Violations des droits de l’homme: la lettre de Michelle Bachelet au chef de la junte en Guinée


Droits de l’homme


Arrestations d’opposants et d’acteurs de la société civiles, cas de morts et blessés lors des manifestations des 28 et 29 juillet 2022, dissolution du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, écrit au Colonel Mamadi Doumbouya, président de la junte guinéenne pour exprimer ses « profondes préoccupations face à l’évolution récente de la situation des droits de l’homme en République de Guinée ».

Selon les informations que j’ai reçues, le recours à la force par les forces de sécurité lors des manifestations des 28 et 29 juillet 2022 a entrainé un certain nombre de morts et de blessés. De telles actions pourraient constituer des violations des droits de l’homme, y compris des droits à la vie et à l’intégrité physique.

Je suis également préoccupée par les informations faisant état d’un grand nombre d’arrestations de manifestants, y compris des membres de l’opposition politique et de la société civile. De telles actions pourraient constituer des violations des droits à la liberté d’association et de réunion pacifique.

Je été informée de la décision prise par votre gouvernement le 9 août courant de dissoudre le Front National pour la Défense de la Constitution, un collectif de partis politiques d’opposition, syndicats et organisations de la société civile, qui a été à l’initiative des manifestations des 28 et 29 juillet dernier. Une telle mesure constitue une atteinte grave au droit à la liberté d’association et de réunion pacifique. J’en appelle à votre gouvernement à revenir sur cette décision et à garantir à tous les Guinéens les libertés fondamentales contenues dans la Constitution guinéenne et conventions internationales relatives aux droits de l’homme auxquelles la République de Guinée est partie.





Guinée: La récente libération de prisonniers ne doit pas faire oublier le maintien en détention de près de 60 autres depuis la période électorale


Politique


  • La décision de non-lieu pour 40 détenus décrispe l’espace civique
  • Des opposants politiques renvoyés devant le tribunal
  • Le militant pro-démocratie Oumar Sylla doit être libéré

La décision de non-lieu ou de renvoi en procès concernant 97 personnes en détention provisoire depuis leur arrestation dans le contexte de la contestation de l’élection présidentielle d’octobre dernier est un pas positif vers le respect des libertés et des principes de procès équitable en Guinée, a déclaré Amnesty International jeudi 8 juillet 2021.

Nous saluons l’avancée des procédures concernant les personnes arrêtées pendant la période électorale. C’est un pas positif pouvant contribuer à la décrispation de l’espace civique, caractérisé depuis le début de la période électorale par des arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, et une répression de presque toutes leurs manifestations. 

Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

« Nous saluons l’avancée des procédures concernant les personnes arrêtées pendant la période électorale. C’est un pas positif pouvant contribuer à la décrispation de l’espace civique, caractérisé depuis le début de la période électorale par des arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, et une répression de presque toutes leurs manifestations », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Une ordonnance de renvoi datée du 29 avril 2021, consultée par Amnesty International, a acté la libération de 40 personnes à la suite d’un non-lieu, sur un total de 97 en détention provisoire depuis octobre dernier pour différents chefs d’inculpation en lien avec des discours ou des actions prises durant la période électorale. Les 57 autres détenus ont été renvoyés devant le tribunal de Dixinn dans la capitale Conakry pour être jugés.

Par ailleurs, une grâce présidentielle a été accordée les 18 et 22 juin, à quatre personnes, dont trois s’opposaient au troisième mandat du président Alpha Condé. Il s’agit de Mamadi Condé, Souleymane Condé et Youssouf Diabaté. Leur libération intervient à la suite de demandes de pardon qu’elles ont exprimées après plusieurs mois de détention.

Ces libérations ne doivent néanmoins pas faire oublier que des dizaines d’autres personnes sont en détention provisoire depuis plus de sept mois, dont des opposants politiques, et qu’un activiste pro-démocratie, Oumar Sylla, est détenu arbitrairement, simplement pour s’être exprimé. 

Samira Daoud

« Ces libérations ne doivent néanmoins pas faire oublier que des dizaines d’autres personnes sont en détention provisoire depuis plus de sept mois, dont des opposants politiques, et qu’un activiste pro-démocratie, Oumar Sylla, est détenu arbitrairement, simplement pour s’être exprimé. Ce dernier doit être libéré immédiatement et sans conditions, tandis que les autres personnes doivent être jugées sans délai selon des procédures justes et équitables, ou libérées », a déclaré Samira Daoud.

Parmi les personnes renvoyées devant le tribunal de Dixinn pour être jugées, se trouvent quatre responsables de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, opposition), Ibrahima Chérif Bah, Ousmane « Gaoual » Diallo, Mamadou Cellou Balde et Abdoulaye Bah, ainsi qu’Etienne Soropogui, président du mouvement politique allié Nos valeurs communes. Amadou Djouldé Diallo, membre de la cellule de communication de l’UFDG, a lui aussi été renvoyé devant le tribunal.

Selon l’ordonnance de renvoi, les charges pour « meurtre et complicité de meurtre » ont été abandonnées contre eux mais ils sont inculpés chacun pour tout ou partie des charges suivantes : « atteinte aux institutions de la république », « trouble à l’État par la dévastation et le pillage », « participation à un mouvement insurrectionnel », « menace de violence ou de mort par le biais d’un système d’information », et « production, diffusion et mise à disposition d’autres de données de nature à troubler l’ordre public ou la sécurité publique. »

« Aucune date d’audience n’a encore été fixée, des visites leur ont été refusées, leur mandat de dépôt, arrivé à expiration, n’a pas été renouvelé, en violation du Code de procédure pénal », a déclaré à Amnesty International l’un des avocats du collectif de la défense.

Ce collectif avait annoncé en février 2021 la suspension de sa participation à la procédure, au motif du « caractère fallacieux des chefs d’inculpation, des détentions arbitraires prolongées, et de la violation répétée et intolérable des droits de la défense. »

Également parmi les 57 personnes renvoyées devant le tribunal, huit le sont pour l’attaque d’un train de la compagnie minière russe Rusal, le 23 octobre 2020 à Sonfonia (Conakry), au cours de laquelle quatre agents des services de défense et de sécurité ont trouvé la mort.

Oumar Sylla en détention arbitraire depuis bientôt 10 mois

Le militant pro-démocratie du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) Oumar Sylla, demeure en détention arbitraire depuis bientôt 10 mois. Arrêté le 29 septembre 2020 à Conakry alors qu’il s’apprêtait à participer à une manifestation organisée par le FNDC pour protester contre la candidature du président Alpha Condé à un troisième mandat, il a été condamné lors de son procès en appel le 10 juin 2021 à trois ans de prison ferme pour « communication et divulgation de fausses informations, menaces notamment de violences ou de mort ».

Après trois mois de détention provisoire, Oumar Sylla avait entamé une grève de la faim le 25 décembre 2020 pour exiger la tenue de son procès.

Les autorités doivent immédiatement et sans conditions libérer Oumar Sylla, ainsi que toutes les personnes arbitrairement détenues pour avoir voulu exercer leur droit à la liberté d’expression. 

Samira Daoud

« Les autorités doivent immédiatement et sans conditions libérer Oumar Sylla, ainsi que toutes les personnes arbitrairement détenues pour avoir voulu exercer leur droit à la liberté d’expression », a déclaré Samira Daoud.

Parmi les cinq responsables de l’UFDG et de Nos valeurs communes détenus, Ibrahima Chérif Bah, 73 ans, Abdoulaye Bah, et Ousmane « Gaoual Diallo », ont été hospitalisés ces derniers mois pour des problèmes de santé, tandis que Ismaël Condé, autre opposant en détention, a été admis à l’hôpital après s’être « volontairement ébouillanté le visage et le torse avec de l’eau chaude, » selon le ministère de la Justice.

Selon des membres de la famille de Ibrahima Chérif Bah – détenu depuis le 30 novembre 2020 – contactés par Amnesty International, une évacuation d’urgence à l’étranger lui a été refusée, bien qu’il ait « des difficultés à suivre son traitement car il est compliqué de lui faire parvenir ses médicaments en raison des restrictions de voyages. »

Le ministère de la Justice avait annoncé le 20 avril 2021 son admission à l’hôpital, en rapportant que son état avait été jugé « médicalement stable » par « une équipe médicale composée d’éminents cardiologues. »

Amnesty International s’associe à l’appel formulé le 25 mars 2021 par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, demandant aux autorités d’examiner les moyens de libérer les personnes particulièrement vulnérables à la COVID-19, notamment les détenus les plus âgés et ceux malades.

Entre décembre 2020 et janvier 2021, Amnesty International avait documenté et communiqué sur la mort de quatre personnes, dont trois militants ou sympathisants de l’UFDG, pendant leur détention provisoire à la prison centrale de Conakry.

Menaces contre des opposants politiques

Des pressions et menaces continuent par ailleurs d’être exercées contre des opposants politiques.

Le président et l’un des vice-présidents de l’UFDG ont ainsi été interdits de sortie du territoire à plusieurs reprises, et le passeport du président du parti a été confisqué par les autorités sans base légale, en violation de leur droit à la liberté de mouvement.

Morlaye Sylla, militant de l’UFDG en Guinée-Bissau, a reçu en 2019, 2020 et 2021 des menaces de mort de la part d’un responsable de l’ambassade de Guinée et d’un proche du consul dans ce pays, en raison de ses activités politiques et de ses publications critiques envers le pouvoir.
En dépit d’une plainte déposée en 2020 à la police judicaire de Bissau suite à une agression, le militant a déclaré à Amnesty International qu’aucune suite n’a été donnée à ses alertes jusqu’à présent.

Amnesty International appelle les autorités bissau-guinéennes à prendre les mesures nécessaires pour garantir le droit à la liberté d’expression, et faire cesser ces menaces.

Complément d’information

Après les violences consécutives à la tenue de l’élection présidentielle contestée du 18 octobre 2020, le procureur général de la Cour d’appel de Conakry avait annoncé le 31 octobre 2020 l’interpellation de 325 personnes. D’autres avaient ensuite été arrêtées au mois de novembre, dont plusieurs membres de l’UFDG et de Nos valeurs communes.

Une semaine après l’élection présidentielle organisée dans un contexte de répression du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, Amnesty International avait conclu à des tirs à balles réelles sur des passants et des protestataires à Conakry la capitale et Labé au nord du pays, par les forces de défense et de sécurité.


Amnesty International





Oumar Sylla «Foniké Mengué», sept mois de détention arbitraire


Politique


Guinée. Après sept mois de détention arbitraire, le militant Oumar Sylla doit être libéré

Ce 29 avril marque les sept mois de détention arbitraire d’Oumar Sylla, coordinateur national adjoint de Tournons La Page Guinée et responsable de la mobilisation et des antennes du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) arrêté en pleine rue à Conakry alors qu’il se rendait à une manifestation contre le projet de troisième mandat du président sortant Alpha Condé.

Tournons La Page, ACAT-France, Amnesty International, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (FIDH-OMCT), et Agir ensemble pour les droits humains demandent la libération immédiate et inconditionnelle d’Oumar Sylla, de tous les défenseurs des droits humains et autres personnes détenues arbitrairement en Guinée.

Que le militant Oumar Sylla, comme de nombreux autres détenus arbitrairement, soit toujours en prison simplement pour avoir exercé ses droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, prouve la volonté manifeste du pouvoir guinéen de continuer à museler toute voix dissidente même après l’élection présidentielle. Ils devraient tous être libérés immédiatement et sans condition. 

Les organisations signataires

« Que le militant Oumar Sylla, comme de nombreux autres détenus arbitrairement, soit toujours en prison simplement pour avoir exercé ses droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, prouve la volonté manifeste du pouvoir guinéen de continuer à museler toute voix dissidente même après l’élection présidentielle. Ils devraient tous être libérés immédiatement et sans condition », ont déclaré les signataires.

Le 29 septembre 2020, Oumar Sylla a été arrêté avec violence par des hommes en civil en pleine rue dans la commune de Matoto à Conakry alors qu’il s’apprêtait à participer à une manifestation organisée par le FNDC pour protester contre la candidature du Président Alpha Condé à un troisième mandat.

Emmené à la Direction de la Police Judiciaire (DPJ), il a été interrogé sans que ses avocats n’aient pu l’assister, ce qui est une atteinte aux droits de la défense. Quelques heures plus tard, le procureur du tribunal de Mafanco a décidé de poursuivre Oumar Sylla pour « attroupement illégal, trouble à l’ordre public, destruction de biens publics et atteinte à la sûreté de l’État », de le placer en détention provisoire et de le faire incarcérer à la prison centrale de Conakry.

Une prison qu’il connaît hélas bien pour y avoir déjà fait quatre mois de détention arbitraire entre le 17 avril et le 27 août 2020, accusé de « communication et diffusion de fausses informations » après avoir participé à l’émission de grande écoute « Les Grandes Gueules » sur Radio Espace FM, au cours de laquelle il a dénoncé les arrestations arbitraires et les exactions survenues dans la ville de N’Zérékoré le 22 mars 2020. Les charges retenues contre lui ont été abandonnées en août 2020.

Une grève de la faim pour être jugé

Après près de trois mois de détention provisoire, Oumar Sylla a entamé une grève de la faim le 25 décembre 2020 pour exiger la tenue de son procès. Il a mis fin à sa grève le 8 janvier 2021, après que la date de son audience a été programmée. Très affaibli, il a dû être hospitalisé le jour même.

Le 28 janvier 2021, Oumar Sylla a été condamné à 11 mois de prison ferme par le tribunal de Mafanco à Conakry pour « participation délictueuse à un attroupement susceptible de troubler l’ordre public ». Ses avocats ont immédiatement fait appel de la décision et la date de son appel est fixée au 20 mai 2021.

Oumar Sylla a également contracté le Covid-19 en mars 2021 et n’a pu bénéficier d’assistance médicale que sous la pression de l’opinion publique et de ses avocats.

Organisations signataires

1. ACAT-France
2. Agir ensemble pour les droits humains
3. Amnesty International
4. Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs de droits de l’Homme
5. Mêmes Droits pour Tous (MDT)
6. Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH)
7. Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs de droits de l’Homme
8. Tournons La Page


Amnesty International





En deux mois, quatre prisonniers politiques morts en détention en Guinée [Human Rights Watch]


Politique


Depuis novembre 2020, quatre partisans présumés de l’opposition politique sont décédés après avoir été emprisonnés

Quatre hommes détenus en tant que partisans présumés de l’opposition politique en Guinée sont décédés entre novembre 2020 et janvier 2021, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les quatre hommes faisaient partie des centaines de partisans ou sympathisants présumés de l’opposition arrêtés lors du référendum de mars 2020 et de l’élection présidentielle d’octobre 2020.

Les autorités guinéennes ont imputé ces décès à des maladies ou à des causes naturelles, mais des membres des familles des victimes, leurs avocats et des militants des droits humains ont déclaré que les quatre personnes étaient mortes à la suite de torture ou d’autres mauvais traitements, notamment de mauvaises conditions de détention et du manque d’accès à des soins médicaux adéquats pour de graves problèmes de santé. Le gouvernement guinéen devrait garantir une enquête approfondie, indépendante et transparente sur les circonstances de ces décès.

« Ces décès dans des circonstances suspectes soulèvent de graves préoccupations et devraient faire l’objet d’une enquête rapide et approfondie », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités devraient établir la cause de ces décès, fournir tous les détails pertinents aux familles et poursuivre de manière appropriée tout individu responsable d’actes répréhensibles. »

Entre le 21 janvier et le 7 février 2021, Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec neuf membres des familles des victimes, une voisine de l’une d’entre elles, quatre avocats et trois membres d’organisations guinéennes de défense des droits humains. L’organisation a également examiné six photographies révélant des lésions sur le corps de l’une des victimes. Human Rights Watch a écrit au ministre guinéen de la Justice, Mory Doumbouya, le 5 mars, pour partager ses conclusions et demander des informations relatives à des questions spécifiques, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication de ce communiqué.

Roger Bamba, âgé de 40 ans, membre du conseil des jeunes de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition du pays, est décédé le 17 décembre. Le porte-parole du ministre de la Justice a déclaré que la cause de la mort était une cirrhose du foie, mais l’épouse de Bamba a accusé le gouvernement de « crime d’État », affirmant que Bamba n’avait pas reçu les soins médicaux adéquats après être tombé malade pendant sa détention.

Ibrahima Sow, âgé de 62 ans, est décédé un mois plus tôt, le 16 novembre. Les autorités guinéennes ont déclaré que sa mort était liée à un diabète, mais sa famille affirme qu’il est décédé des suites de sa torture en détention.

Le 5 décembre, Lamarana Diallo est décédé à l’âge de 22 ans au domicile de sa sœur, le jour de sa remise en liberté de la Maison centrale de Conakry. Des membres de sa famille et un témoin ont assuré que les gardiens de prison avaient ramené Diallo chez lui dans un état de santé déplorable et qu’il était mort des suites de sa torture en détention, une accusation rejetée par le gouvernement.

Oury Barry, 21 ans, est décédé le 16 janvier. Sa famille et son avocat ont déclaré que sa mort était survenue dans sa cellule et qu’il n’avait pas reçu de soins médicaux appropriés pour les mauvais traitements et la maladie dont il avait souffert en détention, mais les autorités ont soutenu qu’il était mort à l’hôpital de « causes naturelles ».

Quatre proches de trois des victimes ont déclaré à Human Rights Watch avoir été menacés par les autorités pour leur dénonciation des abus que ces trois hommes auraient subis derrière les barreaux. « Depuis que nous avons dit aux médias que mon père avait été torturé en prison, les autorités et les forces de sécurité sont à nos trousses », a confié l’un des proches de Sow. « Des hommes en tenue civile sont venus dans notre quartier poser des questions sur moi et ma famille. Mon frère a quitté le pays de crainte d’être arrêté. J’ai reçu des appels anonymes me demandant de rencontrer un colonel concernant le cas de mon père. J’ai peur. »

Les quatre hommes se trouvaient tous en détention provisoire à la Maison centrale de Conakry, notoire pour ses mauvaises conditions d’incarcération et sa surpopulation : conçue pour 300 détenus, elle en accueille actuellement plus de 1 500.

« La surpopulation est un grave problème dans nos centres de détention », a déclaré à Human Rights Watch l’avocat guinéen des droits humains Thierno Souleymane Baldé. « Elle est causée, entre autres, par le recours généralisé à la détention provisoire. On estime que 60% des prisonniers en Guinée font l’objet d’une détention provisoire prolongée. »

La principale prison de Conakry regorge de centaines de membres de l’opposition et de sympathisants arrêtés par les forces de sécurité au moment de la tenue du référendum constitutionnel de mars 2020 et des élections présidentielles d’octobre 2020. « Les gens sont entassés dans des conditions inhumaines et la hausse du nombre de morts est une conséquence prévisible », a constaté un avocat guinéen des droits humains représentant plusieurs détenus politiques.

Selon les médias guinéens, le 7 février, Mamadou Aliou Diaby, un détenu sourd et muet de la Maison centrale de Conakry, avait été retrouvé pendu, un drap noué autour du coup, et le 31 janvier, le corps de la cheffe cuisinière de la Maison centrale de Conakry, Mamadou Hawa Baldé, a été retrouvé sans vie dans un débarras de la prison. Les autorités ont promis de procéder à son autopsie pour établir les circonstances de sa mort, mais toujours selon les médias, Baldé fut inhumée le 1er février sans que ce fût le cas. Les autorités n’ont pas fait de déclaration publique au sujet de la mort de Diaby.

Human Rights Watch documente depuis des années les mauvaises conditions de détention à travers toute la Guinée, ainsi que les arrestations arbitraires, détentions, poursuites judiciairesmeurtresdisparitions forcées, menaces, harcèlement et intimidation dont sont victimes opposants et critiques du gouvernement.

Le 19 janvier, l’ambassade des États-Unis en Guinée s’est dite préoccupée par « les retards pris par les garanties de procédure régulière et le ciblage de l’opposition politique par le gouvernement », déclarant que la mort en détention de membres de l’opposition « remettait en question l’attachement de la Guinée à l’état de droit ». Le 21 janvier, l’Union européenne a exhorté les autorités à ouvrir des enquêtes sur la mort d’opposants politiques en détention et à rendre justice. Cet appel a été réitéré le 27 janvier par le ministre français des Affaires étrangères, qui a demandé aux autorités guinéennes de « faire la lumière » sur les décès survenus en détention, agitant la menace de « mesures » à l’encontre de Conakry.

Le 8 février, des membres de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH) se sont vus refuser l’accès à la Maison centrale de Conakry. « Les autorités pénitentiaires ont dit qu’une autorisation était nécessaire, mais les détenus ont le droit de recevoir des visites », a rappelé un représentant de l’OGDH à Human Rights Watch.

En vertu du droit national et international, notamment les Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique de 2014 (« Lignes directrices Luanda »), adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, les autorités guinéennes sont tenues de fournir aux détenus les mêmes soins de santé qu’aux personnes en liberté et, selon les normes internationales, la détention provisoire ne devrait être utilisée qu’en dernier recours. En vertu du droit international des droits humains, les autorités guinéennes ont l’obligation de mener une enquête crédible, approfondie et indépendante et de rendre compte de tout décès survenu en détention. Elle devrait identifier toute personne responsable si le décès était dû à une négligence ou à une action illégale et devrait conduire à des poursuites. L’absence d’enquêtes et de poursuites contre les responsables constituerait une violation des obligations de la Guinée de protéger les personnes contre la privation arbitraire de la vie et de fournir un recours utile.

Human Rights Watch a appelé l’ONU et l’Union africaine, y compris le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Rapporteur spécial de l’UA sur les prisons et les conditions de détention, à fournir une assistance technique et autre dans le cadre de l’enquête guinéenne, ou de mener leurs propres enquêtes si les autorités guinéennes n’agissent pas.

« La mort en détention de quatre prisonniers politiques en seulement deux mois montre que la santé et la sécurité des prisonniers sont gravement menacées en Guinée », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les autorités guinéennes, avec le soutien de partenaires internationaux, devraient enquêter de toute urgence sur les décès récents de prisonniers et remettre en liberté tous ceux qui sont détenus uniquement pour avoir exercé leurs droits garantis par la Constitution à manifestement pacifiquement et à s’exprimer politiquement. »

Pour lire des informations plus approfondies et des témoignages, veuillez consulter la section ci-dessous.

Ibrahima Sow

Ibrahima Sow, un commerçant âgé de 62 ans, est décédé le 16 novembre à l’Hôpital Ignace Deen de Conakry, à la suite de son transfert depuis la Maison centrale de Conakry. Selon sa famille, il avait été arrêté le 24 octobre à son domicile du quartier Haifa Minière par des gendarmes qui l’accusaient d’appartenir à l’opposition politique.

L’arrestation a eu lieu le jour même où le président sortant Alpha Condé a été confirmé par la commission électorale guinéenne comme étant le vainqueur de l’élection présidentielle, sur fond de troubles publics dans plusieurs quartiers de Conakry, dont celui de Haifa Minière, où les partisans de l’opposition se sont livrés à des affrontements avec ceux du parti au pouvoir et les forces de sécurité.

Accusé de « rassemblement violent et illégal », Sow a été transféré le 25 octobre d’un poste de gendarmerie à la Maison centrale de Conakry, selon les membres de sa famille.

Après sa mort, le porte-parole du ministre guinéen de la Justice a déclaré dans un communiqué que Sow avait été testé positif au Covid-19 à son arrivée à la Maison centrale de Conakry. Le porte-parole a ajouté que Sow y avait été soigné au centre de santé pour les malades du coronavirus jusqu’à son rétablissement le 13 novembre, lorsqu’il a été ramené dans sa cellule. Selon le porte-parole, l’état de santé de Sow était surveillé par les médecins de la prison qui ont décidé de le transférer le 14 novembre à l’Hôpital Ignace Deen, où il a succombé à un diabète deux jours plus tard.

Cependant, quatre membres de la famille de Sow, ainsi que des organisations guinéennes de défense des droits humains et Amnesty International, affirment que la mort de Sow a été causée par des actes de torture ou des mauvais traitements subis en détention.

La fille de Sow, âgée de 32 ans, a confirmé que son père était atteint du Covid-19, pour lequel il avait été soigné au centre de santé de la prison. Mais selon elle également, celui-ci présentait de graves lésions indiquant des maltraitances et des actes de torture infligés la veille de sa mort :

Je suis allée à la Maison centrale pour rendre visite à mon père et lui apporter de la nourriture. Il était en bonne santé. La veille de sa mort, j’y suis retournée et j’ai été choquée de le trouver dans un état catastrophique. Il ne pouvait pas parler ; il ne pouvait ni bouger ni se lever. Ses bras étaient couverts de lésions, comme des brûlures. J’ai immédiatement appelé le médecin de la prison et lui ai demandé de faire quelque chose. Il a décidé de le transférer à l’Hôpital Ignace Deen. Je suis restée avec mon père jusqu’à son décès le lendemain vers 23 heures, à l’hôpital. Mon père n’a jamais souffert de diabète. Je ne sais pas pourquoi le médecin et les autorités ont dit qu’il était mort du diabète. Je pense que mon père a été torturé en détention.

Un médecin légiste qui a analysé six photographies des blessures sur les bras de Sow a déclaré qu’il avait observé « un ensemble de lésions qui semblent linéaires, parallèles les unes aux autres, et avec des cloques », suggérant selon lui des brûlures.

Lamarana Diallo

Lamarana Diallo, un chauffeur âgé de 22 ans, est décédé le 4 décembre, le jour même de sa remise en liberté de la Maison centrale de Conakry. Il avait été arrêté le 2 avril dans le quartier de Wanindara, à Conakry, lors des troubles ayant suivi le référendum controversé du 22 mars, mais était  disparu  depuis, selon des membres de sa famille qui se sont entretenus avec les médias et Amnesty International.

Les membres de la famille de Diallo ont déclaré aux médias que des gardiens de prison l’avaient ramené au domicile de sa sœur dans le quartier de Wanindara, à Conakry, le 4 décembre, expliquant qu’il venait juste d’être libéré de la Maison centrale. Des proches ont déclaré que Diallo était en très mauvaise santé, qu’il présentait des lésions sur tout le corps et que manquaient certaines de ses dents de devant. Une information confirmée à Human Rights Watch par une femme de 29 ans qui a aidé Diallo à son arrivée au domicile de sa sœur :

J’étais dans la rue quand j’ai vu deux gardiens de prison avec Diallo. L’un d’entre eux posait des questions sur la sœur de Diallo. J’ai proposé mon aide parce que je connais la sœur de Diallo. C’est une commerçante, comme moi. Nous vendons tous les deux nos produits sur le même marché. La sœur me disait que son frère, que j’avais vu une fois, avait disparu depuis son arrestation. […] J’ai dit aux gardiens où était la sœur. Quand j’ai regardé Diallo, j’ai été surpris de voir qu’il pouvait à peine marcher et parler. Il avait l’air extrêmement fatigué et ses dents de devant avaient disparu. Les gardiens ont escorté Diallo chez sa sœur qui l’a ramené à la maison. J’y suis allée pour aider, parce que Diallo avait l’air vraiment malade. Sa sœur et moi l’avons lavé et essayé de l’aider, tandis que le frère de Diallo appelait un médecin. Son corps était couvert de blessures ; sa main gauche paralysée. Il avait besoin d’aide pour se lever. Il nous a dit que les gardiens de prison l’avaient passé à tabac. « Ils m’ont frappé, mais je n’ai rien fait », a-t-il dit. La sœur de Diallo pleurait. Lorsque le médecin est arrivé vers 21 heures, je suis rentré chez moi. La sœur de Diallo m’a appelé après minuit pour m’informer que Diallo était décédé.

Selon les médias locaux, le corps de Diallo a été inhumé le 5 décembre au cimetière de Wanindara.

Roger Bamba

Membre éminent de l’UFDG, le principal parti d’opposition guinéen, et assistant parlementaire, Roger Bamba est décédé à l’Hôpital Ignace Deen de Conakry, où il avait été transféré de la Maison centrale de Conakry aux premières heures du 17 décembre.

Selon le porte-parole du ministre guinéen de la Justice, Bamba aurait succombé à « une cirrhose du foie ». Mais des membres de sa famille, des amis proches, des avocats et des membres de l’UFDG ont déclaré à Human Rights Watch que Bamba ne souffrait pas de cirrhose préalablement à son arrestation, estimant qu’il s’était vu refuser des soins de santé indispensables en détention. Le président de l’UFDG, Cellou Diallo, a également corroboré cette absence de soins.

L’épouse de Bamba a déclaré à Human Rights Watch :

Mon mari était en bonne santé avant son arrestation. Je lui ai rendu visite en prison et il était en bonne santé. Il m’a appelé de là vers 20 heures, en disant : « Je suis malade. » Je suis allé à l’hôpital et pouvais à peine le reconnaître. Il avait changé, son visage et son corps avaient changé. Son ventre était enflé. J’étais sous le choc. Le médecin a dit qu’il avait besoin d’une transfusion sanguine. Je suis allé chercher le sang et suis rentrée à l’hôpital vers 22 heures avec [le sang]. Le médecin a dit qu’il devait attendre avant de procéder à la transfusion. Roger souffrait vraiment. J’étais à côté de lui. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas respirer. Il est mort après minuit.

Selon deux membres de l’UFDG et deux de ses proches, Bamba avait été arrêté en septembre par des policiers au bureau du Secrétaire général de l’Assemblée nationale guinéenne, à la suite d’un échange de messages avec un membre du parti au pouvoir. Accusé de « produire, diffuser et rendre disponibles des déclarations susceptibles de causer des troubles à l’ordre public et à la sécurité », il avait été détenu au commissariat de police judiciaire de Conakry pendant une journée avant d’être transféré à la Maison centrale.

Le 22 décembre, sa famille et ses avocats ont écrit au président du Tribunal de première instance de Dixinn pour demander qu’une autopsie soit pratiquée afin d’établir les circonstances du décès de Bamba. Le 28 décembre, cependant, la famille et les avocats ont retiré cette demande.

« Lorsqu’un représentant du ministre de la Justice déclare publiquement et dit aux médias que Bamba est mort d’une cirrhose, quel intérêt à pratiquer une autopsie ? », a déclaré à Human Rights Watch un ami proche et collègue de Bamba. « [Les autorités] semblaient déjà connaître les causes du décès avant qu’un médecin légiste ne puisse les établir. Cela a découragé la famille, la poussant à renoncer à l’autopsie. »

Le corps de Bamba a été inhumé le 10 janvier dans son village natal de Lola, en Guinée forestière.

Mamadou Oury Barry

Le 5 août, dans le quartier de Coza de Conakry, des gendarmes ont arrêté Mamadou Oury Barry, un chauffeur âgé de 21 ans, soupçonné d’avoir participé à des manifestations violentes antigouvernementales dirigées par l’opposition. Il a été placé en détention dans une brigade de gendarmerie à Conakry jusqu’au 7 août, date à laquelle il a été transféré à la Maison centrale. Selon son avocat, Barry a été accusé « d’agression volontaire et de coups et blessures ».

Trois membres de la famille de Barry ont déclaré à Human Rights Watch que Barry n’avait pas reçu de soins médicaux suffisants en détention, et était décédé dans sa cellule le 16 janvier. La mère de Barry a fait le récit suivant :

Le 14 janvier, mon fils m’a appelé et m’a dit qu’il avait mal au ventre. Je suis allée à la prison et j’ai demandé aux gardiens de l’emmener à l’hôpital. Ils ont répondu qu’ils le conduiraient au centre de santé de la prison. Mais je savais que le centre de santé n’était pas optimal et qu’il n’y avait pas de médicaments disponibles. Alors, j’ai acheté des médicaments avec l’intention de les ramener à la prison pour mon fils le lendemain. Mais quand j’ai apporté le médicament, le 15 janvier, j’ai été refoulée. Les gardiens de prison ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas les accepter en l’absence d’ordonnance. Le 16 janvier, vers 14 heures, un détenu qui partageait la cellule avec mon fils m’a appelée pour me dire que mon fils était mort. Alors, j’ai appelé un gardien de prison qui a confirmé l’information et m’a dit que le corps avait été transporté à la morgue de l’Hôpital Ignace Deen.

D’après un membre de la famille qui a identifié le corps à la morgue de l’hôpital le 16 janvier, les employés lui ont dit que le corps de Barry y avait été déposé depuis la Maison centrale de Conakry. Mais les autorités ont déclaré qu’il était décédé à l’hôpital de « causes naturelles ».

Après la mort de Barry, les membres de sa famille se sont adressés aux médias locaux pour dénoncer sa mort en détention et le manque de soins médicaux adéquats. L’oncle de Barry a déclaré à Human Rights Watch avoir rencontré, le 18 janvier, le directeur de la Maison centrale de Conakry dans son bureau pour discuter de la manière de récupérer le corps de Barry à la morgue. L’oncle a poursuivi : « Il m’a dit que, compte tenu des déclarations publiques de la famille, il serait compliqué de récupérer le corps. Il a suggéré que la famille publie une rétractation publique ou amende ses déclarations initiales disant que Barry n’était pas mort à l’hôpital, mais en prison. »

Le 19 janvier, la famille de Barry a déposé une demande officielle auprès du procureur du Tribunal de première instance de Dixinn pour récupérer le corps de Barry à la morgue. La famille a finalement pu l’inhumer le 2 février.

Human Rights Watch 17 mars 2021





Des ONG se mobilisent pour exiger la libération de Oumar Sylla Fonikè Mengué [Communiqué]


Justice


Depuis deux mois, Oumar Sylla, alias Foniké Menguè – membre du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et coordinateur adjoint de Tournons La Page (TLP-Guinée) – est détenu arbitrairement à la prison centrale de Conakry. Il est accusé d’attroupement illégal, de trouble à l’ordre public, d’atteinte à la sûreté de l’état et de destruction de biens publics.

Le 29 septembre 2020, Oumar Sylla a été violemment arrêté par des hommes en civil en pleine rue dans la commune de Matoto à Conakry alors qu’il s’apprêtait à participer à une manifestation organisée par le FNDC pour protester contre la candidature du Président Alpha Condé à un troisième mandat. Emmené à la Direction de la Police Judiciaire (DPJ), il a été interrogé sans que ses avocats n’aient pu l’assister. Leur entrée dans les locaux de DPJ leur a été refusée ce qui est une atteinte aux droits de la défense. Quelques heures plus tard, le procureur du tribunal de Mafanco a décidé de placer Oumar Sylla sous mandat de dépôt et de le faire incarcérer à la prison centrale de Conakry.

Ce militant de la société civile n’en est pas à sa première arrestation et détention arbitraires. Déjà interpellé le 17 avril 2020 pour « diffusion de fausses informations », l’accusation avait été jugée non fondée par la chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Dixinn. Oumar Sylla avait alors été libéré le 27 août 2020 après plus de quatre mois d’incarcération abusive.

« Si l’état de droit fonctionne en Guinée, il est attaqué par le pouvoir politique qui abuse de sa capacité à faire arrêter les militants de la société civile. Ce harcèlement doit cesser. La place des défenseurs des droits humains n’est pas en prison » s’insurge Agir ensemble pour les droits humains.

Oumar Sylla a également échappé de peu à une arrestation le 12 octobre 2019 lorsque six autres figures de la société civile avec qui il était en contact ont été appréhendées à la veille d’une manifestation contre le changement de Constitution.

La situation d’Oumar Sylla est révélatrice du traitement des représentants de la société civile guinéenne qui se sont mobilisés pour demander le respect de la Constitution et dénoncer la volonté du président Alpha Condé de se maintenir au pouvoir.

« Nous condamnons fermement la nouvelle détention arbitraire d’Oumar Sylla qui n’est qu’une illustration supplémentaire de la répression généralisée à l’encontre de toutes les voix dissidentes en Guinée » déplore l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (FIDH-OMCT).

Les organisations signataires de ce communiqué appellent les autorités guinéennes à remettre en liberté, immédiatement et sans conditions, Oumar Sylla, à mettre un terme à la persécution que subissent ceux qui expriment de manière pacifique leur opposition aux autorités au pouvoir et à garantir les droits fondamentaux reconnus par la Constitution guinéenne.

Contacts presse :

Tournons La Page  : Marc Ona Essangui – marc.ona@brainforest-gabon.org

Tournons La Page Guinée : Ibrahima Diallo – pdhguinee2011@gmail.com

Agir ensemble pour les droits humains : Thibaud Kurtz – t.kurtz@aedh.org

Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (FIDH-OMCT) : Emmanuelle Morau – emorau@fidh.org – Iolanda Jaquemet – ij@omct.org

Front Line Defenders : Mariam Sawadogo- msawadogo@frontlinedefenders.org






Guinée: Violences et répression postélectorales [Human Rights Watch]


Droits de l’Homme


Les autorités devraient ouvrir des enquêtes sur l’usage excessif de la force et traduire les responsables en justice.

(New York) – La période postélectorale en Guinée a été entachée de violences et d’actions répressives qui ont fait au moins 12 morts, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. À la suite du scrutin présidentiel du 18 octobre 2020, les forces de sécurité ont recouru à une force excessive pour disperser les manifestations dirigées par l’opposition dans la capitale, Conakry.

Le principal candidat de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, a été assigné à résidence de facto, en l’absence d’inculpation, du 20 au 28 octobre. L’un des principaux organes d’information en ligne de Guinée a été suspendu du 18 octobre au 2 novembre, et les réseaux Internet et téléphonique ont été gravement perturbés voire suspendus entre le 23 et le 27 octobre. Ces mesures ont entravé la capacité des habitants à communiquer, à obtenir des informations ou à rendre compte des événements en cours.

« Les actions brutales menées contre des manifestants et d’autres personnes à Conakry se sont inscrites dans un contexte de répression généralisée qui a fragilisé la crédibilité des élections », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités devraient maitriser les forces de sécurité, enquêter sur les individus impliqués dans des exactions et les sanctionner, et tous les dirigeants politiques devraient demander d’urgence à leurs partisans de s’abstenir de toute violence. »

Lire la suite sur le site de Human Rights Watch





Guinée: la chasse aux opposants et aux activistes des droits humains doit cesser [FIDH]


Nos organisations appellent à l’arrêt des violences policières ayant entraîné des pertes en vie humaines, des atteintes à l’intégrité physique et des dégâts matériels. Nous condamnons les violences enregistrées le 12 mai 2020 à Coyah, Dubréka et Kamsar, et nous exigeons l’ouverture immédiate d’une information judiciaire qui permettra de faire la lumière sur les violences commises dans ces localités. Enfin, nous appelons les autorités à mettre fin aux arrestations arbitraires et à la libération sans condition de toutes les personnes arbitrairement détenus pour avoir exprimer leurs opinions.

Au moment où l’Humanité est préoccupée par la pandémie du coronavirus qui a fait près de 300 000 morts à travers le monde, les autorités guinéennes mettent à profit cette crise sanitaire pour engager une chasse contre les opposants à la nouvelle Constitution, qui permet désormais au Président Alpha CONDE de briguer deux mandats de plus. Cette chasse se traduit par des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements, du harcèlement judiciaire et des actes d’intimidation contre les défenseur.es des droits humains.

Après Fassou GOUMOU, Bella BAH, Ibrahima DIALLO, Sékou KOUNDOUNO et Oumar SYLLA, alias foniké Mangué, tous membres du Front National pour la défense de la Constitution (FNDC), c’est au tour de Saikou Yaya DIALLO, Directeur Exécutif de l’ONG, le Centre de promotion et de protection des droits humains ( CPDH) d’avoir des ennuis avec la Justice.

Arrêté le jeudi 07 mai 2020 vers 11 h à Hamdallaye Concasseur, dans la Commune de Ratoma par des civils cagoulés à bord d’une voiture blanche de marque DUSTER, Saïkou Yaya a été conduit à la DCPJ dans un premier temps avant d’être conduit vers une destination inconnue le vendredi puis ramené à la DCPJ le surlendemain, samedi. Le mardi 12 mai 2020, il a été inculpé, par le tribunal de première instance de Dixinn, pour violences, menaces, voies de faits et injures publiques et placé sous mandat de dépôt à la Maison Centrale de Conakry. Souffrant de diabète, il n’a pas eu accès à ses médicaments durant toute la période de sa détention à la DCPJ. Une situation qui inquiète ses proches.

Ce nouveau mode opératoire des forces de sécurité viole les règles de procédure pénale et vise à museler les défenseur.es des droits humains. Il révèle la volonté manifeste des autorités guinéennes de restreindre l’espace des libertés fondamentales et de violer les principaux instruments juridiques internationaux et régionaux auxquels la république de Guinée a souscrit librement.

Nos organisations et associations réclament la libération immédiate et sans condition de Saikou Yaya DIALLO ainsi que tous les défenseur.es des droits humains, notamment Oumar Sylla, alias foniké Mangué et Fassou Goumou et autres, détenus pour avoir exercé leur droit à la libre opinion et à la défense des principes démocratiques.


fidh





Guinée: HRW rappelle que les restrictions pour raisons de santé publique ne doivent être ni arbitraires ni discriminatoires


En Guinée, les autorités ont harcelé, intimidé et procédé à l’arrestation arbitraire de membres et partisans de l’opposition au cours des dernières semaines, dans une atmosphère d’insécurité liée aux restrictions imposées dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le 27 mars 2020, le président guinéen Alpha Condé a décrété l’état d’urgence dans le pays et annoncé une série de mesures pour freiner la propagation de Covid-19, notamment la fermeture des frontières, l’interdiction des grands rassemblements, la fermeture des établissements scolaires et la restriction des déplacements à l’extérieur de Conakry, la capitale. Trois jours plus tard, un couvre-feu a été imposé de 21 heures à 5 heures et, le 13 avril, le port des masques de protection a été rendu obligatoire et l’état d’urgence a été prolongé jusqu’au 15 mai.

« Face au coronavirus, la confiance des Guinéens dans leur gouvernement doit être renforcée pour que soit respectée la distanciation sociale et d’autres comportements-barrières », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Dans un pays doté d’un faible système de santé, des leçons devraient être tirées de l’expérience d’Ebola, en impliquant et en gagnant la confiance des communautés locales. »

Au 29 avril, 1 240 cas de Covid-19 et sept décès avaient été confirmés par les autorités sanitaires, la majorité à Conakry. Le nombre d’infections est en hausse constante depuis que le premier cas a été recensé le 13 mars, mais compte tenu des capacités limitées de dépistage, il est probablement plus élevé. La Guinée ne dispose que de quatre laboratoires d’analyse compétents pour dépister le coronavirus, dont trois à sont situés à Conakry.

Entre le 26 mars et le 26 avril, Human Rights Watch s’est entretenu avec 15 victimes, membres des familles des victimes et témoins, ainsi qu’avec 15 agents de santé, journalistes, avocats, membres de l’opposition politique et activistes. Nos conclusions ont été transmises par e-mail le 23 avril à Albert Damatang Camara, ministre de la sécurité et de la protection civile, qui n’a pas répondu aux questions spécifiques qui lui ont été adressées.

La Guinée ne s’est remise que récemment de l’épidémie d’Ebola, qui a touché plus de 3 800 personnes et fait plus de 2 500 morts avant que l’éradication de ce virus ne soit annoncée en juin 2016. Le système de santé guinéen n’est pas en mesure de faire face à un déluge de cas de Covid-19, une situation qui rend le suivi des directives de distanciation sociale d’autant plus importantes, a observé Human Rights Watch. Cependant, les forces de sécurité, qui se livrent à des abus sur la population civile, appliquent les mesures d’urgence en vigueur d’une manière qui fragilise la confiance de l’opinion publique dans les autorités.

Des membres de l’opposition et des représentants d’organisations non gouvernementales ont exprimé leurs craintes que le gouvernement instrumentalise la crise comme excuse pour réprimer la dissidence et bafouer les droits humains. Un leader du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), une coalition d’ONG et de partis d’opposition, a déclaré : « Nous avons fait des manifestations publiques le principal moyen d’exprimer nos frustrations. Les mesures d’urgence entravent notre liberté de réunion. Nous les acceptons à cause du Covid-19. Mais nous n’allons pas les accepter éternellement. »

Le droit international relatif aux droits humains exige que de telles restrictions pour raisons de santé publique ou d’urgence nationale ne soient ni arbitraires ni discriminatoires dans leur application, d’une durée limitée, respectueuses de la dignité humaine et soumises à réévaluation.

Le 18 avril, le FNDC a appelé à la tenue d’une « journée ville morte » le 21 avril à Conakry, afin de protester contre la décision du président Condé d’organiser une session en vue de nommer le président de l’Assemblée nationale et installer les 114 députés nouvellement élus, une décision qui contraindrait ces derniers à se réunir. La décision, a noté le FNDC, contrevient à l’interdiction par le gouvernement de vastes rassemblements pour freiner la propagation du coronavirus.

Au cours des derniers mois, avant et pendant le référendum constitutionnel et les élections législatives controversés du 22 mars, les forces de sécurité ont violemment réprimé les membres et partisans de l’opposition. Les partis d’opposition ont boycotté le vote, accusant le président Condé d’avoir l’intention d’instrumentaliser la révision constitutionnelle pour prolonger son mandat.

Le 14 avril, des gendarmes ont passé à tabac et arrêté, à son domicile de Tougue, en Guinée centrale, un membre du FNDC âgé de 38 ans qui était suspecté d’avoir incendié le poste de gendarmerie local le 28 février. « Il avait le paludisme et était sous perfusion au moment de son arrestation », a déclaré un membre de la famille. « Six gendarmes ont fait irruption chez lui, l’ont roué de coups de pied et giflé à plusieurs reprises. Lorsque je lui ai rendu visite le lendemain au poste de Labe, dans la région du Fouta-Djalon, j’ai demandé aux gendarmes de le faire hospitaliser. Ils ont refusé, préférant envoyer un médecin dans sa cellule. »

Le 16 avril, un policier est entré par effraction dans la maison d’une infirmière, dans le quartier Hamdallaye de Conakry et l’a passée à tabac, l’accusant de soutenir l’opposition. « Le policier qui l’a battue lui a dit : ‘‘Vous dérangez trop’’- parce qu’elle vit dans un bastion de l’opposition », a confié un témoin. « Ensuite, il l’a encore frappée à l’aide d’une matraque, sur tout le corps, y compris au visage. Son nez était enflé. Elle était souffrante pendant plusieurs jours ».

Le 17 avril, la police a procédé à l’arrestation arbitraire d’Oumar Sylla, un membre du FNDC, à son domicile de Conakry. Il a été détenu au siège du renseignement général et à la direction de la police judiciaire de Conakry jusqu’au 24 avril, date à laquelle il a été présenté au tribunal de première instance de la capitale, accusé de disséminer de fausses informations, avant d’être incarcéré à la prison centrale de Conakry. Les avocats de Sylla avaient refusé d’assister leur client jusqu’à ce que son casait été présenté au procureur pour protester contre ce qu’ils avaient qualifié de « procédures illégales » de la police.

Les habitants de Conakry ont fait état d’une atmosphère d’insécurité dans le cadre du couvre-feu.

Le 8 avril, une femme âgée de 30 ans a déclaré qu’un homme en uniforme qui l’accusait d’avoir enfreint le couvre-feu l’avait cambriolée et rouée de coups. « Vers 22 heures, j’étais couchée », a-t-elle expliqué. « Il n’y avait pas de lumière dans le quartier. J’ai entendu du bruit et j’ai ouvert ma porte. Je me suis trouvée devant un homme en uniforme avec une arme à feu. Il faisait trop sombre pour savoir s’il s’agissait d’un policier ou d’un gendarme. Il m’a dit que j’enfreignais le couvre-feu. J’ai répondu que non, car j’étais dans ma propre maison. Il a menacé de m’arrêter, puis m’a giflée et frappée à coups de poing. Il a volé mon téléphone et mon ordinateur portable avant de partir. Je n’ai pas réagi parce que j’avais peur qu’il me viole. »

Six personnes ont déclaré que leurs magasins du marché de Kagbélen, à Conakry, avaient été pillés les 1er et 2 avril, pendant le couvre-feu. L’un des propriétaires a déclaré : « Je suis arrivé dans mon magasin de vêtements le matin du 3 avril et j’ai découvert qu’il avait été cambriolé. La porte avait été détruite et tous mes biens, d’une valeur d’environ 60 millions de francs, [l’équivalent de 624 dollars], avaient été volés. »

Le 3 avril, les victimes et d’autres commerçants ont organisé une manifestation et érigé des barricades sur le marché de Kagbélen, accusant les forces de sécurité de piller leurs magasins. Selon un représentant syndical, les pillages ont cessé après qu’il a signalé les cambriolages au maire du canton de Dubreka, qui a compétence sur le marché de Kagbélen.

« Les abus perpétrés par les forces de sécurité exacerbent une méfiance déjà profonde envers les autorités, créant un obstacle supplémentaire à la lutte contre le Covid-19 », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le gouvernement devrait maîtriser ses forces de sécurité et veiller à ce qu’elles respectent les droits humains dans le cadre de la mise en œuvre des restrictions. »


HRW





« Nous devons tout abandonner » Impact du barrage de Souapiti sur les communautés déplacées en Guinée [HRW]


Forcées à quitter les habitations et les terres de culture de leurs ancêtres, dont une grande partie est déjà inondée ou en passe de l’être, les communautés déplacées ont du mal à nourrir leurs familles, à rétablir leurs moyens de subsistance et à vivre dignement.


RÉSUMÉ

Le barrage de Souapiti, qui devrait à terme fournir 450 mégawatts après sa mise en service en septembre 2020, est le projet d’énergie hydraulique le plus avancé parmi plusieurs nouveaux projets planifiés par le gouvernement du président guinéen Alpha Condé. Le gouvernement guinéen estime que l’énergie hydraulique peut accroître considérablement l’accès à l’électricité, dans ce pays où seule une fraction de la population peut y accéder de façon fiable.

La production par le barrage de Souapiti, néanmoins, a un coût humain. Le réservoir du barrage va entraîner le déplacement d’environ 16 000 habitants de 101 villages et hameaux. Fin 2019, le gouvernement guinéen avait déplacé 51 villages et, selon ses déclarations, il prévoyait de réaliser les réinstallations restantes en un an. Forcées à quitter les habitations et les terres de culture de leurs ancêtres, dont une grande partie est déjà inondée ou en passe de l’être, les communautés déplacées ont du mal à nourrir leurs familles, à rétablir leurs moyens de subsistance et à vivre dignement.

Le projet de Souapiti met en lumière le soutien de la Chine à l’énergie hydraulique dans le monde ainsi que le rôle des investissements chinois dans des projets d’infrastructure de grande échelle en Afrique. La China International Water and Electric Corporation (CWE) — filiale en propriété exclusive de l’entreprise publique chinoise Three Gorges Corporation, deuxième constructeur de barrage au monde — construit le barrage et elle en sera la détentrice et l’opératrice conjointement avec le gouvernement guinéen.

Le barrage de Souapiti fait aussi partie du projet « Initiative Ceinture et route » (Belt and Road Initiative, BRI) de la Chine, qui consiste à investir plus d’un trillion de dollars US dans des infrastructures situées dans quelque 70 pays et qui a soutenu d’importants projets hydroélectriques en Afrique, en Asie et en Amérique latine. La banque publique chinoise d’export-import (China Eximbank) a prêté plus de 150 milliards de dollars US (plus d’un trillion de yuans) pour soutenir les projets BRI et finance le barrage de Souapiti par le biais d’un prêt de 1,175 milliard de dollars US. En réponse aux critiques que soulève l’impact environnemental et social des projets BRI, le président chinois Xi Jinping a promis en avril 2019 que les projets BRI soutiendrait « un développement ouvert, propre et écologique ». 

Ce rapport décrit les impacts du barrage de Souapiti sur l’accès des populations déplacées aux terres, à l’alimentation et aux moyens de subsistance. Il se fonde sur plus de 90 entretiens avec des personnes déjà déplacées, des communautés qui doivent l’être et des villages sur les terres desquelles ces personnes sont réinstallées, ainsi qu’avec des chefs d’entreprise et des responsables gouvernementaux engagés dans le processus de réinstallation. Il formule des recommandations quant à la façon d’améliorer les réinstallations à l’avenir, et décrit les voies de recours dont les communautés déjà déplacées ont besoin.

Le processus de réinstallation de Souapiti est le plus important que connaisse la Guinée depuis son indépendance. Les personnes déplacées sont déjà, pour la plupart, extrêmement pauvres : selon les estimations tirées d’une évaluation de 2017, le revenu quotidien moyen dans cette région est de 1,18 dollar US par personne. Le barrage, s’il avait été construit selon les plans initiaux, aurait causé le déplacement de 48 000 personnes, mais l’agence gouvernementale qui supervise les déplacements, dénommée « Projet d’aménagement hydroélectrique de Souapiti » (PAHS), a décidé de réduire sa hauteur et donc la taille de son réservoir afin de faire diminuer le nombre de personnes à réinstaller.

Les habitants déplacés à cause du barrage sont réinstallés dans des maisons en béton situées sur des terrains cédés par d’autres villages. À ce jour, ils n’ont pas obtenu les titres fonciers attachés à leurs nouvelles terres, ce qui engendre, pour l’avenir, un risque de conflit foncier entre les familles déplacées et les communautés hôtes. Les déplacements rompent des liens sociaux et culturels de longue date entre les familles vivant dans cette région. « Dans notre culture, les liens sociaux et familiaux sont essentiels », a expliqué un habitant déplacé. « Des familles élargies sont déchirées. À chaque fois que nous avons quelque chose à fêter ou que nous devons faire un deuil en famille, la distance se fait sentir. »


Les habitants déplacés à cause du barrage sont réinstallés dans des maisons en béton situées sur des terrains cédés par d’autres villages. À ce jour, ils n’ont pas obtenu les titres fonciers attachés à leurs nouvelles terres, ce qui engendre, pour l’avenir, un risque de conflit foncier entre les familles déplacées et les communautés hôtes.


Les moyens de subsistance des communautés sont en outre menacés par les inondations causées par le réservoir de Souapiti, qui touchent de vastes zones de terres agricoles. Le réservoir du barrage va en définitive inonder 253 kilomètres carrés de terres. Selon les estimations, cette surface inclut 42 kilomètres carrés de cultures et il y pousse plus de 550 000 arbres fruitiers. Un document de projet de 2017 avertissait sans ambages : « Les populations déplacées auront en général des terres moins favorables que celles qu’elles cultivent depuis plusieurs générations ».

Des dizaines d’habitants déplacés ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils éprouvaient déjà des difficultés à nourrir adéquatement leurs familles. « Les gens ont faim ; parfois, je ne mange pas pour pouvoir nourrir mes enfants », a confié une femme déplacée du village du district de Tahiré en 2019. Les habitants de plusieurs villages ont affirmé qu’avant leur déplacement, ils cultivaient leur propre nourriture, alors qu’à présent, ils devaient trouver assez d’argent pour l’acheter sur les marchés locaux. « Maintenant que nous n’avons plus nos champs, nous vendons peu à peu notre bétail afin de joindre les deux bouts », a livré un éleveur et agriculteur local. « Nous sommes fragiles comme des œufs à cause de la souffrance qui règne ici », a estimé un leader communautaire réinstallé en 2019. « Ce n’est que grâce à Dieu que nous survivons. »

Les représentants du PAHS ont reconnu que les déplacements constituaient une menace pour les moyens de subsistance des communautés. « Lorsque l’on déplace un village, on casse la chaine de vie qu’il faut tenter de rétablir », a expliqué le directeur environnement et développement durable du PAHS. Le PAHS a affirmé vouloir ramener les communautés vers un niveau de vie égal ou supérieur à celui dont elles bénéficiaient avant leur réinstallation. Bien qu’il n’offre pas de terrains agricoles de substitution aux populations déplacées, il a affirmé qu’il les aiderait à cultiver leurs terrains restants de façon plus intensive et à trouver de nouvelles sources de revenus comme la pêche ou l’élevage.

Les habitants déplacés, cependant, n’ont encore reçu aucune assistance de ce type. « Nous ne demandons rien d’extraordinaire. Préparer le terrain pour que nous puissions poursuivre nos activités, une zone de pâturage pour élever notre bétail. Tenir les promesses qui ont été faites », a affirmé le président du district de Tahiré, qui englobe plusieurs villages réinstallés en juin 2019.

Les normes internationales en matière de droits humains exigent que les populations réinstallées disposent d’un accès immédiat aux sources de subsistance, et que les sites de réinstallation prévoient un accès aux possibilités d’emploi. Les plans d’action préparés en 2015 et 2017 pour piloter la réinstallation recommandaient que le PAHS commence son travail sur les programmes de restauration des moyens de subsistance dès le début de la construction du barrage, en 2015. Cependant, fin 2019, le PAHS n’avait toujours pas commencé à mettre en œuvre les mesures de rétablissement de moyens de subsistance, et les populations déplacées ne recevaient aucune assistance pour les aider à restaurer leurs vies agricoles anciennes. Le PAHS a affirmé à Human Rights Watch qu’« [il] est en train de redoubler d’efforts pour investir sur la restauration des moyens de subsistance dans les prochains mois, et ce, pour les années à venir ».

Les normes internationales en matière de droits humains exigent que les populations réinstallées disposent d’un accès immédiat aux sources de subsistance, et que les sites de réinstallation prévoient un accès aux possibilités d’emploi.

Le PAHS a souligné qu’à court terme, le gouvernement a fourni une assistance alimentaire (deux livraisons de riz durant une période de six mois et des espèces pour couvrir les besoins essentiels de base) aux familles déplacées. « Cela aide les gens à se remettre sur pied », a ajouté un représentant du PAHS. Mais les habitants ont répliqué qu’étant donné le temps qu’il faudrait pour trouver de nouveaux moyens de subsistance, cela ne suffisait pas. « Nous avons consommé l’aide distribuée en un peu plus d’un mois à peine », a précisé le père d’une famille de cinq enfants qui a dû quitter Warakhanlandi pour être réinstallée en juin 2019. Les normes internationales recommandent que les communautés déplacées reçoivent une assistance jusqu’à ce qu’elles atteignent les niveaux de vie qui étaient les leurs avant leur réinstallation.

Le PAHS a également affirmé offrir aux habitants une indemnisation pour les arbres et les cultures qui poussaient sur les terrains inondés, mais il ne fournit aucun paiement compensant la valeur du terrain lui-même. Par conséquent, ni les terres en jachère des agriculteurs pratiquant la rotation des cultures ni les terrains de pâturage n’ont fait l’objet d’indemnisations.

Le manque de transparence du processus d’indemnisation et le manque d’informations adéquates sur le mode de calcul des indemnités attisent également le mécontentement lié aux sommes versées. Certains habitants ont dit n’avoir encore reçu aucune indemnité. D’autres ont affirmé avoir été indemnisés pour leurs cultures pérennes, telles que les arbres fruitiers, mais n’avoir rien reçu pour leurs cultures annuelles telles que le riz ou le manioc. « Le gouvernement nous a donné ce qu’il voulait. Nous avons accepté l’argent sans négocier parce que nous ne connaissions pas la valeur de nos ressources », a déploré un chef de village. Plusieurs femmes ont ajouté que la majorité des indemnisations a été payée aux pères de famille ou aux personnes endossant la fonction de leader communautaire, les femmes n’ayant donc qu’un rôle limité concernant l’utilisation de l’argent.

Le manque de transparence du processus d’indemnisation et le manque d’informations adéquates sur le mode de calcul des indemnités attisent également le mécontentement lié aux sommes versées. Certains habitants ont dit n’avoir encore reçu aucune indemnité.

Dans tous les villages visités par Human Rights Watch, les habitants ont raconté qu’ils s’étaient plaints auprès des représentants du PAHS ou de l’administration locale concernant le processus de réinstallation, mais qu’ils n’avaient reçu aucune réponse, ou que les réponses qui leur avaient été faites étaient sans rapport avec leurs préoccupations. « Quelqu’un vous dit de transmettre [votre réclamation] à un tel. Ils vous demandent d’attendre. Il y a son supérieur, aussi. À qui sommes-nous supposés nous adresser ? », s’est interrogé un leader communautaire du district de Konkouré. Le PAHS a confié à Human Rights Watch qu’il avait « pris du retard » dans la mise en place d’une politique officielle relative aux réclamations, et qu’il ne l’avait fait qu’en septembre 2019, alors que 50 villages avaient déjà été déplacés. Le PAHS n’a pas fourni d’explications concernant ce retard. En décembre 2019, 110 réclamations avaient déjà été soumises au nouveau mécanisme de plainte.

Le PAHS a précisé que pour les réinstallations à venir, des accords sont en cours de négociation avec les communautés, afin de stipuler les responsabilités du PAHS durant le processus. Cette démarche pourrait en principe aider à clarifier les droits des personnes déplacés, mais dans l’accord transmis par le PAHS à titre d’exemple, les obligations de ce dernier sont résumées en un seul paragraphe, et les questions clés telles que la pénurie de terres cultivables et l’appui à la restauration des moyens de subsistance ne sont pas abordées de façon détaillée. Le PAHS devrait aussi garantir qu’avant de signer les accords, les habitants auront pu consulter des conseillers juridiques indépendants, choisis par leurs soins.

Par ailleurs, pour résoudre les problèmes de fond que rencontrent les villages déjà réinstallés, le PAHS devrait négocier des accords avec les ménages déjà déplacés, décrivant comment le PAHS traitera les questions d’accès aux terres et aux moyens de subsistance, ainsi que toute autre question liée à la qualité des logements et des infrastructures sur les sites de réinstallation. Le PAHS devrait également examiner les indemnités versées jusque-là et expliquer clairement comment elles ont été calculées. Tout paiement insuffisant devrait être immédiatement complété.

Le processus de réinstallation défectueux lié à la construction du barrage de Souapiti prouve également la nécessité, pour les sociétés chinoises, les banques chinoises et leurs ministères tutelle, de garantir que les projets BRI et les autres investissements chinois à l’étranger respectent les droits humains. CWE, dans un message électronique adressé à Human Rights Watch, a affirmé que le processus de réinstallation est à la charge du gouvernement de la Guinée mais a ajouté qu’en tant qu’actionnaire dans le projet de Souapiti, la compagnie, « participe à la réinstallation et joue un rôle de superviseur. » CWE, ainsi que China Eximbank, devraient utiliser leur influence afin d’assurer que les représentants du PAHS apportent des réponses aux problèmes soulevés dans le présent rapport.

Enfin, d’autres projets hydrauliques se pointant à l’horizon, le processus de réinstallation lié au barrage de Souapiti devrait alerter le gouvernement guinéen sur la nécessité de se doter d’une réglementation et d’une procédure de supervision plus solides. Le gouvernement devrait, après consultation avec la société civile et les communautés impactées, rédiger et adopter des réglementations qui définissent clairement les droits de quiconque perd l’accès à son terrain ou est réinstallé en raison de projets de développement de grande ampleur.

« Nous quittons notre maison pour le développement de la Guinée », a résumé un leader communautaire du centre de Konkouré pour Human Rights Watch. « Nous voulons que le gouvernement nous aide, sinon, nous allons souffrir. »


L’intégralité du rapport


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Guinée: Un référendum entaché de violences [HRW]

Les autorités devraient enquêter sur les abus et strictement contrôler les forces de sécurité.


En Guinée, les forces de sécurité ont réprimé dans la violence des partisans de l’opposition avant et pendant la tenue, le 22 mars 2020, du référendum constitutionnel et des élections législatives, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.                                                                                              

Les forces de sécurité ont tué au moins huit personnes, dont deux enfants, et blessé une vingtaine d’autres. Depuis la mi-février, les forces de sécurité ont également arrêté des dizaines de partisans présumés de l’opposition et fait disparaître de force au moins 40 autres. Selon des responsables gouvernementaux, neuf membres des forces de sécurité au moins ont été blessés par des manifestants, qui ont également vandalisé des bureaux de vote, brûlé du matériel électoral et menacé les électeurs le jour du scrutin. Le 22 mars, des soldats armés, des gendarmes et des policiers ont été déployés, dans des camionnettes et à pied, dans la capitale guinéenne, Conakry. Ils ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles sur des manifestants, faisant au moins six morts, dont une femme, et blessant au moins huit hommes.

« Les forces de sécurité guinéennes ont répondu aux manifestations massives par une violence brutale », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les manifestations se poursuivront vraisemblablement à l’approche des élections, et donc le gouvernement guinéen devrait immédiatement imposer un strict contrôle aux forces de sécurité nationales. Les dirigeants de l’opposition devraient aussi faire tout leur possible pour aider à mettre fin à la violence. »

L’intention prêtée au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat présidentiel lors des élections prévues pour la fin de l’année est à l’origine des manifestations. En décembre 2019, Condé, âgé de 81 ans, a rendu public le texte du nouveau projet de constitution qui, selon ses partisans et ses opposants, ouvrirait la voie à la mise en œuvre d’un troisième mandat. En conséquence, une coalition d’organisations de la société civile, de syndicats et de partis politiques a appelé à des manifestations régulières depuis la mi-2019 et boycotté le référendum. Le 27 mars, la commission électorale guinéenne a annoncé que le nouveau projet de constitution avait été adopté avec plus de 90 % des voix.

Les conclusions de Human Rights Watch s’appuient sur des entretiens téléphoniques menés en mars et début avril avec 60 victimes, membres des familles des victimes et témoins de violations, ainsi qu’avec 15 personnels soignants, journalistes, avocats, membres des partis d’opposition et représentants de la société civile. Human Rights Watch a analysé des photographies et des séquences vidéo pour corroborer les récits des victimes et des témoins. Nous avons également contacté Albert Damatang Camara, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, par téléphone et WhatsApp, et partagé avec lui par e-mail nos conclusions le 23 mars, en lui posant des questions spécifiques, auxquelles Camara n’a pas répondu.

D’après plusieurs témoins, les forces de sécurité étaient parfois accompagnées de civils armés de couteaux et de machettes, qui s’en sont pris aux manifestants, tuant au moins un jeune homme, Diallo Nassouralaye. Certains partisans de l’opposition ont lancé des pierres et autres projectiles sur les forces de sécurité. Des violences ont également éclaté à l’extérieur de la capitale, notamment à Kindia, au nord-est de Conakry, à Kolaboui et Sangaredi, dans l’ouest du pays, et à Nzérékoré, dans le sud-est.

Un témoin a décrit les circonstances au cours desquelles un gendarme a tué à bout portant Issa Yero Diallo, une femme âgée de 28 ans résidant dans le quartier d’Ansoumanyah plateau, à Conakry : « Le gendarme a menacé cette femme avant de lui tirer dessus. Les gens qui se trouvaient là ont essayé de le dissuader, mais il lui a tiré une balle dans le cou. » Selon les habitants, la femme a été prise pour cible après avoir contribué à obtenir la remise en liberté d’un homme arrêté par les gendarmes plus tôt dans la journée. Le ministre Camara a déclaré aux médias le lendemain qu’un gendarme soupçonné du meurtre avait été arrêté.

Le 20 février et le 5 mars à Conakry, les forces de sécurité ont tué deux adolescents et, le 6 mars, arrêté deux membres en vue de l’opposition. Les 11 et 12 février, 40 hommes, dont au moins deux enfants et trois adultes atteint de déficience intellectuelle, ont fait l’objet d’arrestations arbitraires par des membres des forces de sécurité lors de raids menés à Conakry, avant d’être conduits dans une base militaire située à environ 700 kilomètres de Soronkoni, dans l’est de la Guinée. Ils y ont été détenus en l’absence de tout contact avec le monde extérieur, les autorités ayant refusé de reconnaître leur détention jusqu’au 28 mars, date à laquelle 36 d’entre eux ont été remis en liberté et quatre autres transférés à la prison centrale de Conakry où ils sont toujours en détention.

Dans un communiqué de presse en date du 22 mars, le ministre Camara soutient que le référendum « s’est déroulé dans des conditions pacifiques sur l’ensemble du territoire », mais que « certains militants ont tenté de semer la terreur » à Conakry et dans d’autres villes. Dans un entretien accordé aux médias le 31 mars, il a confirmé que six personnes avaient perdu la vie à Conakry le 22 mars, dont une personne ayant succombé à un accident vasculaire cérébral, précisant que les autorités avaient ouvert des enquêtes.

Alors que davantage de manifestations sont prévues dans la perspective des élections plus tard cette année, les autorités guinéennes devraient demander aux forces de sécurité nationales de faire preuve de retenue et de respecter les Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique, adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. En vertu de ces instruments, les responsables de l’application des lois ne peuvent recourir à l’usage de force que lorsque cela est strictement nécessaire et en vue d’atteindre un objectif légitime de maintien de l’ordre.

La CADHP, le Représentant spécial du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union européenne, la France et les États-Unis ont tous condamné ou exprimé leur inquiétude devant les violences suscitées par le référendum. Le 4 mars, le Rapporteur spécial de la CADHP pour la Guinée a appelé le gouvernement à respecter la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et à garantir des élections libres, équitables et transparentes. Dans une résolution en date du 11 février, le Parlement européen s’est déclaré préoccupé de la montée des tensions politiques et des violences en Guinée.

Les partenaires internationaux de la Guinée et autres institutions, en particulier l’Union africaine, la CEDEAO, le Conseil de sécurité de l’ONU, l’UE et les États-Unis devraient accroître la pression sur le président Condé et son gouvernement et exiger l’ouverture d’enquêtes et de poursuites judiciaires crédibles pour les violations récentes, a préconisé Human Rights Watch.

En cas d’échec des autorités guinéennes à répondre à ces préoccupations relatives aux droits humains, les États-Unis devraient envisager des sanctions ciblées contre les hauts responsables gouvernementaux responsables de violations, notamment des interdictions de voyager et des gels d’avoirs.

L’UE et ses États membres devraient envisager d’élargir le régime de sanctions en vigueur à l’encontre de la Guinée et rappeler aux autorités du pays les conséquences d’un échec à prendre en compte de façon adéquate les préoccupations relatives aux droits humains.

« Des mesures vigoureuses sont nécessaires dès à présent avant que la situation ne se détériore davantage et qu’une force disproportionnée ne soit utilisée contre les manifestants à l’approche des élections », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les partenaires de la Guinée devraient indiquer clairement que des conséquences seront tirées si des manifestants se font tirer dessus ou des partisans de l’opposition sont portés disparu. »

Contexte

Les débats sur la révision de la constitution guinéenne de 2010 ont commencé début 2019, le parti au pouvoir RPG-Arc-en-ciel ayant appelé en mai les citoyens à soutenir le projet de constitution. Bien que le texte présenté par Condé en décembre 2019 maintienne une limite de deux mandats présidentiels, ses partisans ont déclaré qu’il reprenait tout à zéro, ce qui lui permettrait donc de se présenter en 2020. Condé a déclaré le 10 février que, en cas d’adoption d’une nouvelle constitution, « [son] parti décidera » s’il sera candidat à sa propre succession.

Le 28 février, Condé a reporté le référendum constitutionnel et les élections législatives, initialement prévus le 1er mars, au 22. Les organisations internationales et régionales, dont l’UA, l’Organisation internationale de la Francophonie et la CEDEAO, ont refusé d’envoyer sur place des observateurs, affirmant que la liste électorale manquait de crédibilité.

Depuis octobre 2019, une coalition d’organisations non gouvernementales et de partis d’opposition, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), a organisé de nombreuses manifestations contre le référendum constitutionnel en Guinée.

Bien que le gouvernement ait dans certains cas autorisé la tenue de ces manifestations, la plupart du temps, les forces de sécurité les ont dispersées en arrêtant des participants ou en usant de gaz lacrymogènes et en leur tirant dessus à balles réelles. Human Rights Watch avait précédemment signalé qu’au moins 30 personnes avaient été tuées pendant les manifestations entre octobre 2019 et janvier 2020. Le FNDC estime que les forces de sécurité ont tué 44 personnes depuis octobre 2019. Les manifestants auraient également tué au moins un gendarme lors de manifestations en octobre, selon le gouvernement, bien que les manifestants affirment que celui-ci a été abattu par un autre gendarme.

Violence le jour du référendum à Conakry et dans d’autres villes

Le 22 mars, de violents affrontements ont éclaté à Conakry, notamment dans les quartiers de Wanindara, Hamdallaye, Coza, Sofonia, Ansoumania, Cimenterie et Simbaya, entre des dizaines de groupes favorables au référendum et d’autres qui lui étaient opposés, et entre opposants au référendum et forces de sécurité. Des manifestants ont brûlé des pneus, dressé des barricades dans les rues et lancé des projectiles sur les forces de sécurité qui ont riposté avec des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles. Le ministre de la Sécurité a déclaré que des manifestants violents avaient saccagé des bureaux de vote, menacé des électeurs et brûlé du matériel électoral, une information confirmée par Human Rights Watch.

Deux témoins ont déclaré à Human Rights Watch que des soldats, des gendarmes, des policiers et des civils armés de machettes avaient lancé des pierres sur une maison du quartier de « Petit Simbaya », où vivaient des partisans de l’opposition connus. Lorsque Diallo Nassouralaye, âgé de 19 ans, qui vivait à proximité, est sorti pour vérifier ce qui se passait, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur lui. « Il a été touché à l’abdomen », a précisé un témoin. « Je l’ai emmené dans un centre de soins tout proche, mais il est décédé sur place. » Le médecin qui s’est occupé de la victime a confirmé à Human Rights Watch que Nassouralaye est arrivé vers 13 heures et est décédé 10 minutes plus tard d’une blessure par balle à l’abdomen.

Selon deux témoins, des gendarmes ont abattu Thierno Oumar Diallo, un homme âgé de 25 ans, lors d’affrontements entre partisans du référendum et des opposants dans le quartier de Kakimbo vers 15 heures. Une source médicale a confirmé que l’homme était décédé des suites d’une blessure par balle au cou. L’un des témoins, frère de la victime, a déclaré :

Des gendarmes sont intervenus lors des affrontements et ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles. Des témoins m’ont dit qu’en plus de mon frère, ils avaient tué deux autres hommes et blessé quatre autres. Mon frère est mort instantanément ; d’une balle dans le cou. J’ai emmené son corps dans un centre de soins proche puis à la morgue, mais le personnel médical a refusé de le prendre en charge. J’ai donc ramené sa dépouille à la maison et nous l’avons enterré le lendemain.

Deux témoins ont expliqué que des gendarmes avaient tiré à balles réelles lors d’affrontements entre des partisans du référendum et des membres de l’opposition dans le quartier Hamdallaye de Conakry, tuant Hafiziou Diallo, un homme âgé de 28 ans. Un parent de la victime a été témoin du meurtre :

Nous sommes descendus dans la rue pour protester contre le vote. Il y avait des partisans du référendum en tenue civile, armés de couteaux, et des gendarmes. Nous leur avons jeté des pierres et les choses ont dégénéré. Les gendarmes, une dizaine d’entre eux, ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles. Les gens se sont enfuis, mais mon oncle a été touché par une balle et s’est effondré devant moi. Il a été touché à la poitrine.

Human Rights Watch a examiné les photographies du corps et consulté des sources médicales qui ont corroboré ces témoignages.

Un policier a tué Thierno Hamidou Bah, âgé de 25 ans, lors d’une manifestation organisée par l’opposition dans le quartier de Kinifi, selon deux témoins entendus par Human Rights Watch. L’un d’eux a déclaré :

Nous étions dans la rue pour dire non au référendum. Nous étions là pour exprimer notre colère. Nous avons lancé des pierres sur la police. Elle a tiré sur la foule à balles réelles et touché trois personnes, dont mon ami, qui a été atteint à la poitrine et s’est effondré devant moi. Je l’ai transporté dans un centre de soins, où il est décédé.

Un médecin qui a examiné le corps a confirmé que l’homme avait reçu une balle dans la poitrine. Human Rights Watch a également consulté des photographies de la blessure.

Des violences sporadiques se sont poursuivies à Conakry le 23 mars, notamment dans les quartiers de Cosa et Wanindara, où des émeutes ont été signalées, et à Baylobaye, où les forces de sécurité ont tiré sur un homme après être entré par effraction chez lui. « Trois policiers sont entrés chez moi à 15 heures. Je m’y trouvais avec ma femme et mon fils. Ils nous ont accusés de ne pas nous rendre aux urnes. L’un d’eux m’a passé à tabac à l’aide de sa matraque et saisi mon téléphone. Mon fils s’est disputé avec eux et a reçu une balle dans le bras. Je l’ai emmené dans un centre de soins où elle lui a été retirée », a relaté le père de la victime. Human Rights Watch s’est également entretenu avec le médecin qui l’a soignée.

Des violences ont éclaté dans d’autres villes et villages de Guinée le 22 mars. Selon les médias, des manifestants ont saccagé des bureaux de vote à Kindia, au nord-est de Conakry, et à Kolaboui à l’ouest, et harcelé le personnel électoral de Télimélé. Des habitants et des journalistes ont également signalé qu’à Nzérékoré, capitale de la Guinée forestière, des incidents liés aux élections ont déclenché des affrontements intercommunautaires et confessionnels entre des membres armés de la communauté de Guerze, formée majoritairement de chrétiens ou d’animistes, et l’ethnie armée Konianke, principalement musulmane, plusieurs personnes ayant été tuées et des propriétés incendiées.

Des gendarmes ont blessé un homme âgé de 20 ans lors d’une manifestation anti-référendum à Sangaredi, dans l’ouest de la Guinée. Un témoin et un proche de la victime ont indiqué à Human Rights Watch que des gendarmes avaient tiré à balles réelles sur la foule : « Il était 10 heures du matin ; nous étions dehors pour protester contre le vote. Les gendarmes ont tenté de nous disperser. Certains leur ont jeté des pierres. J’ai entendu au moins deux coups de feu. Mon frère a été touché d’une balle à l’épaule et s’est cassé le bras en tombant. »

N’ayant pu être hospitalisée à Sangaredi, la victime a été conduite le lendemain à Conakry. Human Rights Watch a examiné les dossiers médicaux et s’est entretenu avec le médecin qui l’a soignée.

Violences et arrestations préréférendaires

Le 20 mars, la police a tiré à balles réelles lors d’une manifestation organisée par l’opposition dans le quartier Bomboly de Conakry, blessant un homme âgé de 18 ans. La victime s’est entretenue avec Human Rights Watch : « Je me rendais au domicile de mon frère quand je me suis retrouvé au milieu d’une manifestation. Certains participants se sont montrés violents et s’en sont pris à la police en lui jetant des pierres. Celle-ci a riposté en lançant des grenades lacrymogènes puis en tirant à balles réelles. Tout le monde a pris la fuite. J’ai également couru pour me mettre en sécurité. J’ai entendu quatre coups de feu avant de m’effondrer au sol. Une balle m’avait atteint à l’épaule droite. »

Le 6 mars, les forces de sécurité ont procédé à l’arrestation arbitraire de Sekou Koundouno et Ibrahima Diallo, deux membres de premier plan de la direction du FNDC, au domicile de Diallo. Celui-ci a déclaré qu’au moins 20 policiers, dont certains étaient masqués, sont entrés par effraction chez lui à Conakry vers 19 heures, procédant à leur arrestation en l’absence de mandat. La loi guinéenne prévoit pourtant qu’un mandat est nécessaire, à moins que l’individu ne soit pris en flagrant délit. L’épouse de Diallo, qui a été témoin de l’arrestation, a décrit la scène à Human Rights Watch :

J’ai demandé aux policiers s’ils avaient un mandat. Cela les a contrariés. L’un d’eux m’a attrapé par le col de ma chemise et poussé contre un pot de fleurs. Puis ils ont mis la maison sens dessus dessous avant d’arrêter mon mari et Koundouno, qui a été escorté à moitié nu, sans son pantalon ni ses chaussures.

Diallo a déclaré que ses yeux étaient bandés dès qu’il est monté à bord du véhicule de police et que lui et Koundouno ont été détenus à la Direction de la police judiciaire, à Conakry, sans accès à leurs avocats pendant une semaine. Les juges d’instruction ont inculpé les deux membres du FNDC d’ « outrages envers les fonctionnaires » et d’« atteinte et menace à la sûreté et à l’ordre publics », avant de les remettre en liberté sous caution le 13 mars, en l’attente de nouvelles enquêtes. Les deux hommes ont été invités à comparaître devant les juges chaque semaine.

Lors de manifestations à Conakry le 5 mars, deux témoins ont déclaré que les forces de sécurité, dont des policiers et des gendarmes, avaient lancé des gaz lacrymogènes sur des partisans de l’opposition et tué un garçon âgé de 17 ans, heurté à la tête par une grenade. Human Rights Watch a également reçu des informations selon lesquelles les forces de sécurité ont blessé neuf autres hommes lors de ces manifestations. Les gendarmes ont agressé un journaliste français après qu’il les a filmés en train de passer à tabac un homme non armé, avant de l’expulser du pays. Les participants ont déclaré que certains manifestants violents avaient blessé des policiers en leur jetant des pierres.

Le 4 mars, vers 13 heures, une dizaine de policiers et de gendarmes sont entrés par effraction au domicile d’un imam de 51 ans dans le quartier de Wanindara à Conakry, et l’ont roué de coups ainsi que d’autres membres de sa famille. Ils ont ensuite procédé à l’arrestation arbitraire de trois des membres de sa famille et d’un voisin. Selon des témoins et des résidents, les forces de sécurité recherchaient l’auteur d’une vidéo qui montrait la police en train de se servir d’une femme comme bouclier humain à Conakry le 29 janvier. L’imam a déclaré à Human Rights Watch :

Des policiers et des gendarmes sont entrés par effraction dans ma résidence, ont tiré un coup de feu et défoncé la porte d’entrée. Ils ont fouillé les neuf maisons du complexe résidentiel, les ont mises sens dessus dessous. Un gendarme m’a frappé à la tête avec une louche qu’il avait prise à mes femmes. « Je vais te casser la tête », m’a-t-il dit. Les gendarmes ont également frappé deux de mes voisins, dont une femme de 80 ans souffrant de problèmes de surdité et de vue. Puis ils ont arrêté mes fils, mon frère et un voisin. Ils n’avaient aucun mandat. »

Les quatre hommes arrêtés ont été conduits dans deux postes de gendarmerie des quartiers de Matoto et Cosa. Les fils et le frère de l’imam ont été remis en liberté le même jour après le paiement d’un million de francs guinéens (environ 104 dollars). Son voisin a été relâché le lendemain après le versement de 250 000 francs guinéens (environ 26 dollars).

Le 19 février, des gendarmes et des policiers ont violemment réprimé une manifestation menée par le FNDC dans le quartier de Wanindara en lançant des grenades lacrymogènes et en tirant à balles réelles. Ils ont blessé au moins un manifestant, un chauffeur âgé de 26 ans, alors qu’il tentait de prendre la fuite : « Certains gendarmes sont descendus de leur véhicule et ont pourchassé des manifestants à pied. J’ai couru et tenté de me cacher, mais un gendarme m’a tiré dans la cuisse. J’ai été conduit à l’hôpital, où je suis resté alité 10 jours. La balle se trouve toujours dans ma jambe. » Cet homme a également confié qu’il était à peine en état de marcher et ne pouvait plus travailler. Human Rights Watch a également interrogé un de ses amis qui a été témoin de l’incident, ainsi que le médecin qui l’a soigné.

Disparitions forcées

Human Rights Watch s’est entretenu avec 10 hommes victimes de disparitions forcées pendant une quarantaine de jours à la suite de leur arrestation arbitraire par les forces de sécurité à Conakry les 11 et 12 février. Ils ont déclaré avoir été détenus sans aucun contact avec le monde extérieur avec 30 autres personnes, dont au moins deux enfants et trois hommes atteints de déficience intellectuelle, dans une base militaire de Soronkoni, à 700 kilomètres de Conakry. Human Rights Watch a également parlé à leurs avocats et à plusieurs membres de leurs familles et amis qui ont corroboré leurs témoignages. Pendant leur détention, les autorités ont refusé de reconnaître qu’elles savaient où se trouvaient ces hommes.

En vertu du droit international, une disparition forcée est toute forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve. La Guinée n’a pas signataire de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

D’anciens détenus et avocats ont déclaré que, à l’exception de quatre personnes transférées à la prison centrale de Conakry, les 36 autres avaient été remises en liberté le 28 mars, sans inculpation ni document attestant de leur arrestation et de leur détention.

Les dix hommes avec qui s’est entretenu Human Rights Watch ont déclaré qu’on ne leur avait jamais fourni d’explication quant aux raisons de leur arrestation et de leur détention. Mais ils ont affirmé que les forces de sécurité qui les avaient arrêtés, comme les militaires qui assuraient leur détention à Soronkoni, les avaient accusés de soutenir l’opposition. Selon l’un de ces ex-détenus, âgé de 20 ans, un policier lui a dit au moment de son arrestation : « C’est vous qui barricadez les routes, semez le trouble et vous opposez au pouvoir en place. » « Ils m’ont accusé d’être un criminel et de faire souffrir mon pays. Je leur ai répondu que je n’étais qu’un chauffeur de taxi. Tiens-toi tranquille et tais-toi, m’ont-ils rétorqué », a témoigné un autre ex-détenu, âgé de 36 ans.

En vertu du droit guinéen et du droit international, les individus arrêtés doivent être directement incarcérés dans des lieux de détention reconnus, comme des postes de police ou de gendarmerie, et avoir immédiatement accès à leur avocat et à leurs familles. Toutes les personnes détenues devraient être conduites rapidement devant un juge pour l’examen de la légalité et la nécessité de leur détention.

Cependant, les hommes interrogés par Human Rights Watch ont déclaré avoir été détenus dans une base militaire et privés de contact avec le monde extérieur. « Détenir quelqu’un dans un camp militaire est contraire à notre législation », a indiqué à Human Rights Watch un avocat guinéen défendant les détenus. « Les autorités devraient cesser de penser que la Guinée est une autre planète. Nous avons des lois interdisant la détention de suspects en dehors des lieux officiellement prévus à cet effet ». Âgé de 26 ans, un ex-détenu a déclaré : « Ma famille ignorait où je me trouvais. Ils pensaient que j’étais mort. »

D’autres ont décrit les conditions de leur détention comme sordides. « Nous étions 40 dans une cellule comportant une seule porte, fermée la plupart du temps, avec deux petits trous dans le mur », a déclaré l’un d’entre eux, âgé de 23 ans. « C’était insuffisamment aéré, il faisait très chaud. Beaucoup se sont sentis mal à cause de la chaleur, certains se sont effondrés ». Un autre a expliqué qu’on ne leur donnait pas assez d’eau, et qu’il dormait sur le sol sans matelas et n’était souvent pas autorisé à se rendre aux toilettes situées à l’extérieur, ce qui l’obligeait à uriner dans des bouteilles.


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Afrique 2019: le courage des populations face à la répression [Amnesty International]


En Guinée, où les autorités ont interdit plus de 20 manifestations pour des motifs flous et excessivement généraux, les forces de sécurité ont continué à attiser les violences lors des rassemblements et au moins 17 personnes ont été tuées en 2019.


Dans
toute l’Afrique subsaharienne, des manifestants ont bravé des tirs et
les coups pour défendre leurs droits. Face aux conflits et la répression
qui perdurent, ils ont fait preuve d’un courage immense. Bilan d’un an
d’enquête en Afrique.

En
2019, nous avons vu l’incroyable pouvoir du peuple s’exprimer lors de
manifestations de grande ampleur organisées dans toute l’Afrique
subsaharienne. Du Soudan au Zimbabwe, de la République démocratique du
Congo (RDC) à la Guinée, des personnes ont bravé une répression brutale
pour défendre leurs droits.

Dans certains cas, ces manifestations ont abouti à des changements importants : après la chute d’Omar el Béchir, qui dirigeait le Soudan de longue date, le nouveau régime a promis des réformes favorables aux droits humains. De la même façon, à la suite de manifestations, une série de réformes relatives aux droits humains ont été lancées par l’État éthiopien. Malheureusement, d’autres changements nécessaires sont bloqués par des gouvernements répressifs, qui continuent à commettre des violations en toute impunité.

Répression violente orchestrée par l’État

Dans toute la région, des défenseurs des droits humains ont été persécutés et harcelés pour s’être opposés ouvertement aux autorités. Le Burundi, le Malawi, le Mozambique, l’Eswatini (anciennement Swaziland), la Zambie et la Guinée équatoriale ont intensifié la répression du militantisme en 2019.

Au Malawi, par exemple, les militants qui ont organisé et
conduit des manifestations contre une fraude électorale présumée, à la
suite des élections de mai, ont été attaqués et intimidés par de jeunes
cadres du parti au pouvoir et poursuivis en justice par les autorités.
Le scrutin présidentiel a finalement été annulé par les tribunaux et le
pays se prépare à une autre élection, qui se tiendra cette année.

Au
Zimbabwe, au moins 22 défenseurs des droits humains, militants, membres
de la société civile et responsables de l’opposition ont été inculpés
pour leur rôle présumé dans l’organisation de manifestations contre la
hausse du prix des carburants décidée en janvier 2019. Les forces de
sécurité se sont livrées à une répression violente, qui a fait au moins
15 morts et des dizaines de blessés.

En Guinée, où les
autorités ont interdit plus de 20 manifestations pour des motifs flous
et excessivement généraux, les forces de sécurité ont continué à attiser
les violences lors des rassemblements et au moins 17 personnes ont été
tuées en 2019.

Dans 17 pays d’Afrique subsaharienne, des journalistes ont été arrêtés et détenus arbitrairement en 2019. Au Nigeria, par exemple, on a enregistré 19 cas d’agression, d’arrestation arbitraire et de détention de journalistes, dont beaucoup faisaient l’objet d’accusations controuvées.

Au Burundi, les autorités ont continué à réprimer les activités des défenseurs des droits humains et des organisations de la société civile, notamment en leur infligeant des poursuites et de longues peines d’emprisonnement.

Malgré tout… des victoires !

En dépit du contexte maussade, certaines victoires notables ont été remportées dans le domaine des droits humains l’an dernier.

Au
Soudan, des manifestations de grande ampleur ont mis fin au régime
répressif d’Omar el Béchir en avril 2019 et les autorités désormais au
pouvoir ont promis de vastes réformes destinées à améliorer l’exercice
des droits humains. L’État éthiopien, quant à lui, a abrogé la
législation encadrant la société civile qui restreignait les droits aux
libertés d’association et d’expression et a présenté au Parlement une
nouvelle loi remplaçant la législation antiterroriste draconienne.

En RDC, les autorités ont annoncé la libération de 700 détenus, dont plusieurs prisonniers d’opinion.

On a aussi constaté des victoires individuelles. En Mauritanie, le blogueur et prisonnier d’opinion Mohamed Mkhaïtir a été libéré après avoir été détenu arbitrairement pendant plus de cinq ans.

L’impunité pour les violations des droits humains était toujours monnaie courante, mais de modestes avancées ont été réalisées en 2019. En Somalie, la population a vu pointer une lueur d’espoir lorsque le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) a reconnu pour la première fois, en avril 2019, avoir tué des civils lors de frappes aériennes visant Al Shabaab, ouvrant ainsi la possibilité pour les victimes d’obtenir réparation.

Par ailleurs, les tribunaux de droit commun de la République
centrafricaine ont progressé dans l’examen d’affaires concernant des
atteintes aux droits humains commises par des groupes armés. La Cour
pénale spéciale a reçu 27 plaintes et commencé ses enquêtes l’an
dernier.

En 2019, des militants et des jeunes ont défié l’ordre établi. En 2020, il faut que les dirigeant·e·s écoutent leurs revendications et œuvrent à des réformes qu’il est nécessaire d’amorcer de toute urgence et qui respectent les droits de tous.


amnesty.fr


Rapport complet





Guinée: les acquis de la démocratisation de 2010 remis en cause [FIDH]


Comme
redouté, le référendum constitutionnel et les élections législatives du
22 mars ont donné lieu à de nouvelles violences. Au moins 10 personnes
ont été tuées par des forces de l’ordre et forces armées, qui ont une
nouvelle fois tiré à balles réelles contre les manifestants, des bureaux
de votes ont été saccagés et des personnes souhaitant se rendre aux
urnes agressées. Alors que les militaires ont joué un rôle central dans
ce double scrutin entâché de graves irrégularités, boycotté par
l’opposition et dénoncé à l’avance par les organisations régionales et
internationales, nos organisations demandent à ce que les militaires
restent cantonnés dans leurs casernes, et que des enquêtes judiciaires
soient systématiquement diligentées, afin de poursuivre et sanctionner
les auteurs de ces violences.

Les résultats du double scrutin partiellement boycotté du 22 mars semblent connus à l’avance. Ils semblent également consacrer la voie vers une nouvelle mandature du Président Alpha Condé, 82 ans, en levant l’interdit constitutionnel d’une troisième candidature, et en lui offrant un parlement très majoritairement acquis à sa cause. En verrouillant ainsi l’espace politique, ces élections contribueront sans doute à isoler le pays sur la scène internationale, tout en faisant peser sur lui le risque d’un nouveau cycle de violences politiques graves.

« Le rôle croissant joué par les forces militaires tout au long des élections nous laisse craindre un retour à la militarisation de la vie politique Guinéenne et aux années de répression. Nous appelons le gouvernement guinéen et les forces d’opposition à tout faire pour éviter de nouvelles violences, à renouer avec un dialogue politique constructif, et à œuvrer dans l’intérêt des populations guinéennes dans leurs ensemble »

Drissa Traoré, Secrétaire général de la FIDH.

Le rôle joué par les forces armées dans ces élections est-elle un indicateur sur le rôle qui leur sera assigné dans les prochains mois ? Après que toutes les unités de l’armée de terre aient été « mises en alerte » et déployées dans l’ensemble du pays dès le 25 février en prévision des échéances électorales, les forces militaires ont étroitement accompagné les élections du 22 mars. Elles étaient non seulement largement présentes, mais contrairement à l’article 80 et suivants du code électoral, qui exige que le dépouillement des votes soit effectué dans les bureaux de vote, plusieurs urnes contenant ces bulletins ont été transportées, soit dans les mairies, soit dans les préfectures, soit dans des garnisons militaires pour y être dépouillées.

Les forces armées ont également participé à la répression contre les manifestants,
alors que la sécurisation des élections aurait dû relever des seules
forces de police et d’unités spécialisées chargées de veiller à la
sécurisation des élections. Des bérets rouges, unité s’étant illustrée
lors des massacres du 28 septembre 2009, auraient selon plusieurs
témoignages tiré à balles réelles contre les manifestants.

Dans la région Est du pays, notamment à N’Zérékoré, la ficelle ethnico-religieuse a été utilisée par certains pour opposer les populations.

Des affrontements entre communautés, entraînant des pertes en vies
humaines et des destruction de lieux de culte (deux églises et une
mosquée) ont été signalés.

La société civile a également été ciblée, le travail de certains
journalistes entravé. Le domicile d’un des leaders du Front National
pour la Défense de la Constitution (FNDC) : Mamadou Bailo Barry, a ainsi été attaqué le jour de l’élection à Ratoma, par un groupe de jeunes militants du parti au pouvoir, accompagnés des forces de l’ordre.

Enfin, le siège de l’association des victimes, parents et amis du 28 septembre : l’AVIPA, qui lutte depuis 10 ans avec nos organisations pour que les responsables civils et militaires du massacre du stade soient enfin traduits en justice, a fait l’objet d’une tentative d’intrusion par des agents de l’unité spéciale de sécurisation des élections, qui ont proféré menaces et injures.

« Nous dénonçons l’attaque du siège de l’AVIPA le jour des élections et appelons les autorités à ouvrir une enquête pour situer les responsabilités et en poursuivre les responsables. Ces tentatives d’intimidation des acteurs de la société civile guinéenne luttant contre l’impunité sont graves et inacceptables. Nous continuerons à documenter les violences commises, saisir les autorités judiciaires, et à lutter contre l’impunité, endémique dans notre pays »

Abdoul Gadiry DIALLO, Président de l’OGDH.


FIDH (24/03/2020)





Qu’attendent les partenaires internationaux de la Guinée pour agir? [ACAT]


L’annonce de la tenue du référendum constitutionnel et des élections législatives le 1er mars 2020 a exacerbé les tensions au sein de la société guinéenne. Les violences à l’encontre des leaders de la société civile et des partis politiques, réunis au sein du Front National de Défense de la Constitution (FNDC), redoublent. Nous appelons les partenaires internationaux à plus de fermeté pour que la Guinée respecte les droits humains et reconnaisse que les élections ne peuvent se tenir dans le contexte actuel.

Depuis
mi-octobre 2019 et le début de la mobilisation contre le « coup d’État
constitutionnel » qui permettrait au Président Alpha Condé de briguer un
3e
mandat, le recours abusif à la force létale par les forces de sécurité
est quasi-systématique. Selon plusieurs organisations de la société
civile en Guinée, dont les membres de la coalition Tournons la
Page-Guinée, plus de 40 civils ont été tués – souvent en marge des manifestations et par armes à feu – 62 personnes blessées et environ 90 personnes arrêtées. A cela s’ajoutent les nombreuses menaces et intimidations
dont les leaders de la société civile et des partis politiques font
l’objet. La déclaration du Président guinéen qui, lors d’un meeting à
Faranah le 20 février 2020, a appelé ses partisans à frapper quiconque
saccagerait les urnes le jour du vote témoigne du climat de tensions.

Alors qu’une escalade des violences est à craindre à l’approche du 1er
mars, les invitations de la Communauté internationale – principalement
le représentant spécial des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et
le Sahel et les Etats-Unis – à dialoguer et à organiser des élections
sans violence et respectueuses des droits humains sont restées, jusqu’à
présent, lettre morte. Le 24 février 2020, en raison de la persistance
des insuffisances constatées sur le fichier électoral, l’Organisation
internationale de la francophonie (OIF) a indiqué « qu’il [lui] sera difficile de continuer de soutenir le processus électoral en Guinée ». Le fait que l’OIF se retire suggère que la communauté internationale commence à se désolidariser des scrutins à venir.

Pour éviter un embrasement en Guinée qui pourrait avoir des
conséquences dans toute la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, les
partenaires internationaux de ce pays, en premier lieu l’Union européenne (UE) et la France, doivent prendre acte de la décision de l’OIF, et affirmer que les élections législatives et le référendum constitutionnel ne peuvent pas se tenir dans les conditions actuelles.

À la suite de la Résolution d’urgence adoptée le 13 février dernier
par le Parlement européen, l’UE et ses États membres doivent activer
les leviers diplomatiques dont ils disposent (notamment l’article 96 de
l’Accord de Cotonou) pour que la Guinée respecte les droits
constitutionnels à manifester et à s’exprimer librement ainsi que ses
engagements en matière de droits humains, notamment le non usage
excessif de la force, la lutte contre la torture, et les droits des
personnes détenues.

L’instrumentalisation des divisions ethniques à des fins
électorales doit être condamnée publiquement et leurs auteurs doivent
être avertis qu’ils seront comptables devant la justice en cas de graves
violations des droits humains.

Contacts presse :

Signataires:

Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)

Aide et Action

CCFD-Terre Solidaire

CFDT

Plateforme Dette et développement (et ses organisations membres)

Ligue des droits de l’Homme (LDH)

Tournons la page (et ses organisations membres)





« Toute la force d’un pouvoir repose sur le respect de la loi » [Abdoul Gadiri Diallo]


SCAN TV [le choix de la rédaction]


Abdoul Gadiri Diallo, président de l’OGDH sur la crise sociopolitique en Guinée


Extrait de STARCOM : REGARD DE L’OGDH SUR LA CRISE SOCIO – POLITIQUE EN GUINÉE du 29 janv. 2020.

Retrouvez l’intégralité de l’intervention ici





Examen périodique universel : la Guinée sur le banc des accusés à Genève


Après 2010 et 2015, la Guinée de retour à Genève pour son troisième cycle dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU) qui consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Ce mardi 21 janvier 2020, la délégation guinéenne conduite par le ministre de la justice garde des sceaux Mamadou Lamine Fofana était à la 35e session de l’examen périodique universel pour présenter le rapport national de la Guinée sur la situation des droits de l’homme et écouter les recommandations des autres pays membres.

La France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le Canada n’ont pas manqué d’exprimer leurs inquiétudes suite aux violences meurtrières enregistrées ces derniers temps en Guinée.

Nous vous proposons quelques extraits des interventions

Etats-Unis, Mr. Philip Martin Cummings
France, Mr. François Gave

Voir d’autres extraits sur le fil Twitter @RIFCHEDIALLO


L’Examen
périodique universel (EPU) est un processus unique en son genre. Il consiste à
passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans
le domaine des droits de l’homme. Il s’agit d’un processus mené par les Etats,
sous les auspices du Conseil des droits de l’homme. Il fournit à chaque Etat
l’opportunité de présenter les mesures qu’il a pris pour améliorer la situation
des droits de l’homme sur son territoire et remplir ses obligations en la
matière. Mécanisme central du Conseil des droits de l’homme, l’EPU est conçu
pour assurer une égalité de traitement à chaque pays.

L’Examen
périodique universel (EPU) a été établi par la résolution 60/251 de l’Assemblée
générale des Nations Unies, résolution adoptée le 15 mars 2006 et qui est à
l’origine de la création du Conseil des droits de l’homme. Ce processus, basé
sur la coopération, a permis à fin octobre 2011, d’examiner la situation
des droits de l’homme des 193 Etats membres de l’ONU. Aucun autre mécanisme
universel de ce type n’existe à l’heure actuelle. L’EPU est un des piliers sur
lequel s’appuie le Conseil : il rappelle aux Etats leur responsabilité de
respecter pleinement et de mettre en œuvre tous les droits de l’homme et
libertés fondamentales. L’objectif ultime de l’EPU est d’améliorer la situation
des droits de l’homme dans tous les pays et de traiter des violations des
droits de l’homme, où qu’elles se produisent.


L’intégralité du passage de la Guinée ici





Guinée : les droits de l’homme à la croisée des chemins

Par Carine Kaneza Nantulya – * directrice du plaidoyer au sein de la division Afrique de Human Rights Watch.


TÉMOIGNAGE. Depuis le mois d’octobre, le pays est le théâtre de manifestations violemment réprimées. Qu’en est-il sur le terrain ? Éléments de réponse.

« En tuant mon fils, ils m’ont aussi tuée. J’aurais préféré qu’ils le laissent vivre, et me tuent, moi… Dieu nous appelle à pardonner, mais je ne peux pas pardonner à ces gens-là. » Les yeux secs, un bébé sur les genoux, menue et tout en noir, Adama Awa Diallo parle lentement. Elle raconte les derniers moments de son fils, Alpha Souleymane Diallo, qui, selon un témoin oculaire, a été tué par balle le 14 novembre 2019 par un membre des forces de sécurité guinéennes.

La répression des manifestations

Diallo s’ajoute à la vingtaine de Guinéens récemment tués lors des manifestations contre un référendum constitutionnel, une réforme fortement contestée par une opposition qui craint qu’elle ne soit un moyen pour le président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Diallo et ses amis chantaient des slogans contre une nouvelle Constitution quand, à la vue d’un pick-up noir appartenant à la police, ils se sont enfuis et engouffrés dans une cour. Un policier en uniforme les aurait suivis et aurait tiré, laissant Alpha mortellement blessé. Le lendemain, le gouvernement a affirmé que Diallo avait été « touché au niveau de la poitrine au quartier Concasseur par un projectile ».

Depuis le 14 octobre, des manifestations contre une nouvelle Constitution sont organisées à travers tout le pays. Les forces de sécurité les ont violemment réprimées et ont emprisonné des activistes. Des manifestants s’en sont pour leur part pris aux forces de sécurité avec des pierres et d’autres projectiles, tuant un gendarme et en blessant des dizaines d’autres. « C’est un référendum de la mort », me raconte un activiste, « tous ces morts ne feront que s’accumuler et si le gouvernement ne fait rien, notre pays risque de tout perdre ».

La révision constitutionnelle rejetée

Le président Condé apparaît pourtant prêt à entériner une nouvelle Constitution à tout prix. Après avoir pendant plusieurs mois refusé de se prononcer sur le sujet, il a, le 19 décembre, annoncé son soutien au projet et a même publié la proposition du nouveau texte fondamental.

Les partenaires régionaux, notamment la Commission des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ont tiré la sonnette d’alarme sur la crise, appelant au respect des droits fondamentaux des manifestants et à une meilleure gestion des manifestations par les forces de l’ordre.

Depuis, les forces de sécurité font preuve de plus de retenue pendant les manifestations. Les autorités locales ont autorisé plusieurs grandes manifestations à Conakry du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), la coalition à l’origine du mouvement de protestation contre une nouvelle Constitution. La cour d’appel de Conakry a aussi relâché temporairement six leaders du FNDC le 28 novembre.

Entre la position de Condé maintenant clairement établie et une opposition inflexible dans sa volonté de la contester, la crise guinéenne prend une tournure dangereuse. Mais une évidence s’impose : les droits humains doivent figurer au cœur de toute solution politique à la crise, quelle qu’elle soit.

Faire avancer les droits de l’homme

Le gouvernement devrait reconnaître et assurer sans équivoque le respect du droit fondamental à la liberté de réunion et d’expression de tout Guinéen. Il devrait sanctionner les membres des forces de sécurité et autres responsables d’abus. Pour cela, les autorités guinéennes devraient mettre en place une cellule judiciaire spéciale, dont la mission serait de surveiller, signaler et enquêter spécifiquement sur les violations des droits humains commises dans le cadre de processus référendaires et électoraux.

Le Bureau des droits de l’homme des Nations unies, présent en Guinée, le représentant spécial du secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, la Cedeao et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples devraient pour leur part placer la protection des droits humains au centre d’un agenda régional commun pour la résolution de la crise. Le gouvernement devrait quant à lui faire appel à l’assistance de ses partenaires régionaux et internationaux pour des enquêtes nécessitant des analyses criminalistiques particulières.

En l’absence de la mise en œuvre d’un processus judiciaire crédible par le gouvernement guinéen et compte tenu des tensions politico-ethniques qui sous-tendent la crise actuelle, la Cedeao devrait collaborer avec la CADHP pour mettre en place une mission d’établissement des faits sur les violations commises lors des manifestations. Cette mission serait suivie d’une commission d’enquête à même de garantir l’indépendance et la transparence des investigations.

Depuis plus d’une décennie, l’histoire électorale de la Guinée est jalonnée d’épisodes violents qui ont coûté la vie à plusieurs centaines de personnes comme Alpha. Grâce à une réputation solidement acquise lors de sa gestion de situations similaires dans la région, la Cedeao est un acteur clé pour agir et prévenir une escalade supplémentaire de la violence et l’aggravation d’une crise qui n’a que trop duré.


Cet article est republié à partir de lepoint.fr. Lire l’original ici





Chronique : Rien ne tombera du ciel, il va falloir se battre


Pour commencer, faisons cet effort pédagogique pour clarifier le concept ‘’se battre’’ afin d’éviter toute polémique allant dans le sens de donner une connotation de violence à notre action. ‘’Se battre’’ pour le triomphe des valeurs démocratiques avec pour seule arme : les dispositions juridiques qui légitiment les actions. Telle est l’acception retenue dans le cadre de cet article. Tu délires ! rétorqueront certains. Qu’est ce que tu vas dire de nouveau ? A part signer ton article ! D’ailleurs, tu es très méconnu et voire inconnu du grand public.

Agir dans un tel environnement caractérisé par une hostilité acerbe de façon délibérée ou involontaire parce que socialement intériorisée, reste un défi pour lequel le sacrifice ne compte pas mais la finalité poursuivie.
En citant le reggaman ivoirien Tiken Jah Fakoly, je développe un argumentaire tranché sur cette impérieuse nécessité de sortir du fatalisme et de l’inertie car « rien ne tombera du ciel. » Nelson Mandela avait comprit cela. Il fallait intégrer et matérialiser cette réalité douloureuse et injuste dans une conscience de lutte avec pour seule conviction, celle de défendre des valeurs universelles.

Avec un simple geste apparemment anodin pour certains, mais plein de sens, Nelson Mandela, dans des situations extrêmement difficiles n’avait cessé de réclamer ses droits en commençant par exiger des pantalons pour les prisonniers noirs à Robben Island. Tout un symbole du degré de détermination d’un homme qui avait déjà intériorisé cette nécessité d’agir en toutes circonstances.

Élevé dans une société musulmane où les notions de « destin » et de « fatalité » sont culturellement et ‘’instinctivement’’ enseignées et propagées, d’un autre point de vue, je suis d’avance ‘’programmé’’ à ‘’accepter’’ et à ‘’subir’’ les événements parce que, telle serait ma destinée, ou à l’échelle nationale, la destinée d’une nation toute entière. Mais NON ! Agir est un impératif et une constance et cela en toutes circonstances comme je l’ai dit tantôt.
Les embûches sont certes, nombreuses mais le renoncement au bien-être collectif est un acte de démission voire de trahison. Pour paraphraser Mandela, je dirai que longue sera la marche vers la démocratie. Tous sont conscients de cette évidence et rares sont ceux qui sont prêts à ce sacrifice. Il est aussi évident que les résistances au changement sont tenaces et culturellement entretenues. La peur du grand changement où les privilèges seront reconsidérés et où le passé sera revisité est compréhensible d’un point de vue individualiste mais inconcevable par son caractère égocentrique.

Le sacrifice sera important et certains pessimistes continueront à vous chanter ces refrains : « Vous prêchez dans le désert », « Rien ne changera dans notre pays. » Pour un optimiste comme moi, je répondrais que tout change et rien ne demeure. Mais pour cela, il faudrait un catalyseur, une dynamique collective imprégnée des enjeux et surtout des valeurs qui sous-tendent nos actions. En ma qualité de sociologue qui pratique le journalisme, je ne me contente pas de retranscrire simplement des faits, j’exprime une position adossée sur des principes et non sur des personnes du genre ‘’pro’’ ou ‘’anti’’. Car cette bipolarisation à outrance du débat politique me semble relever d’un raisonnement simpliste et partisan de la réalité.

Farouchement opposé à la gouvernance Alpha Condé en Guinée, certains collègues me suggèrent de faire preuve de ‘’flexibilité’’ dans le traitement de l’information. Ils se trompent sur toute la ligne. Avec la plus grande lucidité, mes billets sont avant tout des prises de positions. D’ailleurs, qui peut prétendre faire du journalisme sans prendre position ? Récemment, dans son article intitulé : Monsieur le Président, vous égarez la France, paru le 23 juillet 2014, Edwy Plenel de Mediapart n’avertissait-il pas dès le départ, ses lecteurs en ces termes : « Parti pris en forme de lettre ouverte ».
Avec la même fermeté, j’assume ma position : l’élection de Alpha Condé, j’allais dire sa désignation comme président de la Guinée est une faute historique commise par un groupuscule de guinéens avec les bénédictions de la fameuse ‘’communauté internationale’’ qui, d’ailleurs ne tardera pas à désenchanter au bout d’une année de règne de leur outsider j’allais dire tocard.

Du moment où le piège est tendu, la faute est commise, l’appel à une insurrection populaire semble inopportune aux conséquences incertaines et plutôt douloureuses pour les plus démunis. Du chaos que se permettent de ‘’prophétiser’’ certains pour sortir la Guinée de cette situation d’impasse permanente, je pense qu’il faut faire preuve de lucidité dans toutes les actions à mener.
« Rien ne tombera du ciel, il va falloir se battre » peut être perçu comme un manifeste prorévolutionnaire. Mais je ne voudrais pas polémiquer sur le concept de ‘’révolution’’ une fois de plus, qui, tendancieusement contribue à biaiser le débat au lieu de le susciter lucidement.

La Guinée, ce pays au paradoxe saisissant, ‘’potentiellement riche et malheureusement pauvre’’ est un laboratoire parfait des ‘’présupposés’’ mis en évidence quand on parle de la gouvernance en Afrique : ‘’corruption’’, ‘’impunité’’, ‘’violation des droits de l’Homme’’…Bref, d’ailleurs, loin d’être une présupposition, la Guinée est malheureusement un condensé avéré de tous ces maux. C’est pour cette raison qu’elle constitue un échantillon assez représentatif de la mal gouvernance et de la violation des droits de l’Homme. A travers ce pays, vous appréhendez les réalités de l’Afrique ‘’politique’’ celle des présidences à vie, des élections truquées, des massacres, de la pauvreté et malheureusement des populations résignées qui attendent que les solutions tombent du ciel. Mais je le répète une fois de plus que « Rien ne tombera du ciel, il va falloir se battre ».

Mon combat va au-delà de la personne de Alpha Condé actuellement président de la Guinée ou de sa gouvernance qui est profondément vicieuse et indéniablement anti-démocratique. C’est tout un chalenge qui s’inscrit dans un premier temps, dans une dynamique thérapeutique envers une société qui a malheureusement perdu le sens du discernement jusqu’à prendre son bourreau pour son bienfaiteur. Certains appelleront cette attitude de ‘’syndrome’’ de tel ou tel, où d’un point de vue sociologique, les relations entre le dictateur et son peuple sont plutôt ambigüe et où le dictateur finit par devenir l’objet d’admiration et d’idolâtrie que l’on s’interdit de critiquer ou de détester.

Dans une telle circonstance, la tâche semble ardue et il faudra s’attendre à une hostilité ouverte de la part de ceux qui sont favorables au statuquo. Dénigrement, délation et suspicion, il faudra se préparer à affronter toutes les formes de violences verbale, morale et physique pour faire triompher les valeurs de la démocratie dans cette partie du monde.
Pierre Bourdieu n’écrivait-il pas que « Pour « changer la vie », il faudrait commencer par changer la vie politique. »


Publié pour la première fois le 30 juillet 2014 sur mon blog Mondoblog RFI, 5 ans après (in-extenso, republié comme tel).


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com




Guinée : Répression du droit de manifester (communiqué HRW)

Les droits de l’opposition sont menacés alors que le président réfléchit à un troisième mandat controversé.

Depuis plus d’un an, le gouvernement de la Guinée interdit de fait les manifestations de rue en invoquant les risques pour la sûreté publique, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités locales ont interdit au moins 20 manifestations. Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes contre les personnes qui défiaient l’interdiction, et ont arrêté des dizaines de manifestants.

La Guinée traverse actuellement une période d’incertitude politique, dans l’attente d’une déclaration du président Alpha Condé au sujet de son intention ou non de réviser la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat lors de l’élection présidentielle de 2020. Une coalition de partis d’opposition et d’organisations de la société civile a annoncé qu’elle emploierait   « tous les moyens conformes à la loi » pour s’opposer à tout amendement de la constitution.

« Dans un contexte de débat politique acharné en Guinée, il est plus important que jamais de protéger le droit de manifester pacifiquement », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Interdire les manifestations prive les partis politiques et les autres groupes dun moyen légitime dexprimer leur opposition ou leur soutien aux plans et politiques du gouvernement. »

En juin et août 2019, Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 40 personnes sur la façon dont les autorités réagissent aux manifestations, notamment avec des représentants du parti au pouvoir et de l’opposition, des membres du Front national de la défense de la Constitution (FNDC) – la coalition de partis d’opposition et de groupes non gouvernementaux opposés à tout révision constitutionnelle – ainsi que des avocats, des journalistes, des organisations de défense des droits humains et des diplomates. Human Rights Watch a mené des entretiens en personne à Conakry, ainsi que par téléphone, ou via des canaux de communication sécurisés, avec les personnes se trouvant à l’intérieur du pays.

Le parti au pouvoir, le Rassemblement du Peuple Guinéen (RPG), a publiquement appelé à une nouvelle constitution qui, d’après les partisans d’Alpha Condé, l’autoriserait à briguer un troisième mandat présidentiel. Condé lui-même n’a pas dit s’il a l’intention de se représenter, mais le 4 septembre, il a demandé à ses ministres d’entreprendre des « consultations » à propos d’une nouvelle constitution. La coalition d’opposition a promis de descendre dans la rue si Condé poussait en faveur d’un nouveau texte. « Cest le calme avant la tempête », a résumé à Human Rights Watch un diplomate basé à Conakry.

La loi guinéenne protège le droit de manifester, mais exige que les manifestants avisent les autorités locales avant la marche ou le rassemblement public qu’ils prévoient. Les autorités locales ne peuvent interdire une manifestation prévue que s’il existe « un danger avéré pour lordre public ».

Pourtant, depuis juillet 2018, les partis d’opposition ainsi que le FNDC accusent le gouvernement de demander aux autorités locales d’interdire toutes les manifestations. D’après eux, aucune de leurs manifestations n’a été autorisée durant cette période. Ils ont montré à Human Rights Watch des exemples d’une vingtaine de lettres qu’ils disent avoir reçues des autorités locales interdisant les manifestations.

Des membres du parti au pouvoir ont également cité en exemple certaines de leurs propres manifestations qui ont été interdites par les autorités locales ; toutefois, des dirigeants du FNDC notent que les ministres du gouvernent peuvent organiser sans ingérence des événements pour promouvoir une nouvelle constitution.

Human Rights Watch a aussi documenté au moins quatre occasions en 2019 où les forces de sécurité avaient arrêté des manifestants opposés à une nouvelle constitution, et dispersé de force des manifestations qui s’étaient tenues malgré l’interdiction. « Nous voulions nous réunir, pas faire quoi que ce soit de violent », a expliqué un membre du FNDC qui a été arrêté le 13 juin à N’Zérékoré. « Jai été menotté, poussé dans un pick-up, amené au poste de police, déshabillé et enfermé dans une cellule. »

Le Ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, qui selon les organisations guinéennes de défense des droits humains a imposé l’interdiction de manifestation en juillet 2018, n’a pas répondu à une lettre du 13 septembre de Human Rights Watch.

D’autres responsables du gouvernement, cependant, ont affirmé qu’une interdiction des manifestations était nécessaire pour protéger la sûreté publique. De nombreuses manifestations tenues lors des dernières années en Guinée ont débouché sur des violences, les manifestants jetant des pierres et d’autres projectiles, et les forces de sécurité se servant de gaz lacrymogène, de canons à eau et parfois d’armes à feu.

« Les manifestations sont interdites pour le moment dans tout le pays. », a affirmé Souleymane Keita, conseiller du président Condé et chargé de communication du RPG. « Chaque fois qu’il y a une manifestation, il y a des morts. Le rôle le plus important de lÉtat est la préservation de vies. » Depuis que Condé est arrivé au pouvoir en 2010, des dizaines de manifestants ont été abattus par les forces de sécurité, et plusieurs agents de police et de gendarmerie ont été tués par des manifestants violents.

Mais l’interdiction généralisée de toute manifestation ne constitue pas une réponse adaptée au risque de violence lors des manifestations, a déclaré Human Rights Watch. De plus, il y a peu de chances que cela dissuade les manifestants de descendre dans la rue si Condé évoque un troisième mandat.

Le gouvernement guinéen devrait plutôt collaborer avec les partis politiques et les autres groupes afin de mettre en place des critères publics guidant les autorités locales pour déterminer si les manifestations devraient avoir lieu. Ces critères devraient notamment inclure une procédure d’évaluation des risques de sécurité que présente une manifestation planifiée.

Par ailleurs, toutes les décisions d’interdiction des manifestations devraient pouvoir faire l’objet d’un examen judiciaire indépendant. Les actions visant à prévenir et arrêter les violences lors des manifestations devraient être proportionnées, respectant le droit fondamental qu’est la liberté de réunion.

« Le droit de manifester pacifiquement est un pilier de la gouvernance démocratique et un outil essentiel pour donner forme aux politiques et débats publics », a déclaré Corinne Dufka. « Le gouvernement guinéen devrait agir rapidement pour trouver une façon de respecter le droit de manifestation tout en protégeant la sûreté publique. »

Violence des manifestations et de la réaction policière

Les protestations dans la rue servent depuis longtemps, en Guinée, à exprimer l’opposition aux politiques gouvernementales. En 2006 et 2007, les syndicats et d’autres groupes avaient organisé des grèves d’ampleur nationale pour protester contre la mauvaise gouvernance et la détérioration de l’économie sous la présidence de Lansana Conté. Les forces de sécurité, en de multiples occasions, avaient fait feu sur des manifestants non armés, tuant de nombreuses personnes. En 2009, les partis d’opposition et d’autres groupes avaient organisé une manifestation pacifique contre la tentative du président de l’époque et chef de la junte, Dadis Camara, de se présenter à l’élection présidentielle. Les forces de sécurité avaient de nouveau ouvert le feu sur des manifestants, tuant plus de 150 personnes.

Après être arrivé au pouvoir suite aux élections de 2010, le gouvernement du président Condé a nettement amélioré le respect de la liberté de réunion et la professionnalisation des forces de sécurité, notamment en veillant à ce que la gendarmerie et la police, et non pas l’armée, soient chargées des opérations de sécurité. Une loi de 2015 sur le maintien de l’ordre public a également amélioré le contrôle citoyen de la façon dont les forces de sécurité réagissent aux manifestations.

Avant l’interdiction de manifestations imposée en 2018, les autorités locales autorisaient typiquement certaines manifestations de l’opposition, tout en les interdisant lors des périodes de forte tension politique ou en cas de désaccord sur l’itinéraire proposé.

Cependant, nombre des manifestations qui se sont tenues depuis l’arrivée de Condé au pouvoir ont abouti à des violences entre les membres des forces de sécurité et les manifestants, ou entre des partisans du gouvernement et des opposants. Des dizaines de manifestants et deux agents des forces de l’ordre ont été tués en 2012-2013, avant les élections législatives. Au moins douze personnes ont été tuées, et un grand nombre blessé, avant et après l’élection présidentielle de 2015. Human Rights Watch a étudié de façon détaillée l’usage excessif de la force, les arrestations arbitraires et la criminalité lors de la réaction de la police et de la gendarmerie aux manifestations.

Mais malgré le risque de violence pendant les manifestations, leur interdiction absolue viole le droit relatif aux droits humains. Les interdictions générales ne permettent pas d’évaluer si, en fonction des circonstances, une manifestation spécifique pourrait avoir lieu. Une manifestation particulière ne devrait être interdite que s’il s’avère qu’aucune autre mesure moins sévère ne permettrait d’atteindre le but légitime visé, tel que le maintien de la sûreté publique.

Interdiction des manifestations

L’interdiction actuelle des manifestations en Guinée a démarré en juillet 2018, alors que le gouvernement faisait face à une série de protestations de la part de partis politiques, de syndicats et d’autres groupes de la société civile, portant sur des élections locales qualifiées de frauduleuses, l’augmentation du prix du carburant ou encore l’incapacité du gouvernement à résoudre un mouvement de grève enseignant. Beaucoup de ces protestations avaient débouché sur des incidents violents entre les manifestants et les forces de sécurité.

Deux organisations guinéennes de défense des droits humains, qui ont déposé plainte devant la Cour suprême le 18 juillet pour contester l’interdiction de manifestations, affirment que le 23 juillet 2018, le général Bourema Condé, ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, a adressé une note aux autorités locales pour leur demander d’interdire les protestations de rue jusqu’à nouvel ordre. Les autorités locales se référaient à cette circulaire dans trois des lettres envoyées aux partis de l’opposition ou à la coalition du FNDC pour interdire leurs manifestations, dont une lettre envoyée le 12 juin. Le général Condé n’a pas répondu à une lettre de Human Rights Watch lui demandant de confirmer s’il a délivré cette interdiction de manifestation et si elle reste toujours en vigueur.

Dans des cas où les opposants au gouvernement défiaient les interdictions des manifestations pour s’opposer à une nouvelle constitution, ou n’avaient pas avisé les autorités de la manifestation qu’ils planifiaient, les forces de sécurité guinéennes ont réagi, à quatre occasions au moins en 2019, en tirant des grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants ou en arrêtant certains participants.

Le 31 mars à Coyah, les forces de sécurité ont arrêté plusieurs activistes qui brandissaient des pancartes proclamant : « Non au troisième mandat ».   Après plusieurs jours, ils ont été libérés sans inculpation.

Le 5 avril, plus d’une dizaine de membres du Bloc libéral, y compris le leader de ce parti politique, Faya Millimono, ont été arrêtés à Conakry pour avoir organisé un sit-in protestant contre l’extension du mandat de l’Assemblée nationale au-delà de la limite de cinq ans fixés par la constitution. Les manifestants, une vingtaine de personnes selon un participant, tenaient une bannière proclamant « Si vous glissez, il va glisser et la Guinée va tomber » – une allusion à un éventuel troisième mandat du président Condé.

« Nous navions pas avisé les autorités locales car nous ne pensions pas que cétait obligatoire, pour un simple sit-in », a déclaré une activiste qui faisait partie des deux personnes arrêtées. « Les policiers ont tiré des grenades lacrymogènes vers nous. Certains se sont enfuis, mais dautres, comme moi, étaient en train de suffoquer, alors nous nous sommes juste assis. Nous avons été arrêtés, mais libérés dans la soirée. » Cette activiste a témoigné qu’avant de la libérer, un juge guinéen l’avait avertie que si elle prenait part à de nouvelles manifestations, elle serait placée en détention. « Depuis, je nose plus participer à des activités politiques », a-t-elle confié.

Les Lignes directrices de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, émises par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, exigent que les manifestants ne soient pas dispersés et ne fassent pas l’objet de sanctions pénales simplement parce qu’ils n’ont pas avisé les autorités. Les manifestations ne devraient être dispersées que si cela est strictement nécessaire pour protéger la sûreté publique.

Le 4 mai, les forces de sécurité ont arrêté sept partisans du FNDC lors d’une visite du président Condé à Kindia. Le 2 mai, le maire de la ville avait interdit une manifestation prévue par ce groupe pour le 4 mai parce que les organisateurs se proposaient de l’organiser dans le stade où Condé allait s’exprimer. Pour un tel cas, les lignes directrices relatives aux droits humains suggèrent que les autorités locales et le FNDC auraient dû immédiatement œuvrer à identifier un autre lieu acceptable pour la manifestation. Au lieu de cela, le 4 mai, les manifestants ont tenté de marcher en direction du stade. Les gendarmes ayant bloqué leur itinéraire, la marche s’est poursuivie vers le centre-ville de Kindia, où les forces de sécurité ont arrêté quelques manifestants.

Plusieurs autres partisans du FNDC à Kindia, qui eux ne participaient pas à la manifestation, ont été arrêtés alors qu’ils tentaient d’entrer dans le stade où Condé faisait son discours. Ils affirment qu’ils ont été arrêtés de façon arbitraire parce qu’ils portaient des T-shirts aux couleurs de l’opposition. « Je portais un T-shirt pro-FNDC », a ainsi témoigné Boubacar Barry, une des personnes arrêtées. « Et jai vu quelqu’un dautre qu’on empêchait dentrer et qu’on a détenu parce qu’il avait un T-shirt avec Cellou Dalein [un leader de lopposition]. » Un autre homme a confié qu’on l’avait arrêté parce qu’il portait un T-shirt à l’effigie de Sidya Touré, un autre leader de l’opposition.

Tous ceux qui ont été arrêtés à Kindia le 4 mai ont été jugés, reconnus coupables d’atteinte à l’ordre public le 7 mai, et condamnés à trois mois de prison et une amende de 500 000 FG (54 USD). Ce verdict a été annulé en appel le 13 mai et les manifestants ont été libérés. Le président du tribunal, a-t-on rapporté, a également ordonné la restitution des T-shirts confisqués lors des arrestations.

Le 11 juin, le maire de N’Zérékoré a interdit une manifestation de la coalition prévue le 13 juin, citant la nécessité de préserver l’ordre public et « la décision de [sa] tutelle [le ministère de lAdministration du territoire et de la Décentralisation] interdisant toute marche ». Les leaders du FNDC ont déclaré à Human Rights Watch que, puisqu’il leur était interdit d’organiser une marche publique, ils avaient opté pour une réunion au quartier général d’un parti politique d’opposition. Des images des médias sociaux montrent des partisans de la coalition tenant des pancartes où on pouvait lire : « Non au troisième mandat à NZérékoré ».

Accusant le FNDC d’avoir ignoré leur interdiction de manifester publiquement, les autorités locales ont envoyé les forces de sécurité disperser le rassemblement. Plusieurs personnes ont témoigné que les forces de sécurité avaient tiré des grenades lacrymogènes dans la foule tandis que les manifestants avaient réagi en leur jetant des pierres.

Tout au long de la journée du 13 juin, des affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants ont débouché sur des violences entre partisans de l’opposition et du gouvernement dans plusieurs quartiers de N’Zérékoré. Une personne a été tuée et une trentaine ont été blessées. Des boutiques et des maisons ont été pillées ou détruites parce qu’elles appartenaient à des membres de groupes ethniques considérés comme appartenant au camp opposé.

Les forces de sécurité ont arrêté au moins quarante personnes à N’Zérékoré suite à la dispersion du rassemblement du FNDC et aux violences qui se sont ensuivies dans la ville. Ils ont été détenus jusqu’au 20 juin, avant d’être jugés par un tribunal de première instance à N’Zérékoré. Parmi ces personnes détenues, 22 ont été reconnues coupables de diverses atteintes à l’ordre public et condamnées à des peines de prison de trois ou quatre mois avec sursis et à une amende de 500 000 GF (54 USD). Les autres ont été libérées sans inculpation.

Des affrontements entre les partisans de l’opposition et du gouvernement à Kankan le 30 avril ont également fait plusieurs blessés. Trois témoins du FNDC ont déclaré à Human Rights Watch que les partisans du gouvernement avaient attaqué un rassemblement de la coalition qui se tenait au quartier général d’un parti local suite à l’interdiction d’une marche publique par les autorités locales. Quant aux militants du parti au pouvoir, ils ont déclaré que c’étaient les partisans du FNDC qui avaient pris l’initiative de la violence. Le FNDC a indiqué qu’une personne blessée dans ces affrontements, Mory Kourouma, est décédée le 19 juin à la suite de ses blessures.

Recommandations au gouvernement guinéen

Afin de garantir le respect de la liberté de réunion, le gouvernement guinéen devrait :

  • Réaffirmer le droit fondamental de tous à se réunir librement en déclarant publiquement qu’il n’existe pas d’interdiction généralisée de toutes les manifestations et que les éventuelles interdictions, conformément à la loi guinéenne, feront l’objet d’une évaluation au cas par cas par les autorités locales.
  • Réunir un groupe de travail composé de représentants des partis politiques, de groupes non gouvernementaux et d’experts internationaux afin d’élaborer des critères d’évaluation, conformes au droit relatif aux droits humains, guidant les autorités locales pour déterminer si des restrictions sont nécessaires dans le cas de telle ou telle manifestation. Le gouvernement devrait publier ces critères et former les autorités locales à leur application. Le groupe de travail devrait se réunir tous les six mois pour contrôler si les critères sont effectivement appliqués.
  • Si les risques que présente une manifestation pour la sécurité sont plus élevés que d’ordinaire, organiser des rencontres entre les autorités locales, les organisateurs de la manifestation et les forces de sécurité pour mettre au point un plan de sécurité réalisable, y compris l’itinéraire parcouru. C’est uniquement dans le cas où aucun arrangement de sécurité ne peut être trouvé, et où le danger que des tiers subissent un grave préjudice est élevé, qu’une manifestation pourra être interdite.
  • En collaboration avec la justice, créer un processus accéléré pour entendre les requêtes faisant appel des interdictions de manifester, de façon à ce que la décision judiciaire survienne aussi près que possible de la date prévue pour la manifestation.
  • Veiller à ce que toute personne arrêtée lors d’une manifestation bénéficie d’une procédure régulière et soit rapidement entendue par un tribunal.
  • Rédiger des directives destinées aux procureurs, policiers et gendarmes, conformes au droit relatif aux droits humains, indiquant les cas où les personnes arrêtées lors des manifestations peuvent être inculpées de délits pénaux, et détaillant les types d’inculpations appropriées pour chaque circonstance.
  • Ne pas traiter automatiquement les organisateurs de manifestations comme pénalement responsables des violences et autres crimes qui peuvent être commis lors de ces manifestations, à moins qu’il n’existe des preuves indiquant clairement qu’ils en sont directement responsables.
  • Se garder de tout discours, sur Internet ou dans les médias, qui pourrait provoquer la violence lors des manifestations. Les partis politiques d’opposition et les autres groupes, dont le FNDC, devraient eux aussi s’abstenir de ce genre de discours.

Source : hrw




28 septembre 2009 : autopsie d’un massacre à Conakry


Droits de l’homme


Le 28 septembre 2009, les manifestants de l’opposition se rassemblent et marchent depuis la banlieue de Conakry pour dire « non » à une candidature à la présidentielle de Moussa Dadis Camara, militaire arrivé au pouvoir par un coup d’État dix mois plus tôt. La date est symbolique, le lieu de rassemblement aussi : les militants des Forces vives se regroupent au stade portant le nom du jour où la Guinée a voté pour son indépendance, le stade du 28 septembre. Ils sont des milliers, réunis dans une ambiance de fête. Puis tout bascule : des hommes en uniforme, mais aussi en civil, entrent dans le stade, ouvrent le feu sur la foule, violent de nombreuses femmes.

Les assaillants s’affranchissent de toute morale, souillent les âmes, blessent les corps, enlèvent les vies. Et s’il est difficile de comprendre le moteur d’un tel déchaînement de violence, ce qui s’est passé dans le stade semble ne pas être complètement étranger aux tendances décrites dans ce livre : une violence d’État se sentant autorisée à broyer les vies humaines qui lui posaient problème, une violence utilisée par des corps habillés pour faire taire toute velléité de contestation. Il y a eu des précédents, notamment la répression violente des manifestations de 2007 sous la présidence de Lansana Conté. L’impunité règne.

Pour tenter de mieux saisir ce qui s’est passé le 28 septembre 2009, cette sixième partie propose une enquête inédite sur le massacre et la façon dont les violences se sont prolongées les jours suivants. On y trouvera aussi le témoignage d’une jeune recrue du camp militaire de Kaleah qui a été chargée d’évacuer des blessés et de transporter des corps. Cette ultime partie du livre donne également à entendre le besoin de justice des victimes de violences politiques, à l’image d’Asmaou Diallo, la présidente  de  l’AVIPA, l’Association  des victimes, parents et ami-e-s du 28 septembre.

28 septembre 2009, la toute-puissance des militaires et un déchaînement de violence

« … Les manifestants étaient des biens personnels pour eux. Les militaires nous faisaient ce qu’ils voulaient, sans arrière-pensée. »

Lundi 28 septembre 2009, dès le petit matin, des milliers de personnes se dirigent vers le stade de Conakry à l’appel de l’opposition. Elles réclament des élections et surtout exigent que Moussa Dadis Camara ne soit pas candidat.

Ce capitaine de l’armée est président depuis neuf mois. Moussa Dadis Camara a pris le pouvoir au lendemain de la mort de Lansana Conté, le 23 décembre 2008. Il est jeune, très populaire et beaucoup s’enthousiasment pour ses promesses de changement. Le régime militaire du CNDD (Conseil national pour la démocratie et le développement) a beau avoir dissout le gouvernement et suspendu la Constitution, il incarne un espoir pour de très nombreux Guinéens. Les premiers mois seulement. En septembre 2009, l’enthousiasme commence à retomber.

De l’aveu d’un ancien membre du CNDD, Moussa Dadis Camara a pris goût au pouvoir et a commis des erreurs politiques, en parlant de son avenir à la tête de l’État. Contrairement à ce qu’il avait promis au moment du coup d’État, il n’exclut plus d’être candidat à l’élection présidentielle, prévue quelques mois plus tard.

L’opposition et la société civile réunies au sein du forum des Forces vives annoncent alors une grande manifestation dans la capitale. « Le rassemblement du 28 septembre avait pour objectif d’organiser un référendum d’une autre manière, explique Bah Oury, premier vice-président de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée ) et responsable de l’organisation de la manifestation. Pas par le vote, mais par le nombre de citoyens guinéens qui allaient sortir ce jour-là, pour montrer leur défiance vis-à-vis de la continuation d’un régime militaire. »

Empêcher la manifestation

La junte décide d’interdire le rassemblement, avançant différents motifs dans les jours qui précèdent les événements. Les autorités ont d’abord expliqué que le stade était fermé en prévision d’un match de football prévu en octobre, pour ne pas abîmer le terrain. Elles ont ensuite interdit toutes les manifestations jusqu’à la fête nationale du 2 octobre. Enfin elles ont expliqué que le 28 septembre étant une commémoration nationale, la journée serait fériée. Le président a même essayé de convaincre l’opposition de renoncer, par téléphone, en pleine nuit, la veille du rassemblement.

Sidya Touré, président du parti d’opposition Union des forces républicaines et membre du forum des Forces vives, se souvient : « Le téléphone a sonné à une heure du matin. J’ai vu que c’était Tibou Kamara qui m’appelait, il m’a dit que le président voulait me parler. Dadis a commencé à m’expliquer qu’on ne devait pas organiser cette manifestation, qu’il ne souhaitait pas que le meeting ait lieu.

Je lui ai répondu calmement qu’il était une heure du matin et que la mobilisation commençait à sept heures, que je n’avais aucune possibilité de parler à qui que ce soit. Et que ce n’était pas la solution.

Le conseiller qu’il avait à côté de lui a commencé à dire : «Il faut insister sur l’autorité de l’État.» Je l’ai entendu répéter ça : «L’autorité de l’État, l’autorité de l’État !» J’ai répondu : «C’est très bien l’autorité de l’État mais tu m’as appelé parce que tu me dis que nous avons de bonnes relations toi et moi. Est-ce que je peux te donner un conseil ?» Je ne sais pas s’il a dit oui, toujours est-il que j’ai donné mon conseil. Je lui ai dit : « Tu viens de passer plusieurs jours en campagne dans la région du Fouta. L’opposition, qui n’a pas disparu parce que tu es arrivé, a décidé d’aller au stade pour faire une déclaration. À ta place, j’attendrais que cette déclaration soit faite, et peut-être que mercredi, tu pourrais convoquer un Conseil national pour que tout le monde se retrouve et qu’on commence à discuter de transition et tout ça. «Ah…», c’est reparti : «Je n’accepterai pas ! L’autorité de l’État !»

Le téléphone s’est coupé. Il a sonné de nouveau quelques minutes plus tard. Dadis s’est lancé dans une logorrhée de discours, je me souviens seulement qu’à la fin, il a dit qu’il ne permettrait jamais cela.

Je n’imaginais pas ce qui allait arriver. Je me suis dit : « mais, comment il ne peut pas permettre la manifestation ? De toute façon, on sera dans la rue, qu’est-ce qu’il va faire ? »

Je n’imaginais pas ce qui allait arriver. Je me suis dit : mais, comment il ne peut pas permettre la manifestation ? De toute façon, on sera dans la rue, qu’est-ce qu’il va faire ? »

Dès le début de la matinée, la ville était quadrillée par les forces de l’ordre.

Une source au sein de la gendarmerie explique qu’il avait été décidé de ne mobiliser que des forces de maintien de l’ordre. La décision avait été prise la veille au cours d’une réunion entre le chef des armées, les chefs d’état-major, ainsi que les responsables de la police et de la gendarmerie. Rassemblés au camp Samory, ils ont décidé que les militaires ne seraient pas déployés. Selon notre source à la gendarmerie, les hommes devaient être mobilisés sans armes létales pour essayer d’empêcher le rassemblement.

Le rassemblement malgré tout

Lundi matin, gendarmes et policiers sont effectivement présents aux principaux carrefours de Conakry et dans les quartiers réputés favorables à l’opposition. Premières échauffourées. Les forces de l’ordre lancent des grenades lacrymogènes, tirent en l’air puis ouvrent le feu sur la foule au rond-point Bellevue. Deux manifestants sont tués.

Un ancien policier raconte qu’au même endroit, des jeunes ont attaqué le commissariat et emporté des armes. L’un des organisateurs de la manifestation assure qu’il s’agissait de vieux fusils non-chargés et laissés sur place, qu’aucune arme n’est entrée dans le stade.

Le rapport de la Commission d’enquête des Nations unies confirme que des armes ont bien été emportées par des personnes en civil mais précise, en s’appuyant sur des images et un témoignage, que ces personnes « n’ont pas pris la direction du stade et que certains des voleurs ont été vus marchant à contre-courant des manifestants. Il pourrait dès lors s’agir de délinquants », conclut le rapport.

Les sympathisants de l’opposition reprennent leur marche vers le stade du 28 septembre et commencent à se rassembler sur l’esplanade, devant l’entrée principale.

Une source provenant de la gendarmerie affirme qu’aucun gendarme n’a été envoyé sur les lieux « puisqu’il était interdit d’y aller » et qu’il avait été décidé de déployer les équipes dans le reste de la ville. Plusieurs témoins assurent cependant avoir vu des gendarmes en arrivant au stade.

Ils expliquent également avoir vu une autre unité des forces de l’ordre. En Guinée, certains gendarmes et policiers sont détachés au sein d’une unité spéciale mise en place par le CNDD, la brigade de lutte contre la drogue et le grand banditisme. Le groupe porte une tenue similaire à celle des membres de la gendarmerie nationale, pantalons treillis et T-shirts noirs. À la tête de ces services spéciaux, le colonel Moussa Tiegboro Camara.

Les hommes de la brigade sont placés sous son autorité directe, explique une source à la gendarmerie. Ce groupe aurait donc pu être envoyé au stade sans que le haut-commandement de gendarmerie en soit informé.

C’est à ce moment-là qu’il a reçu un appel l’informant qu’on tirait à l’intérieur du stade.

Le colonel Tiegboro s’est d’ailleurs rendu sur les lieux le matin du 28 septembre. Selon l’un de ses proches, « sur la route entre le camp et son domicile, vers huit heures, le colonel a parlé à des manifestants en leur disant que le rassemblement était interdit et qu’ils devaient rentrer chez eux. Après avoir mangé chez lui, le colonel Tiegboro a pris la direction de son bureau mais s’est arrêté pour parler aux responsables de l’opposition devant l’université, à quelques centaines de mètres de l’entrée principale du stade. Il a répété le message et l’opposition a accepté de sursoir au rassemblement. En échange, les leaders avaient demandé la libération de tous ceux qui avaient été arrêtés plus tôt le matin. Le colonel Tiegboro s’est rendu à la CMIS (Compagnie mobile d’intervention spéciale) où il s’est aperçu que personne n’avait été interpellé. C’est à ce moment-là qu’il a reçu un appel l’informant qu’on tirait à l’intérieur du stade. »

La version des manifestants est tout autre : ils expliquent que le colonel Tiegboro était menaçant lorsqu’ils l’ont croisé. Les responsables politiques, quant à eux, affirment qu’il n’a jamais été question de renoncer au rassemblement.

Ce matin-là, ils s’étaient donné rendez-vous au domicile de Jean-Marie Doré, porte-parole des Forces vives et leader de l’UPG (Union pour le progrès de la Guinée) : « La raison de ce choix, c’est simple : c’est parce que son domicile était le plus proche du stade, se souvient Mouctar Diallo, leader des Nouvelles forces démocratiques et membre des Forces vives, mais dès le matin, on a senti qu’il y avait anguille sous roche. » Jean-Marie Doré refuse de se rendre au stade. « Je ne sais pas pourquoi, explique Bah Oury, premier vice-président du parti d’opposition UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée) et responsable de l’organisation de la manifestation, il a juste fait savoir qu’il ne voulait pas. »

En fait, selon des proches de Jean-Marie Doré, décédé en 2016, la décision était prise depuis plusieurs semaines déjà. Mamounan Kpokomou, membre du bureau politique de l’UPG (Union pour le progrès de la Guinée) depuis 1993, explique : « Nous sommes de la même région que le chef de la junte. Notre parti est national, mais la base c’est bien la Guinée forestière, où est né Moussa Dadis Camara.

Nous défendions un idéal, nous étions diamétralement opposés à la candidature d’un militaire, mais nous avions choisi de ne pas prendre part à la marche du 28 septembre. Nos parents analphabètes, qui constituent le gros de notre électorat, ne nous auraient pas compris. Nous avions donc pris la résolution de ne pas y aller de peur de perdre cet électorat, qui n’aurait pas accepté de nous voir nous joindre aux autres partis politiques pour lutter contre un fils du terroir. »

C’est pourtant Jean-Marie Doré qui a été choisi pour une dernière médiation, le matin du 28 septembre. Il a été sollicité par les responsables religieux de Conakry. « La veille déjà, raconte l’un de ces religieux, nous avions négocié avec Dadis jusqu’à deux heures du matin pour que la manifestation soit autorisée mais encadrée. Le président a refusé. Il souhaitait que la marche ait lieu le lendemain, le 29, à Nongo, en banlieue. » L’archevêque monseigneur Coulibaly, l’archevêque monseigneur Gomez et l’imam de la Grande Mosquée, Ibrahima Bah, ont alors essayé de convaincre l’opposition de changer de programme. Sans succès.

« Il n’était pas question qu’on demande aux gens de sortir et que nous nous retrouvions dans une cour, en toute sécurité, en abandonnant la population dans la rue », résume Bah Oury, responsable du Comité d’organisation du rassemblement.

Les principaux leaders de l’opposition quittent le domicile de Jean-Marie Doré avant même l’arrivée des responsables religieux. « Nous connaissions leur message, raconte l’opposant Mouctar Diallo, c’était pour nous demander de reporter la manifestation. Nous nous sommes levés, Jean-Marie Doré est resté. »

À quelques centaines de mètres du stade, devant l’Université Gamal Abdel Nasser, les opposants sont bloqués par un barrage de policiers et de gendarmes. Peu de temps après, arrive le colonel Tiegboro. Il répète que le rassemblement ne peut pas avoir lieu. Discussion animée, tendue même par moments, mais contrairement à ce qu’affirme le proche de Moussa Tiegboro Camara, les opposants n’ont jamais accepté de reporter la manifestation.

Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), raconte que le colonel s’est absenté quelques minutes et qu’à son retour, il a demandé aux forces de l’ordre de céder le passage aux opposants. Les portes du stade ont été ouvertes et la foule a commencé à prendre place dans les tribunes, sur le terrain, dans les allées.

« Il y avait beaucoup d’ambiance, raconte une manifestante, ça chantait, ça dansait. Certains ont même prié sur la pelouse. C’était la joie ! »

Le rassemblement de l’opposition est un succès. Des milliers de personnes ont répondu à l’appel et se massent dans le stade dans une ambiance de fête.

Jean-Marie Doré rejoint les autres responsables de l’opposition un peu avant midi. Selon l’un de ses proches, l’opposant pensait alors convaincre les autres responsables politiques de renoncer au rassemblement, « mais c’était impossible, le stade était archi-comble ». Jean-Marie Doré rejoint la tribune officielle.

Faute de matériel de sonorisation, les leaders politiques ne prononcent pas de discours mais devant les journalistes présents dans les gradins, ils se félicitent de l’ampleur de la mobilisation.

Quelques minutes seulement après l’arrivée de Jean-Marie Doré, on entend les premiers coups de feu.

Le piège

« Le stade était plein, raconte Fanta, une manifestante. Il n’y avait plus de place pour s’asseoir. Dès que les leaders sont arrivés, tout le monde a tapé dans ses mains en criant «Changement, changement !» Quand on a entendu les premiers coups de feu, on pensait que c’étaient des pétards. »

Les rares images tournées avec des téléphones portables montrent l’incompréhension totale des manifestants. Dans les allées qui entourent le stade, les gaz lacrymogènes surprennent la foule. Ce n’est qu’au moment où les coups de feu retentissent que les manifestants commencent à courir.

Les forces de sécurité entrent par le grand portail, le seul accès à la rue, puis ils encerclent les lieux et entrent à l’intérieur du stade. Une fois sur la pelouse, ils tirent indistinctement sur la foule. Les manifestants ont vu des bérets rouges, commandos de parachutistes et membres de la Garde présidentielle, mais aussi des gendarmes et des hommes en civil, qui eux portaient des armes blanches et poignardaient tous ceux qui se trouvaient sur leur passage.

« Il y a eu une débandade indescriptible, se souvient Mouctar Bah, journaliste pour Radio France internationale et l’agence France-Presse. Les gens sont descendus des gradins pour essayer de sortir. Ils montaient sur des murs de quatre mètres, cinq mètres ! D’autres sont restés où ils se trouvaient parce qu’il n’y avait nulle part où aller. »

Les militaires bloquent toutes les sorties du stade, les deux portes principales et les issues secondaires. De très nombreux manifestants ont été blessés en essayant de franchir les grilles qui séparent les gradins de la pelouse et des escaliers. Certains sont morts dans le mouvement de foule, écrasés contre les grilles ou piétinés dans la cohue.

Pour ceux qui réussissent à sortir du bâtiment, le soulagement ne dure pas longtemps. Les militaires sont partout et poursuivent les manifestants en fuite.

« Je suis allée vers le stade annexe, raconte Saran, militante du parti d’opposition UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée). Un jeune m’a aidée à monter sur le mur. Ils lui ont tiré dessus, au milieu du front. Lorsque le petit est tombé, j’ai basculé dans la cour de l’autre côté du mur. Nous étions plusieurs. Des militaires et des policiers sont arrivés. L’un d’entre eux m’a frappée avec un morceau de caoutchouc et j’ai perdu connaissance. »

Comme Saran, beaucoup de manifestants ont essayé de franchir les murs qui entourent le stade mais des militaires, postés de l’autre côté, mettaient en joue ceux qui essayaient de sauter.

« Il y a une porte au fond, vers l’université. On voulait sortir par-là, mais quand on est arrivé, les policiers habillés en noir et cagoulés ont tiré les fils de courant. Ils ont vu que les personnes qui arrivaient en face étaient plus nombreuses qu’eux alors ils ont fait tomber les fils. Les premiers manifestants qui ont essayé de passer ne se sont pas relevés. Ils ont été tués par le courant électrique. »

Plusieurs témoins rapportent que les forces de l’ordre avaient sectionné des fils électriques pour empêcher les manifestants de s’enfuir : « Des jeunes sautaient. Ils ont attrapé les fils électriques au-dessus du portail et certains ont été électrocutés. Quand tu mets ta main, le courant te prend. Il y a des gens qui sont morts comme ça ! »

Les responsables de l’opposition stupéfaits… Et matraqués

On a vu les hommes en tenue, et d’autres qui n’étaient même pas en uniforme, qui commençaient à tuer comme ça. On a compris petit à petit que c’était un massacre.

Du haut de la tribune officielle, les responsables de l’opposition ne comprennent pas tout de suite ce qui se passe, comme le raconte Mouctar Diallo, leader des Nouvelles forces démocratiques : « Nous avons commencé à entendre des coups de fusil, à voir la fumée des gaz lacrymogènes, mais jamais bien sûr nous n’aurions pu imaginer que cette barbarie était possible.

On a vu les hommes en tenue, et d’autres qui n’étaient même pas en uniforme, qui commençaient à tuer comme ça. On a compris petit à petit que c’était un massacre. Nous, nous étions là stupéfaits à la tribune. »

« C’était de la pure folie, résume Sydia Touré. Nous avons décidé de ne pas bouger, mais à un moment, des militaires sont venus nous demander de descendre. J’étais le premier, j’ai pris d’abord une gifle. Quand je me suis redressé, un des militaire qui avait un bâton a visé ma tête.

J’avais la tête complètement ensanglantée, je titubais un peu. Quand je suis arrivé sur le gazon, je suis tombé. Je voyais Cellou Dalein Diallo à côté qui s’était recroquevillé et qui recevait des coups de pieds. »

Oury Bah se souvient qu’un groupe de militaires s’est dirigé directement vers les responsables de l’opposition. « C’est Toumba, commandant de la Garde présidentielle, qui conduisait ce peloton de bérets rouges. Il y a eu des matraques, des échanges de coups. Il n’est pas resté longtemps, c’est comme s’il était venu pour prendre un certain nombre de personnes. »

Mouctar Diallo raconte que le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité, l’aide de camp du président Dadis, a protégé les leaders politiques. « Toumba nous a demandé de le suivre. Quand nous sommes arrivés sur la pelouse, on continuait à recevoir des coups. Un de ceux que j’ai reçus a failli me faire évanouir. Je suis tombé mais je me suis relevé tout de suite parce que je me suis dit : «Si je reste là une seconde, ils vont me tuer.» Il y avait Sidya Touré devant, François Fall et moi. On s’était accrochés l’un à l’autre, très fermement. Je pense que Cellou était derrière nous et qu’il était tombé au sol sous les coups. Il y avait Bah Oury à côté de lui. Nous avons continué, Toumba nous a guidés pour sortir du stade. Je pense qu’il s’inquiétait de notre sort. Nous sommes sortis par l’entrée principale, sa voiture était garée de l’autre côté de la route. Il nous a mis dans son véhicule puis s’est absenté quelques minutes.

Pendant ce temps, Marcel, le neveu de Dadis qui était en même temps l’adjoint de Toumba, est venu avec un gros bâton du côté de la portière où se trouvait Sidya Touré. Il a dit «Bâtards, on va vous tuer aujourd’hui.»

C’est à ce moment qu’on a vu Jean-Marie Doré trimballé et tout couvert de sang, les habits déchirés. Lui, on l’a mis dans le véhicule qui était derrière nous, je crois que c’était celui de Tiegboro. »

Le colonel Moussa Tiegboro Camara a pris en charge les autres leaders de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, Jean-Marie Doré et Oury Bah.

Une source proche du colonel Tiegboro résume son intervention : « Le seul objectif, c’était les leaders politiques. En arrivant au stade, il a vu Cellou Dalein Diallo, qui avait déjà été frappé, et il s’est dit : «S’il est tué, on est foutus. Ça aurait pu être la guerre civile.» Le colonel Tiegoboro n’a pas passé plus de quinze minutes là-bas, il a mis Cellou Dalein Diallo, Bah Oury et Jean-Marie Doré dans sa voiture et il est parti. »

Selon cette source, c’est le colonel Tiegboro, et lui seul, qui a pris l’initiative de faire sortir les leaders de l’opposition, sans concertation avec aucun responsable de la junte.

« Lorsque Toumba a appris qu’il était là, il a fait semblant mais au départ, il ne souhaitait pas aider l’opposition. C’est lui qui commandait les bérets rouges. »

Le seul objectif, c’était les leaders politiques

Pour quelle raison Toumba et Tiegboro ont-ils décidé de sauver les chefs de l’opposition ?

Au cours de l’enquête, dans ses déclarations aux juges, l’aide de camp Aboubakar Toumba Diakité explique s’être rendu au stade pour chercher le président. Il affirme être parti seul au stade, une version contredite par plusieurs manifestants qui l’ont vu arriver à la tête d’un groupe de bérets rouges.

Selon plusieurs témoignages et les déclarations de Moussa Dadis Camara lui-même, le chef de l’État se trouvait pourtant au camp Alpha Yaya ce matin-là, où les principaux responsables de la junte avaient établi leurs quartiers. Toumba, lui, assure qu’il le pensait au stade, qu’il s’est rendu sur place pour l’alerter mais qu’en voyant la gravité de la situation, il a décidé d’intervenir pour exfiltrer les leaders politiques.

Le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité s’appuie d’ailleurs sur cette intervention pour se défendre de toute implication dans la répression du 28 septembre. Actuellement en détention préventive et désigné comme responsable par son ancien président, il assure n’avoir jamais donné l’ordre de tirer sur la foule.

Selon Mamadi Kaba, directeur de l’Institution nationale indépendante des droits humains, Toumba et le colonel Tiegboro ont bien agi de leur propre chef pour sauver les chefs de l’opposition, mais cela ne les disculpe pas pour autant. « Ils savaient qu’il y aurait une répression, d’ailleurs ils ont envoyé leurs hommes. Ils ne savaient peut-être pas forcément que cela irait jusque-là, mais ils étaient au courant.

Il faut voir leur choix de sortir les leaders comme des initiatives personnelles qui permettaient d’éviter le pire, dans l’intérêt du grand chef. Pour peut-être lui dire ensuite que leur geste avait permis de sauver son régime. »

L’exfiltration des responsables de l’opposition

Les deux véhicules, conduits par le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité et le colonel Tiegboro, quittent le stade en direction de la clinique Ambroise Paré, à moins de dix minutes de route. Avant que les leaders de l’opposition ne commencent à recevoir des soins, avant même que certains n’aient le temps de sortir de voiture, un groupe de bérets rouges débarque à la clinique. À leur tête, Marcel Guilavogui, adjoint de Toumba et présenté comme le neveu du président Dadis. Plusieurs témoins racontent la scène : grenade à la main, Marcel menace de tout faire sauter, crie que les opposants doivent être tués.

Le même Marcel Guilavogui a déclaré aux juges d’instruction guinéens en 2010 qu’il ne s’était pas rendu au stade le jour du massacre et assuré qu’il était resté alité toute la journée à cause d’un accident de circulation survenu quelques jours plus tôt.

À cause des menaces, les voitures transportant les opposants repartent et se dirigent cette fois vers la gendarmerie, en centre-ville. « Le chef d’état-major de la gendarmerie est venu pour donner les instructions, explique Mouctar Diallo des Nouvelles forces démocratiques. Il a ordonné qu’on nous donne les premiers soins. Puis Tiegboro est venu nous trouver pour nous dire que Dadis lui a donné instruction de nous prendre nous et Cellou, qui était au camp Samory, et de nous conduire à la clinique Pasteur. Nous étions tous dans la même salle pour les soins. C’était encerclé. On n’avait même plus de moyens de communication. »

Viols et tortures

Au stade, les militaires ne cessent de tirer qu’après avoir épuisé leur stock de munitions, mais continuent de traquer les manifestants. Les forces de sécurité et les hommes en civil équipés d’armes blanches poursuivent leur massacre.

Pendant plusieurs heures, ils se sont livrés à des violences jamais vues en Guinée. En plus des meurtres qui ont causé la mort de 157 personnes, au moins une centaine de viols ont été commis publiquement. Peut-être davantage, de nombreuses femmes refusant toujours de témoigner, craignant d’être stigmatisées.

L’une d’entre elles connaissait son agresseur, qu’elle a dénoncé depuis. « J’ai croisé un gendarme qui travaillait ici à Hamdallaye. Il nous connaissait. Il m’a frappée sur les deux joues avec son fusil, puis sur la tête. Je suis tombée. Il a frappé jusqu’à ce que je ne puisse plus me relever puis iI a pris un couteau et a déchiré mes habits. Il m’a aussi fait une croix dans le dos avec le couteau. Il m’a violée. Il a appelé deux hommes, bérets rouges. Je ne me souviens pas de la suite, j’ai perdu connaissance. »

Aissatou, une autre femme âgée de 25 ans au moment des faits, était venue au stade avec l’une de ses amies qu’elle a perdue dans sa fuite. « Je me suis cachée au niveau des toilettes, dans les gradins. Quelques instants après, quatre militaires sont venus. L’un d’entre eux m’a tirée sur une sorte de banc. Ils ont d’abord déchiré mon pantalon. Le premier m’a violée, le second m’a violée. Le troisième a essayé mais là, j’ai résisté un peu alors ils m’ont cognée sur la tête et j’ai perdu connaissance. »

De nombreuses femmes ont été violées à plusieurs reprises, plusieurs avec des objets, puis laissées pour mortes par leurs agresseurs.

Aissatou n’a repris conscience qu’en fin d’après-midi. Elle a été sauvée par un militaire qui, après lui avoir donné un pantalon, l’a placée au milieu d’un groupe d’hommes et de femmes qu’il conduisait vers la sortie. « Pendant qu’on marchait, d’autres militaires se sont approchés. Ils ont demandé à deux jeunes garçons du groupe de leur donner leurs téléphones. Le premier a donné son téléphone et à bout portant, ils ont tiré sur lui. Ils ont demandé aussi au deuxième. Ce dernier a dit : ‘‘Si vous me tuez, vous allez me tuer avec mon téléphone.» Les militaires ont tiré et il est tombé sur moi.

Pendant tout ce temps, les militaires nous disaient de rire à nous, les femmes, ils nous disaient d’être contentes. Ils nous ont forcées à rire. Comme je refusais, l’un d’entre eux a pointé son arme sur moi, puis il a appuyé son arme sur mon oreille et il a tiré dans le vide. »

L’opposant Sidya Touré se souvient avoir assisté à des scènes de viol en quittant le stade. « Je voyais des femmes dans des situations que je n’ose pas décrire. J’ai le regard d’une femme qui ne me quittera jamais. Elle voulait protéger sa dignité. Je vous assure que ça vous marque toute votre vie. »

Contrairement à ce qu’affirment de nombreux témoignages, Aboubakar Toumba Diakité et Moussa Tiegboro Camara, les responsables militaires ayant aidé les leaders de l’opposition à s’échapper du stade, assurent tous les deux n’avoir vu aucun viol ce jour-là.

Mamadi Kaba, directeur de l’Institution nationale indépendante des droits humains est certain que ces viols faisaient partie du plan de répression du rassemblement. « Il y a eu un ordre donné pour qu’ils violent. Sinon, il y aurait peut-être eu deux ou trois cas mais pas une centaine de femmes. Il y a eu un ordre.

En Guinée, quand les femmes se mêlent à une manifestation, elle prend une autre dimension. Il y a une fête que l’on célèbre chaque année, pour commémorer un jour où les femmes se sont mobilisées contre le régime de Sékou Touré [chef de l’État guinéen de l’indépendance à 1984]. Tous les présidents ont en tête que les femmes sont capables de les braver, alors si vous voulez tuer l’esprit de révolte, il faut taper dur sur les femmes. Je crois que c’est ce qui s’est passé. Je crois que l’esprit qui a guidé la répression, c’est la terreur afin qu’elles n’aient plus jamais le courage de manifester contre le CNDD. »

En Guinée, quand les femmes se mêlent à une manifestation, elle prend une autre dimension. (…) Tous les présidents ont en tête que les femmes sont capables de les braver, alors si vous voulez tuer l’esprit de révolte, il faut taper dur sur les femmes.

Le calvaire s’est prolongé pour certaines femmes, enlevées au stade et violées pendant plusieurs jours après le 28 septembre. « Alors que j’essayais de fuir le stade, un policier est venu me terrasser. Je suis tombée et j’ai perdu connaissance.

Quand je me suis réveillée, je me trouvais dans une maison, il n’y avait personne. J’entendais l’eau, comme la mer, mais je ne voyais pas les alentours. On m’avait mise dans une chambre sans électricité, sans fenêtre, j’étais dans le noir sur une natte. L’homme est entré, il avait une tenue verte. Il m’a déshabillée. Il me faisait ce qu’il voulait, il filmait …

Il m’a dit que si je pleurais, il me tuerait alors je n’ai pas pleuré. Il s’est allongé sur moi… je faisais ce qu’il voulait. Il m’a forcée. Il est venu plusieurs fois, deux jours de suite.

Je n’ai rien mangé, rien bu. J’avais peur qu’il me tue, je pensais à mon bébé à la maison et à mon mari… ma tête tournait.

Mardi, il a apporté quelque chose pour m’attacher les mains. Ce n’était pas serré mais je ne pouvais pas bouger comme je le voulais. Il m’a donné des habits, m’a mise dans un camion et m’a conduite jusqu’au quartier de Hamdallaye. Il m’a fait descendre et il a disparu. »

Dienabou, elle, a été conduite avec plusieurs autres filles au camp Koundara, probablement droguée. Elle s’est retrouvée vers minuit dans une salle du camp militaire. « Moi, j’étais vierge, je ne connaissais rien. On m’a fait monter jusqu’au troisième étage. Il y avait plusieurs militaires, ils étaient quatre. Ils nous ont violées, ils nous ont frappées, on nous a aussi coupées avec des couteaux, explique-t-elle en montrant d’épaisses cicatrices sur ses bras. On nous a fatiguées là-bas. Vers trois heures ou quatre heures du matin, on nous a déposées à l’hôpital Donka avec mes deux copines. »

Les victimes souffrent encore aujourd’hui des viols et des sévices subis au stade le 28 septembre, leurs corps portent les séquelles des agressions sexuelles, nombre d’entre elles ont été abandonnées par leur mari et vivent aujourd’hui dans des conditions très difficiles, la stigmatisation est très forte. La jeune Aissatou n’a même pas voulu faire établir de certificat médical à l’hôpital : « J’ai dit aux médecins de n’en parler à personne. Je n’ai rien dit à ma famille. Je ne voulais pas que les gens au quartier disent que j’étais parmi les filles violées au stade. Ça peut faire qu’on ne trouve pas de mari, même sans raconter tous les détails. Plusieurs fois, des hommes m’ont demandée en mariage mais dès qu’ils ont su que j’avais été au stade, l’histoire s’est arrêtée. Ils ne sont plus jamais revenus. »

Au milieu de ce déchaînement de violences, quelques individus ont tenté de sauver des manifestants. Fanta, une femme d’une cinquantaine d’années, a été cachée par un jeune inspecteur de police avec plusieurs autres femmes dans une cour un peu excentrée. « Au bout de deux ou trois heures, je voulais sortir. Le jeune inspecteur m’a dit : «Ne va nulle part, ils sont en train de violer les femmes dans les salles de jeu.» J’ai dit : «À mon âge ?» Il m’a répondu : «Pire que ça.» Je suis restée près de lui.

Pendant ce temps, ça tirait, ça tirait. Les gens criaient. Il fallait voir les cadavres…

Nous sommes sorties en groupe mais au bout de quelques minutes, j’ai aperçu un homme avec un couteau. Dès que je l’ai vu, je me suis cachée. Je suis restée là, les cadavres étaient à terre. Des véhicules sont arrivés pour prendre les corps. Des véhicules militaires. »

Fanta ne veut pas en dire davantage. Plusieurs années après les événements, elle craint toujours des représailles.

Dissimulation des corps

Les autorités guinéennes ont toujours nié avoir fait disparaître des corps et n’ont entrepris aucune recherche concernant de probables fosses communes. Aujourd’hui encore, aucune investigation officielle n’a été menée sur les sites évoqués par plusieurs témoins.

Pourtant, un manifestant raconte que des militaires ont bien fait disparaître des corps le 28 septembre. Le jeune homme, qui préfère rester anonyme, a été blessé au stade. Il n’avait pas trente ans.

« Je ne sais même pas par quoi j’ai été blessé, mais j’ai été touché à la tête et j’ai perdu connaissance pendant longtemps. Je n’ai repris conscience que là où ils ont commencé à jeter les gens, il faisait nuit. » Il poursuit : « Ils ramassent les corps, ils les mettent dans le camion. Je reviens à moi, tout est en sang. Je suis dans le camion. Avec les morts. »

Il pleure. « Je ne voyais rien. C’est les morts. Je suis avec les morts ! »

Le jeune homme s’interrompt. Il regarde devant lui et se tait pendant de longues minutes, n’ouvrant la bouche qu’au passage d’un véhicule militaire à quelques mètres : « Tiens, il y a des bérets rouges ici… »

Il reprend son récit, les yeux dans le vague : « Je ne sais pas où nous étions. Les militaires étaient en train de débarquer les corps. Quand l’un d’entre eux a braqué sa torche vers moi, je me suis mis au garde à vous. J’ai dit pardon. Il a crié : «Il y en a un qui n’est pas mort !» Un autre a dit : «Mettez-le dans le trou.» Ils ont discuté chaudement et ont finalement décidé de me laisser là. Je suis resté dans le camion. Ils ont bien bloqué pour que je ne puisse pas sortir et fuir. »

Le jeune homme s’interrompt de nouveau pendant un long moment avant de reprendre. « Ils m’ont ramené chez le président Dadis, au camp Alpha Yaya. Je criais, je devenais fou. Le lendemain, en pleine nuit, ils m’ont jeté par-dessus le mur, derrière la cour. J’avais des vêtements, mais pas de chaussures. Du sang partout. C’est mon sang ou c’est le sang des morts ? »

Trois semaines après le massacre du 28 septembre, un militaire a confirmé l’existence de fosses communes sur Radio France internationale. Sous couvert d’anonymat, ce béret rouge assure avoir reçu l’ordre de faire disparaître des cadavres : « Dans la nuit du lundi, ils nous ont dit d’aller récupérer les corps. On en a récupéré quarante-sept, qui ont été enfouis, mais je ne peux vraiment pas vous dire où exactement. »

Un haut-gradé de l’armée confirme, sans donner de chiffres, que les militaires ont enterré de nombreux corps dans les heures qui ont suivi le massacre.

Plusieurs familles n’ont jamais retrouvé les corps de leurs proches. Selon les chiffres des Nations unies, on a perdu la trace de 49 personnes qui s’étaient rendues au rassemblement de l’opposition et 40 autres ont été vues mortes au stade ou dans les morgues mais leurs corps ont ensuite disparu.

Le jour du massacre, les blessés et les cadavres ont été transportés dans la cohue, dans des ambulances envoyées par les hôpitaux et la Croix-Rouge, et parfois dans des véhicules privés.

L’un des responsables religieux ayant participé aux négociations avec les autorités guinéennes et l’opposition raconte avoir transporté des corps dans sa voiture personnelle.

La plupart ont été déposés à la Grande Mosquée de Conakry pour une prière, puis inhumés au cimetière Cameroun, certaines familles ont préféré emmener les dépouilles de leurs proches dans les quartiers pour organiser des funérailles.

De la Grande Mosquée Fayçal, où il a passé une partie de la journée, ce responsable religieux a vu les militaires bloquer l’entrée de la morgue de l’hôpital Donka. « Je ne me souviens plus quand exactement. Les enterrements ont commencé vers 16 heures donc ça devait être vers 14-15 heures. Je n’ai pas vu de camions mais il y avait des militaires dans l’enceinte de l’hôpital, des bérets rouges et d’autres corps de l’armée. »

Le lendemain, en pleine nuit, ils m’ont jeté par-dessus le mur, derrière la cour.

J’avais des vêtements, mais pas de chaussures. Du sang partout. C’est mon sang ou c’est le sang des morts ? »

D’autres témoins rapportent que les militaires ont pris le contrôle de la morgue de l’hôpital Donka, qui se trouve à quelques minutes seulement du stade et qui a accueilli la plupart des blessés et des corps.

L’accès a été interdit aux familles. Les corps des victimes ont été présentés plusieurs jours plus tard, le 2 octobre à la Grande Mosquée. Comme le souligne le rapport de la Commission d’enquête des Nations unies, « aucune méthodologie correcte d’identification des corps n’a été appliquée. Les personnes décédées ont été complètement déshabillées, alors que certaines portaient des objets personnels, mais aucun registre n’a été établi, aucune photographie n’a été prise. Le nombre insuffisant de chambres froides et l’absence de préparation correcte des corps, par manque de formol, associés à la température élevée de septembre, ont conduit à une dégradation rapide des cadavres. » Lorsqu’ils ont été exposés, quatre jours après le massacre du stade, de nombreux corps n’étaient plus identifiables.

Un homme d’une quarantaine d’années a perdu son frère. Un membre de leur famille l’a vu mort, aligné auprès d’autres victimes sur l’esplanade à l’entrée du stade, mais son corps ne se trouvait pas à la mosquée Fayçal le 2 octobre et les recherches lancées depuis n’ont jamais rien donné.

Les militaires à l’hôpital

De nombreux témoignages assurent que les militaires ont également pénétré dans les unités de soins de l’hôpital Donka dans l’après-midi, pour menacer les blessés.

Thierno se trouvait aux urgences, un bras cassé, lorsqu’il a vu des bérets rouges entrer. « Il était environ 16 heures, un camion s’est garé au portail. Les militaires ont commencé à bastonner les gens, y compris certains blessés qui ne pouvaient pas se déplacer. Ils ont insulté les patients et dit qu’il ne fallait pas nous donner de médicaments. Je n’osais pas les regarder dans les yeux. Ensuite, le ministre de la Santé, Diaby, est arrivé. Il demandait : «Qui vous a dit de sortir manifester ?» Le ministre de la Santé n’a pas insulté, c’étaient les bérets rouges qui insultaient les gens. Il n’a pas frappé non plus. »

Un proche d’Abdoulaye Chérif Diaby confirme que le ministre s’est bien rendu aux urgences, mais pour évaluer la situation, soutenir les médecins. Il dément la présence de militaires sur place.

La libération des responsables de l’opposition

Dans la soirée du 28 septembre, les opposants sont invités à quitter la clinique Pasteur et à rentrer chez eux, à l’exception de Cellou Dalein Diallo et Jean-Marie Doré, dont les blessures étaient plus importantes.

« Quand je suis arrivé, se souvient Sidya Touré de l’Union des forces républicaines, je n’avais plus de chez moi. Ils avaient tout détruit, tout saccagé. Il n’y avait plus aucun poste de télévision, plus aucun téléphone, aucune radio… tous les appareils ménagers avaient été ramassés, mon coffre-fort, dans lequel se trouvaient tous mes documents, tout était parti. La maison était renversée dans tous les sens. Les quatre véhicules avaient été embarqués. »

Situation analogue chez Cellou Dalein Diallo, comme le raconte l’un des responsables du maintien de l’ordre de l’UFDG. « Quand j’ai réussi à fuir le stade, je suis allé au domicile de mon patron. J’ai vu des bérets rouges qui venaient. Quatre pick-up. Je suis tombé, la moto m’a brûlé la jambe et mon pied s’est cassé. Comme j’étais couché, ils ont cru que j’étais mort, ils m’ont laissé. Les militaires sont rentrés, ils ont cassé tout ce qui se trouvait dans la maison, et emporté tout ce qu’ils pouvaient prendre. Les motos, les voitures, les valises… Ils ont chargé les 4 pick-up, remplis. »

Pillages, pressions, arrestations

Les pillages ne se sont pas limités aux domiciles des responsables politiques, ils avaient commencé au stade où les manifestants ont été systématiquement dépouillés de leur argent et de leurs téléphones portables. Ceux qui réussissaient à s’enfuir étaient stoppés au portail par des policiers qui les ont rackettés.

Dans tous les quartiers de la capitale, connus pour être favorables à l’opposition, les forces de l’ordre ont pénétré dans les maisons, ont dévalisé des commerces, pendant plusieurs jours. Cinquante commerçants établis au carrefour Cosa ont porté plainte pour pillage.

Plusieurs témoins disent avoir vu les jours suivants le capitaine Pivi, alors ministre de la Sécurité présidentielle, et ses hommes commettre des exactions.

Les militaires ont également retenu des prisonniers dans différents camps de la capitale, dont le camp Alpha Yaya où résidait l’état-major du CNDD. Mamadou, rescapé du stade, sans nouvelles de son neveu le lendemain du massacre, appelle sur son téléphone portable. Un militaire lui apprend qu’il est détenu. Mamadou se rend alors au camp Koundara pour demander la libération de son neveu : « Ils nous ont fait entrer au camp et dès que nous avons été à l’intérieur, ils nous ont attrapés, déshabillés totalement et ils nous ont blessés. Ils ont versé de l’eau chaude sur nous, roulé sur nos jambes avec des motos. J’étais avec mon grand-frère, il est décédé, il n’a pas pu résister.

Tous les jours, matin et soir, ils nous mettaient à terre pour nous frapper, cinquante coups chacun. Ils nous frappaient avec du bois ou du caoutchouc. Ils nous insultaient, ils versaient de l’eau chaude sur notre corps. Toute la peau du haut de mon dos est partie. Ils avaient récupéré tous nos vêtements.

Le 4ème jour, deux amis sont venus pour voir s’ils pouvaient nous faire sortir. Eux aussi ont été récupérés et l’un des deux est décédé également.

Notre détention, c’était difficile. La nuit, ils menaçaient de nous tuer et de nous jeter à la mer. Tous les jours, ils buvaient de l’alcool et fumaient de la drogue devant nous, ils recevaient des filles, certaines avaient été enlevées au stade, d’autres étaient des prostituées. Puis ils nous disaient : «Mettez-vous en sardine», c’est-à-dire l’un sur l’autre. Tout le monde, comme dans une boîte de sardines. On devait rester comme ça quelques minutes et ils disaient «encore» alors ceux qui étaient en bas changeaient de place avec ceux qui étaient en haut.

On a dû verser de l’argent pour sortir. Chacun d’entre nous a payé un million de francs. »

Le grand absent

À aucun moment, le président de la junte n’a été vu au stade. Lors de son audition par les juges d’instruction guinéens en février 2013, Moussa Dadis Camara a expliqué s’être couché tard la veille et avoir été informé vers 10 heures que la manifestation était en cours. Alors que, selon ses dires, il comptait « user de la sympathie qu’avait la population à [son] égard pour essayer de la calmer », son entourage l’en aurait dissuadé.

Toujours selon ses déclarations de 2013, Moussa Dadis Camara a appris plusieurs heures plus tard que des massacres étaient en cours et que des manifestants avaient été tués. Il assure avoir été « révolté » et prétend n’avoir jamais donné la moindre instruction.

Un proche du colonel Tiegboro, des services spéciaux de lutte contre la drogue et le grand banditisme, raconte qu’en fin d’après-midi, ce dernier s’est rendu au camp Alpha Yaya. « Le colonel a fait un compte-rendu au chef de l’État vers 16-17 heures. Le président a pleuré. Il est trop sentimental, Dadis. Il a dit : «Et bon Dieu, que faire ?»

Dadis était déjà au courant qu’il y avait un problème mais il ne savait pas quoi. Il était étonné lorsque le colonel lui a dit que des opposants étaient blessés. »

Moussa Dadis Camara s’est aussi peut-être inquiété pour son avenir, comme le laissent entendre les propos qu’il a tenus devant les juges d’instruction en 2015 : « J’étais à mon bureau en larmes. Voyant tout le poids qui pesait sur ma tête. Je me voyais même perdu à cause de ce qui venait d’arriver et de ce que je représente comme autorité morale. »

Moussa Dadis Camara assure avoir été victime d’un complot visant à le décrédibiliser et le destituer, il accuse son ancien aide de camp, Aboubacar Toumba Diakité. Selon lui, Toumba avait trop d’assurance, « il prenait souvent des initiatives sans m’en aviser. »

Lors de son audition par les juges d’instruction en 2015, le chef de la junte a expliqué avoir voulu faire arrêter son aide de camp, Aboubakar Toumba Diakité, mais en avoir été dissuadé par ses collaborateurs. « Je vous signale que c’est lui qui détenait les clefs de la poudrière. À vouloir le tenter, il fallait s’attendre à beaucoup de morts collatéraux. En voulant l’arrêter, il m’aurait achevé. Il était le commandant de régiment de la Garde présidentielle. Il avait à sa disposition les hommes et les armes. Je ne pouvais qu’obéir. »

D’anciens responsables du CNDD racontent exactement l’inverse. Selon eux, plusieurs officiers supérieurs ont tenté d’arrêter le lieutenant Toumba dans les jours suivant le massacre, mais en ont été empêchés par le président qui est ensuite apparu publiquement aux côtés de son aide de camp à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 2 octobre, soit quatre jours après les événements.

De plus, la Commission d’enquête des Nations unies souligne dans son rapport : « Le président s’est plaint de son armée indisciplinée. Toutefois, il a également démontré un haut degré de contrôle sur les militaires puisque l’armée régulière a obéi à ses ordres, transmis par l’intermédiaire du chef de l’état-major des armées, de rester dans les casernes toute la journée malgré la gravité des événements qui se déroulaient en ville. »

Une junte divisée

De nombreux anciens membres du CNDD s’accordent à dire que l’atmosphère n’était pas sereine au sein de la junte.

Les membres du CNDD avaient parfois du mal à joindre leur président. « Il n’aimait pas beaucoup le téléphone, se souvient l’ancien ministre Tibou Kamara, devenu ministre d’État et conseiller de l’actuel président Alpha Condé, et on ne travaillait que la nuit. » L’un des religieux ayant tenté de mener une médiation entre l’opposition et le pouvoir se souvient avoir attendu parfois cinq ou six heures avant d’être reçu par Moussa Dadis Camara.

Un ancien responsable de la junte raconte également que les militaires au pouvoir n’étaient pas unis. « Dadis était très populaire au début parce qu’il distribuait des billets de banque. Lorsqu’il était en charge du carburant au sein de l’armée, il n’y a pas un militaire qui n’a pas «mangé» [reçu de l’argent]. Mais trois mois après la prise du pouvoir, on a senti beaucoup de dissensions, la frustration se lisait sur le visage de chacun. » Il ajoute que le président décidait souvent seul. « Il était impulsif. Il pouvait prendre des décisions sans consulter personne. Après, il lui arrivait de les regretter. » Une autre source décrit le chef de l’État comme un homme influençable, « le dernier à le voir avant de dormir emportait la décision. »

Selon un ancien policier, plusieurs officiers éprouvaient également une certaine rancœur personnelle. « Lorsque Dadis est arrivé au pouvoir, il a mis à la retraite 22 généraux et amiraux et les a remplacés par des jeunes qui, à mon avis, ne méritaient pas ces grades. Il les a choisis plutôt par sentiment qu’en raison de leur compétence. » Le raisonnement vaut aussi pour le président lui-même. À son arrivée au pouvoir, Moussa Dadis Camara n’est que capitaine, âgé d’une quarantaine d’années, et certains officiers n’apprécient pas de devoir obéir à un homme d’un grade inférieur au leur.

Ces conflits d’autorité, ajoutés à des ambitions personnelles, ont créé un climat de méfiance entre les responsables militaires.

« C’était la jungle », résume un haut-gradé de l’armée

Pour plusieurs anciens membres de la junte, le CNDD se résumait à Moussa Dadis Camara et son ministre de la Défense, le général Sekouba Konaté.

« Le ministre de la Défense était l’homme de confiance du capitaine Dadis, explique Mamadi Kaba, ancien président de l’Institution nationale indépendante des droits de l’Homme, les deux hommes se connaissaient depuis longtemps et Dadis savait qu’avoir le général à ses côtés renforçait la peur chez ceux qui ne soutenaient pas le régime. Les deux hommes constituaient le socle du système du CNDD. »

Sekouba Konaté était en déplacement en Guinée forestière le 28 septembre 2009. Depuis la France, où il vit aujourd’hui en exil, le général s’est exprimé dans la presse pour accuser le président Dadis d’être le principal responsable.

Le ministre de la Défense a-t-il pu ignorer ce qui se préparait ?

Il est difficile d’établir le rôle qu’il jouait au sein de la junte. D’après certains témoignages, le général Sekouba Konaté était très influent. Selon l’ancien ministre Papa Koly Kourouma, le général était régulièrement consulté et très respecté.

Pour d’autres, le général Sekouba Konaté était peu investi dans les activités du CNDD. Un diplomate français le décrit comme un personnage sans envergure, davantage intéressé par l’argent que par le pouvoir, ce que confirme un ancien membre de la junte.

Les rivalités personnelles sont nombreuses. D’anciens membres du CNDD parlent de tensions entre le colonel Tiegboro, à la tête des services spéciaux anti-drogue, et le lieutenant Toumba, commandant de la garde rapprochée du président. D’autres assurent que Toumba et le ministre de la Défense, Sekouba Konaté, se méfiaient l’un de l’autre, tout comme Toumba et le ministre de la Sécurité présidentielle, Claude Pivi…

Pourtant, Papa Koly Kourouma, ancien ministre de l’Environnement du CNDD, assure qu’il n’y avait aucune position contradictoire affichée. Tibou Kamara, ancien ministre de la Communication de la présidence, affirme également qu’aucun désaccord n’était public.

Malgré ces tensions internes, la Commission d’enquête de l’ONU rappelle que les quartiers généraux de tous les responsables militaires se trouvaient au camp Alpha Yaya, dans un rayon de quelques centaines de mètres. Elle en déduit « qu’il y a des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une coordination entre tous les groupes armés impliqués dans l’attaque du stade, y compris les miliciens. »

D’où venaient alors ces miliciens ? Les recrues de Kaleah

De nombreux manifestants disent avoir vu des hommes en civil, équipés d’armes blanches et portant gri-gris et cauris (coquillages utilisés dans les tenues traditionnelle « de protection ») commettre des exactions au stade.

De jeunes opposants à la junte, reçus par l’ambassade des États-Unis quelques semaines avant le massacre, s’inquiétaient déjà d’une éventuelle mobilisation de civils par le régime pour perturber des manifestations. Le résumé de la rencontre figure dans une dépêche diplomatique révélée par Wikileaks. « Ils affirment que le CNDD a envoyé 2 000 jeunes de la région de Guinée forestière [dans le sud-est du pays] à Forecariah [localité du sud-ouest située à 80 km de la capitale] pour y être entraînés et former des escadrons de la mort. » L’ambassade américaine ajoute avoir déjà été avertie de ces recrutements par d’autres sources.

Un militant des droits de l’Homme, contact de longue date et jugé crédible par l’ambassade, alerte lui aussi les diplomates américains, comme en témoigne un document révélé par Wikileaks. Lors d’une rencontre le 10 septembre à l’ambassade, ce militant explique : « Le CNDD prévoit que ces jeunes resteront habillés en civil, mais qu’il les forme à « combattre» d’autres civils. Lorsqu’on lui a demandé des précisions, le contact a déclaré que le CNDD s’attendait à de nouvelles manifestations anti-Dadis, mais ne voulait pas mettre les militaires dans une position où ils pourraient avoir à tirer sur la foule pour maintenir l’ordre. Au lieu de cela, le CNDD veut introduire des «combattants» pro-CNDD dans Conakry pour qu’ils puissent lutter contre les mouvements anti-CNDD qui sont prévus. »

Comme le raconte un ancien membre du CNDD, l’enrôlement a débuté plusieurs mois avant les événements. Des jeunes entraînés à Kaleah expliquent qu’on leur avait promis une intégration dans l’armée, à la fin de leur formation.

« Vous savez, explique l’ancien ministre de la Communication présidentielle Tibou Kamara, lorsqu’un nouveau président arrive au pouvoir, il travaille à sa sécurité et sa protection. Ce n’est pas propre au CNDD. Tous ceux qui viennent recrutent des gens pour la protection du nouveau président. Quand Dadis est arrivé au pouvoir, comme c’était un coup d’État, il n’y avait pas de légitimité démocratique donc le premier réflexe était sécuritaire. Comment se préserver et préserver le régime ?

Donc l’idée de recruter des jeunes pour avoir des fidèles au régime et assurer la protection du président est née et le centre de Kaleah a été ouvert [près de Forecariah]. Pour avoir des gens beaucoup plus sûrs que l’armée dont on avait hérité.»

Selon Aboubakar Toumba Diakité, les tendances communautaristes étaient très fortes au sein de la junte et le président Dadis a demandé aux militaires de son ethnie de recruter des jeunes à Nzérékoré et Macenta, en Guinée forestière.

Mamounan Kpokomou, membre du bureau politique du parti d’opposition UFP (Union pour le progrès de la Guinée), a participé au démantèlement du camp de Kaleah, quelques mois après la chute du régime militaire, en 2010. Il confirme : « Le recrutement avait un caractère sélectif très marqué. Moussa Dadis Camara a recruté uniquement des membres de son ethnie. Tous ceux qui étaient au pouvoir en avaient fait autant. Chaque responsable du CNDD voulait avoir les siens dans les différents corps de l’armée.

Et tenez-vous bien, en plus de leurs parents de la même communauté, ils recrutaient les jeunes contre de l’argent. Dadis est parti faire le recrutement dans les villages qui environnent le sien. Ceux qui sont loin et qui voulaient à tout prix être recrutés ont versé de l’argent. Ca variait entre deux et cinq millions de francs CFA. »

Selon un haut-gradé, Moussa Dadis Camara a recruté 2 000 personnes. Le ministre de la Défense, le général Sekouba Konaté, aurait lui aussi fait appel à des jeunes de sa région d’origine, entre 400 et 800 personnes, selon les sources.

Ils ont été conduits au camp de Kaleah et ont reçu leur entraînement militaire. Plusieurs sources affirment que les formateurs étaient d’anciens militaires israéliens et sud-africains. Un haut-gradé parle également d’instructeurs ukrainiens et affirme qu’ils ont apporté beaucoup d’armes en Guinée.

L’entraînement a duré plusieurs semaines, et selon l’aide de camp Aboubakar Toumba Diakité, « le ministre de la Sécurité présidentielle, Claude Pivi, a fait venir à la Présidence 400 jeunes sous prétexte qu’ils étaient venus faire des démonstrations d’arts martiaux. Ils ont été logés par le président avec pour mission de servir de contre-manifestants à l’occasion de troubles. »

Dans le courrier confidentiel daté du 10 septembre 2009 et rendu public par Wikileaks, l’ambassade américaine à Conakry explique que son contact, militant des droits de l’Homme, s’inquiète justement de voir des miliciens infiltrer les rassemblements de l’opposition : « Selon lui, les membres du CNDD recrutent activement des jeunes pour soutenir Moussa Dadis Camara, le président du CNDD, en particulier à l’intérieur du pays. Il a expliqué être préoccupé par le fait que le CNDD déplace ce qu’il décrit comme des «combattants libériens» de la Guinée forestière vers la capitale. Notant que de nombreux témoins ou participants aux guerres en Sierra Léone et au Libéria vivent en Guinée forestière, le contact a déclaré que ces «combattants» sont en fait des mercenaires aguerris. »

Il n’est pas le seul à évoquer ces combattants libériens. L’opposant Jean-Marie Doré a déclaré avoir été menacé au stade par des membres de l’Ulimo.

Sidya Touré, lui aussi, s’interroge sur la présence au stade d’anciens rebelles libériens : « Je n’avais

pas l’impression que c’était des hommes en armes formés, il n’y avait pas du tout de discipline. Par contre, leurs tenues ressemblaient plutôt à celles de combattants de l’époque de Charles Taylor. Ils étaient habillés n’importe comment et ceux-là avaient l’air plutôt agressifs. »

Un haut-gradé estime probable que des membres de l’ULIMO ou des Libériens aient participé à la répression au stade, mais il nuance : « En Guinée forestière, tout le monde est guinéo-libérien. Tout le monde a participé au conflit [la guerre civile au Libéria]. Les anciens de l’ULIMO étaient confondus avec les militaires. Le 28 septembre 2009, ceux qui étaient cagoulés et habillés comme des rebelles étaient mélangés aux autres. » Selon ce haut-gradé, les anciens rebelles n’ont pas été mobilisés en tant que tels, mais faisaient déjà partie des groupes constitués par chacun des responsables de la junte.

La Commission d’enquête des Nations unies estime que ces hommes ont participé directement aux violences, avec des armes blanches, en coordination avec des groupes de bérets rouges, commandos parachutistes dépendant du ministère de la Sécurité présidentielle, et de gendarmes de Tiegboro, le secrétaire d’État à la présidence chargé des services spéciaux de lutte contre le grand banditisme et la drogue.

Éruption de violences ou répression planifiée ?

La Commission d’enquête de l’ONU estime improbable que ces événements aient été le fruit du hasard ou de débordements non-coordonnés : « La nature des actes révèle un niveau de coordination indiquant une intention d’infliger le plus haut degré de souffrance dans un minimum de temps, le tout facilité par le blocage des sorties, de façon à prendre au piège la population ciblée et à maximiser le nombre de victimes. »

Que les autorités aient été débordées le matin du rassemblement ou que la répression ait été planifiée bien avant le 28 septembre, des instructions ont bien été données. L’armée a reçu l’ordre de se rendre au stade, comme l’a raconté un militaire le 17 octobre 2009, sur Radio France internationale : « C’est la gendarmerie qui était d’abord concernée, mais comme elle ne s’est pas entendue avec les opposants, nous avons reçu l’ordre d’aller mater l’opposition. Nous y sommes allés. J’en faisais partie. Nous ne pouvions pas refuser les ordres à savoir, aller mater les opposants, leur faire comprendre qu’il n’y a qu’une seule autorité en Guinée et leur donner une leçon. »

Impunité

La Commission d’enquête des Nations unies déplore dans son rapport que Moussa Dadis Camara n’ait rien fait pour faire cesser les crimes et rien fait non plus pour punir leurs auteurs. Au contraire, un peu plus d’un mois après le massacre, le chef de l’État a promu tous les sous-officiers de l’armée au grade supérieur, « y compris ceux qui faisaient partie des services ayant participé aux événements du 28 septembre, [ce qui] tend à démontrer que leurs actions ont été commises avec l’accord du président. »

Alors que les condamnations internationales se multiplient, la junte cherche à se maintenir au pouvoir. « Le soir du 28, l’indignation générale s’était étendue au CNDD avec en plus un sentiment de peur, de panique même, se souvient l’ancien ministre Tibou Kamara, ainsi qu’une volonté pour beaucoup de réparer, entre guillemets, ce qui avait été fait. Une volonté désespérée de rattraper.

Parce qu’à partir de là, tout le monde s’est posé des questions sur son avenir personnel et sur le régime. Chacun a compris que quelque chose d’extrêmement grave s’était produit. La question de la survie du régime se posait. On a vu les premières divisions, il y a eu vraiment des tensions. Il ne pouvait plus y avoir d’unanimité ou de soutien aveugle. »

Les jours suivants sont confus. Le président de la junte donne plusieurs versions des événements : le lendemain du massacre, dans une interview accordée à Radio France internationale, il parle de bousculades, d’accrochages et laisse entendre que les manifestants auraient pu tirer sur les forces de l’ordre. Il parle ensuite de menace terroriste avant d’imputer la responsabilité de ce qui s’est passé à son aide de camp, Toumba.

Dès que les violences se sont calmées le 28 septembre, les autorités ont cherché à minimiser les événements et effacer les preuves éventuelles. Tous les lieux dans lesquels des violences avaient été commises ont été placés sous contrôle militaire et interdits d’accès. Deux jours après les événements, le stade a commencé à être repeint.

« Les raisons qui ont poussé les autorités guinéennes à intervenir sur ce qui constituait une scène de crime, conclut la Commission d’enquête de l’ONU, ne peuvent s’expliquer que par une volonté d’empêcher l’exploitation des éléments matériels qui pouvaient s’opposer à la thèse des autorités. » Les enquêteurs de l’ONU notent également que « le personnel de l’hôpital Donka [où a été conduite la majorité des victimes] était terrifié à l’idée de communiquer des informations, plusieurs personnes disaient qu’elles avaient reçu la consigne de ne pas parler.» Un silence toujours de mise aujourd’hui.

Moussa Dadis Camara se défend d’avoir voulu couvrir les faits, pour preuve sa décision de faire appel aux Nations unies et d’ordonner la mise en place d’une Commission d’enquête nationale.

Le président a fait part de son intention de créer cette Commission dès le 1er octobre, mais la mise en place a pris plusieurs semaines et, dans l’intervalle, les attributions de la Commission ont été revues. Contrairement à ce qui était prévu, elle ne disposait pas de pouvoirs judiciaires, donc des pouvoirs d’instruction, et ses membres ont été nommés par décret présidentiel.

Dans son rapport, rendu en janvier 2010, la Commission reconnaît que « le contexte de crise a jeté la suspicion et la méfiance quant à sa crédibilité » et admet ne pas avoir pu interroger le président Moussa Dadis Camara et son aide de camp, Aboubakar Toumba Diakité, « qui figuraient pourtant au programme de la CNEI (Commission nationale d’enquête indépendante). »

Le bilan de la Commission nationale fait état de 63 morts, un chiffre bien inférieur à celui établi par les Nations unies qui parlent de 157 victimes.

« La violence est une culture politique dans notre pays », explique Tibou Kamara, ex-ministre du CNDD et aujourd’hui conseiller du président Alpha Condé. Mais cette violence n’est jamais punie.

Aujourd’hui, les victimes vivent toujours dans la peur, beaucoup d’entre elles préfèrent rester anonymes. Les militaires, eux, n’ont pas été inquiétés.

Après huit longues années d’attente, la justice guinéenne a enfin clôt l’instruction. Douze personnes ont été formellement inculpées par la justice guinéenne, dont Moussa Dadis Camara, son ancien aide de camp Toumba ou le colonel Tiegboro. Hormis l’ancien président, qui vit aujourd’hui en exil au Burkina-Faso, et le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité, détenu à la prison centrale de Conakry, les autres inculpés vivent en Guinée, libres. En attendant l’ouverture du procès, sans cesse retardée, certains anciens membres du CNDD, comme le colonel Tiegboro ou Claude Pivi, occupent toujours des fonctions officielles.

« Peut-être que les militaires n’ont pas peur des sanctions, s’interroge Aissatou, violée au stade le 28 septembre 2009. Ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. »

Extrait: memoire-collective-guinee.org





Guinée : dix ans après le massacre de Conakry, l’ONU réclame un procès

“La paix et la réconciliation durables ne seront pas atteintes tant que justice et responsabilité ne seront pas maintenues” a déclaré la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Michelle Bachelet Jeria aux autorités guinéennes en évoquant l’attaque perpétrée par l’armée le 28 septembre 2009, dans un stade de Conakry.

La Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Michelle Bachelet Jeria a appelé samedi les autorités guinéennes à “accélérer” l’organisation du procès des auteurs du massacre d’opposants lors d’une attaque perpétrée par l’armée il y a dix ans dans un stade de Conakry.

“L’impunité règne depuis trop longtemps en Guinée et empêche les cicatrices des victimes de guérir. La paix et la réconciliation durables ne seront pas atteintes tant que justice et responsabilité ne seront pas maintenues”, a déclaré Michelle Bachelet dans un communiqué. Le 28 septembre 2009, les forces de défense et de sécurité et des militaires avaient battu, poignardé et tué par balles des opposants au régime militaire, rassemblés dans le plus grand stade de Conakry pour réclamer que le président autoproclamé depuis décembre 2008, Moussa Dadis Camara, ne se présente pas à la prochaine élection présidentielle. L’instruction sur le massacre est clôturée depuis fin 2017, mais la date du procès n’a toujours pas été fixée.

“Au moins 156 morts et disparus, dont un certain nombre de femmes décédées des suites de violentes agressions sexuelles”

Une Commission d’enquête internationale nommée par l’ONU a établi en décembre 2009 que l’attaque “a fait au moins 156 morts et disparus, dont un certain nombre de femmes décédées des suites de violentes agressions sexuelles”, a rappelé le Haut-Commissariat dans un communiqué. Ce rapport a accablé les autorités de l’époque, expliquant qu’elles ont modifié les lieux du crime. Des détenus ont par ailleurs été torturés, au moins 109 filles et femmes ont été victimes de violences sexuelles et des cadavres ont été enterrés dans des fosses communes. La Commission a également conclu que ce massacre constitue un “crime contre l’humanité”, et a conclu à la responsabilité pénale individuelle de plusieurs responsables guinéens, dont Moussa Dadis Camara.

Des “fonctionnaires mis en accusation et toujours en poste”

“Bien que la Commission d’enquête ait recommandé il y a près de dix ans aux autorités guinéennes de poursuivre les responsables et d’indemniser les victimes, peu de progrès tangibles ont été enregistrés jusqu’à présent”, a déploré Michelle Bachelet, appelant les autorités à “accélérer l’organisation du procès”. “Ces procédures judiciaires tant attendues – si et quand elles auront réellement lieu – devraient garantir la responsabilité à la fois dans l’intérêt des victimes et renforcer l’état de droit dans l’ensemble du pays”, a-t-elle souhaité. La Haut-Commissaire a souligné que les efforts pour engager des poursuites et organiser une procédure judiciaire “ont été extrêmement lents et n’ont pas abouti à un procès ni à des condamnations réelles des responsables”.

“Il est particulièrement préoccupant qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires mis en accusation soient toujours en poste et ne soient pas encore traduits en justice”, a-t-elle conclu.

Le gouvernement “déterminé” à organiser un procès

Vendredi, la veille des 10 ans du massacre, le Premier ministre guinéen, Ibrahima Kassory Fofana, a affirmé vendredi soir sur la télévision publique vouloir “rassurer les victimes de la détermination du gouvernement à œuvrer pour la manifestation de la vérité”.

“Tous les présumés auteurs desdites exactions, quels que soient leur appartenance politique, leur titre, leur rang ou leur grade, devront répondre de leurs actes devant la justice de notre pays”, a-t-il assuré. “Ce procès sera, et nous nous y engageons fermement, une occasion de rendre justice aux victimes, de relever concrètement le défi contre l’impunité” en Guinée. Les autorités vont “créer les conditions matérielles, logistiques, techniques et sécuritaires pour la tenue effective de ce procès dans l’enceinte de la Cour d’Appel de Conakry, a ajouté le chef de gouvernement guinéen.

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