraient de la zone comprise entre Télimélé et Kindia ;
  2. Sitémus à l’embouchure du Rio Nunez demeurant surtout dans la région du Nunez (village de Katoko, Katongoro, Kawtel) (ils auraient migré de la région de Labé vers la zone de Kamsar) ;
  3. Koba au Sud du Pongo ;
  4. Kakissa (ou Sobané) sur les côtes entre le Cap Verga et le Rio Pongo ;
  5. Pukur ou Binani Baga (ils seraient l’un des plus anciens groupes et auraient migré de l’actuelle Préfecture de Gaoual sous aucune pression particulière). Dans le Binani (Préfecture de Gaoual, il est encore possible de retrouver certains lieux de passage des Baga avec des zones de fétiches qui restent encore des endroits gardés intacts par les populations Peul de la zone) ;
  6. et enfin, après le Konkouré, les Baga de Kalum auxquels s’ajoutent les Baga Foré et le groupe Buluñits entre le Nunez et le Cap Verda (ils auraient migré de Timbo et seraient l’un des derniers groupes à migrer vers la côte).

Nous avons donc, sous une même appellation Baga, un groupe diversifié et sans doute assez mixte.

LES LANDOUMA OU LES LAND-MEN

Les données de la tradition suggèrent que le nom de « landuma » leur aurait été attribué par les premiers explorateurs anglais. Les Landouma seraient donc l’expression anglaise de « land man » (homme du territoire, paysan).

Pour Marie Paul FERRY et Lansana SANDE (2000)[22], « Landouman » a une étymologie possible, ce serait le nom qui fut donné dès le XVIIème par les Anglais, aux hommes qu’ils voyaient le long de la côte depuis leurs bateaux: land-man en anglais signifie simplement paysan ». Reprenant Marie Yvon Curtis (1996), FERRY (2000) aurait fait remarquer que le mot apparaît pour la première fois chez le compilateur espagnol Sandoval (1623) sous la forme Landama, et qu’on le retrouve ensuite en 1664 chez André de Faro. Si l’interprétation de Ferry est exacte, ces derniers auteurs auraient en ce cas employé le terme donné par les navigateurs anglais et c’est celui qui aurait perduré dans le temps.

Les Landouma auraient deux noms : landouma et tyapi. Le nom de « tyapi » serait celui par lequel les autres populations voisines, notamment les Peul les nommeraient. Il semble se dégager deux noms pour le même peuple : les Landouma restés dans la région de Koundara sont appelés par le nom de tyapi alors que ceux qui vivent dans le Kakandé (Préfecture de Boké) gardent le nom de Landouma. Paul PELISSIER (1966 : 524)[23] dira que :

« Une partie de ces Cocoli-Landouma ont dû quitter leur pays d’origine situé au nord de Kadé, chassés par les Foulas, et ils sont venus chercher une nouvelle patrie dans les forêts désertes qui couvrent le pays situé entre le Rio Compony et le Rio Nunez ».

Alors que ceux-ci devenaient des Landouman, ceux établis au pied de la falaise de Kumbia, étaient nommés « Tyapis » par les coloniaux français sous l’influence de leurs interprètes Peul. La question qui reste sans réponse est de savoir quel est le nom de ce groupe humain avant le XVIIème ?

C’est la trajectoire migratoire des Landouma qui est suffisamment documentée. Il semblerait que les Landouma seraient venus du Tekrur, comme les Bagas, et seraient arrivés au Foutah Djalon à la même période que les Puulis sous la direction de Koly Tenguela avec lesquels ils s’affrontèrent dans la zone comprise entre les Préfectures de Télimélé et de Pita selon Aliou WANN et Bubakar BA (1974)[24]. Du Foutah Djalon, les Landouma auraient migré, selon ces deux auteurs, à partir de Kököli (l’Ouest de Gaoual) vers la côte sous la conduite de Manga DIBI. C’est ce patriarche qui aurait donné à la nouvelle région d’arrivée des Landouma, le nom de Kakandé qui signifierait « quand on a vu une fois ce pays on ne le quitte plus ».

LES NALOU

Pour Zainoul A. SANOUSSI (1969), même si l’on ne connaît pas la date d’arrivée des Nalou le long des côtes guinéennes, il y aurait au moins une certitude : les portugais auraient signalé leur présence depuis le XVème siècle.

Les Nalou auraient séjourné au Foutah Djalon aux environs du XIIIème siècle comme les Landouma et les Baga et auraient été refoulés vers la côte par les Dialonké aux environs du XIVème siècle. Du Foutah Djalon , il y aurait eu deux vagues de migration des Nalou.

La première vague se serait dirigée vers le Badiar (à la lisière des frontières de la Guinée, du Sénégal et de la Guinée-Bissau) à la suite des affrontements avec les Dialonké. De nos jours, aucune étude ne permet de savoir ce que cette vague serait devenue. On peut penser que ce groupe aurait été assimilé, mais il est impossible à ce niveau de connaissance de dire lequel des groupes vivants dans cette zone l’aurait fait.

La seconde vague aurait quitté le Foutah Djalon, bien plus tard aux environs du XVIIIème siècle. Ce serait ce groupe qui serait arrivé dans le Kakandé (Préfecture de Boké). Chez les Nalou comme chez les Baga, on noterait plusieurs sous-groupements. Ainsi, on parlerait, selon Rouguyatou DIALLO (1974)[25] de :

  • Nalou Basintyé (les Nalou de la terre ferme) ;
  • Nalou Babiniké (les Nalou des rizières) ;
  • Nalou Kubu ;
  • Nalou Köööl, etc.

Cette différenciation à l’intérieur du même groupe, comme on a pu le constater ailleurs, est le résultat de la migration à des périodes différentes et à des effets environnementaux et sociaux sur chaque vague de migration.

LES POPULATIONS DU NORD DE LA GUINÉE

LES TANDA

Toutes les populations du Nord de la Guinée sont-t-elles des « Tanda » ? Pour Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972)[26] la réponse est affirmative. Pour ces deux auteurs, le terme « Tanda » est donc générique et sert à désigner un groupe de population qui regrouperait les Könyagui, les Basari et les Badiaranké.

Le mot serait aussi un mot peul et serait donc, selon TECHER, cité par Naye DYENG et Mundekeno SAA, la désignation en pular des populations présentant certains caractères communs : des personnes qui se promènent le torse nu[27].

Pour ces auteurs, il y aurait plusieurs catégories de Tanda. Le premier groupe serait les Bassari qu’ils nomment aussi « Tanda Donka » ou porteurs de fourreaux (l’étui en bambou est appelé dönka). Le second groupe serait les « Tandas Mayo » (Tanda du fleuve en pular). Ils parleraient la même langue que les Bassari. Un troisième groupe serait constitué des « Tandas Boeni » (ou Tanda du rocher). Le quatrième groupe serait les « Tandas Badi » (Tanda de la moitié) qui habiteraient dans le N’Gamu dans le Sud-Est des provinces orientales de Tambakunda (République du Sénégal). Le cinquième groupe serait les « Tandas Ban’dé » et habiteraient le Sud-Est du cercle de Kedougou (République du Sénégal).

La plupart des auteurs consultés par Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972), comme RANCON (1894), TECHER (1933), André ARCIN (1911) partagent l’idée que les Bassari et le Cönyagui seraient venus dans leurs sites actuels en deux vagues : avant l’arrivée de Koli Tenguella et juste après son passage dans la région. Ils auraient été des acteurs importants dans l’armée de ce dernier lors de sa conquête du Tekrur.

Les membres de la première vague auraient d’abord séjourné dans le Damantan (République du Sénégal) avant de se fixer dans le Nord de la Guinée entre les territoires d’habitation des Tanda et des Bassari (entre les Préfectures de Koundara et de Mali). La seconde vague aurait été sur le sillage de la migration de Koli Tenguella. Pour DELACOUR (1947), cité par Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972), « l’arrivée des Tanda dans la région qu’ils occupent actuellement date de 1522, date à laquelle ils vinrent à la suite de Koli Tenguella parti du pays Mandé ».

Les Bassari seraient venus de l’empire du Ghana vers le XVIIème siècle et se seraient installés dans plusieurs parties du Foutah Djalon avant de se fixer dans leur habitat actuel (en partie en Guinée et en partie au Sénégal) c’est-à-dire à la lisière de la frontière Guinéo-sénégalaise. Selon GIRARD (1993:43), ces derniers se dénomment eux-mêmes les « Be-liyan » signifiant « les fils de la pierre » (de la latérite) alors que se fondant sur des notes de TAUXIER, FERRY (2000) donne pour sa part l’étymologie basar, c’est-à-dire lézard. Pendant longtemps, ils ne pratiqueraient que la chasse. Reprenant la narration de Monique de LESTRANGE (1955), Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972) affirment que :

« Les Bassaris et les Coniaguis et d’autres familles établis dans le haut N’Gabou ont eu leur berceau sur les bords du Niger qu’ils ont abandonné avec la grande migration de Koli-Tenguella vers le XIVème siècle. Cette émigration s’est répandue dans toute la vallée du Haut Sénégal, et un groupe principal est descendu dans le Foutah Djalon ».

Les Köniagui, eux, se désignent par le terme de « AWOEN » et parlent la langue « Wamëy ». Ils seraient venus de l’empire du Ghana, bien avant la plupart des populations actuelles de la Guinée. Djibril Tamsir NIANE, dans son ouvrage intitulé « Koli Tengella et le Tékrour », relatant l’épopée victorieuse de ce héros peul mentionne la présence des Könyagui dans la région de Koundara dès le XVIème siècle.

Les Badiaranké, eux, seraient apparentés aux Bassari et Koniagui et sont installés sous et sur la montagne du même nom qu’eux : le mont badiar. Pour Lestrange de LESTRANGE (1955: 1)[28], la désignation Badiaranké « semble avoir été donnée par les Peuls » et signifierait : « captifs des Peuls ». Cette version est manifestement erronée, car dans le mot « Badiaranké » il n’existe pas dans le préfixe, ni dans la racine ni dans le suffixe une composante du mot captif en pular (Matyoudho, esclave ou Djéyadho qui appartient à quelqu’un).

Pour d’autres historiens, les Badiaranké ne seraient qu’une dénomination locale des « mandinko » de l’empire du Gabou qui eux-mêmes ne sont que le résultat de la migration mandingue avec le métissage des populations diolas de la région de Casamance. Ne serait-il pas possible de considérer le nom « Badiaranké » comme l’expression de ceux qui sont au Badiar (la montagne sur laquelle et autour de laquelle ce peuple vit).

Dans leur Mémoire de Fin d’Etudes Supérieures, Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972), signalent un autre point de vue non moins importante tiré d’un auteur portugais du nom de L. CORRELA qui défend que les Badiaranké « seraient issus du métissage entre les ‘les Tilibanos (mandingue)’ arrivés dans la région vers 1800 sous la direction de Tramane SANE et des Coniaguis autochtones ». Cependant, le fait que les Badiaranké soient les seuls groupes ethniques de Guinée qui, tout en portant le nom de famille du père, se réclame du lignage de la mère devrait inciter à plus de prudence sur le lien entre Badiaranké et Mandinko.

Ce que cette historiographie laisse dans l’ombre est le processus par lequel la différenciation s’est faite entre des populations qui seraient identiques et qui vivent sur des territoires contigües. Comment des populations, appartenant au même groupe (disons Tanda pour faire simple), sont devenues Könyaguis, Bassaris et Badiaranké ? Une thèse en histoire sur le sujet ne serait pas vaine.

LES POPULATIONS DU CENTRE ET DE L’EST DE LA GUINÉE

LES DIALONKE

Tous les historiens de la Guinée s’accordent à dire que les Dialonké seraient arrivés au Foutah Djalon autour du XIème siècle. Il semblerait, selon Cheick Sidy Mohamed DIALLO (1975), que la première vague migratoire des Dialonké daterait de 1250 et se serait passé à l’intérieur de l’empire du Ghana. Cette première vague, selon GAUTIER (1908), aurait été mal accueillie par les Bambara qui peuplaient le Soudan Méridional La seconde vague migratoire serait consécutive à la victoire de Soudiata KEITA sur Soumangourou KANTE après la bataille de Kirina en 1235.

On retrouve le même point de vue dans les écrits de KANTE (1995) qui date la migration des Dialonké de l’actuel territoire de la République du Mali à partir de la bataille de Kirina en 1235 entre Soundiata KEITA et Soumangourou KANTE, le roi du Soso.

La seconde migration des Dialonké serait consécutive à la victoire des musulmans contre les non-musulmans lors de la bataille de Talansan en 1725. Après cette bataille certains se seraient dirigés vers la côte guinéenne et auraient rejoint des populations qu’ils avaient eux-mêmes repoussées auparavant. D’autres sont restés au Foutah Djalon et se sont convertis à l’Islam au Sud et au Centre du Foutah Djalon. D’autres seraient allés vivre dans le Nord-est (Saré Kindja dans la préfecture de Koubia, Ganfata dans la préfecture de Tougué et surtout Balaki-Sangalan dans la Préfecture de Mali) qui en se soustrayant (le cas de Balaki-Sangalan), qui en se soumettant de façon lente et progressive à l’autorité du Foutah Djalon et à la nouvelle religion; d’autres, enfin, seraient allés vers la région actuelle de Faranah et de la Sierra Leone où ils vont fortifier le Solima en une province assez solide et qui pendant longtemps se constituera en un « état vassal » au Foutah-Djalon.

De nos jours, on peut schématiquement distinguer quatre zones d’habitation des Dialonké en Guinée :

  • Un groupe de Dialonké vit encore au Foutah Djalon (Koubia, Tougué, Mali et Gaoual) avec une identité Dialonké réelle, même si plusieurs parmi eux sont locuteurs de deux langues : la leur et le pular ;
  • Un second groupe de Dialonké a été absorbé par les Peul er parfois n’ont aucune conscience d’une autre identité que celle Peul ;
  • Un troisième groupe vit dans la région de Faranah. Ces Dialonké utilisent souvent deux langues : la leur et le maninka ;
  • Un quatrième groupe vit en Basse Guinée et particulièrement à Conakry et revendique une identité Soussou.

LES PEUL/FOULACOUNDA/TOUCOULEUR

Les Français disent le « peul » ou « poular » pour désigner ce groupe humain qui se désigne lui-même par « pullo » au singulier et « fulbhè » au pluriel et ils disent parler du « pular ». Il semblerait que le mot « peul » leur aurait été attribué par les Wolof avant d’être repris par les français.

Il n’y a pas de consensus entre les chercheurs sur la date exacte de la première migration des Peul au Foutah Djalon. Les documents historiques disponibles notent deux vagues migratoires de Peul en Guinée. Ces deux vagues sont venues en des périodes éloignées les unes des autres dans le temps et à plusieurs endroits.

Les premiers Peul non islamisés nommés puuli[29]  auraient migré sur le territoire actuel de la Guinée en de petites vagues à partir du IXème siècle. DIALLO (1975 : 30) affirme que c’est vers le XIIIème siècle que la migration des Peul animistes prendra de l’ampleur pour devenir massive autour du XIVème siècle. Du Sahara, ils auraient atteint le Bambouk à partir duquel le groupe se scinde en deux : les premiers se dirigèrent vers le Ouassoulou et les seconds longèrent les vallées du Tinkisso et du Bafing pour atteindre le Foutah Djalon.

Pour certains historiens comme ES SADI, dans son « Tarrech es sudan », Tenguella, père de Koli, avait rallié à son bord les « arbe » (pluriel de ardo) « feroobe, wolarbe et uururbe et tous les yaalalbe » (pluriel de jaalaalo) de son clan pour se tailler un empire dans le Kingi (le Fuuta Kingi) au nez et à la barbe des Askia Sonray. L’armée de l’Askia, commandée par, son frère Amar, marcha contre Tenguela le père et le poursuivit jusqu’à Diâra, où elle le défit et le tua en 1512. C’est après la mort de son père que Koli Tenguela[30] va récupérer les troupes qui restaient de son père pour rappliquer à l’Ouest au Tekrur, en passant par le Foutah Djalon. Dans cette contrée, il va mettre en place un Etat avec une capitale située dans l’actuelle préfecture de Télimélé. C’est de là qu’il va lever une armée et remonter vers l’Ouest entrainant avec lui une armée dans laquelle étaient incorporés des Dialonké, des Malinké, des Köniagui, des Baga, des Nalou, des Diola, des Serère, bref tous les peuples trouvés sur le chemin du Tekrur qu’il rebaptisera du nom de « Foutah Tooro »[31]. Le territoire de Tekrur qu’il annexa, il lui donna le nom de Fouta en souvenir du Fuuta Kingi de son père et auquel il adjoignit Tooro, une des provinces du Fouta (KANE, 2004).

Cette remontée et la prise du pouvoir dans le Tekrur en 1552 aura pour conséquence d’imposer sa dynastie (Denyankobé[32]), sa langue (le pular) et la culture Peul à toutes les populations du Royaume. Ce serait ainsi que toute la région du Fouta Tooro devenue majoritairement « foulaphone » Halpulaar’en (ceux dont la langue est le Pular avec une forte dominance Toucouleur).

Plusieurs siècles plus tard (XIXème siècle), El hadj Omar TALL fera le même chemin, mais en sens inverse. Du Foutah Tooro, il descendra au Foutah Djalon, traversera Dinguiraye pour remonter vers le Fouta Kingi pour affronter Hamadou-HAMADOU, et le tuer en 1862, le fils de Sékou HAMADOU et petit-fils de Sékou HAMADOU fondateur de la dynastie des BARRY du MASSINA.

Selon le professeur KANE (2004), auteur du livre: « La première hégémonie Peule : Le Fuuta Tooro de Koli Tenguella à Almaami Abdul », l’assimilation Peul des ethnies du Tekrur aurait commencé avant l’avènement de Koly Tenguela, mais atteindra son point culminant et la plus parfaite intégration ou la « foulanisation » des descendants de la tribu du Tekruri, que sont les Toucouleur (Ly, Sy, Kane, Wane, Tall, Aw, etc.).

La seconde vague migratoire des Peul en direction du territoire actuel de la Guinée est celle de la fin du XVIème siècle jusqu’au XVIIIème siècle. Païens, puis islamisés, des Peul et des Toucouleur quittent les territoires actuels du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie à des périodes de désordre, de guerres avec désormais une nouvelle foi : l’Islam.

Les Peulhs musulmans du Foutah Djalon auraient donc suivi deux voies principales et ce, à des périodes plus ou moins différentes pour arriver, s’installer et se sédentariser et fonder l’Etat théocratique du Foutah Djalon: La voie du Nord venant du Fouta Tooro et du Bundu (essentiellement) et la voie de l’Est venant principalement du Macina.

Ils arrivèrent par groupes et par étapes, les uns passant par les contreforts des montagnes de la Préfecture de Mali, les autres en traversant la Préfecture de Koundara avant de rejoindre les montagnes qui surplombent le fleuve Komba en direction de Lélouma et de Labé et par l’Est en pénétrant dans le Dinguiraye pour rejoindre les vallées de Mamou. Ils vont se fixer en plusieurs points du Foutah Djalon poussant devant eux leurs nombreux troupeaux de bœufs et de talibé (élèves et étudiants). Ils s’y fixaient à leur tour en faisant ce que d’autres avaient fait avant eux : refouler certains et absorber d’autres.

Selon Cheick Sidy Mohamed DIALLO (1970)[33], ces différentes vagues migratoires se faisaient en famille et en clan. De l’Est, principalement du Macina vont arriver les Dayèbhè[34] (BARRY) qui vont s’installer en lignage : les Seydiyanke à Timbo (Préfecture de Mamou) et les Seriyankebhè à Fougoumba (Préfecture de Mamou). Les Férobhè (SOW) vont s’installer dans Kébali non loin de Fougoumba et de Timbo. Certaines de ces vagues se seraient installées elles dans l’actuelle préfecture de Tougué (ce sont les Koulounnanké Balla et Simpé). Les Ururbhè vont s’installer dans deux endroits différents en fonction des clans : les Koulounnabhe à Koïn (Préfecture de Tougué) et les Helâyâbhe à Timbi-Touni (Préfecture de Dalaba).

Les Irlabhé (DIALLO) et une partie des Ururbhé, quand à eux sont arrivés par le nord. Les DIALLO vont se repartir en lignage. Les Khaldouyabhè vont occuper région du Nord de Labé, un autre lignage « Diâlobhe » va s’installer dans le Kolladhe (Préfecture de Tougué), Kankalabé (Préfecture de Dalaba) et Timbi-Madina (Préfecture de Pita) et un troisième lignage « Thimbobhè » va s’installer dans Bhouria (Préfecture de Mamou).

Parmi cette vague, d’autres, après avoir séjourné dans le Foutah Djalon, l’ont quitté pour continuer leur chemin vers d’autres localités et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest. C’est le cas des Peul du Nigéria dont certains seraient partis de Sokoto dans la Préfecture de Mamou pour se retrouver après une très longue migration dans l’actuelle République Fédérale du Nigéria.

La question qui n’est pas réglée est le cas des « Foulacounda » ou « Foulakounda ». Les Foulacounda sont-ils le reliquat des Puuli (les premiers Peul animistes venus les premiers au Foutah Djalon) ou une autre vague migratoire ? Etymologiquement, le terme « Foulacounda » ressemble à un mot composite de « Foula, pour désigner les Peul » et « Counda qui pourrait signifier un diminutif de Koundara ». Pour Alvares de ALMADA (1594 : 54), cité par Gérard GAILLARD (2000)[35] les FulaKunda sont des groupes descendants de captifs ou d’assimilés « sujets du Mandingue ». Cette version est reprise, selon Gérard GAILLARD (2000) un demi-siècle plus tard par Richard JOBSON (1623) qui l’atteste en disant des Fulakunda, « des Fulbies, vivant sur les bords de la Gambie et tout à fait assujettis aux Mandingos ».

Pourtant, il y a une autre version qui dit que les Fulakanda sont le résultat du métissage entre agriculteurs noirs-africains et pasteurs berbères dans le Tekrur. Ce groupe de base s’est éparpillé jusqu’en 1460 quand un groupe armé dirigé par DIALLO Demba bat les Wolofs et les Banhung, traverse le Haut-Sénégal et la Gambie et atteint le Rio Grande où elle est finalement écrasée par les Biafada (NIANE, 1989: 55)[36]. DIALLO Demba tué, son armée détruite, « les survivants ont dû se regrouper, non loin de là, vers le Foutah Djalon. Cette dispersion première serait, selon AMSELLE (1989: 77) à l’origine d’une nouvelle aventure politique et d’une refondation ». Les Fulakunda seraient donc le reste de cette armée d’invasion qui est restée aux confins Nord de la Guinée, à la lisière de la Guinée-Bissau et du Sénégal.

LES PEUL DU OUASSOULOU OU LES « WASSOULOUNKE »

Selon CISSE (2000) dans le Tome 2 de « La grande geste du Mali, citant l’histoire orale du Mali de Wâ Kamissoko », les Peul du Wassoulou (zone à cheval entre la République du Mali, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire) auraient migré du Fouladougou[37] (dans l’actuelle République du Mali) pour fuir les guerres perpétuelles de l’armée de Bintou Mari KOROMA.

Ils se seraient dispersés en trois vagues : certains seraient restés à Fouladougou, d’autres se seraient implantés à Brigo et la troisième vague serait descendue plus au Sud pour fonder le Ouassoulou ou Wassoulou. Ce terme serait une prononciation en un seul mot du groupe de mots « Wa solon ou Oua Solon » qui signifie en bamanakan[38] (aller se confier). C’est ce dernier groupe de migrants peul qui va se disperser en deux : l’un va rester dans le Ouassoulou et l’autre descendra plus au Sud. Ces derniers sont les Peul animistes du groupe de Koli Tenguella. Ce point de vue est aussi celui de KOUYATE (1978 : 29)[39] qui dit :

« L’arrivée des Peul au Wassulu se situe à la même période que l’invasion des Peul animistes dans le Foutah Djalon sous le commandement de Koly Tenguela au XVème siècle ».

DEVEY (2009 : 32), Géographe et historienne va dans le même sens dans son livre intitulé « La Guinée » quand elle écrit :

« Le Wassoulou: vaste territoire Peul  occupé jadis par les Bambara, qui s’étend sur les rives du Sankarani entre le Mali, la Guinée et la côte- d’Ivoire ».

Les Peul du Wassoulon sont donc ces Peul sédentarisés, devenus agriculteurs[40] qui se sont fortement métissés avec les Malinké et auxquels ils ont emprunté la langue et certaines normes culturelles tout en gardant leur patronyme (Diallo, Diakité, Sidibé et Sangaré) et aussi certains traits forts de leur identité ethnique peul. D’ailleurs les griots du mandingue ne se trompent pas lorsqu’ils disent, pour vanter les Peul du Wassoulou, « Bugutudu ani Bugubô, Fila sinani, Djatra sinani »[41].

Les Wassoulonké se désignent Peul et les Malinké, avec lesquels ils vivent en harmonie, les désignent comme des Peul. Lors des cérémonies comme le mariage, le baptême et autres activités sociales, la part (viande, colas et autres biens symboliques) dédiée aux Ouassoulonké dans le manding est celle de tous les Peul qu’ils soient du Oassoulou, du Foutah Djalon, du Macina ou du Foutah-Tooro.

LES DIAKANKE ET LES SARAKOLLE

Les Diakanka et Sarakollé ont aussi migré au Foutah Djalon. Ils seraient des Soninké qui auraient migré de Dia (village de Macina). Ils auraient transité dans Djambokhoum (République du Mali), à Bambouk (Sénégal) vers le XVIème siècle en fondant le village de Diackaba dans ce pays. Il semble que de ce village, ils se seraient dispersés vers les autres localités des pays limitrophes du Mali (Guinée, Gambie et Côte d’Ivoire).

La communauté Diakhanké[42] s’articulerait autour de quatre clans : SOUARE, DRAME, GUIRASSY, FADIGA. Ces quatre clans sont appelés les quatre foyers ou (boloun naano ou boulou naano)[43]. À ces quatre clans se seraient ajouté les DIAKHITE-KABA, les SYLLA, les GASSAMA-DIABY, les DANSOKHO, les DIAKHABY, les SAVANE, les BADIO, les SAKHO, etc.

L’installation des Diakanka au Foutah Djalon est relativement récente et correspondrait à la prédominance des Peul et de l’Islam. Pour l’essentiel, les professeurs d’Histoire de l’Institut Gamal Abdel Nasser disent que : « les Diakanka s’installeront au Foutah Djalon dans de gros villages, à l’abri et sous la protection des Peul avec lesquels ils développeront des relations de cousinage assez poussées ». On les retrouve nombreux un peu partout, particulièrement dans le Koubia, Tougue, Mamou, Mali, Dalaba, Gaoual et Koundara.

LES MALINKE

NIANE (1960), parlant de l’occupation du Manding, affirme que « toutes les traditions malinké attestent que la terre était déjà occupée, les premiers occupants n’étaient pas de race manding ». Les Korogba auraient précédé les Malinké en Haute Guinée. Les Bambara et les Dialonké auraient aussi précédé les Malinké avant d’être refoulés plus au nord, pour les premiers et vers l’ouest pour les seconds, sous le règne de Soundiata KEITA. Lors de la fondation de l’empire du Mali[44], Soundiata KEITA pour vaincre Soumangourou KANTE parvient à unifier les différentes tribus Malinké (KEITA, KONDE, TRAORE, KOUROUMA, CAMARA), à rassembler sous son commandement les armées de différents petits royaumes en lutte contre l’empire Soso avant de sortir victorieux.

A la suite de cette victoire, Soundiata KEITA va étendre son empire sur une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. C’est son expédition militaire la plus éloignée qui ira détruire les états dans le Sine (actuel Sénégal) et établir, en se métissant aux populations locales (les Diola), l’Etat du Gabou (qui va couvrir l’intégralité de la Guinée-Bissau, la Casamance, la Gambie et la partie nord de la Guinée, Gaoual et Koundara) (Sékéné Mody CISSOKO, 1981)[45].

A partir des XVème et XVIème siècles, la chute de l’empire du Mali accélère la migration des Malinké qui s’installèrent dans les régions septentrionales de l’actuelle Côte d’Ivoire et plus au Sud de la Guinée dans la région actuelle de la Guinée Forestière. Une région dans laquelle ils vont se métisser aux Kpèlè pour donner les Konianké et avec les Loma pour donner les Toma-mania.

LES MANINKA-MORY

Les Maninka-Mory, dont les actuels noms de famille sont CISSE, DIANE, KABA, SANOH seraient d’origine Sarakollé du Moyen-Niger dans le Ghana. Après la disparition de l’empire du Ghana par suite d’un dessèchement progressif du désert et des attaques armées des almoravides, les Sarakollé se dispersèrent.

Ils seraient arrivés dans l’actuelle préfecture de Kankan autour du XVIIème siècle. Et selon les traditions écrites de Kankan, les Maninka-Mory sont originaires de Diafounou (Soudan). A la suite de guerres, ces « Diafounounké » quittèrent leur pays et vinrent demander l’hospitalité aux tribus malinké du Haut-Niger (en particulier aux KONDE qui occupaient la région de Kankan). Les Malinké accueillirent les nouveaux migrants qui finirent par se créer une province[46] à l’intérieur du Manding : le Baté[47] Géographiquement, le Baté longe le fleuve Milo avec 12 villages dont les principaux sont : Kankan, Karafamoudouya, Nafadji, Bakonko, Fodécariah.

Ces Sarakollé adoptèrent le malinké comme langue et apportèrent avec eux l’Islam d’où le nom qu’on leur donna: Maninka-Mory (ce qui veut dire marabouts des Malinké). Certains de ces Maninka-Mory, en particulier des TURE, YANSANE et FOFANA, quitteront Kankan vers la fin du XVIIIème siècle à la suite de démêlées avec Burama KONDE (un farouche animiste), traversent le Foutah Djalon, le Kanya, le Sumbuya pour s’échouer sur les bords du Kissi-Kissi (le Morya). Ce sont leurs descendants qui sont dans les préfectures de Kindia et de Forécariah auxquels la communauté soussou leur a donné le nom de : Moryanais. D’autres feront une courte migration et s’arrêteront entre Bissikirima et Dabola. Les plus nombreux, les KABA, SANOH, DIANE, CISSE, sont restés dans le Baté.

LES KONIANKA

De même que les « Toma-manian » sont le croisement culturel des Malinké et des Loma, les Konianka seraient, selon Ibrahim Kalil TURE (1973)[48] le croisement entre Malinké et Kpèlè. Selon Ibrahim Kalil TURE, à la chute de l’empire du Mali et des désordres qui s’en sont suivis, il y a eu deux grandes vagues migratoires en direction de la région forestière.

La première concernait en majorité des KONDE et des KURUMA qui auraient repoussé des Djalonké plus en profondeur dans l’actuelle préfecture de Faranah et un peu plus en profondeur dans le Foutah Djalon.

La seconde vague migratoire était composée davantage de KEITA et de KAMARA. La rencontre entre les deux communautés Malinké dans la forêt et les Loma (à l’époque où la forêt couvrait très certainement les préfectures de Beyla, de Kérouané et de Kissidougou) donna naissance deux nouveaux groupes humains : les Konianké et les Toma-mania.

LE SUD DE LA GUINEE (KISIA/LOMA/KPELE)

Les Kisia, les Loma et les Kpèlè habitent, très majoritairement, dans la région dite forestière de la Guinée. M’Bala Friki CAMARA (1980 : 9)[49] partage l’idée selon laquelle, c’est l’assèchement du Sahara qui aurait poussé les populations qui habitent la région forestière de la Guinée à redescendre vers le Sud. Il ira jusqu’à affirmer que dans cette région (le Sud de l’Afrique de l’Ouest) ne vivait aucune population avant le dessèchement du Sahara.

LES KISIA

Aly Gilbert IFFONO (1975)[50] dans son mémoire de Diplôme d’Etudes Supérieures avoue d’abord que le pays d’origine des Kisia reste peu connu. Cet aveu fait, il soulève les différentes hypothèses et en discutent la pertinence et la cohérence. Il prend appui sur deux versions.

La première fait descendre les Kisia de Fa-Magan, un roi vaincu par Soundiata KEITA en 1228 et qui aurait migré avec sa famille et se serait senti sauvé en arrivant à la lisière de la forêt et aurait déclaré en maninkaka « Mbara kissi ». La seconde version affirme que les Kisia sont des migrants qui ont dû se battre avec les mains nues pour vaincre des populations trouvées sur place (entendez la région d’habitation actuelle des Kisia). Les vaincus auraient donné aux vainqueurs le nom de « Kisi-Kisi » : une expression qui désigne ceux qui les auraient refoulés.

Analysant ces deux hypothèses, Aly Gilbert IFFONO (1975) arrive à la conclusion qu’elles souffrent de plusieurs lacunes. Par exemple, Aly Gilbert IFFONO (1975) se demande, avec beaucoup de justesse, comment expliquer que les descendants de Fara-Magan parlent une langue différente de celle de leur origine ? Pour la seconde hypothèse, il constate que celle-ci ne dit pas d’où viennent les Kisia, même si la version dit comment ils se sont installés. La conclusion à laquelle est parvenue Aly Gilbert IFFONO (1975) est qu’au XIIIème siècle les Kisia étaient déjà dans la région qu’ils occupent actuellement. Cette thèse n’est pas celle de SURET-CANALE (1971 : 173)[51] qui affirme de son côté que les Kisia :

« Chassés au XVIIème siècle du Sud-Est du Foutah-Djalon par les Dialoké, les Kisia étaient originairement des cultivateurs semi-nomades dont la culture fondamentale était le fonia ».

Quelle que soit la période d’arrivée et d’installation des Kisia dans leur lieu d’habitation actuel, on peut être d’accord avec Aly Gilbert IFFONO (1975) pour dire que le mouvement migratoire des Kisia s’inscrit dans le vaste mouvement migratoire des populations Ouest-africaines consécutif au desséchement du Sahel, à l’invasion et à la destruction de l’empire du Ghana. La particularité de ce mouvement réside dans le fait que les Kisia semblent être avec les Mandeyi et, semble-t-il les Baga, les populations guinéennes qui ont fait la trajectoire Est-Ouest-Sud. C’est-à-dire du Sahel vers le Foutah Djalon avant de redescendre vers le Sud de la Guinée et à la côte pour les Mandenyi et les Baga.

LES LOMA

Les Loma se désignent eux-mêmes par le nom de « Lomagi ». Il semble que les Loma seraient les plus anciens établis dans la région forestière. Pourtant, certains des historiens qui ont travaillé sur la mise en place des Loma, comme Facinet BEAVOGUI (1975 : 11)[52], sont catégoriques : « le pays d’habitation actuel (la préfecture de Macenta) n’ pas été le premier où ils auraient habité ». Pour cet auteur, les Loma auraient migré du Nord vers le Sud, de la région de Kérouané et de Beyla vers Macenta. Pour arriver à cette affirmation, Facinet BEAVOGUI (1975) se serait appuyé sur les traditions relatées par les populations et les documents produits par les missionnaires et les explorateurs.

Selon Facinet BEAVOGUI (1975), les Loma auraient été refoulés du triangle de Kérouané, Beyla et Kissidougou par la migration Malinké autour du XIIIème et du XIXème siècle. Cette migration Malinké et la cohabitation avec les Loma aura comme conséquence la création d’un groupe nouveau : Les Toma-Manian qui sont le résultat d’un métissage culturel et biologique entre les deux communautés.

LES KPELE

Le mot Kpèlè signifierait le pays. Le pluriel de Kpèlè donnerait Kpèlègha et au singulier Kpèlèmum qui signifierait : Kpèlè pour pays et « mum » pour personne. On peut donc dire que Kpèlèmum serait un terme qui désigne « une personne du pays ». Les Kpèlè disent parler la langue Kpèlèwoo.

Dans le souvenir collectif des Kpèlè relaté par CAMARA (1980 : 22), ils disent être « tombés du ciel entre Böola et Beyla ». Mais puisque nous savons que personne ne tombe du ciel, on peut dire que la région de Beyla serait le souvenir, non encore oublié, de la migration Kpèlè vers les préfectures de N’Zérékoré, de Yomou et du Libéria. La migration Kpèlè vers la zone forestière résulterait du même mouvement qui a poussé celle des Loma : la migration Malinké avant la fondation de l’empire du Mali et plus après sa chute.

LES DJÖÖTAMUM, LES KÖLÖGHA ET LES MANOO

Les Djöötamum et les Kölögha sont des populations qui ont presque totalement disparu. Elles ont été absorbées linguistiquement et culturellement par les Kpèlè avec lesquels ils partagent la même langue, à quelques exceptions près, la culture et la zone d’habitation.

Les Djöötamum sont un groupement humain dont la décomposition du nom donnerait, selon Pépé Pierre CAMARA (1970)[53], Djöö pour descendant, töö signifierait ancêtre et mum, la personne. Cette combinaison signifierait que les Djöötömum sont les personnes descendantes des ancêtres. Ils parleraient le Djööwötawoo qui serait une variante du Kpèlè. Ils habitaient à l’Est de la préfecture de N’Zérékoré et dans une partie de la Côte d’Ivoire. De nos jours, ils se confondraient aux Kpèlè, pour ceux qui vivent en Guinée.

Les Kölögha est le pluriel de Kölömum qui, décomposé, donnerait, selon Pépé Pierre CAMARA (1970), pays (Kölön) et personne pour le suffixe mum. Les Kölögha habiteraient dans la même zone que les Djöötamum. Eux aussi ont pratiquement disparus.

Les Manoo sont un groupement humain qui, par décomposition donnerait : manon pour pays et mum pour personne. Manomum serait le pluriel de Manoo. Il semblerait que c’est par déformation que les Manoo sont appelés par le terme de Manon. Ils occuperaient, selon Jerome DELAMOU (1979)[54], le Sud et le Sud-Est de la Guinée Forestière et surtout au Libéria où ils seraient plus nombreux qu’en Guinée.

CONCLUSION

Nous sommes au terme du présent article. Pour conclure cette longue et fastidieuse revue de l’occupation, nous allons tenter de répondre aux questions de départ qui ont motivé le présent travail.

La première question que nous nous étions posée était de savoir comment la Guinée a-t-elle été peuplée ? Les lectures faites et les synthèses réalisées permettent de dire que la migration a été la principale source première du peuplement de la Guinée. Pour l’essentiel, les populations qui peuplent le territoire actuel de la République de Guinée sont des populations migrantes. Elles le sont au même titre que tous les peuples noirs de l’Afrique de l’Ouest. Contrairement à la croyance populaire, ces mouvements migratoires ne sont pas tous linéaires et les populations ne se sont toutes fixées définitivement au même endroit. Pour l’essentiel, cette grande zone qui va des territoires actuels du Sénégal, de la Gambie, de la Mauritanie, de la Guinée-Bissau, de la Guinée, du Mali, du Burkina, du Niger et une bonne partie du Nord du Nigéria et du Sud de l’Algérie et du Maroc était une zone de circulation d’hommes, d’idées et de marchandises.

D’où venons-nous ? Les travaux de Maurice DELAFOSSE, de Cheick Anta DIOP et de Djibril Tamsir NIANE ont établi, suffisamment, cette route migratoire à partir du Ghana. L’assèchement du Sahara suivi des légendaires sécheresses qui s’abattirent sur l’empire du Ghana, les multiples et longues guerres des empereurs, les invasions des Almoravides (Ghana en 1076 et autres conflits de l’époque) essentiellement pour des raisons politiques et économiques et les guerres intestines au sein des entités politiques (empires, royaumes et autres structures politiques) sont parmi les causes de ce vaste mouvement migratoire qui a traversé l’Afrique de l’Ouest du VIIIème au XIXème  siècle.

En fait, tous les groupes humains qui peuplent la Guinée proviendraient des éclatements successifs des empires médiévaux et des Etats/Royaumes qui se sont effondrés dans la longue marche de l’histoire des peuples de l’Afrique de l’Ouest. Tous ces groupements humains seraient venus, par vagues successives, parfois distantes de plusieurs siècles, en suivant divers chemins avant de s’installer dans une seule et parfois dans plusieurs régions de la Guinée. Pour l’essentiel, nous venons tous, à des périodes différentes, de cette région du Sahel et/ou du Sahara. Comme moi, chaque guinéen peut retrouver la trajectoire migratoire de sa famille.

Qui en sont les premiers et les derniers occupants ? Difficile de le dire avec exactitude. On peut admettre que parmi les populations qui vivent encore sur le territoire dénommé « République de Guinée », les Mandenyi et les Loma seraient les plus anciennement établis. On pourrait aussi continuer à égrener l’ordre d’arrivée de tous les autres comme pour établir un ordre de préséance. Pourtant, à y regarder de près, ceux qui revendiquent de « l’autochtonie » s’avèrent toujours, peut-être sans le savoir, des allogènes par rapport à d’autres. Peut-être que tout le groupe n’est autochtone, mais la personne qui parle et qui revendique son « autochtonie » devrait regarder son histoire familiale, sa généalogie avant de revendiquer un statut qui n’est peut-être pas le sien.

Et puis, un « autochtone » n’a de droit de préséance que sur le sol qu’il occupe et/ou qu’il exploite. Le reste de la terre appartient à Dieu, si on est croyant ; à l’Etat si l’on est partisan de Thomas HOBBES ; à celui qui la met en valeur si l’on est partisan de John LOCKE et à personne si l’on en croit Jean-Jacques ROUSSEAU.

Certes, nous ne sommes pas venus tous à la même période. Certains sont venus avant les autres, d’autres sont venus après d’autres, d’autres enfin sont venus plus tardivement que la plupart des uns et des autres. Mais nous sommes tous venus en Guinée avant le 2 octobre 1958, la seule date qui permet de distinguer le Guinéen et l’étranger. Car c’est à cette date que la Guinée a cessé d’être « française » pour être « guinéenne ». Et même cette date, la loi permet de devenir « Guinéen » après elle.

Qu’il me soit permis de demander à ceux qui fixent la date de la « Guinéité », d’indiquer la date historique de migration qui intègre et/ou exclut, la date à partir de laquelle un groupe pourrait être moins « Guinéen » que les autres « Guinéens ». Cette question est d’autant plus importante qu’il semble qu’en 2014, on pouvait penser qu’après « l’ivoirité » en Côte d’Ivoire et ses affres politiques, sociaux et économiques ; l’avènement du « kényan » Barack OBAMA à la présidence des USA, du « hongrois » SARKOSY à la présidence dans le « royaume républicain » de la France, du « catalan » VALLS à la primature du même pays, de la « madrilène » HIDALGO à la mairie de la ville lumière, Paris « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! »[55], on épargnerait à la Guinée la question de la « Guinéité ».

Quel chemin avons-nous emprunté ? Pour l’essentiel, les populations qui habitent le Foutah Djalon, la Basse Guinée et certaines localités de la Guinée Forestière ont toutes transité par les montagnes du Foutah Djalon en empruntant, presque, les mêmes chemins : les contreforts du mont Loura, les collines escarpées entre Dinguiraye et Tougué avant d’aller vers le Centre, l’Ouest ou le Sud.

Celles qui auraient passé par le Centre ont certainement traversé Labé, Pita, Télimélé et/ou Gaoual avant de se rendre au bord de l’Océan Atlantique. En allant vers le Nord-Ouest, elles ont arpenté les montagnes de Guingan et de Termessé avant de fouler le sable de Youkounkoun, de Koundara, de Saréboido, de Koumbia avant de marcher sur les sols « bauxitiques » de Wédoubourou, de Sangarédi et de Boké. Celles qui ont emprunté le chemin de l’Est ont dû souffrir sur le Bowal de Koubia et les vallées escarpées qui coupent le chemin entre Koladhè et Ditinn, les pentes qui bordent Dinguiraye et les collines sur le chemin de la Guinée Forestière.

Qui a fait quoi à qui, comment et dans quelle circonstance ? A cette interrogation, les mouvements migratoires montrent que chaque groupe a repoussé son ou ses prédécesseurs avant de subir le même sort par un nouveau groupe. Ces mouvements migratoires enseignent que la plupart des populations qui vivent actuellement en Guinée ont trouvé d’autres populations qu’elles ont refoulées avant de se faire refouler par une autre vague migratoire : chacune a été accueillie, tolérée et installée par la précédente, a collaboré avant de s’opposer à celle qui l’a précédée, l’a vaincue en attendant de subir le même sort plusieurs siècles plus tard par des nouveaux arrivants.

Les Soussou ont repoussé les Mandenyi. Les Nalou, Baga, Landouma ont été repoussés par les Dialonka vers la côte avant de les rejoindre sous la poussée des Peul convertis à l’Islam. C’est aussi les Dialonka qui auraient refoulé les Kisia vers la Guinée Forestière qui eux-mêmes ont repoussé d’autres pour s’installer.

Les Bambara et les Dialonka ont été repoussés de la Haute Guinée par les Malinké triomphants. En descendant plus au Sud, les Malinké ont aussi repoussé les Loma dans le Kerouané et les Kpèlè dans le Beyla. Repoussés par les Malinké, les Dialonka ont aussi, sur le chemin, repoussé d’autres peuples qui habitaient le Foutah Djalon avant de subir le même sort avec l’arrivée du Peul islamisé dans la région.

Qu’il me soit permis de rappeler à tous les Guinéens et à tous ceux qui parlent de la Guinée sans la connaître, qu’il n’y a en Guinée que deux groupes linguistiques (deux familles de langues pour parler comme les linguistes) : le groupe mandé qui regroupe le maninka, le sosoxui, le dialonka, le lomagi, le kpèlèwoo etc. et le groupe atlantique qui regroupe le tanda, le pular, le toucouleur, le kisiéi, le baga, le nalou et même d’autres langues de pays voisins comme le ouolof, le sérère, le diola au Sénégal et le balante en Guinée-Bissau.

On peut donc dire qu’au cours de leur histoire, les groupes humains qui constituent la mosaïque humaine de la Guinée se sont mis en place à la suite de nombreux et vastes mouvements migratoires et de conquêtes. Deux modèles d’implantation ont été observés : soit par brassage, métissage et cohabitation de populations d’origines géographiques différentes ; soit par assimilation ou refoulement plus au Sud (Guinée Forestière) ou plus à l’Ouest (sur la côte) des anciens occupants par les nouveaux venus.

Ces mouvements, ces processus de domination, de libération, d’émancipation, d’absorption et de différenciation, sont le propre de l’histoire des peuples, de tous les peuples. Pour s’en convaincre, il ne faut pas aller loin. Il suffit de lire l’œuvre d’Ibn KHALDOUM, de son nom complet Abou Zeid Abdur-Rahman Bin Mohamad Bin Khaldoun al-Hadrami Muqaddima, « Introduction à l’histoire universelle » et le « Livre des considérations sur l’histoire des Arabes, des Persans et des Berbères ». Dans ces ouvrages, Ibn KHALDOUM dévoile le processus de prise de conscience, de mobilisation, de lutte et de prise de pouvoir et celui du déclin de toutes les dynasties régnantes.

On peut aussi lire l’illustration de ce processus historique dans les deux tomes de Maurice DELAFOSSE sur l’histoire des Empires, Royaumes et Etats dans l’Afrique de l’Ouest. On se rendra compte que tous les peuples qui composent la mosaïque humaine de nos Etats de l’Afrique de l’Ouest ont chacun, à une certaine période, généré des grands hommes et une histoire respectable. Les Soninké (du VIIIème au XIème siècle dans l’empire du GANA) ; les Almoravides ou Berbère (du XIème au XIIème siècle) ; la dynastie Soninké des Askia (1493-1591) ; les Mossis (XIème au XXème siècle) avec l’empire GOURMANTOHE, OUAGADOUGOU, YATENGA et FADANGOURMA ; la dynastie des NIAKATE, des DIAKHATE, DIAGATE, DIARISO et DOUKOURE (XIème au XIIIème siècle) dans le Royaume de DIARA ; la dynastie des DIAWARA (1270 à 1754) dans le Royaume de DIARA ; les Soninké dans le SOSO ou l’empire du KANIAGA (XIème au XIIIème siècle) et les deux KANTE (Diaara et Soumangourou) ; les Malinké avec l’empire du MALI (XIème au XVIIème siècle) et la dynastie des KEITA ; Koli Tenguella BAH dans le TEKRUR (1555 à 1776) ; Le Foutah Djalon et ses Almamy (XVII ème au XIX ème) ; la dynastie des DIALLO (XVème au XIXème siècle) et la dynastie des BARI (1810-1862) dans l’empire Peul du MASSINA ; les Banmana de SEGOU et du KAARTA (XVIIème au XIXème siècle) ; les Toucouleur au XIXème avec El-haj-Oumar TALL et le Royaume Mandingue de Samory TOURE (XIXème siècle).

Nous venons de terminer un compte rendu de lecture sur la mise en place des populations guinéennes. Nous n’avons que le mérite de la patience et de l’écriture. Les erreurs et les confusions que l’on trouvera sont les nôtres, pas celles des auteurs que nous avons cités ni de ceux ont accepté de corriger la version de base.

Si des personnes plus avisées que nous trouvent des incohérences, vous voudrez bien apporter les rectifications, car nous avons pris un risque énorme en écrivant dans un domaine qui n’est pas de notre spécialité et qui est très éloigné de notre époque. Etre rectifié participe au processus d’apprentissages, mais l’insulte est indécente à celui qui a osé.



NOTES

[1]Jean Jacques ROUSSEAU (1775), « Discours sur l’inégalité et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », Bordas, 1985, Collection Univers des lettres Bordas, Paris.

[2]Je suis sociologue et de formation et d’activités.

[3]G. SMETS (1929) ; « Centre international de synthèse », Fondation pour la Science, n°1, 1929 : 89.

[4]G. E. Howard (1904); « A History of matrimonial institutions », Chicago, Londres, University of Chicago Press, volume 3, P : 7.

[5]C’est aussi le moment de rendre hommage à des linguistes, des littéraires et des historiens qui ont accepté de lire et de corriger cet article avant sa publication. A eux, je nous disons merci.

[6]Boubacar BARRY (1975) ; « Monographie historique du Diwal de Koyin, de la mise en place des populations à l’implantation coloniale », DES, IPGAN, Conakry, Guinée. Cet auteur n’est naturellement pas à confondre avec le Professeur Boubacar BARRY de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal).

[7]Djibril Tamsir NIANE (1960) ; « Mise en place des populations de la Haute-Guinée », Recherches Africaines, Conakry. No. 2, avril. 1960. pp. 40-53.

[8]Maurice DELAFOSSE (1912) ; « Haut-Sénégal-Niger, Le pays, les peuples, les langues, l’histoire, les civilisations », Emile Larose, Paris, France.

[9]Zainoul A. SANUSSI (1969) ; « Civilisations et histoire des Nalou, du 18ème siècle à la conquête coloniale française », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[10]André ARCIN (1911), Histoire de la Guinée française, Editions Challamel, Paris.

[11]Demba CONTE (1977) ; « Monographie historique du Moria, des origines à l’implantation coloniale française », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[12]Mahawa BANGOURA (1972) ; « Contribution à l’histoire des Sosoe du XVIème au XIXème siècle », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[13]Jean SURET-CANALE (1970) ; « la République de Guinée », éd. sociales, Paris.

[14]Cheick Sidi Mohamed DIALLO (1975) ; « Contact de civilisations et brassage culturel dans le Foutah traditionnel », DES, IPTJNK, Kankan, Guinée.

[15]M. GAUTHIER (1908) ; « Monographie du cercle de Labé », Dossier N° 6, Archives nationales, Conakry, Guinée.

[16]Charles Emmanuel SORRY (1974) ; « Monographie historique du Rio pongo du 15ème siècle à la fin du 19ème siècle », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[17]Il est même possible que ceux qui appartiennent à des castes ne l’étaient pas avant la constitution et la consolidation de l’empire du Mali. Les travaux de Maurice DELAFOSSE montrent que, par exemple, l’existence d’une dynastie DIAWARA dont les descendants non pas eu le même statut à l’intérieur de l’empire du Mali.

[18]Seuls ceux qui n’auront pas accepté d’embrasser l’Islam prôné par les Peul musulmans après leur victoire sur les non-musulmans en majorité Djallonke et Pullis à la bataille de Talansan en 1725, vont quitter le pays.

[19]Bruce MOUSSER (1999) ; « Qui étaient les Baga ? », Perception européenne, 1793-1821, Paris, France.

[20]Ce cours a eu plusieurs titulaires avec plusieurs intitulés. Le dernier intitulé du cours est : « histoire de Guinée : de la mise en place des populations à l’indépendance » et n’est hélas dispensé qu’au sein du département d’Histoire.

[21]Denise PAULME (1956) ; « Structures sociales en pays baga Guinée Française » Bulletin de Institut français, Afrique noire série XVIII 1-2 1956, P 98-116.

[22]Marie Paul FERRY et Lansana SANDE (2000) ; « Le passé des langues : Tyapi autrefois, Kokoli aujourd’hui », sous la direction de G. GAILLARD in « Migrations anciennes et peuplement actuel des côtes guinéennes », l’Harmattan, 5-7 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005, Paris, France.

[23]Paul PELISSIER (1996) ; « Campagnes africaines en devenir », Cahiers d’études africaines, Année 1996, Volume 36, Numéro 143, p. 540–543.

[24]Aliou WANN et Bubakar BA (1974) ; « Les relations entre le futa Djalon théocratique et les principaux royaumes de la Basse-côte : des origines à l’implantation coloniale », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[25]Rouguyatou DIALLO (1974) ; « Monographie historique du Bagatay de la région administrative de Boké des origines à 1958 », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[26]Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972) ; « La résistance Könyagui à la pénétration française de 1902-1904 », DES, IPK, Kankan, Guinée.

[27]Cette interprétation pose plus de questions que de réponses. Chez les Peul de Guinée, le mot « Tanda » est un adjectif qui sert habituellement à désigner une personne qui est souvent torse nue. Cependant, dans le pular « être nu » ne se dit pas « Tanda », mais « bhorti ». Il se pourrait que le mot « Tanda », pour désigner ce peuple, ne provienne pas des Peul. Mais les Peul utilisent le nom de ce groupe comme un adjectif pour désigner des attitudes au sein de son propre groupe : « lorsqu’un Peul est torse nu, on dit de lui qu’il est un Tanda ».

[28]Lestrange MONIQUE (de) (1956) ; « Les Cogniagui et les Bassari », In: Population, 11e année, n°2, 1956 p. 374.

[29]Il est difficile de déterminer d’où vient ce nom de « pulli ». Dans le pular actuel des Peul de Guinée, le mot « puuli » veut dire un albinos. Il est aussi possible que ce mot « puuli » ait été mal orthographié phonétiquement. Il pourrait signifier tout simplement, avec une déformation phonétique, le singulier des Peul (Pullo). Cependant, SURET-CANALE (1964: 26) a un avis critique sur l’arrivée des Peul au 10ème siècle au Foutah Djalon, car selon lui les « Tarikhs locaux ont tendance à démontrer l’antiquité de la présence dans le pays des maîtres actuels ».

[30]Il existait deux polémiques sur Koli Tenguella. Pour certains, il serait descendant, par sa mère de Nana KEITA, fille de Soundiata KEITA le fondateur de l’empire du Mali. Pour d’autres, Koli Tenguella n’aurait aucun lien avec Soundiata. Son lien avec Soundiata ne serait que la volonté des personnes de cette époque à forger un passé glorieux derrière un ancêtre qu’on veut rendre exceptionnel. La seconde polémique est plus récente et est proposée par Gérard GAILLARD (2000) qui considère que Koli et Tenguela sont deux personnes différentes. Si telle hypothèse était vraie, comment expliquer qu’une seule personne soit arrivée au Tekrur et y a fondé un Etat et une dynastie sans le second ?

[31]On pourra lire avec beaucoup d’intérêt, Claude Halle (1960), « Notes sur Koli Tenguella, Olivier de Sanderval et les Ruines de Gueme-Sangan », Recherches Africaines, no 1, janvier-mars 1960, Oumar Kane, La première hégémonie Peule : le Fuuta Tooro de Koli Teŋella à Almaami Abdul, Karthala, Presses universitaires de Dakar, 2004, et Djibril Tamsir Niane, « Les Tenguella », dans Histoire des Mandingues de l’Ouest : le royaume du Gabou, Karthala, Paris, 1989.

[32]Pluriel de « Denianke » qui est la généalogie des BAH.

[33]Cheick Sidi Mohamed DIALLO (1975) ; « Contact de civilisations et brassage culturel dans le Fouta traditionnel », DES, IPTJNK, Kankan, Guinée.

[34]L’auteur de cet article est du clan des Dayèbhè « qui est connu sous les noms de BARI, SANGARE (chez les Wassoulonkè), et qui correspond au clan Toucouleur des SY et au clan Mandé des SISSE » (Maurice DELAFOSSE, 1912 : 231) et du lignage des « Wouyaabhè de Daara Labé ». Mon aïeux patriarcal le plus ancien connu de mon lignage se nomme Moussa Diaga qui lui-même est le père Hamady Pathé Baîlo. C’est le fils de ce dernier du nom de Moussa Tanga (connu sous le nom de Bambari BARI) qui aurait quitté le Fuuta Kingi dans le Bakounou (entre Nioro et Diara) pour pénétrer par Dinguiraye (Baylo) et se fixer à Timbo. Son fils du nom d’Ousmane Djalaaheera fera le trajet de Timbo à Labé et se fixera à Daara Labé et aura trois fils : deux seront tués par les païens. C’est le troisième du nom de Mamadou Dewo Allah qui survivra et aura trois garçons dont le troisième et le plus jeune dénommé Moussa Tafsir fera les études coraniques dans le Bhoundu (Sénégal actuel), avec Alpha Mamadou Cellou (futur Karamoko Alpha mo Labé) et Alpha Amadou Kolladé (cinquième Almamy du Foutah Djalon), et sera le fondateur de la mosquée de mon village. Entre Moussa Tafsir et moi, il y a cinq ascendants que sont dans l’ordre : Mamadou Billo, Aliou Zainoul, Mamadou Kolon frère d’Alpha Oumar Rafiou (l’un des érudits du Foutah Djalon), Alpha Abdoul Gadiri, Mamadou Kolon et moi-même (Alpha Amadou Bano).

[35]Gérard GAILLARD (2000) ; « Migrations anciennes et peuplement actuel des côtes guinéennes », l’Harmattan, 5-7 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005, Paris, France.

[36]Djibril Tamsir NIANE (1989) ; « Histoire Des Mandingues De L’ouest – Le Royaume Du Gabou », Khartala, Paris, France.

[37]Etymologiquement, village des Peul.

[38]Bamanakan est la langue des Bambara.

[39]Lancéi KOUYATE (1978) ; « Contribution à l’étude de la société traditionnelle du Wassulu présamorien », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[40]Selon Muriel DEVEY (2009) ; Réné CAILLE aurait été impressionné par l’ardeur au travail et les soins que les Wassoulonké apportaient aux champs.

[41]Avec leurs bœufs et leurs génisses, les DIALLO, DIAKITE, SIDIBE et SANGARE s’installent ; mais ils décampent aussi vite.

[42]Pierre Smith (1965) ; « Notes sur l’organisation sociale des Diakanké. Aspects particuliers à la région de Kédougou », Cahiers du Centre de recherches anthropologiques, n° 4, pp. 263-302.

[43]Les quatre foyers de base des Diakanka.

[44]Mandé, Mandingue ou Mali, pays d’origine des Mandingue ou Malinké serait le nom du pays du roi « lion » : Soundiata KEITA.

[45]Sékéné Mody CISSOKO (1981) ; « De l’organisation politique du Kabu », Ethiopiques, Revue Négro-africaine de Littérature et de philosophie, numéro 28 numéro spécial.

[46] La province de Baté est le principal centre religieux de la Haute-Guinée. Dans cette province, c’est Kankan qui tient le premier rôle et où résident les membres de la famille chérifienne parmi lesquels se recrutent l’Imam, le Cheikh de la Haute-Guinée.

[47]Le Baté est composé de deux mots : Ba qui signifie fleuve et Té entre (entre les fleuves), c’est-à-dire entre les fleuves que l’on désigne dans la géographie officielle de la Guinée le Milo et le Sankarani (Djon).

[48]Ibrahim Kalil TURE (1973) ; « Monographie historique de la ville de Keruwane : des origines à l’implantation coloniale française », IPGAN, Conakry, Guinée.

[49]M’Bala Friki CAMARA (1980) ; « Monographie historique de la Guinée Forestière : des origines à l’implantation coloniale », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[50]Aly Gilbert IFFONO (1975) « Histoire et civilisation du groupement des Kisia, des origines à la colonisation », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[51]Jean SURET-CANALE (1971) ; « Afrique Noire, l’ère coloniale, 1900–1945 », Editions sociales, Paris.

[52]Facinet BEAVOGUI (1974) ; « Etudes des structures économiques et sociales de la société traditionnelles Loma », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[53]Pépé Pierre CAMARA (1970) ; « La pénétration coloniale dans la région de N’Zérékoré », DES, IPGAN, Conakry, Guinée

[54]Jerome DELAMOU (1979) ; « la monographie historique de la région de N’Zérékoré : de l’implantation coloniale à l’indépendance », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

[55]Discours du Général De Gaulle à la mairie de Paris à la libération de Paris lors de la seconde guerre mondiale.


Pr Alpha Amadou Bano Barry (Sociologue) Enseignant-Chercheur Actuel Ministre de l’éducation
Auteur de “Les violences collectives en Afrique: le cas guinéen”

Cet article a été publié pour la première fois en 2012





Comment frauder une élection ?


Analyse


Par Alpha Amadou Bano BARRY, Sociologue

Cet article est un autre d’une série que je souhaite partager avec les Guinéens. Celui-ci porte sur la fraude électorale. Comme toute généralité, il souffre probablement de plusieurs imperfections. J’accepte volontiers des critiques, des suggestions et des compléments d’informations pour qualifier ma réflexion académique et empirique. En attendant de bien documenter « la fraude électorale sous les tropiques de Guinée » qui est le titre d’une recherche en cours, la question au centre de ma présente préoccupation est la suivante : Comment frauder une élection ?


Ce texte est donc pédagogique et est élaboré à l’usage des citoyens non seulement pour sensibiliser tous les électeurs mais aussi pour dissuader le ou les candidats qui auraient mis en place un système de fraude.

Ce texte ne traitera pas des raisons de la fraude électorale, même si l’on sait l’existence du lien fort entre la corruption et la fraude électorale. Pour plusieurs spécialistes, l’indice de corruption publiée par transparancy International est un indicateur des risques de fraude dans un pays : « plus un pays est corrompu, plus les risques de fraude sont élevés ».

On sait aussi que la fraude est un refus de la démocratie dans son acception libérale du terme. C’est-à-dire une compétition loyale, légale pour obtenir le suffrage des citoyens. Dans ce cadre, certains candidats ont la tentation de vouloir se substituer au peuple, c’est-à-dire au corps électoral en procédant à la fraude électorale. En règle générale, les fraudes électorales commencent dans la pensée des acteurs en compétition et elles se manifestent dans l’organisation du processus électoral et se matérialise par la victoire proclamée du fraudeur.

Un parti politique qui veut gagner une élection par la fraude met en marche une stratégie bien réfléchie par des hommes de confiance apparemment neutres, mais en réalité bien déterminés dans ce qu’ils veulent. Leur apparente neutralité permettra de cacher la manœuvre jusqu’au bout. A ce moment, l’adversaire ne pourra plus rien : trop tard aura joué pour le naïf. Un parti qui ne souhaite pas se faire voler lors d’une élection doit trouverformer et motiver des hommes et des femmes et élaborer une contre stratégie pour contrer le fraudeur.

Dans le cadre du cours de la sociologie électorale, nous revisitons régulièrement, à la lumière des pratiques électorales, la volonté de certains acteurs de gagner contre la volonté des électeurs. Nous appelons ce mécanisme mis en œuvre pour changer la volonté des électeurs, la fraude électorale. La fraude électorale désigne toutes les irrégularités qui peuvent se dérouler pendant une élection. La fraude électorale inclue tous les processus ayant pour objet d’influencer le résultat d’une élection. Elle peut se faire à chaque moment du processus électoral :

  • Lors du recensement des électeurs et/ou de la révision de la liste électorale ;
  • Lors de la campagne électoralepar le nettoyage « ethnique » par exemple ;
  • Lors de la confection et de la distribution des listes électoraleset des autres matériels électoraux (carte d’électeurs, encre indélébile, bulletin de vote, procès verbal, liste d’émergement, etc.) ;
  • Lors de l’organisation des bureaux de voteset du scrutin (bourrage des urnes, vote par procuration, etc.) ;
  • Lors du dépouillement, du décompte des voix et de la centralisation (fraude informatique) ;
  • Lors de la publication des résultats.

Mais avant de présenter les techniques de fraudes les plus courantes, qu’il me soit permis de rappeler que la tenue des élections constitue l’événement politique le plus important dans tous les pays à régime politique libéral. Car c’est à ce moment que les électeurs jugent les projets et programmes des prétendants et le bilan des sortants. C’est le moment de l’établissement et/ou le renouvellement du contrat de confiance entre ceux qui dirigent ou qui prétendent diriger et les électeurs.

C’est pourquoi la préparation d’une élection doit se faire avec beaucoup de sérieux et de soin. La négligence doit être évitée et dangereuse, la précipitation. Contrairement à certains hommes politiques français qui disaient, en parlant de la Guinée, qu’« une mauvaise élection est préférable à l’absence d’élection ». Je dis c’est faux. Je dis aussi que c’est faux de penser qu’une élection, même mal faite, est préférable à l’absence d’élections en raison des risques institutionnels que son absence fait courir à un pays.

Une élection doit être faite dans les règles de l’art. Dans le cas contraire, ses effets seront identiques à la désignation du Secrétaire Général de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) en France, c’est-à-dire ridicule et pathétique. Elle peut même être une catastrophe. Les exemples sont innombrables pour que je perde mon temps à les énumérer.

Enfin, la tenue d’une élection n’est pas la démocratie, même si elle est une composante du processus démocratique. Je m’inscris en faux sur la vérité populaire qui consiste à faire croire que l’aide au développement développe un pays ou qu’une élection attire des investisseurs. L’attrait d’un pays pour des investisseurs relève d’autres logiques que sont : la paix, de la stabilité politique, la qualité des infrastructures, des ressources humaines et la vision de ses dirigeants.

LES PRINCIPALES FRAUDES ÉLECTORALES POSSIBLES LORS D’UNE ÉLECTION

1/ La mauvaise commission électorale (CENA, CENI, etc.)

La commission électorale (affublée de n’importe quel complément) est sensée être un organisme public doté de la personnalité juridique qui lui donne la tâche de garantir la neutralité et l’impartialité dans l’organisation des élections.

Dans les années 90, à la faveur des conférences nationales qui devaient détruire les partis uniques, les commissions électorales indépendantes ont été présentées comme la panacée pour éviter les fraudes des ministères de l’administration du territoire. Dans ces organes, les « argentiers » de l’aide au développement des pays africains comme l’Union Européenne et les pays qui les composent ont imposé une parité de façade (moitié pour le pouvoir, moitié pour l’opposition et la moitié de cette autre moitié constituée de partisans cachés du pouvoir en place, c’est eux qui prennent la désignation de la « société civile » et de l’administration).

L’instauration de ce type d’organe conflictuel dont les membres sont hautement politisés et inféodés à leurs composantes et entités respectives s’est avérée la nouvelle façon d’organiser la tricherie des élections. L’expérience montre que les membres d’une commission électorale partisane agissent toujours selon la logique de leurs composantes et entités et non selon la logique de leur responsabilité dans la gestion des échéances électorales.

Toutes les mauvaises élections en Afrique ont été favorisées par l’existence d’un organisme électoral partisan, manquant de compétences, d’expertises et d’expériences en matière électorale. Avec une commission électorale aux ordres, c’est l’assurance que les ordres sont exécutés dans la lettre et l’esprit.

Un organisme de gestion des élections partisan et à qui ordre est donné de frauder des élections commence toujours par chercher un opérateur de recensement et/ou de révision à la solde. C’est cet opérateur qui devient le bras armé de la fraude tout au long du processus. Cet opérateur déploiera des militants transformés en opérateur de saisie lors du recensement et/ou de la révision. C’est à eux qu’il sera donné des instructions pour mettre en œuvre le recensement et/ou la révision partisane sur le terrain.

C’est cet opérateur, recruté par l’organe partisan, qui mettra dans le « ventre » de son site central les électeurs fictifs, qui éditera les listes électorales et celles d’émargements tronquées, qui imprimera des cartes d’électeurs en quantité insuffisante pour certaines catégories d’électeurs et pour les électeurs fictifs. C’est cet organisme qui refusera de distribuer, à temps, les cartes d’électeurs dans certaines zones réputées favorables à certains candidats. C’est enfin, cet organisme qui configurera les ordinateurs pour assurer la fraude électronique.

Un organisme électoral partisan et aux ordres fera semblant de se tromper au moment de l’approvisionnement de certains bureaux de vote du matériel électoral (les cartes d’électeurs, les urnes, les bulletins de vote, les photos des candidats, etc.). Il fera aussi semblant de se tromper en y envoyant dans certains bureaux de vote des listes électorales qui appartiennent à d’autres bureaux de vote. En l’absence de ces listes électorales, les citoyens qui viendront voter signeront sur une liste dite additive avec le risque de l’élimination de leur bureau de vote lors des arbitrages du contentieux électoral.

Ces commissions électorales s’avèrent, à quelques exceptions près, des commissions auxquelles « on impose de fausses données pour légitimer de faux résultats ». Staline (le bolchévique) disait : « Ce qui compte ce n’est pas le vote, c’est comment on compte les votes ». Des dirigeants africains ont fait échos à cette philosophie en passant par tous les moyens pour contrôler l’organe électoral pour éviter de se soumettre à la sanction populaire. C’est le cas d’Oumar BONGO ONDIMBA qui disait : « Comment peut-on organiser des élections, y participer et les perdre en Afrique ? ». Dans tous les cas, il apparaît très clairement que le contrôle de l’organe de gestion des élections est un raccourci qui évite de présenter un projet et/ou un bilan aux électeurs.

2/ Le recensement et/ou la révision électorale partisane

L’enrôlement du corps électoral constitue une étape importante dans la crédibilité des opérations électorales. Les électeurs sont ceux qui sont inscrits sur la liste électorale. Les partisans, les sympathisants et les militants ne deviennent des électeurs que s’ils sont enrôlés pendant le recensement ou la révision. S’il y a dans cette liste électorale des électeurs « fictifs », ceux exclusivement d’un fief électoral ou que certains sont rayés ou déplacés de leur zone de résidence, il devient possible de frauder surtout si la totalisation est informatisée.

Pour s’assurer de fausser les résultats d’une élection, ceux qui veulent frauder et qui contrôlent l’organisation en charge des élections déploient moins de matériels de recensement et/ou révision dans les zones considérées comme des fiefs favorables aux adversaires.

Elle peut aussi y dépêcher dans ces régions du matériel saboté ou donner des instructions aux opérateurs de recensement et/ou de révision pour faire traîner les opérations soit en diminuant le nombre de personnes enrôlées par jour soit en réduisant le nombre de jours de travail soit toute autre stratégie de réduction des inscriptions sur le fichier électoral.

Il est aussi possible, dans les zones favorables ou considérées comme telles, de demander aux agents recenseurs d’enrôler des personnes n’ayant pas l’âge légal, de créer des doublons (une même personne est enrôlée plusieurs fois) ou d’introduire des électeurs fictifs dont le vote sera rendu automatique par la fraude électronique (nous y reviendrons).

Pour réduire les chances de certains adversaires, cet organisme peut fixer un timing du processus électoral qui défavorise certains électeurs soit par la fixation de délais courts ou de distances grandes lors de l’inscription et/ou de la révision sur les listes électorales et le jour du vote.

Dans certaines zones du pays, les inscriptions sont volontaristes, des mineurs et même des étrangers sont inscrits, les morts, les émigrés ne sont pas radiés, bref les inscriptions sont massives et sont sans commune mesure avec la réalité de la population en âge de voter.

Enfin, pour obtenir l’échec aux élections d’un adversaire redoutable, on peut organiser le déplacement de ses électeurs par une opération d’épuration ethnique. Celle-ci se fait soit avant le recensement soir après celui-ci. L’objectif étant de réduire le poids électoral d’une zone qui pèse dans le processus électoral. L’histoire électorale de plusieurs pays africains l’atteste.

Quelque soit l’opérateur choisi, la fraude orchestrée par l’organe de gestion des élections fonctionne le mieux autour de deux paramètres :

  • Lors de la confection (recensement et/ou révision) de la liste électorale ;
  • Lors du décompte des voix par l’ordinateur.

Pour éviter qu’un organe partisan de gestion des élections ne fraude avec un opérateur technique du recensement et/ou de la révision, il est essentiel de s’assurer que :

  • La liste électorale, avant la révision, est propre, c’est-à-dire identique à la précédente élection. Il faut donc auditer le fichier électoralpar des experts indépendants, de préférence ceux des Nations-Unies, avant le début de la révision. La liste électorale avant la révision doit devenir disponible auprès des différents acteurs en compétition.
  • Lors de la révision des listes électorales, les différents partis politiques en compétition doivent encadrer les opérateurs de saisiepour s’assurer que la révision ne prend en charge que ceux qui sont en âge de voter, qu’aucune personne n’est enrôlée plus d’une fois avec de simple variations dans les noms et les prénoms. Chaque délégué des partis en compétition doit tenir une comptabilité journalière des personnes enrôlées et leur répartition par sexe. De même, il devra posséder les données statistiques sur les radiations et les déplacements.
  • Il faut refuser le transfert automatique et via satellite des données de la révision. A la fin de la révision au niveau de chaque circonscription électorale, chaque parti devrait disposer d’une copie CD et clé USB de la liste de révision. La liste finale de l’organe de gestion des élections doit être, avant validation, soumise à la comparaison avec celles des partis en compétition.

3/ La répartition des bureaux de vote sur le territoire électoral

Dans les lois électorales, il existe toujours des dispositions pour calculer le nombre d’électeurs par bureau de vote et la distance moyenne entre chaque bureau de vote et les électeurs inscrits.

Un parti qui obtient une augmentation du nombre de bureaux de vote dans une zone favorable à lui maximise ses chances d’avoir un peu plus de votants par dérogationpar procuration et surtout une possibilité de bourrer des urnes en plus grand nombre.

4/ Le système de bureau de votes fictifs et/ou parallèles

Dans l’organisation des élections, les bureaux de vote sont numérotés et chaque groupe d’électeurs (liste électorale) correspond à un bureau de vote en particulier.

Pour frauder, un parti peut créer des bureaux de vote fictifs et/ou parallèles portant les mêmes numéros que les bureaux officiels. On laisse les électeurs votés dans leur bureau de vote « officiel », mais parallèlement on procède au remplissage d’autres procès verbaux ayant les mêmes numéros que le bureau de vote que l’on veut substituer.

Lors de la centralisation, les procès verbaux des bureaux fictifs et/ou parallèles sont utilisés en lieu et place des bureaux de vote légaux. Mais pour que cette tricherie fonctionne, il faut réunir deux conditions :

  • Il faut avoir des procès verbaux identiques à ceux utilisés par l’organisme qui gère les élections ;
  • Il faut arriver à faire accepter ces procès verbaux par la commission en charge de la totalisation.

Pour éviter une telle fraude, car personne ne peut garantir que l’organe de gestion des élections ne va pas permettre de produire des duplicatas des procès verbaux de certains bureaux de vote, Il faut réfléchir à la possibilité de rendre effectif l’introduction et l’utilisation de code barre pour identifier les documents électoraux (bulletins de vote, procès verbaux, etc.). Cependant, l’arme fatale pour contrer une telle fraude reste le déploiement d’assesseurs instruitscourageux et motivés et en nombre suffisant lors de la totalisation. Car, même si les fraudeurs ont des duplicatas remplis, ils ne peuvent servir que s’ils sont utilisés au moment de la totalisation. Des délégués de qualité ne permettront pas une telle fraude.

5/ Des procédures de vote préparant la fraude

Dans certains bureaux de vote, les présidents font semblant de vouloir faire voter le plus grand nombre de personnes possibles en obtenant des autres assesseurs de ne pas faire signer ni apposer l’empreinte digitale des électeurs.

Dans ce cas, c’est le président du bureau qui se contente de cocher dans la marge de la liste électorale une croix, devant le nom des inscrits ayant votés. Dans ces conditions, le président sait le nombre de personnes n’ayant pas voté à la fin de la journée. Après, il devient facile de faire du bourrage, c’est-à-dire mettre dans l’urne autant de bulletins que d’inscrits sur la liste électorale en cochant devant les électeurs absents.

6/ Fraude via les procurations

Une autre méthode consiste à connaître des électeurs qui seront absents le jour de l’élection et qui n’ont pas fait de procuration pour voter. Il suffit alors de faire de fausses procurations pour ces gens là et trouver des électeurs pour déposer l’enveloppe dans l’urne.

Cette technique est possible si le parti politique a de la mémoire (des archives) qui permettent de dire à peu près les absentions lors du vote précédent. Pour ces électeurs, le parti prépare des procurations qui n’ont aucune raison d’être contestées car l’adversaire voit la concordance entre la procuration et le nom des électeurs.

La seconde condition pour une telle opération dépend de la production de cartes d’électeurs fictifs ou d’utiliser des cartes d’électeurs non distribuées à des électeurs réels, absents ou à qui on a refusé la délivrance des cartes d’électeurs.

7/ Le Procès verbal avec un nombre de dérogations excédant la norme fixée à 10

On peut aussi frauder en utilisant et en abusant du vote par dérogation. Lorsque dans son fief on possède énormément de bureaux de vote et très peu de votants, on fait voter le plein (on bourre les urnes) et on ajoute des dérogations supérieures à 10. Lorsqu’on réussit à avoir plus de 20 000 voix par dérogation, on augmente considérablement le nombre de députés sur la liste nationale pour son parti.

8/ La manipulation des bulletins de vote

L’idée dans la manipulation des bulletins de vote est toute simple : il y a dans chaque élection des indécis, des déçus, des nécessiteux. Au lieu de dépenser des milliards en spot radio, TV, en panneau publicitaire et gadgets de toutes sortes, on « achète » des votes. Pour l’essentiel, un électeur pauvre, au sens propre et figuré du terme, coûte environ 50 000 GNF, soit le coût d’un t-shirt de bonne qualité.

Pour appliquer cette fraude, les partis politiques intéressés préparent des bulletins de vote identiques à ceux utilisés lors de l’élection en cochant à la bonne case à la place de l’électeur. Ces bulletins préparés sont distribués à des électeurs ciblés en fonction d’un certain nombre de paramètres « socioéconomiques » moyennant un paiement et parfois des promesses supplémentaires de paiements au retour de l’élection.

Le corrupteur n’ayant pas toujours confiance au corrompu, on demande à l’électeur « acheté » de ramener son enveloppe « original » non utilisée lors du vote. La présentation de cette dernière est aussi « primée » contre un montant d’argent ou des denrées alimentaires.

Pour mettre une telle fraude, il faut disposer de la liste électorale, avoir des démarcheurs et des moyens financiers.

Pour gêner la fraude, il faut demander et obtenir que tout bulletin non original soit éliminé au moment du décompte des voix. Pour s’assurer du caractère original des bulletins de vote, il faudrait imposer des bulletins de vote avec au verso des signes qui ne peuvent être reproduites par une photocopieuse ordinaire. Pour cela, il faut exiger de l’organisme qui gère les élections que les bulletins de vote soient en couleur avec des codes barres.

Enfin, il faut chercher aussi à obtenir que les bulletins de vote soient imprimés par un pays partenaires qui n’a pas d’intérêts stratégiques, économiques et/ou des liens de copinage avec la classe politique des pays africains, surtout des anciennes colonies françaises.

9/ L’exploitation de l’ignorance des électeurs

La grande majorité des populations dans le tiers monde ne sait ni lire ni écrire. Au lieu d’aider les électeurs à bien voter, certains agents électoraux exploitent celle-ci pour favoriser un parti corrupteur. Ainsi par exemple, un électeur analphabète ne pourra pas remplir le bulletin de vote correctement. Si les membres des bureaux de vote sont corrompus, ils peuvent profiter de la faiblesse de ces électeurs analphabètes pour le faire voter en faveur de leur candidat.

C’est une tricherie qu’il faut combattre par l’organisation du parti. Il faut mettre à la disposition des électeurs analphabètes des aides. Enfin, les structures des différents partis doivent, bien avant le jour du vote, assurer la sensibilisation, l’information et la formation de leurs militants et sympathisants sur les mécanismes de vote.

10/ L’encre indélébile visible

Pour éviter le vote double et même multiple, les organisateurs des élections appliquent parfois sur le pouce de l’électeur ayant déjà voté une encre indélébile visible, dont les traces ne s’effacent pas pendant 48 heures. Mais pour tricher aux élections, certains partis politiques utilisent des chimistes et ceux-ci manipulent la fabrication de l’encre et diminuent sa teneur d’insensibilité de sorte que quelques minutes après le vote, les électeurs impliqués dans le schéma de la tricherie peuvent se laver les traces de l’encre et se présenter dans un autre bureau de vote pour une deuxième et une troisième fois.

Cependant, la réduction de la qualité de l’encre indélébile ne sert que dans une stratégie globale de fraude avec des listes d’émergements inexistantes ou non utilisées par les électeurs et des cartes d’électeurs non retirés ou encore par des électeurs fictifs.

Pour parer à cette tricherie, il nous semble utile de recommander la mise en place de plusieurs dispositifs. Le premier serait de n’autoriser l’arrivée de certains matériels électoraux, comme l’encre et les bulletins de vote que dans les derniers jours qui précèdent une élection. Il faut demander et obtenir du fabricant de livrer des flacons d’encre scellés.

Enfin, il faut exiger, en plus de la signature par l’électeur sur la fiche d’émergement, l’apposition du cachet du bureau de vote sur la carte de chaque électeur après le vote. Pour multiplier les filets de sécurité, nous suggérons l’obligation d’un cachet spécifique pour chaque bureau de vote.

11/ Le Bourrage d’urnes

Le bourrage de l’urne est la fraude la plus courante et la plus simple. Le bourrage de l’urne consiste à introduire des bulletins de vote supplémentaire dans l’urne avant le décompte. Ces bulletins de vote supplémentaires sont favorables à une liste ou à une candidature.

Pour pratiquer le bourrage des urnes, il faut nécessairement que l’un des candidats ait fabriqué des bulletins de vote bien avant le vote ou qu’il ait à sa disposition des bulletins de vote vierge à utiliser. Certains de ces bulletins sont ceux qui sont envoyés au niveau de chaque bureau de vote de façon légale (10% de ceux de chaque bureau de vote) et des excédents que l’organisme qui gère envoie vers certains bureaux de vote pour favoriser le bourrage des urnes. Pour utiliser ces bulletins de vote, plusieurs techniques sont possibles :

  • Première méthode :Un membre fraudeur du bureau de vote profite de l’absence des autres assesseurs pour glisser plusieurs bulletins de vote supplémentaires dans l’urne. Cette opération se fait généralement quelques heures avant la fin du scrutin. En effet, la dernière heure avant la fermeture des bureaux de vote, il n’y a pas souvent pas d’affluence des électeurs. C’est à ce moment que le grand bourrage se fait. Le fait d’effectuer cette opération vers la fin du scrutin permet de déterminer le nombre d’abstentionnistes pour faire correspondance le nombre de bulletin du bourrage avec les signatures ;
  • Seconde méthode :Plusieurs électeurs au moment du vote prennent plus d’un bulletin et d’une enveloppe pour les glisser dans l’urne au moment de leur propre vote ;
  • Troisième méthode :Lors de l’ouverture de l’urne après la clôture du scrutin, les membres du bureau de vote regroupent les bulletins de vote par centaines. Chacun étant soucieux de son comptage, personne ne fait attention à ce qui se passe autour. Un membre fraudeur glisse ajoute en toute discrétion plusieurs bulletins de vote préparés à l’avance. Pour régulariser sa fraude en faisant correspondre le nombre d’émargements des électeurs et celui des bulletins, il lui faut augmenter le nombre de signatures dans le cahier d’émergement.

Pour s’opposer à ce type de fraude, il faut mettre en place une série de mesures :

  • Il est toujours préférable d’avoir des urnes transparentes avec compteur. Les membres du bureau de vote doivent s’assurer, à l’ouverture du scrutin, que ce compteur affiche le nombre 0000. Si l’un des membres doit s’absenter, il fait enregistrer mentalement, noter et annoncer publiquement le numéro du compteur de l’urne. Les spécialistes suggèrent de considérer qu’il faut à peu près entre 30 secondes et 1 minute 30 à un électeur pour voter. Soit en moyenne 1 minute. Si un assesseur doit s’absenter 5 minutes, les spécialistes estiment qu’il ne peut y avoir plus de 5 votes en votre absence. Il est suggérer aux fumeurs de cigarettes de faire la pause tabac devant l’entrée du bureau de vote pour pouvoir compter mentalement le nombre de votants qui entrent dans le bureau de vote. Le nombre de bulletins dans l’urne devait correspondre au nombre d’électeurs que vous avez vu passer.
  • Dans le bureau de vote, tous les assesseurs devraient s’assurer que le cahier d’émargement ne doit être ouvert par l’assesseur chargé de faire signer les électeurs qu’au moment ou l’électeur se présente à la table de vote et que son nom est énoncé pour vérification ;
  • Les membres du bureau de vote doivent s’assurer que ne figurent sur la table de l’assesseur qui fait signer le cahier d’émargement qu’un stylo qui correspond à la couleur choisie pour faire signer les électeurs ;
  • À la clôture du scrutin, l’ouverture de l’urne ne doit se faire qu’après que les membres du bureau de vote aient procédés collectivement au comptage des émargements(personnes ayant votées) ;
  • Les membres du bureau de vote doivent s’assurer que le cahier d’émargements est effectivement signé par les électeurs. Ensuite seulement, les délégués accepteront l’ouverture de l’urne pour le comptage des bulletins de vote. Lorsque les émargements sont comptés et l’urne vidée, le cahier d’émargements ainsi que les enveloppes restantes doivent être placés dans l’urne qui doit être verrouillée. Cette opération exige que les urnes soient munies de clefs (quatre clefs par urne). Les urnes ne devraient pouvoir s’ouvrir qu’avec l’utilisation des quatre clefs ;
  • Chaque bureau de vote doit être constitué d’assesseurs de plusieurs camps politiques, de délégués de candidats ou de liste. La présence de nombreuses personnes d’horizons variés est le gage d’un scrutin surveillé et contrôlé qui respecte le choix des électeurs.

Dans tous les cas, toutes les études sur le vote concluent que dans une élection, même avec des enjeux importants comme la présidentielle, le nombre de votants dépassent très rarement les 70% d’inscrits. Lorsque dans une circonscription ou plusieurs circonscription, le nombre d’électeurs est égale ou supérieur à 80% et en faveur du même candidat, on doit présumer un système de bourrage d’urnes.

12/ La manipulation pendant le dépouillement

Lors du vote, il faut éclairer suffisamment le lieu de dépouillement des bulletins. Les moyens d’éclairage (groupe électrogène, lampe à pétrole, lampe à pile, etc.) doivent provenir de plusieurs sources pour éviter la défaillance d’une unique source et appartenir à plusieurs assesseurs. Chaque assesseur devrait avoir son propre moyen d’éclairage, ses assistants (à côté du lieu de vote) et sa nourriture.

S’il n’y a pas de surveillance sérieuse, certains présidents de bureau de vote peuvent réaliser un mauvais dépouillement. Ils peuvent par exemple compter une voix pour le candidat A alors que le bulletin de vote signale que cette voix revient au candidat B.

La règle veut que le nombre de bulletins trouvés dans l’urne soit égal à la somme des votants sur la liste d’émargement et ceux de la dérogation. Également, le nombre de bulletins trouvés dans l’urne doit être égal à la somme des suffrages valablement exprimés et des bulletins nuls. Malheureusement, cela ne s’est pas vérifié partout lors des précédentes élections dans plusieurs pays en Afrique.

13/ La manipulation des urnes pendant leur déplacement

La loi guinéenne stipule que le dépouillement se fait sur place dès après la clôture du vote et les résultats sont publiés sur le champ par voie d’affichage en Guinée aussi. Cette publication devrait, comme au Sénégal, se faire par l’affichage devant le bureau de vote et la publication dans les médias en direct et de façon continue. Il est impératif de faire respecter cette disposition et de s’assurer que chaque assesseur de chaque parti revienne à Conakry avec le procès verbal signé.

L’affichage systématique du procès verbal des résultats devant chaque bureau de vote, la remise d’une copie certifiée aux assesseurs représentant les différents candidats et l’accès permanent de leurs délégués à toutes les étapes de la centralisation, y compris au site central de Conakry sont des préalables à la transparence électorale.

Il faut aussi s’assurer qu’après la totalisation au niveau de la Commission de cette procédure que les délégués reviennent à Conakry avec les procès verbaux de centralisation de toute la circonscription électoraleLa presse devrait pouvoir publier les résultats, en temps réel comme au Sénégal, dès la fin de la totalisation des votes au niveau de chaque circonscription électorale.

Tout le monde devrait se souvenir que le transport des urnes avant le dépouillement permet le bourrage des urnes et/ou la substitution des urnes qui ont servi au vote par d’autres. Si cette opération devrait avoir lieu, il est de l’intérêt pour chaque candidat, même en cas d’assurance sur la fiabilité des scellés des urnes, de mettre sur place un mécanisme d’accompagnement des urnes par des hommes fidèles, motivés et dotés de plusieurs moyens de transport.

Car, le transport des urnes avant le décompte des voix est une source potentielle de fraude électorale. Lors du transport, les urnes peuvent être soit changées, soit détournées, soit détruites par des hommes engagés à le faire pendant le déplacement. Parfois on annule certains bulletins (notamment dans les régions a priori défavorables), parce qu’ils sont maculés.

14/ La falsification du nombre de voix dans les procès verbaux des bureaux de vote et/ou des procès verbaux de centralisation

Lors d’une élection, il est toujours prévu au niveau de chaque bureau de vote la production et la répartition de plusieurs procès verbaux auto-carbonés. Certains de ces procès verbaux, parfois trois, sont mis dans des enveloppes sécurisées pour trois structures : l’organe de gestion des électionsle ministère en charge de l’administration du territoire et le juge électoral.

Dans le bureau de vote, les assesseurs ont un rôle essentiel, car après le décompte des voix c’est eux qui doivent signer les différents procès verbaux. Il revient à chaque assesseur de s’assurer de la sincérité de tous les procès verbaux avant de signer.

Il est aussi prévu que le procès verbal du bureau de vote destiné à la CACV, mis dans une enveloppe sécurisée, ne sera lu qu’en séance plénière de la CACV. Ses résultats sont transmis à l’opérateur de saisie qui imprime une copie pour chaque assesseur représentant les partis candidats pour validation. Sur cette base les assesseurs valident le procès verbal. Les résultats validés sont transmis au serveur local pour être centralisés et envoyés par SMS à l’organe de gestion des élections.

On aura donc compris que les procès verbaux sont le document qui récapitule la répartition des bulletins de vote entre les différents candidats. Normalement, ils sont remplis au terme du dépouillement, signés pas les assesseurs et le président du bureau de vote.

Dans les conditions normales, le procès verbal reflète donc la réalité du vote, sauf dans les cas ou un assesseur laisse aux autres membres du bureau de vote le soin d’y marquer des chiffres différents de la réalité de l’urne. Cette situation peut provenir de l’absence définitive et/ou temporaire de l’assesseur d’un candidat ou son incapacité à lire des chiffres par analphabétisme ou des problèmes de vues (âge ou maladie).

Pourtant, les procès verbaux des bureaux de vote peuvent différer de ceux de la centralisation. Si tel est le cas, il n’y a que deux possibilités :

  1. Au moment de la centralisation, un assesseur d’un des candidats est absent, ce qui laisse le loisir aux autres de dicter à l’ordinateur des chiffres différents de ceux des procès verbaux des bureaux de vote :
  2. Il peut s’agir d’une fraude informatique dans laquelle l’ordinateur est programmé pour sortir des résultats de totalisation indépendamment de ceux saisis. Sur cette fraude, nous y reviendrons dans la fraude informatique.

Dans les deux cas, la défaillance des délégués du candidat est en cause. Les candidats ne devraient jamais accepter, surtout s’il y a des doutes sur la liste électorale, une centralisation informatique sans une centralisation manuelle. Et s’il y a des contradictions entre les deux, celles manuelles devraient primées sur celles informatiques.

15/ Les Numéros des bureaux de vote des procès verbaux différents des codes bulles

Une des mesures de sécurité courante pour sécuriser le vote est de doter tous les bureaux de vote des procès verbaux avec des codes à bulles pour certifier le lien entre chaque bureau de vote et leurs procès verbaux. Cette mesure permet, si elle est respectée, de s’assurer qu’aucun procès verbal ne soit utilisé en dehors du bureau de vote pour lequel il a été émis.

En effet, lorsqu’on souhaite frauder, on se dote de procès verbaux vierges que l’on utilisera pour les bureaux de vote fictifs, parallèles ou tout simplement pour substituer des procès verbaux défavorables par d’autres plus favorables.

Cette mesure de certification par le code bulle n’est pertinente que si les différents candidats ont des chiffres différents pour le même bureau de vote. Dans le cas contraire, cette mesure allonge inutilement le processus de centralisation.

16/ La tricherie par ordinateur

La fraude la plus actuelle et la moins décelable est la fraude informatique. Pour parvenir à une fraude informatique, il faut un programme intégré dans le dispositif des ordinateurs de centralisation et du site central de totalisation finale des votes. Un programme informatique est un ensemble d’instruction que l’ordinateur en tant qu’automate exécute à la lettre. De ce fait, le programmeur et/ou le concepteur (l’auteur ou créateur) d’un programme informatique fait exécuter par l’ordinateur sa volonté.

Dans le cadre de la gestion des élections, il y a deux aspects fondamentaux qu’il faut toujours regarder de près : Le fichier électoral et la gestion des résultats (procès verbaux issus des centres de votes).

Concernant le fichier électoral, Il est tout à fait possible au programmeur et/ou concepteur d’un programme informatique de frauder sans que l’utilisateur final du programme (par exemple la CENI) s’en aperçoive. Donnons quelques exemples classiques qui ont fait recette dans certains pays Africains :

  • Inscription d’électeurs fictifs qui voteront sans exister ni aller aux urnes, car ils ont déjà votés dans le programme de l’ordinateur ;
  • La fixation d’un quota (un nombre de voix que le candidat ne pourra jamais dépasser quelque soient les données entrées) à un ou plusieurs candidats donnés et le report de voix en plus à un autre candidat donné ;
  • Omission programmée des voix d’une région favorable à un candidat donné soit à travers le vote soit en les éliminant de la liste électorale.

Par rapport à la gestion des résultats, on peut en vue de la publication des résultats, donner à l’ordinateur un programme truqué d’avance comme : si le candidat A à une voix, son adversaire concurrent B en obtient automatiquement deux. Ainsi quelques soient les résultats obtenus par chacun des candidats, le candidat B aura toujours le double de voix de A.

On peut aussi programmer les ordinateurs de sorte que quand on tape un chiffre, l’ordinateur en sort un autre chiffre sur le procès verbal de centralisation différent de celui du procès verbal du bureau de vote.

Pour anticiper et endiguer cette source probable de fraude électorale, il importe qu’il y ait une commission technique paritaire des acteurs en compétition au sein de l’organe de gestion des élections, de contrôle et de validation de l’outil informatique devant être utilisé dans le cadre de la gestion de ces élections. Cette commission doit être impliquée de la conception et la réalisation jusqu’à la proclamation des résultats. Cette commission technique aura pour missions, selon les experts qui aident même à frauder :

  1. Le contrôle et la validation du modèle conceptuel et du code source du programme ;
  2. De préparer les jeux de test et de valider le programme ;
  3. De veiller à la compilation, et à la production de l’exécutable ;
  4. De mettre en place deux bureaux distincts de saisiedes résultats pour la nécessité de comparaison des chiffres ;
  5. De contrôler la saisie et de veiller au bon fonctionnement quotidien de l’outil ;
  6. De veiller à l’administration de la base de données et plus particulièrement la sauvegarde ;
  7. De définir le mécanisme de sécurité de l’application, etc. :
  8. Enfin, le conseil majeur est d’avoir deux opérations parallèles : le comptage informatique et celui manuel, car après tout dans une élection il n’y a pas que des opérations de calcul élémentaire : addition, division (pourcentages).

Tous les spécialistes de la fraude électorale sont unanimes que celle informatique est une méthode propre, sans possibilité de contestation : « Tout le monde n’y voit que du feu. Après les résultats du scrutin, l’opposition à beau crié à la fraude, elle a de la peine à le prouver ».

17/ La publication des résultats différents de ceux du vote

Un vote est très souvent réalisé dans de nombreux endroits. Il suffit donc, pourvu que l’information circule mal, de se « tromper » volontairement sur les totaux sans toucher aux résultats intermédiaires pour obtenir des améliorations éventuellement suffisantes.

Lors de la publication des résultats des élections, un président de l’organe de gestion des élections peut publier des résultats différents de ceux issus des urnes. Si le candidat A obtient 51% et le candidat B 49%, le responsable chargé de publier les résultats peut inverser les résultats délibérément et en toute connaissance de cause. Il s’agit de mettre les candidats devant un fait accompli en partant de l’hypothèse qu’il sera difficile de revenir en arrière surtout si ceux qui sont déclarés vainqueurs ont des moyens de coercition pour faire appliquer leur forfaiture.

L’un des indicateurs de fraude de la part d’un organe de gestion des élections apparaît lors de la publication des résultats. Pour masquer la fraude, on publie des totaux et non pas bureau de vote, car c’est dans « le détail que se trouve le diable ».

18/ La complicité de la justice électorale lors des contentieux

Un parti ou un candidat estimant que les résultats obtenus par lui aux élections ont été modifiés peut faire recours auprès de la justice électorale. La justice électorale utilise les procès verbaux qui lui sont destinés pour statuer. Lorsqu’on vit dans un pays ou la justice est sous ordre, il est préférable d’éviter, autant que possible, d’avoir recours à la justice électorale.

S’il faut aller devant le tribunal, il est préférable de déployer des avocats dans chaque circonscription électorale et surtout de s’assurer de la qualité des délégués, des superviseurs pour éviter de se faire marcher sur les pieds et de collecter les procès verbaux de façon systématique et exhaustive.

CONCLUSION

Il existe d’autres techniques de fraudes n’ont exposées dans le présent texte, c’est par exemple le cas des rabatteurs placés au coin des différents carrefours d’un bureau de vote pour désigner aux électeurs pour qui il faut voter. C’est aussi le fait de laisser des populations, qui croient à la primauté de la religion, organiser le vote au sein d’un lieu de culte, etc.

Néanmoins, il est important de dire que dans une élection, le fichier électoral est l’élément majeur de la fraude. Si le fichier est biaisé, c’est-à-dire que certains électeurs qui devraient y être ne s’y trouvent pas ou que des non électeurs (pas en âge de voter, morts, absents, électeurs fictifs ou virtuels, doublons et même plusieurs fois, etc.) s’y trouvent ou que des électeurs soient envoyés loin de leur bureau de vote, il sera impossible d’arrêter la fraude.

Si le contenu du fichier électoral (nombre d’inscrits, répartition des électeurs par circonscription électorale et par bureau de vote, effectivité des personnes inscrites sur la liste électorale, etc.) est inconnu de tous les partis en compétition, le risque de fraude est grand. C’est pour cette raison que la certification du fichier électoral avant une élection est toujours indispensable.

L’informatisation des résultats dans une élection est le second élément majeur de la fraude. Dans ce cas, la fraude peut commencer depuis la saisie des procès verbaux des bureaux de vote jusqu’à l’envoi pas SMS ou tout autre moyen électronique de transmission des résultats de la base (commissions de centralisation) vers le site central. Une élection est totalement et définitivement fraudée lorsqu’un fichier électoral biaisé est couplé avec un système de centralisation informatisée des résultats.

Enfin, on se souviendra qu’on peut avoir des électeurs et perdre des élections et inversement ne pas avoir d’électeurs et gagner grâce à la fraude. Pour se prémunir contre les fraudes exposées dans cet article, une seule et grande recette : avoir des ressources humaines de qualité (jeunesse, instruction, courageux et motivation idéologique et matérielle) tout au long du processus électoral. C’est-à-dire avoir du personnel impliqué de la confection de la liste électorale, de sa révision, de son affichage, du vote jusqu’à la proclamation des résultats. Cette sélection et cette formation des agents électoraux devraient se faire sous la supervision directe du candidat. Chaque parti devrait utiliser, comme indicateur de la performance des responsables du parti, le nombre de voix obtenus sur la liste nationale par le parti dans la circonscription électorale de chaque candidat.

Alpha Amadou Bano BARRY  Ph.D Sociologie

Maître de Conférences

Consultant en Fraudes Électorales