Guinée: «Les États-Unis condamnent les violences [ ] et appellent à la transparence dans le processus de tabulation du vote»

Dans une déclaration republiée par l’ambassade des États-Unis en Guinée, le Secrétaire d’État adjoint Tibor Nagy souligne que “les État -Unis condamnent les violences en Guinée et appellent à toutes les parties à y mettre fin immédiatement”.








Vote du 22 mars en Guinée: les États-Unis condamnent la violence et expriment leur inquiétude


La communauté internationale s’est déclarée vivement préoccupée par le processus d’enrôlement électoral, et par l’absence de dialogue public sur la nouvelle constitution que le gouvernement de guinéen a manqué de régler.


Les États-Unis condamnent la violence et expriment leur inquiétude à l’égard du vote du 22 mars en Guinée

Les États-Unis expriment leurs vives inquiétudes face à la violence
qui a entouré le vote en Guinée le 22 mars, et condamnent fermement
toutes les exactions. Nous demandons au gouvernement guinéen d’enquêter
de manière rapide et transparente sur tous les décès liés aux
manifestations et aux élections, que les résultats de ces investigations
soient rendus publics dès que possible. La communauté internationale
s’est déclarée vivement préoccupée par le processus d’enrôlement
électoral, et par l’absence de dialogue public sur la nouvelle
constitution que le gouvernement de guinéen a manqué de régler. Nous
partageons ces préoccupations.

Les États-Unis sont un ami et un soutien indéfectible de la Guinée sur son chemin vers la démocratie et le développement depuis son indépendance en 1958. Nous continuerons à soutenir les objectifs de la Guinée pour renforcer sa démocratie et assurer la prospérité de tous ses citoyens.


gn.usembassy.gov





Mike Pompeo « les Etats-Unis soutiennent fortement les transitions régulières et démocratiques du pouvoir »


Déclaration de Michael Pompeo, Secrétaire d’État Américain sur les préoccupations des États-Unis à propos du processus électoral en Guinée


Les États-Unis sont préoccupés par les plans actuels du Gouvernement de Guinée de tenir des élections législatives et un référendum constitutionnel le 1ermars. Nous nous interrogeons de savoir si le processus sera libre, équitable et transparent, reflétant fidèlement la volonté de tous les électeurs éligibles.

Nous exhortons toutes les parties à engager un dialogue civil non violent. Le Gouvernement de Guinée devrait mettre en œuvre les recommandations des Nations Unies concernant les listes électorales et respecter son engagement en faveur d’une consultation nationale inclusive sur la nouvelle constitution.

La violence, la répression et l’intimidation politique n’ont pas leur place dans une démocratie. Nous appelons tous les manifestants, quelle que soit leur appartenance politique, à s’abstenir de toute violence. Nous exhortons les forces de sécurité à respecter les droits de tous les citoyens à participer à des manifestations pacifiques. Nous demandons également au Gouvernement de Guinée d’enquêter pleinement sur tous les décès liés aux manifestations et de rendre publics les résultats de ces enquêtes.

Comme je l’ai signifié au Président Condé en septembre 2019 lors de sa visite à Washington, les Etats-Unis soutiennent fortement les transitions régulières et démocratiques du pouvoir.

Les États-Unis restent déterminés à travailler avec tous les Guinéens pour renforcer leur système démocratique pour la paix, la prospérité et le partenariat dans les années à venir.

gn.usembassy.gov


[NDLR]





Examen périodique universel : la Guinée sur le banc des accusés à Genève


Après 2010 et 2015, la Guinée de retour à Genève pour son troisième cycle dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU) qui consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Ce mardi 21 janvier 2020, la délégation guinéenne conduite par le ministre de la justice garde des sceaux Mamadou Lamine Fofana était à la 35e session de l’examen périodique universel pour présenter le rapport national de la Guinée sur la situation des droits de l’homme et écouter les recommandations des autres pays membres.

La France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le Canada n’ont pas manqué d’exprimer leurs inquiétudes suite aux violences meurtrières enregistrées ces derniers temps en Guinée.

Nous vous proposons quelques extraits des interventions

Etats-Unis, Mr. Philip Martin Cummings
France, Mr. François Gave

Voir d’autres extraits sur le fil Twitter @RIFCHEDIALLO


L’Examen
périodique universel (EPU) est un processus unique en son genre. Il consiste à
passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans
le domaine des droits de l’homme. Il s’agit d’un processus mené par les Etats,
sous les auspices du Conseil des droits de l’homme. Il fournit à chaque Etat
l’opportunité de présenter les mesures qu’il a pris pour améliorer la situation
des droits de l’homme sur son territoire et remplir ses obligations en la
matière. Mécanisme central du Conseil des droits de l’homme, l’EPU est conçu
pour assurer une égalité de traitement à chaque pays.

L’Examen
périodique universel (EPU) a été établi par la résolution 60/251 de l’Assemblée
générale des Nations Unies, résolution adoptée le 15 mars 2006 et qui est à
l’origine de la création du Conseil des droits de l’homme. Ce processus, basé
sur la coopération, a permis à fin octobre 2011, d’examiner la situation
des droits de l’homme des 193 Etats membres de l’ONU. Aucun autre mécanisme
universel de ce type n’existe à l’heure actuelle. L’EPU est un des piliers sur
lequel s’appuie le Conseil : il rappelle aux Etats leur responsabilité de
respecter pleinement et de mettre en œuvre tous les droits de l’homme et
libertés fondamentales. L’objectif ultime de l’EPU est d’améliorer la situation
des droits de l’homme dans tous les pays et de traiter des violations des
droits de l’homme, où qu’elles se produisent.


L’intégralité du passage de la Guinée ici





La si préoccupante crise politique guinéenne


RÉACTIONS. En interne ou à l’international, personnalités, partis, ONG et presse y vont de leur commentaire. Tous s’accordent à dire que l’heure est grave.

La répression a eu raison de la contestation guinéenne. Après trois jours de manifestations ayant fait au moins trois morts, le Front national
pour la défense de la Constitution (FNDC), le collectif de partis, de
syndicats et de membres de la société civile qui mène la protestation
depuis trois mois contre un éventuel troisième mandat d’Alpha Condé,
« suspend à partir de ce jour 15 janvier 2020 les manifestations »,
selon un communiqué publié mercredi soir. À travers cette suspension, le
parti vise à « procéder dans le calme à l’enterrement de nos victimes
et permettre aux Guinéens de se réapprovisionner » en produits de
consommation. Lundi, il avait pourtant appelé à une mobilisation
« massive » et « illimitée » à travers le pays. Les victimes de cette
semaine s’ajoutent donc à la vingtaine de civils tués depuis le début de la mobilisation, mi-octobre.

La diplomatie internationale inquiète

Une situation qui fait réagir à l’international. Devant la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale,
le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a notamment
appelé à « l’apaisement » cette semaine, tout en affirmant être
« particulièrement soucieux de la situation en Guinée ». « C’est la
situation la plus sensible aujourd’hui [dans la région] et l’engagement
du président Alpha Condé à demander une réforme de la Constitution ne
nous paraît pas être obligatoirement partagé ni par sa population ni par
ses voisins », a-t-il souligné. L’opposition en Guinée
est en effet convaincue qu’Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015,
entend se représenter fin 2020 alors que la Constitution limite à deux
le nombre de mandats présidentiels. Elle a été confortée dans ses
craintes en décembre quand le chef d’État guinéen, 81 ans, a indiqué
qu’il comptait soumettre aux Guinéens un projet de nouvelle Constitution, même s’il ne s’est pas exprimé sur ses intentions personnelles.

L’homologue de Jean-Yves Le Drian, Mamadi Touré, n’a guère apprécié la réaction française. Vendredi, il a rétorqué que « la République de Guinée, respectueuse de la souveraineté de tous les États, reconnaît le droit de tous les peuples du monde de faire le choix de leur avenir et de décider de leur destin. Tout comme ouverte aux débats et à la contradiction propre à la démocratie, la Guinée reconnaît à chacun de ses citoyens et à d’autres le droit et la liberté de donner leurs points de vue sur n’importe quel sujet qui ne peut faire l’unanimité dans aucun pays et dans aucune société démocratique ». « Dans le respect des lois qui la régissent, la République de Guinée rassure tous ses partenaires que ses choix tiendront compte, dans la transparence et l’équité, dans la volonté du peuple seul souverain, de ses engagements internationaux », a-t-il rappelé à la télévision nationale.

Du côté des États-Unis, le ton est le même. Tout en rappelant sa relation amicale avec le président Alpha Condé, Tibor Nagy, le secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines, affirme : « c’est une chose de modifier sa Constitution en donnant la parole au peuple et en suivant un processus clair. Mais là où nous avons un problème, c’est quand les dirigeants changent une Constitution uniquement pour se maintenir en place », déplore-t-il sur les ondes de RFI. « Nous surveillons cela de très près. Il y a eu des événements très inquiétants, avec des violences, des manifestations violentes et une répression violente. Notre ambassadeur est très impliqué et, à Washington, on regarde également cela de très près. » Sur le changement de Constitution proposé aux Guinéens, Tibor Nagy tâtonne. « Dans ma position, il est très inconfortable de dire : ceci peut avoir lieu ou pas, ceci est bien ou mal. Car au bout du bout, ce n’est pas aux autres pays ou à quiconque d’autre de décider, c’est au peuple. Le pouvoir doit rester au peuple. »

Une crise « préoccupante » pour l’Afrique

En Afrique, peu de réactions du côté des institutions et des personnalités. L’ancien président béninois Nicéphore Soglo n’a cependant pas mâché ses mots à l’égard d’Alpha Condé. « La période des monarchies qui ne disent pas leur nom est révolue. La balle est dans son camp », a-t-il assuré après une semaine en Guinée, dans le cadre d’une mission organisée par le National Democratic Institute (NDI) en collaboration avec la Fondation Kofi Annan à l’approche des élections législatives. « Faire une nouvelle Constitution, effacer ce qu’il s’est passé avant et recommencer… ces tours de passe-passe, personne ne l’accepte plus désormais », a affirmé l’ex-chef d’État à la BBC. « C’est l’un des éléments qui fait marcher les gens dans la rue, avec la répression qu’on a […] Comme l’a dit Goodluck Jonathan [qui a accompagné Nicéphore Soglo en Guinée, NDLR], il ne faut pas attendre qu’il y ait des génocides pour intervenir. » 

Des inquiétudes partagées également par les chefs religieux chrétiens de Guinée. Dans un communiqué publié par le site d’informations guinéen Le Djely, ils constatent « avec une vive préoccupation les crises sociopolitiques récurrentes qui troublent et endeuillent fort malheureusement l’ensemble du peuple de Guinée ». Et déplorent « la situation sociopolitique que traverse [le] pays aujourd’hui, situation émaillée de tueries, de pillages, d’agressions violentes, de ruptures, de dialogues, d’injustice, d’impunité, d’incivisme, du non-respect des textes ».

Le calme avant « la tempête » ?

Pour la presse de la région, aussi, la situation en Guinée est préoccupante. Pour le quotidien burkinabé Le Pays,
Alpha Condé ne renoncera pas à sa feuille de route. « Tout porte à
croire que malgré la clameur, le président Condé – qui est toujours
resté droit dans ses bottes face à la mobilisation de son peuple tout en
faisant la sourde oreille aux appels à la – est décidé à aller jusqu’au
bout de sa forfaiture qui fait de moins en moins l’objet de doute »,
est-il écrit dans un article publié le 16 janvier. « Quoi qu’il en soit,
avec la montée en flèche de la tension, la situation en Guinée est
devenue fort préoccupante », poursuit le journal.

Dans son dernier rapport mondial sur les droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW) n’est, elle non plus, pas tendre avec la Guinée. Pour l’ONG, il y a eu, en 2019, une répression croissante des libertés de réunion et d’expression. « La répression brutale des manifestations par le gouvernement guinéen et l’impunité quasi totale pour les abus commis par les forces de sécurité est la recette d’une détérioration préoccupante de la situation en matière de droits humains », avait d’ailleurs déjà affirmé en octobre Corinne Dufka, du bureau Afrique de l’Ouest de HRW. « Au lieu d’arrêter des dirigeants de la société civile, le gouvernement devrait enquêter sur les inquiétantes allégations de violences, y compris par les forces de sécurité, et sanctionner les responsables. »

Une opinion répétée dans le rapport publié ces derniers jours. Et que les autorités guinéennes, à l’image du ministre guinéen de la Sécurité et de la Protection civile, Damantang Albert Camara, n’ont guère apprécié. « Nous sommes conscients qu’il y a un enjeu très important à déterminer les violences qui se déroulent pendant les manifestations, à rechercher les auteurs des crimes qui font aussi mal au gouvernement. […] Cette volonté, nous la partageons, à condition que cela se passe dans la sérénité et qu’il n’y ait pas, des fois, des prises de position qui ne se justifient pas », a-t-il réagi. Pour Le Pays, la crise en Guinée n’en est en tout cas qu’à ses débuts. « On se demande si la trêve annoncée n’est pas une veillée d’armes qui annonce une grande tempête », s’inquiète le journal. Les prochaines manifestations, annoncées par le FNDC les 21 et 22 janvier prochains, donneront le ton.


Cet article est republié à partir de lepoint.fr. Lire l’original ici





Les Russes et le «petit bijou» de la Guinée [Octobre 2009]

« C’est une expropriation illégale ! », a déclaré, furieux, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov. Le 10 septembre, la justice guinéenne a en effet annulé la vente de l’usine de bauxite Friguia au moscovite Rusal, estimant que le prix payé en 2006 était trop bas. C’est le dernier épisode de la bataille qui oppose les salariés à l’entreprise, accusée de laisser dépérir le site, fleuron de l’économie nationale, tout en durcissant les conditions de travail au nom de la crise.

Des arbres centenaires, des ouvrages coloniaux, un paysage de forêts denses et de rocs verdoyants ; puis, soudain, grandeur nature, apparaît l’image reproduite sur les billets de banque guinéens : les mines de bauxite de Fria, à deux heures de route au nord de Conakry. Trois immeubles en béton, ornés de milliers de balcons et de presque autant d’antennes paraboliques : ce sont les logements construits par le groupe Pechiney pour ses expatriés, maintenant une présence économique de la France à l’époque où le général de Gaulle, vexé par le rejet de la population locale (1), prenait subitement ses distance avec la Guinée, en 1958. Fièrement affiché se détache le slogan de Russki Alumini (Rusal), l’entreprise russe qui a acheté le « petit bijou » privatisé de la Guinée : « Responsabilité, fiabilité, compétence. »

Au huitième étage, M. Bakary Kourouma décroche un tableau. Petit
cadeau remis par l’entreprise à la fête des métallurgistes, en 2006, ce « diplôme d’honneur » félicite cet ouvrier qualifié « pour le service rendu à son département et sa contribution au développement de l’usine ».
Il gagne environ 900 000 francs guinéens (120 euros) pour gérer le
groupe électrique et l’approvisionnement de la ville en eau, qui dépend
entièrement de l’entreprise. Mais, corrige-t-il, tout compte fait — « pour maman, 200 000 francs ; pour papa, 100 000 ; 100 000 pour ma sœur et mon frère ; 50 000 pour téléphoner ; 50 000 de taxi-moto pour aller travailler… » —,
il ne gagne que 15 euros par mois. M. Kourouma travaille sous les
ordres de cadres qui logent dans une vaste villa que l’on voit du
balcon. Les barbelés qui l’entourent protègent, outre quarante expatriés
russophones, une piscine.

Il y a à peine soixante ans ne se dressaient ici que les quelques
cases d’un village aujourd’hui rayé de la carte, Kimbo. Il a laissé la
place à une cité de soixante mille habitants organisée autour de la « première usine d’alumine en terre africaine ».

Une ville-usine à l’européenne

Au début de l’année 1957, la compagnie Fria se constitue avec la participation d’entreprises américaine, françaises, anglaise, suisse et allemande (2). La responsabilité de la construction et de l’exploitation est toutefois confiée intégralement à Pechiney. En 1973, Fria devient la société d’économie mixte Friguia, avec la Guinée comme actionnaire majoritaire (51 %). Pechiney se retire en 1997, laissant l’entreprise à l’Etat pour 1 dollar symbolique. Il y a six ans, l’usine privatisée était cédée à Rusal.

Sous des nuages de poudre de bauxite, Fria se présente comme une ville-usine à l’européenne, avec ses cités ouvrières hiérarchisées par niveau de qualification, ses cheminées, ses hauts-fourneaux et ses « constructions sociales » — stades, maisons de jeunes, piscine —, expression du paternalisme affiché par le fleuron français de l’aluminium, Pechiney (3). La Guinée détiendrait près de seize milliards de tonnes de bauxite, soit un bon tiers des réserves mondiales connues de ce minerai, à la base de l’aluminium. Assez pour s’assurer, au rythme actuel, seize siècles de production… Cela représente en 2009, avec le fer, les diamants et l’or, 20 % du produit intérieur brut (PIB) du pays et 80 % de ses exportations.

Depuis l’effondrement des cours à l’automne 2008  (4), les mille deux cents ouvriers — et les mille six cents employés de sociétés sous-traitantes — sont confrontés au refus de la direction de remplacer certaines machines. « On fait tourner l’usine en bricolant, en remplaçant les pièces d’une machine par celles d’une autre, raconte un ouvrier. Les fournisseurs ont accumulé tellement de factures impayées qu’ils ont suspendu toute livraison de marchandises. » La direction, invoquant la crise, refuse également toute hausse de salaire et reste une des seules entreprises minières en Guinée à ne pas appliquer le salaire minimum national, soit 2,5 millions de francs guinéens (330 euros).

Les salariés sont invités à se « responsabiliser », peut-on lire dans le bulletin hebdomadaire de l’entreprise La Voix de Rusal (mai 2008) : « Si chacun prenait à bras-le-corps ses responsabilités, notre usine se porterait mieux et marcherait comme sur des roulettes. » Au lieu de se plaindre de la dégradation de l’outil industriel et de l’autisme des Russes, qui vivent entre eux et ont « écarté les Guinéens de tout poste de direction », les ouvriers devraient, selon le journal, se demander : « Que puis-je faire pour aider l’usine dans cette situation difficile ? Qu’ai-je fait, personnellement, pour la réduction des frais, pour l’amélioration de la productivité ? »

Un an auparavant, pour contrer les protestataires qui reprochaient à
l’usine les coupures de courant récurrentes dans la ville, Rusal a même
organisé… un concours de dessins d’enfants sur le thème : « Je sais économiser l’électricité »…
Personne ne se leurre. Vieil ouvrier formé par Pechiney, M. Ibrahima
Diallo Taribé, aujourd’hui chef de gare, dit ne pas connaître les « mécanismes mondiaux de l’aluminium »,
mais il ne lui a pas échappé qu’en 2008 Rusal est devenu le deuxième
groupe mondial du secteur. Son patron, M. Oleg Deripaska, dixième
fortune de Russie, est un proche de M. Vladimir Poutine.

Sous son gilet orange de sécurité, M. Gennadiy Ulyanich, chargé de la
communication du groupe, a enfilé la chemise des Peuls, une des ethnies
de Guinée. Il faut bien un peu de couleur locale pour faire passer la
pilule de la « crise ». Dans son bureau, face à une photo de ses enfants restés en Ukraine, il met la dernière main à La Voix de Rusal, digne héritière du Bulletin Pechiney.

Entre deux relectures d’articles qu’il doit systématiquement envoyer
en Russie pour validation, M. Ulyanich confie son malaise : « A
Moscou, ils ne se rendent pas compte qu’il y a ici des pères de famille
dans la difficulté, et que chaque ouvrier a des dizaines de bouches à
nourrir. »
Il confie, mi-fier, mi-inquiet : « Les Guinéens m’ont dit que le jour où ils nous chasseront, je serai le seul dont ils auront pitié ! » Et le cadre ukrainien de voir « les Chinois » succéder à Rusal.

Début avril 2009, les ouvriers de Friguia choisissent de réagir en faisant grève. Ils en appellent au capitaine Moussa Dadis Camara, qui a succédé au président défunt Lansana Conté (5) à la suite d’un putsch, en décembre 2008. Les travailleurs chassent de Fria la direction de Rusal. Le capitaine Camara tance l’entreprise tout en exigeant des ouvriers qu’ils reprennent le travail. Début juin, les plus bas salaires sont relevés de 40 euros par Rusal, mais l’entreprise refuse toujours d’appliquer le salaire minimum.

Dans une cour de la « cité célibataires »,
un quartier composé d’immeubles aux petites pièces lézardées équipées
d’un lavabo, une dizaine de salariés bravent l’interdiction que la
direction leur a faite de parler aux journalistes. Manœuvres ou employés
de sous-traitants, ingénieurs ou agents de maintenance, ils ne sont pas
dupes des « efforts » qu’on prétend leur imposer au nom de la crise mondiale : « Les Russes nous demandent d’accepter de vivre mal pour que le groupe reste. C’est du chantage ! »

« Quand ils sont arrivés, ils ont promis aux habitants qu’ils conserveraient tous les avantages, se souvient M. Mamadi Kourouma, membre de la Confédération guinéenne des syndicats libres (CGSL), majoritaire dans l’usine. Mais
on n’entend que le discours sur la réduction des coûts. Auparavant,
nous avions nos logements entretenus par l’entreprise, pas de coupures
de courant et des aliments moins chers, avec l’épicerie pour ouvriers
Economat.
 » Ce salarié de 29 ans,
qui n’a pourtant connu que l’épilogue de l’époque Pechiney, exprime
l’idéalisation du groupe français qui habite la population — et le rejet
des Russes qui l’anime.

Les nombreux « avantages »
dont les habitants ont hérité sont en effet dans des états variables :
s’ils disposent d’un centre de formation flambant neuf, les équipements
sportifs (stades, piscine, pistes d’athlétisme) sont vétustes ; l’eau et l’électricité, jadis gratuites, contingentées ; le jardin d’enfants a été fermé ; le service de transport des missionnaires et des familles pour Conakry a été confié à la sous-traitance ; l’« hôpital Pechiney »,
comme l’appellent les habitants, longtemps reconnu comme le meilleur de
Guinée, a vu son budget diminuer et n’est plus systématiquement
approvisionné en médicaments. En revanche, les logements sont demeurés
gratuits.

Face à la hausse du prix de l’essence et des denrées alimentaires, la
population de Fria a organisé, début mars 2009, une marche de soutien
au régime putschiste qui promet de « lutter contre la corruption » et de « renégocier tous les contrats miniers ».
L’ombre de l’ancien président, grand fossoyeur de l’économie du pays —
ses propres fils étaient à la tête de vastes réseaux de drogue, de
prostitution et de corruption —, plane sur ce qu’il convient d’appeler
l’« affaire Fria », parfaite illustration du « bradage » des ressources nationales à des groupes étrangers, prospérant dans un pays qualifié par ses propres habitants de « scandale géologique ».

Au cœur de la réprobation populaire : le prix de rachat de l’usine
(environ 14 millions d’euros) par Rusal, en 2003, alors que des cabinets
d’audit l’estimaient à 175 millions d’euros. Le 10 septembre, le
tribunal de première instance de Conakry a invalidé la vente, mais Rusal
peut faire appel, soutenu par Moscou, ou tenter de renégocier.

Nostalgie d’une époque révolue

Monsieur Pavel Ovchinnikov, le directeur, se défend de vouloir fermer l’usine tout en soulignant que « la consommation d’aluminium dans le monde a atteint son niveau le plus bas depuis vingt-deux ans ». Il rappelle que « la Russie s’est toujours comportée en partenaire de confiance du développement économique des pays africains ».
Et il relate volontiers la façon dont, dans les années
postindépendance, Moscou et Pékin ont sondé le sous-sol du frère
guinéen, coopérant dans le domaine universitaire ou commercial, offrant
même au pays… des chasse-neige, en témoignage de l’amitié
soviéto-guinéenne, tandis que Sékou Touré, prix Lénine pour la paix en
1961, envoyait à Moscou les artistes des Ballets africains. Quarante ans
plus tard, les Russes sont également chargés de l’exploitation de
vastes gisements de bauxite à Kindia, en Basse-Guinée, à travers la
Compagnie des bauxites de Kindia (CBK).

A l’« hôpital Pechiney », M. Alpha Hassimiou Diallo, médecin en chef, se fait l’avocat du diable. « Il faut bien se serrer la ceinture »,
estime ce praticien qui, du fait de son expérience dans les hôpitaux de
la région parisienne, s’est habitué aux discours sur la réduction des
coûts. « Chez vous aussi, on commence à ne plus rembourser certains médicaments, non ? » Pour lui, la qualification d’« hôpital mouroir » est infondée et traduit seulement la nostalgie d’une époque révolue. « Ici, 100 %
des frais sont assurés par Rusal. C’est un hôpital pour les
travailleurs et leurs familles, mais le reste de la population continue
de venir parce que l’établissement a la réputation d’être le meilleur de
Guinée. »
Pourtant, le groupe russe n’a pas renouvelé les appareils de l’hôpital depuis 2007.

A Fria, crise ou pas, les trains de bauxite continuent de partir tous les jours pour Conakry. Lorsque le convoi siffle dans la capitale, les vieillards, se tenant droits, contemplent d’un air admiratif les seuls chemins de fer encore en activité, avant de saluer les richesses du pays qui leur filent sous le nez. Et les jeunes Guinéens (60 % de la population) se bouchent les oreilles et défient du regard l’arrivée des wagons — qui les plonge dans des nuages de poudre blanche. Le long de la voie, à Conakry, l’alumine colle à la peau des habitants. Elle scelle cinquante et un ans d’indépendance du seul pays qui osa dire « non » à la France (6), et dont on affirme qu’il fut le seul à échapper aux réseaux de la « Françafrique ». Le long des routes, des publicités géantes rappellent avec simplicité les slogans naguère usités : « Rusal : pour la Guinée, avec la Guinée. »

Julien Brygo Journaliste. Auteur avec Olivier Cyran de Boulots de merde ! Du cireur au trader, enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers, La Découverte Poche, Paris, 2018.


(1) En 1958, c’est sous l’impulsion d’Ahmed Sékou Touré (1922-1984) que les Guinéens ont rejeté par référendum la participation de leur pays à la Communauté française proposée par le général de Gaulle.

(2) Il s’agissait de l’américaine Olin Mathieson Chemical Corporation (48,5 %), des français Pechiney et Ugine (26,5 %), de The British Aluminium Company Ltd (10 %), d’Aluminium Suisse SA (10 %) et du groupe allemand Vereinigte Aluminium-Werke AG (5 %).

(3) A propos du paternalisme de Pechiney, cf. Céline Pauthier, « Fria, une ville-usine en Guinée », université Paris-VII (Denis-Diderot), 2001-2002, p. 17.

(4) A la fin du quatrième trimestre 2008, la tonne d’aluminium s’échangeait à moins de 1 500 dollars (1 000 euros) contre 2 450 dollars (1 700 euros) au troisième trimestre.

(5) Lire Odile Goerg, « Fin de règne sans fin en Guinée », Le Monde diplomatique, avril 2006.

(6) Lire Michel Galy, « Le vol suspendu de la Guinée », Le Monde diplomatique, décembre 2003.

monde-diplomatique




Crise politique : Communiqué des Missions diplomatiques en Guinée

Communiqué des Missions en République de Guinée des Nations Unies, de la CEDEAO, de la Délégation de l’Union européenne, des Etats-Unis, de France, de Belgique, d’Italie, d’Allemagne et du Royaume-Uni.

CONAKRY – 16 OCTOBRE 2019 – La crise politique que traverse la République de Guinée est source de préoccupations pour la communauté internationale. L’insuffisance de dialogue entre les différents acteurs politiques provoque une escalade de la tension avec des recours à la violence, susceptible de porter gravement atteinte aux acquis démocratiques. Nous appelons tous les acteurs à renouer le dialogue dans le cadre du comité de suivi.

La communauté internationale rappelle que le droit de manifester est un élément essentiel de l’expression démocratique, au même titre que la liberté de la presse. Il appartient aux différents acteurs de faire preuve de calme et de retenue en bannissant tout recours à la violence ou un usage disproportionné de la force. Il importe que les libertés fondamentales soient respectées et que le gouvernement guinéen veille à garantir le respect de l’Etat de droit.

La communauté internationale est convaincue que la seule voie vers la stabilité, la croissance et la démocratie réside dans l’esprit de collaboration et de consultation de toutes les parties prenantes afin de développer une Guinée pacifique et prospère. Il est ainsi indispensable d’organiser dans les délais légaux des élections, législatives et présidentielles, libres, crédibles et transparentes, dans le respect du cadre constitutionnel et dans un environnement apaisé. Une éventuelle libération rapide des personnes détenues de façon préventive serait de nature à aider à l’apaisement.

europa.eu




Massacre du 28 septembre 2009 : la France, les Etats-Unis et l’Union européenne appellent à « la tenue d’un procès sans tarder »

Communiqué conjoint

A l’occasion du dixième anniversaire de ce jour tragique, les Ambassades des Etats-Unis, de France et la Délégation de l’Union Européenne expriment leurs condoléances les plus sincères aux victimes du massacre du stade du 28 septembre 2009 ainsi qu’à leurs familles.

Nous soulignons l’importance de la tenue d’un procès sans plus tarder, afin que les auteurs présumés de ces crimes puissent répondre dans les plus brefs délais de leurs actes devant la justice.

Nous réitérons notre engagement à coopérer étroitement avec les autorités et la justice guinéennes en vue de garantir l’organisation d’un procès transparent et équitable.

 

Lire aussi Guinée : Dix ans après le massacre du stade, la justice n’a toujours pas été rendue