Amnesty International confirme “des tirs à balles réelles par les forces de défense et de sécurité sur des manifestants” en Guinée


Guinée. Des récits de témoins, des vidéos et images satellites analysées confirment les tirs à balles réelles par les forces de défense et de sécurité sur des manifestants.

  • Elles ont fait usage d’armes de guerre à Conakry et Labé
  • Une scène de tirs en banlieue de la capitale géolocalisée par des images satellites
  • L’Union africaine et la CEDEAO silencieuses face à cette répression à huis-clos

Des récits de témoins, des images satellites et des vidéos authentifiées et analysées par Amnesty International confirment que les forces de défense et de sécurité guinéennes ont tiré à balles réelles sur des protestataires après l’élection présidentielle contestée du 18 octobre.

De nombreux morts et blessés ont été recensés lors de manifestations et d’émeutes. Des habitations et des biens ont été détruits. Internet et les liaisons téléphoniques ont été perturbés ou coupés le vendredi 23 et le samedi 24 octobre. Un site d’information est toujours suspendu. Amnesty International est préoccupée par le silence de l’Union africaine et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) face à l’ampleur des violations des droits humains infligées aux Guinéens.

L’usage d’armes à feu doit cesser et la mort de manifestants, de passants et de responsables locaux du Front national de défense de la Constitution (FNDC) doit faire l’objet d’enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces. Si des informations laissent présumer des responsabilités pénales, les personnes concernées doivent être déférées à la justice pour des procès équitables devant des tribunaux civils.

Fabien Offner, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.

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Guinée: HRW rappelle que les restrictions pour raisons de santé publique ne doivent être ni arbitraires ni discriminatoires


En Guinée, les autorités ont harcelé, intimidé et procédé à l’arrestation arbitraire de membres et partisans de l’opposition au cours des dernières semaines, dans une atmosphère d’insécurité liée aux restrictions imposées dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le 27 mars 2020, le président guinéen Alpha Condé a décrété l’état d’urgence dans le pays et annoncé une série de mesures pour freiner la propagation de Covid-19, notamment la fermeture des frontières, l’interdiction des grands rassemblements, la fermeture des établissements scolaires et la restriction des déplacements à l’extérieur de Conakry, la capitale. Trois jours plus tard, un couvre-feu a été imposé de 21 heures à 5 heures et, le 13 avril, le port des masques de protection a été rendu obligatoire et l’état d’urgence a été prolongé jusqu’au 15 mai.

« Face au coronavirus, la confiance des Guinéens dans leur gouvernement doit être renforcée pour que soit respectée la distanciation sociale et d’autres comportements-barrières », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Dans un pays doté d’un faible système de santé, des leçons devraient être tirées de l’expérience d’Ebola, en impliquant et en gagnant la confiance des communautés locales. »

Au 29 avril, 1 240 cas de Covid-19 et sept décès avaient été confirmés par les autorités sanitaires, la majorité à Conakry. Le nombre d’infections est en hausse constante depuis que le premier cas a été recensé le 13 mars, mais compte tenu des capacités limitées de dépistage, il est probablement plus élevé. La Guinée ne dispose que de quatre laboratoires d’analyse compétents pour dépister le coronavirus, dont trois à sont situés à Conakry.

Entre le 26 mars et le 26 avril, Human Rights Watch s’est entretenu avec 15 victimes, membres des familles des victimes et témoins, ainsi qu’avec 15 agents de santé, journalistes, avocats, membres de l’opposition politique et activistes. Nos conclusions ont été transmises par e-mail le 23 avril à Albert Damatang Camara, ministre de la sécurité et de la protection civile, qui n’a pas répondu aux questions spécifiques qui lui ont été adressées.

La Guinée ne s’est remise que récemment de l’épidémie d’Ebola, qui a touché plus de 3 800 personnes et fait plus de 2 500 morts avant que l’éradication de ce virus ne soit annoncée en juin 2016. Le système de santé guinéen n’est pas en mesure de faire face à un déluge de cas de Covid-19, une situation qui rend le suivi des directives de distanciation sociale d’autant plus importantes, a observé Human Rights Watch. Cependant, les forces de sécurité, qui se livrent à des abus sur la population civile, appliquent les mesures d’urgence en vigueur d’une manière qui fragilise la confiance de l’opinion publique dans les autorités.

Des membres de l’opposition et des représentants d’organisations non gouvernementales ont exprimé leurs craintes que le gouvernement instrumentalise la crise comme excuse pour réprimer la dissidence et bafouer les droits humains. Un leader du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), une coalition d’ONG et de partis d’opposition, a déclaré : « Nous avons fait des manifestations publiques le principal moyen d’exprimer nos frustrations. Les mesures d’urgence entravent notre liberté de réunion. Nous les acceptons à cause du Covid-19. Mais nous n’allons pas les accepter éternellement. »

Le droit international relatif aux droits humains exige que de telles restrictions pour raisons de santé publique ou d’urgence nationale ne soient ni arbitraires ni discriminatoires dans leur application, d’une durée limitée, respectueuses de la dignité humaine et soumises à réévaluation.

Le 18 avril, le FNDC a appelé à la tenue d’une « journée ville morte » le 21 avril à Conakry, afin de protester contre la décision du président Condé d’organiser une session en vue de nommer le président de l’Assemblée nationale et installer les 114 députés nouvellement élus, une décision qui contraindrait ces derniers à se réunir. La décision, a noté le FNDC, contrevient à l’interdiction par le gouvernement de vastes rassemblements pour freiner la propagation du coronavirus.

Au cours des derniers mois, avant et pendant le référendum constitutionnel et les élections législatives controversés du 22 mars, les forces de sécurité ont violemment réprimé les membres et partisans de l’opposition. Les partis d’opposition ont boycotté le vote, accusant le président Condé d’avoir l’intention d’instrumentaliser la révision constitutionnelle pour prolonger son mandat.

Le 14 avril, des gendarmes ont passé à tabac et arrêté, à son domicile de Tougue, en Guinée centrale, un membre du FNDC âgé de 38 ans qui était suspecté d’avoir incendié le poste de gendarmerie local le 28 février. « Il avait le paludisme et était sous perfusion au moment de son arrestation », a déclaré un membre de la famille. « Six gendarmes ont fait irruption chez lui, l’ont roué de coups de pied et giflé à plusieurs reprises. Lorsque je lui ai rendu visite le lendemain au poste de Labe, dans la région du Fouta-Djalon, j’ai demandé aux gendarmes de le faire hospitaliser. Ils ont refusé, préférant envoyer un médecin dans sa cellule. »

Le 16 avril, un policier est entré par effraction dans la maison d’une infirmière, dans le quartier Hamdallaye de Conakry et l’a passée à tabac, l’accusant de soutenir l’opposition. « Le policier qui l’a battue lui a dit : ‘‘Vous dérangez trop’’- parce qu’elle vit dans un bastion de l’opposition », a confié un témoin. « Ensuite, il l’a encore frappée à l’aide d’une matraque, sur tout le corps, y compris au visage. Son nez était enflé. Elle était souffrante pendant plusieurs jours ».

Le 17 avril, la police a procédé à l’arrestation arbitraire d’Oumar Sylla, un membre du FNDC, à son domicile de Conakry. Il a été détenu au siège du renseignement général et à la direction de la police judiciaire de Conakry jusqu’au 24 avril, date à laquelle il a été présenté au tribunal de première instance de la capitale, accusé de disséminer de fausses informations, avant d’être incarcéré à la prison centrale de Conakry. Les avocats de Sylla avaient refusé d’assister leur client jusqu’à ce que son casait été présenté au procureur pour protester contre ce qu’ils avaient qualifié de « procédures illégales » de la police.

Les habitants de Conakry ont fait état d’une atmosphère d’insécurité dans le cadre du couvre-feu.

Le 8 avril, une femme âgée de 30 ans a déclaré qu’un homme en uniforme qui l’accusait d’avoir enfreint le couvre-feu l’avait cambriolée et rouée de coups. « Vers 22 heures, j’étais couchée », a-t-elle expliqué. « Il n’y avait pas de lumière dans le quartier. J’ai entendu du bruit et j’ai ouvert ma porte. Je me suis trouvée devant un homme en uniforme avec une arme à feu. Il faisait trop sombre pour savoir s’il s’agissait d’un policier ou d’un gendarme. Il m’a dit que j’enfreignais le couvre-feu. J’ai répondu que non, car j’étais dans ma propre maison. Il a menacé de m’arrêter, puis m’a giflée et frappée à coups de poing. Il a volé mon téléphone et mon ordinateur portable avant de partir. Je n’ai pas réagi parce que j’avais peur qu’il me viole. »

Six personnes ont déclaré que leurs magasins du marché de Kagbélen, à Conakry, avaient été pillés les 1er et 2 avril, pendant le couvre-feu. L’un des propriétaires a déclaré : « Je suis arrivé dans mon magasin de vêtements le matin du 3 avril et j’ai découvert qu’il avait été cambriolé. La porte avait été détruite et tous mes biens, d’une valeur d’environ 60 millions de francs, [l’équivalent de 624 dollars], avaient été volés. »

Le 3 avril, les victimes et d’autres commerçants ont organisé une manifestation et érigé des barricades sur le marché de Kagbélen, accusant les forces de sécurité de piller leurs magasins. Selon un représentant syndical, les pillages ont cessé après qu’il a signalé les cambriolages au maire du canton de Dubreka, qui a compétence sur le marché de Kagbélen.

« Les abus perpétrés par les forces de sécurité exacerbent une méfiance déjà profonde envers les autorités, créant un obstacle supplémentaire à la lutte contre le Covid-19 », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le gouvernement devrait maîtriser ses forces de sécurité et veiller à ce qu’elles respectent les droits humains dans le cadre de la mise en œuvre des restrictions. »


HRW





Guinée: Un référendum entaché de violences [HRW]

Les autorités devraient enquêter sur les abus et strictement contrôler les forces de sécurité.


En Guinée, les forces de sécurité ont réprimé dans la violence des partisans de l’opposition avant et pendant la tenue, le 22 mars 2020, du référendum constitutionnel et des élections législatives, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.                                                                                              

Les forces de sécurité ont tué au moins huit personnes, dont deux enfants, et blessé une vingtaine d’autres. Depuis la mi-février, les forces de sécurité ont également arrêté des dizaines de partisans présumés de l’opposition et fait disparaître de force au moins 40 autres. Selon des responsables gouvernementaux, neuf membres des forces de sécurité au moins ont été blessés par des manifestants, qui ont également vandalisé des bureaux de vote, brûlé du matériel électoral et menacé les électeurs le jour du scrutin. Le 22 mars, des soldats armés, des gendarmes et des policiers ont été déployés, dans des camionnettes et à pied, dans la capitale guinéenne, Conakry. Ils ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles sur des manifestants, faisant au moins six morts, dont une femme, et blessant au moins huit hommes.

« Les forces de sécurité guinéennes ont répondu aux manifestations massives par une violence brutale », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les manifestations se poursuivront vraisemblablement à l’approche des élections, et donc le gouvernement guinéen devrait immédiatement imposer un strict contrôle aux forces de sécurité nationales. Les dirigeants de l’opposition devraient aussi faire tout leur possible pour aider à mettre fin à la violence. »

L’intention prêtée au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat présidentiel lors des élections prévues pour la fin de l’année est à l’origine des manifestations. En décembre 2019, Condé, âgé de 81 ans, a rendu public le texte du nouveau projet de constitution qui, selon ses partisans et ses opposants, ouvrirait la voie à la mise en œuvre d’un troisième mandat. En conséquence, une coalition d’organisations de la société civile, de syndicats et de partis politiques a appelé à des manifestations régulières depuis la mi-2019 et boycotté le référendum. Le 27 mars, la commission électorale guinéenne a annoncé que le nouveau projet de constitution avait été adopté avec plus de 90 % des voix.

Les conclusions de Human Rights Watch s’appuient sur des entretiens téléphoniques menés en mars et début avril avec 60 victimes, membres des familles des victimes et témoins de violations, ainsi qu’avec 15 personnels soignants, journalistes, avocats, membres des partis d’opposition et représentants de la société civile. Human Rights Watch a analysé des photographies et des séquences vidéo pour corroborer les récits des victimes et des témoins. Nous avons également contacté Albert Damatang Camara, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, par téléphone et WhatsApp, et partagé avec lui par e-mail nos conclusions le 23 mars, en lui posant des questions spécifiques, auxquelles Camara n’a pas répondu.

D’après plusieurs témoins, les forces de sécurité étaient parfois accompagnées de civils armés de couteaux et de machettes, qui s’en sont pris aux manifestants, tuant au moins un jeune homme, Diallo Nassouralaye. Certains partisans de l’opposition ont lancé des pierres et autres projectiles sur les forces de sécurité. Des violences ont également éclaté à l’extérieur de la capitale, notamment à Kindia, au nord-est de Conakry, à Kolaboui et Sangaredi, dans l’ouest du pays, et à Nzérékoré, dans le sud-est.

Un témoin a décrit les circonstances au cours desquelles un gendarme a tué à bout portant Issa Yero Diallo, une femme âgée de 28 ans résidant dans le quartier d’Ansoumanyah plateau, à Conakry : « Le gendarme a menacé cette femme avant de lui tirer dessus. Les gens qui se trouvaient là ont essayé de le dissuader, mais il lui a tiré une balle dans le cou. » Selon les habitants, la femme a été prise pour cible après avoir contribué à obtenir la remise en liberté d’un homme arrêté par les gendarmes plus tôt dans la journée. Le ministre Camara a déclaré aux médias le lendemain qu’un gendarme soupçonné du meurtre avait été arrêté.

Le 20 février et le 5 mars à Conakry, les forces de sécurité ont tué deux adolescents et, le 6 mars, arrêté deux membres en vue de l’opposition. Les 11 et 12 février, 40 hommes, dont au moins deux enfants et trois adultes atteint de déficience intellectuelle, ont fait l’objet d’arrestations arbitraires par des membres des forces de sécurité lors de raids menés à Conakry, avant d’être conduits dans une base militaire située à environ 700 kilomètres de Soronkoni, dans l’est de la Guinée. Ils y ont été détenus en l’absence de tout contact avec le monde extérieur, les autorités ayant refusé de reconnaître leur détention jusqu’au 28 mars, date à laquelle 36 d’entre eux ont été remis en liberté et quatre autres transférés à la prison centrale de Conakry où ils sont toujours en détention.

Dans un communiqué de presse en date du 22 mars, le ministre Camara soutient que le référendum « s’est déroulé dans des conditions pacifiques sur l’ensemble du territoire », mais que « certains militants ont tenté de semer la terreur » à Conakry et dans d’autres villes. Dans un entretien accordé aux médias le 31 mars, il a confirmé que six personnes avaient perdu la vie à Conakry le 22 mars, dont une personne ayant succombé à un accident vasculaire cérébral, précisant que les autorités avaient ouvert des enquêtes.

Alors que davantage de manifestations sont prévues dans la perspective des élections plus tard cette année, les autorités guinéennes devraient demander aux forces de sécurité nationales de faire preuve de retenue et de respecter les Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique, adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. En vertu de ces instruments, les responsables de l’application des lois ne peuvent recourir à l’usage de force que lorsque cela est strictement nécessaire et en vue d’atteindre un objectif légitime de maintien de l’ordre.

La CADHP, le Représentant spécial du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union européenne, la France et les États-Unis ont tous condamné ou exprimé leur inquiétude devant les violences suscitées par le référendum. Le 4 mars, le Rapporteur spécial de la CADHP pour la Guinée a appelé le gouvernement à respecter la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et à garantir des élections libres, équitables et transparentes. Dans une résolution en date du 11 février, le Parlement européen s’est déclaré préoccupé de la montée des tensions politiques et des violences en Guinée.

Les partenaires internationaux de la Guinée et autres institutions, en particulier l’Union africaine, la CEDEAO, le Conseil de sécurité de l’ONU, l’UE et les États-Unis devraient accroître la pression sur le président Condé et son gouvernement et exiger l’ouverture d’enquêtes et de poursuites judiciaires crédibles pour les violations récentes, a préconisé Human Rights Watch.

En cas d’échec des autorités guinéennes à répondre à ces préoccupations relatives aux droits humains, les États-Unis devraient envisager des sanctions ciblées contre les hauts responsables gouvernementaux responsables de violations, notamment des interdictions de voyager et des gels d’avoirs.

L’UE et ses États membres devraient envisager d’élargir le régime de sanctions en vigueur à l’encontre de la Guinée et rappeler aux autorités du pays les conséquences d’un échec à prendre en compte de façon adéquate les préoccupations relatives aux droits humains.

« Des mesures vigoureuses sont nécessaires dès à présent avant que la situation ne se détériore davantage et qu’une force disproportionnée ne soit utilisée contre les manifestants à l’approche des élections », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les partenaires de la Guinée devraient indiquer clairement que des conséquences seront tirées si des manifestants se font tirer dessus ou des partisans de l’opposition sont portés disparu. »

Contexte

Les débats sur la révision de la constitution guinéenne de 2010 ont commencé début 2019, le parti au pouvoir RPG-Arc-en-ciel ayant appelé en mai les citoyens à soutenir le projet de constitution. Bien que le texte présenté par Condé en décembre 2019 maintienne une limite de deux mandats présidentiels, ses partisans ont déclaré qu’il reprenait tout à zéro, ce qui lui permettrait donc de se présenter en 2020. Condé a déclaré le 10 février que, en cas d’adoption d’une nouvelle constitution, « [son] parti décidera » s’il sera candidat à sa propre succession.

Le 28 février, Condé a reporté le référendum constitutionnel et les élections législatives, initialement prévus le 1er mars, au 22. Les organisations internationales et régionales, dont l’UA, l’Organisation internationale de la Francophonie et la CEDEAO, ont refusé d’envoyer sur place des observateurs, affirmant que la liste électorale manquait de crédibilité.

Depuis octobre 2019, une coalition d’organisations non gouvernementales et de partis d’opposition, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), a organisé de nombreuses manifestations contre le référendum constitutionnel en Guinée.

Bien que le gouvernement ait dans certains cas autorisé la tenue de ces manifestations, la plupart du temps, les forces de sécurité les ont dispersées en arrêtant des participants ou en usant de gaz lacrymogènes et en leur tirant dessus à balles réelles. Human Rights Watch avait précédemment signalé qu’au moins 30 personnes avaient été tuées pendant les manifestations entre octobre 2019 et janvier 2020. Le FNDC estime que les forces de sécurité ont tué 44 personnes depuis octobre 2019. Les manifestants auraient également tué au moins un gendarme lors de manifestations en octobre, selon le gouvernement, bien que les manifestants affirment que celui-ci a été abattu par un autre gendarme.

Violence le jour du référendum à Conakry et dans d’autres villes

Le 22 mars, de violents affrontements ont éclaté à Conakry, notamment dans les quartiers de Wanindara, Hamdallaye, Coza, Sofonia, Ansoumania, Cimenterie et Simbaya, entre des dizaines de groupes favorables au référendum et d’autres qui lui étaient opposés, et entre opposants au référendum et forces de sécurité. Des manifestants ont brûlé des pneus, dressé des barricades dans les rues et lancé des projectiles sur les forces de sécurité qui ont riposté avec des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles. Le ministre de la Sécurité a déclaré que des manifestants violents avaient saccagé des bureaux de vote, menacé des électeurs et brûlé du matériel électoral, une information confirmée par Human Rights Watch.

Deux témoins ont déclaré à Human Rights Watch que des soldats, des gendarmes, des policiers et des civils armés de machettes avaient lancé des pierres sur une maison du quartier de « Petit Simbaya », où vivaient des partisans de l’opposition connus. Lorsque Diallo Nassouralaye, âgé de 19 ans, qui vivait à proximité, est sorti pour vérifier ce qui se passait, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur lui. « Il a été touché à l’abdomen », a précisé un témoin. « Je l’ai emmené dans un centre de soins tout proche, mais il est décédé sur place. » Le médecin qui s’est occupé de la victime a confirmé à Human Rights Watch que Nassouralaye est arrivé vers 13 heures et est décédé 10 minutes plus tard d’une blessure par balle à l’abdomen.

Selon deux témoins, des gendarmes ont abattu Thierno Oumar Diallo, un homme âgé de 25 ans, lors d’affrontements entre partisans du référendum et des opposants dans le quartier de Kakimbo vers 15 heures. Une source médicale a confirmé que l’homme était décédé des suites d’une blessure par balle au cou. L’un des témoins, frère de la victime, a déclaré :

Des gendarmes sont intervenus lors des affrontements et ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles. Des témoins m’ont dit qu’en plus de mon frère, ils avaient tué deux autres hommes et blessé quatre autres. Mon frère est mort instantanément ; d’une balle dans le cou. J’ai emmené son corps dans un centre de soins proche puis à la morgue, mais le personnel médical a refusé de le prendre en charge. J’ai donc ramené sa dépouille à la maison et nous l’avons enterré le lendemain.

Deux témoins ont expliqué que des gendarmes avaient tiré à balles réelles lors d’affrontements entre des partisans du référendum et des membres de l’opposition dans le quartier Hamdallaye de Conakry, tuant Hafiziou Diallo, un homme âgé de 28 ans. Un parent de la victime a été témoin du meurtre :

Nous sommes descendus dans la rue pour protester contre le vote. Il y avait des partisans du référendum en tenue civile, armés de couteaux, et des gendarmes. Nous leur avons jeté des pierres et les choses ont dégénéré. Les gendarmes, une dizaine d’entre eux, ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles. Les gens se sont enfuis, mais mon oncle a été touché par une balle et s’est effondré devant moi. Il a été touché à la poitrine.

Human Rights Watch a examiné les photographies du corps et consulté des sources médicales qui ont corroboré ces témoignages.

Un policier a tué Thierno Hamidou Bah, âgé de 25 ans, lors d’une manifestation organisée par l’opposition dans le quartier de Kinifi, selon deux témoins entendus par Human Rights Watch. L’un d’eux a déclaré :

Nous étions dans la rue pour dire non au référendum. Nous étions là pour exprimer notre colère. Nous avons lancé des pierres sur la police. Elle a tiré sur la foule à balles réelles et touché trois personnes, dont mon ami, qui a été atteint à la poitrine et s’est effondré devant moi. Je l’ai transporté dans un centre de soins, où il est décédé.

Un médecin qui a examiné le corps a confirmé que l’homme avait reçu une balle dans la poitrine. Human Rights Watch a également consulté des photographies de la blessure.

Des violences sporadiques se sont poursuivies à Conakry le 23 mars, notamment dans les quartiers de Cosa et Wanindara, où des émeutes ont été signalées, et à Baylobaye, où les forces de sécurité ont tiré sur un homme après être entré par effraction chez lui. « Trois policiers sont entrés chez moi à 15 heures. Je m’y trouvais avec ma femme et mon fils. Ils nous ont accusés de ne pas nous rendre aux urnes. L’un d’eux m’a passé à tabac à l’aide de sa matraque et saisi mon téléphone. Mon fils s’est disputé avec eux et a reçu une balle dans le bras. Je l’ai emmené dans un centre de soins où elle lui a été retirée », a relaté le père de la victime. Human Rights Watch s’est également entretenu avec le médecin qui l’a soignée.

Des violences ont éclaté dans d’autres villes et villages de Guinée le 22 mars. Selon les médias, des manifestants ont saccagé des bureaux de vote à Kindia, au nord-est de Conakry, et à Kolaboui à l’ouest, et harcelé le personnel électoral de Télimélé. Des habitants et des journalistes ont également signalé qu’à Nzérékoré, capitale de la Guinée forestière, des incidents liés aux élections ont déclenché des affrontements intercommunautaires et confessionnels entre des membres armés de la communauté de Guerze, formée majoritairement de chrétiens ou d’animistes, et l’ethnie armée Konianke, principalement musulmane, plusieurs personnes ayant été tuées et des propriétés incendiées.

Des gendarmes ont blessé un homme âgé de 20 ans lors d’une manifestation anti-référendum à Sangaredi, dans l’ouest de la Guinée. Un témoin et un proche de la victime ont indiqué à Human Rights Watch que des gendarmes avaient tiré à balles réelles sur la foule : « Il était 10 heures du matin ; nous étions dehors pour protester contre le vote. Les gendarmes ont tenté de nous disperser. Certains leur ont jeté des pierres. J’ai entendu au moins deux coups de feu. Mon frère a été touché d’une balle à l’épaule et s’est cassé le bras en tombant. »

N’ayant pu être hospitalisée à Sangaredi, la victime a été conduite le lendemain à Conakry. Human Rights Watch a examiné les dossiers médicaux et s’est entretenu avec le médecin qui l’a soignée.

Violences et arrestations préréférendaires

Le 20 mars, la police a tiré à balles réelles lors d’une manifestation organisée par l’opposition dans le quartier Bomboly de Conakry, blessant un homme âgé de 18 ans. La victime s’est entretenue avec Human Rights Watch : « Je me rendais au domicile de mon frère quand je me suis retrouvé au milieu d’une manifestation. Certains participants se sont montrés violents et s’en sont pris à la police en lui jetant des pierres. Celle-ci a riposté en lançant des grenades lacrymogènes puis en tirant à balles réelles. Tout le monde a pris la fuite. J’ai également couru pour me mettre en sécurité. J’ai entendu quatre coups de feu avant de m’effondrer au sol. Une balle m’avait atteint à l’épaule droite. »

Le 6 mars, les forces de sécurité ont procédé à l’arrestation arbitraire de Sekou Koundouno et Ibrahima Diallo, deux membres de premier plan de la direction du FNDC, au domicile de Diallo. Celui-ci a déclaré qu’au moins 20 policiers, dont certains étaient masqués, sont entrés par effraction chez lui à Conakry vers 19 heures, procédant à leur arrestation en l’absence de mandat. La loi guinéenne prévoit pourtant qu’un mandat est nécessaire, à moins que l’individu ne soit pris en flagrant délit. L’épouse de Diallo, qui a été témoin de l’arrestation, a décrit la scène à Human Rights Watch :

J’ai demandé aux policiers s’ils avaient un mandat. Cela les a contrariés. L’un d’eux m’a attrapé par le col de ma chemise et poussé contre un pot de fleurs. Puis ils ont mis la maison sens dessus dessous avant d’arrêter mon mari et Koundouno, qui a été escorté à moitié nu, sans son pantalon ni ses chaussures.

Diallo a déclaré que ses yeux étaient bandés dès qu’il est monté à bord du véhicule de police et que lui et Koundouno ont été détenus à la Direction de la police judiciaire, à Conakry, sans accès à leurs avocats pendant une semaine. Les juges d’instruction ont inculpé les deux membres du FNDC d’ « outrages envers les fonctionnaires » et d’« atteinte et menace à la sûreté et à l’ordre publics », avant de les remettre en liberté sous caution le 13 mars, en l’attente de nouvelles enquêtes. Les deux hommes ont été invités à comparaître devant les juges chaque semaine.

Lors de manifestations à Conakry le 5 mars, deux témoins ont déclaré que les forces de sécurité, dont des policiers et des gendarmes, avaient lancé des gaz lacrymogènes sur des partisans de l’opposition et tué un garçon âgé de 17 ans, heurté à la tête par une grenade. Human Rights Watch a également reçu des informations selon lesquelles les forces de sécurité ont blessé neuf autres hommes lors de ces manifestations. Les gendarmes ont agressé un journaliste français après qu’il les a filmés en train de passer à tabac un homme non armé, avant de l’expulser du pays. Les participants ont déclaré que certains manifestants violents avaient blessé des policiers en leur jetant des pierres.

Le 4 mars, vers 13 heures, une dizaine de policiers et de gendarmes sont entrés par effraction au domicile d’un imam de 51 ans dans le quartier de Wanindara à Conakry, et l’ont roué de coups ainsi que d’autres membres de sa famille. Ils ont ensuite procédé à l’arrestation arbitraire de trois des membres de sa famille et d’un voisin. Selon des témoins et des résidents, les forces de sécurité recherchaient l’auteur d’une vidéo qui montrait la police en train de se servir d’une femme comme bouclier humain à Conakry le 29 janvier. L’imam a déclaré à Human Rights Watch :

Des policiers et des gendarmes sont entrés par effraction dans ma résidence, ont tiré un coup de feu et défoncé la porte d’entrée. Ils ont fouillé les neuf maisons du complexe résidentiel, les ont mises sens dessus dessous. Un gendarme m’a frappé à la tête avec une louche qu’il avait prise à mes femmes. « Je vais te casser la tête », m’a-t-il dit. Les gendarmes ont également frappé deux de mes voisins, dont une femme de 80 ans souffrant de problèmes de surdité et de vue. Puis ils ont arrêté mes fils, mon frère et un voisin. Ils n’avaient aucun mandat. »

Les quatre hommes arrêtés ont été conduits dans deux postes de gendarmerie des quartiers de Matoto et Cosa. Les fils et le frère de l’imam ont été remis en liberté le même jour après le paiement d’un million de francs guinéens (environ 104 dollars). Son voisin a été relâché le lendemain après le versement de 250 000 francs guinéens (environ 26 dollars).

Le 19 février, des gendarmes et des policiers ont violemment réprimé une manifestation menée par le FNDC dans le quartier de Wanindara en lançant des grenades lacrymogènes et en tirant à balles réelles. Ils ont blessé au moins un manifestant, un chauffeur âgé de 26 ans, alors qu’il tentait de prendre la fuite : « Certains gendarmes sont descendus de leur véhicule et ont pourchassé des manifestants à pied. J’ai couru et tenté de me cacher, mais un gendarme m’a tiré dans la cuisse. J’ai été conduit à l’hôpital, où je suis resté alité 10 jours. La balle se trouve toujours dans ma jambe. » Cet homme a également confié qu’il était à peine en état de marcher et ne pouvait plus travailler. Human Rights Watch a également interrogé un de ses amis qui a été témoin de l’incident, ainsi que le médecin qui l’a soigné.

Disparitions forcées

Human Rights Watch s’est entretenu avec 10 hommes victimes de disparitions forcées pendant une quarantaine de jours à la suite de leur arrestation arbitraire par les forces de sécurité à Conakry les 11 et 12 février. Ils ont déclaré avoir été détenus sans aucun contact avec le monde extérieur avec 30 autres personnes, dont au moins deux enfants et trois hommes atteints de déficience intellectuelle, dans une base militaire de Soronkoni, à 700 kilomètres de Conakry. Human Rights Watch a également parlé à leurs avocats et à plusieurs membres de leurs familles et amis qui ont corroboré leurs témoignages. Pendant leur détention, les autorités ont refusé de reconnaître qu’elles savaient où se trouvaient ces hommes.

En vertu du droit international, une disparition forcée est toute forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve. La Guinée n’a pas signataire de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

D’anciens détenus et avocats ont déclaré que, à l’exception de quatre personnes transférées à la prison centrale de Conakry, les 36 autres avaient été remises en liberté le 28 mars, sans inculpation ni document attestant de leur arrestation et de leur détention.

Les dix hommes avec qui s’est entretenu Human Rights Watch ont déclaré qu’on ne leur avait jamais fourni d’explication quant aux raisons de leur arrestation et de leur détention. Mais ils ont affirmé que les forces de sécurité qui les avaient arrêtés, comme les militaires qui assuraient leur détention à Soronkoni, les avaient accusés de soutenir l’opposition. Selon l’un de ces ex-détenus, âgé de 20 ans, un policier lui a dit au moment de son arrestation : « C’est vous qui barricadez les routes, semez le trouble et vous opposez au pouvoir en place. » « Ils m’ont accusé d’être un criminel et de faire souffrir mon pays. Je leur ai répondu que je n’étais qu’un chauffeur de taxi. Tiens-toi tranquille et tais-toi, m’ont-ils rétorqué », a témoigné un autre ex-détenu, âgé de 36 ans.

En vertu du droit guinéen et du droit international, les individus arrêtés doivent être directement incarcérés dans des lieux de détention reconnus, comme des postes de police ou de gendarmerie, et avoir immédiatement accès à leur avocat et à leurs familles. Toutes les personnes détenues devraient être conduites rapidement devant un juge pour l’examen de la légalité et la nécessité de leur détention.

Cependant, les hommes interrogés par Human Rights Watch ont déclaré avoir été détenus dans une base militaire et privés de contact avec le monde extérieur. « Détenir quelqu’un dans un camp militaire est contraire à notre législation », a indiqué à Human Rights Watch un avocat guinéen défendant les détenus. « Les autorités devraient cesser de penser que la Guinée est une autre planète. Nous avons des lois interdisant la détention de suspects en dehors des lieux officiellement prévus à cet effet ». Âgé de 26 ans, un ex-détenu a déclaré : « Ma famille ignorait où je me trouvais. Ils pensaient que j’étais mort. »

D’autres ont décrit les conditions de leur détention comme sordides. « Nous étions 40 dans une cellule comportant une seule porte, fermée la plupart du temps, avec deux petits trous dans le mur », a déclaré l’un d’entre eux, âgé de 23 ans. « C’était insuffisamment aéré, il faisait très chaud. Beaucoup se sont sentis mal à cause de la chaleur, certains se sont effondrés ». Un autre a expliqué qu’on ne leur donnait pas assez d’eau, et qu’il dormait sur le sol sans matelas et n’était souvent pas autorisé à se rendre aux toilettes situées à l’extérieur, ce qui l’obligeait à uriner dans des bouteilles.


hrw.org





L’ambassadeur des Etats-Unis exhorte « les services de sécurité guinéens à se conduire à tout moment de manière professionnelle »

Dans un communiqué publié sur le site internet de l’ambassade des Etats-Unis en Guinée, l’ambassadeur Henshaw appelle toutes les parties au dialogue pacifique après l’enregistrement de nouvelles victimes tuées par armes à feu à Conakry le 9 janvier 2020 en marge de la grève des enseignants.


En ma qualité d’Ambassadeur des Etats-Unis en Guinée, je voudrais
adresser mes condoléances aux familles des victimes tuées par armes à
feu à Conakry le 9 janvier. Selon les comptes-rendus des médias, ces
victimes étaient des spectateurs qui se trouvaient dans les environs des
manifestations.

Nous exhortons les services de sécurité guinéens à se conduire à tout
moment de manière professionnelle, et en appelons à des enquêtes
approfondies pour ces cas de mort. Nous exhortons tous les manifestants à
exercer leur droit de rassemblement pacifiquement.

Ces pertes en vies humaines démontrent encore une fois l’importance
de la résolution des différends par le dialogue et la non-violence.

La Guinée a accompli de grands progrès sur le chemin de la démocratie, aussi, sommes-nous impatients d’œuvrer avec tous les guinéens afin de renforcer ces progrès.





Le FNDC « interpelle les Forces de défense et de sécurité à assumer pleinement leur rôle républicain » [Déclaration]


Engagé à intensifier les manifestations à partir du 13 janvier 2020 pour exiger l’abandon du projet de nouvelle constitution dont le seul objectif est de permettre à Alpha Condé de se représenter pour un 3e mandat, le FNDC « exhorte les Forces de défense et de sécurité à la retenue, à renoncer à toute forme de violences et à respecter le droit des citoyens à manifester contre le coup d’État civil à partir du lundi 13 janvier 2020 ».


DÉCLARATION

L’imminence d’un coup d’État civil a été officiellement annoncé par le Président Alpha Condé le 19 décembre 2019. En conséquence, le FNDC interpelle les Forces de défense et de sécurité à assumer pleinement leur rôle républicain, à tirer les leçons du passé et à refuser d’être un instrument de répression sanglante contre son peuple.

Est-il nécessaire de rappeler le contexte et le rôle fondamental qu’a joué
l’armée guinéenne dans l’instauration de la démocratie et de l’État de droit
par le transfert du pouvoir aux civils conformément à la « Déclaration
conjointe de Ouagadougou » le 15 janvier 2010 ?

Tous les sacrifices humains et matériels qui ont été consentis durant cette
période sombre ne sont-ils pas suffisants pour garantir l’alternance
démocratique en Guinée?

En dépit des réformes engagées en son sein, les forces de défense et de
sécurité sont-elles prêtes à ternir davantage leur image de sang et à être la
risée des autres armées républicaines de la sous-région en obéissant
aveuglément aux ordres manifestement illégaux d’un pouvoir civil qui est, en
partie, le fruit de leur renoncement?

Depuis le 14 octobre 2019, le peuple de Guinée démontre de façon résolue et
pacifique son opposition catégorique au coup d’État constitutionnel à travers
de gigantesques manifestations sans précédents.

La communauté internationale et, plus particulièrement, celle ouest africaine
s’est clairement désolidarisées du projet illégal et inopportun de changement
de constitution pour un 3eme mandat en faveur de M. Alpha Condé.

En dépit des protestations populaires, de toutes les mises en garde
officielles et officieuses, M Alpha Condé et son clan d’arrivistes se
radicalisent davantage et se montrent plus sourds que jamais. Comme
conséquences de leur obstination, on dénombre à ce jour des centaines
d’arrestations, des centaines de blessés et 26 jeunes (âgé de 14 ans à 32 ans)
tous impunément tués par balles. Il est inacceptable que tant de crimes
ignobles soient commis en vue d’imposer un pouvoir à vie au profit d’un
vieillard de plus 82 ans qui pense que son âge, sa fonction et le temps seront
une excuse ou un échappatoire.

Les Forces de défense et de sécurité comprendront-elles que l’on veut leur
charger de tirer les marrons du feu?

Il est certain que M Alpha Condé est déterminé à exécuter toutes les menaces
qu’il a lui-même proférées contre son propre peuple. Pire, le régime s’active
actuellement à planifier des affrontements ethniques dans plusieurs régions du
pays en vue de créer le chaos qui servirait de prétexte à leur projet
machiavélique.

Le FNDC dénonce ce cynisme, alerte la communauté internationale et invite
les populations à s’opposer farouchement à la division qui est devenue l’ultime
stratégie de ce clan de pilleurs et d’arrivistes.

Nous rappelons que l’armée est une institution de la République. A ce titre,
la sauvegarde de l’unité nationale, la lutte pour le respect de la Constitution
et de l’alternance démocratique sont un devoir sacré qui s’imposent à
l’ensemble des forces de défense et de sécurité au même titre que les
institutions civiles de la République.

Le FNDC exhorte les Forces de défense et de sécurité à la retenue, à
renoncer à toute forme de violences et à respecter le droit des citoyens à
manifester contre le coup d’État civil à partir du lundi 13 janvier 2020.

Vive la République !

Vive la Guinée !

Pas de Référendum ! Pas de 3ème Mandat !

Pas de Coup d’État Constitutionnel !

Vive l’alternance démocratique dans un climat apaisé!

Ensemble unis et solidaires, nous vaincrons!
Conakry, le 11 janvier 2020.





Guinée : Dix ans après le massacre du stade, la justice n’a toujours pas été rendue

Les familles des victimes du massacre commis en septembre 2009 par les forces de sécurité guinéennes, qui ont tué plus de 150 personnes manifestant dans un stade de la capitale, Conakry, attendent toujours qu’on leur rende justice dix ans plus tard, ont déclaré aujourd’hui six organisations de défense des droits humains. Pour marquer le dixième anniversaire du massacre, les organisations ont diffusé une vidéo dans laquelle des victimes demandent l’ouverture du procès.

Des centaines de personnes ont été blessées et plus d’une centaine de femmes ont été victimes de viol et d’autres formes de violences sexuelles lors de ce déferlement de violence qui a démarré le 28 septembre 2009 et s’est étalé sur plusieurs jours.

Les six organisations sont l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), Les Mêmes droits pour tous (MDT), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Amnesty International et Human Rights Watch.

« Une décennie s’est écoulée depuis le massacre du stade de Conakry, mais pour ceux qui ont perdu leur fils, fille, père ou mère, l’horreur de ce jour reste à jamais gravée dans leur mémoire », a déclaré Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA. « Dix ans, c’est trop long lorsqu’on a soif de justice. Nous avons droit à ce que les responsables de ces atrocités rendent des comptes. »

Peu avant midi, le 28 septembre 2009, plusieurs centaines d’agents des forces de sécurité guinéennes ont ouvert le feu sur des dizaines de milliers de personnes rassemblées pacifiquement dans le stade pour protester contre l’intention de Moussa Dadis Camara, alors chef de la junte au pouvoir, de se présenter à l’élection présidentielle. Les forces de sécurité ont également violé des femmes, individuellement ou collectivement, y compris au moyen d’objets tels que des matraques ou des baïonnettes.

Les forces de sécurité se sont ensuite attelées à une opération organisée de dissimulation, dans le but de cacher l’ampleur des tueries, en bouclant tous les accès au stade et aux morgues et en emportant les corps pour les enterrer dans des fosses communes, dont beaucoup doivent encore être identifiées.

L’enquête menée par des juges d’instruction guinéens, ouverte en février 2010 et bouclée fin 2017, a progressé lentement en raison d’obstacles politiques, financiers et logistiques. Mais dans un pays où les crimes impliquant les forces de sécurité restent largement impunis, sa clôture a envoyé un signal fort et levé les espoirs que l’ouverture d’un procès qui pourraient rendre justice aux victimes serait proche.

En avril 2018, l’ancien ministre de la Justice Cheick Sako a mis en place un comité de pilotage chargé d’organiser le procès sur le plan pratique. Ce comité a décidé qu’il se tiendrait à la Cour d’appel de Conakry.

Pourtant, presque deux ans après la clôture de l’enquête, la date du procès n’est toujours pas fixée. Alors que le comité de pilotage est censé se réunir chaque semaine, il ne le fait que par intermittence.

Même si en juillet la Cour suprême guinéenne a écarté tous les recours judiciaires liés à la clôture de l’instruction, les juges qui présideront le tribunal n’ont toujours pas été désignés.

Certains survivants sont décédés pendant que l’affaire continue de traîner en longueur. Un résumé chronologique des événements peut être consulté ici.

Les victimes expliquent dans la vidéo en quoi obtenir justice pour ces crimes est si importante pour elles :

« Depuis ce jour, nous pleurons et nous voudrions pouvoir sécher nos larmes, nous espérons obtenir justice. »

« Je demande encore au président de la République de penser à nous, les victimes du 28 septembre. »

« La proclamation de la date, c’est ce qui est très important. On dit à partir de tel jour, tel mois, le procès va commencer. À partir de cet instant, ça va nous donner beaucoup d’espoir d’aller [vers] le procès. »

Plus de 13 suspects ont été inculpés, dont Dadis Camara, l’ancien chef de la junte appelée Conseil national pour la démocratie et le développement, qui gouvernait la Guinée en septembre 2009, ainsi que son vice-président, Mamadouba Toto Camara. Plusieurs individus inculpés de charges liées aux homicides et aux viols occupent toujours des postes d’influence, y compris Moussa Tiégboro Camara, Secrétaire général chargé des Services spéciaux de lutte contre le grand banditisme et les crimes organisés.

L’aide de camp de Dadis Camara, Abubakar « Toumba » Diakité, a également été inculpé. Il a été extradé vers la Guinée en mars 2017, après plus de cinq ans de cavale. Quatre autres individus sont en détention à la Maison Centrale de Conakry, respectivement depuis 2010, 2011, 2013 et 2015 dans le cadre de l’affaire du 28 septembre. Leur détention provisoire est illégale dans la mesure où elle excède la durée maximale prévue par la loi guinéenne, soit 18 à 24 mois en matière criminelle, en fonction du chef d’inculpation. Ils doivent pouvoir être jugés de façon équitable dans les plus délais.

Le 14 août 2019, lors d’une réunion du comité de pilotage, Mohammed Lamine Fofana, le nouveau ministre de la Justice, a réitéré l’engagement du président Alpha Condé vis-à-vis du procès et promis que des « préparations concrètes » commenceraient immédiatement.

Le gouvernement et les partenaires internationaux de la Guinée, notamment l’Union européenne et les États-Unis, ont déjà mis de côté des fonds essentiels pour que le procès puisse avoir lieu.

« La date du procès doit être fixée et des juges nommés pour juger l’affaire », a déclaré Frédéric Foromo Loua, président de MDT. « Par ailleurs le comité de pilotage devrait répondre aux éventuels besoins en suspens en matière de bâtiments et organiser les procédures de logistique et de sécurité en vue du procès. Enfin il faudrait prendre les mesures adéquates pour assurer la participation de Dadis Camara, qui est actuellement en exil au Burkina Faso ».

La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête préliminaire sur la situation en Guinée en octobre 2009. La CPI agissant comme un tribunal de dernier recours, elle ne prendrait le relais que si les juridictions nationales ne peuvent pas, ou ne veulent pas, instruire et juger les affaires pour lesquelles elles sont compétentes.

« Le procès du 28 septembre 2009 nécessite un appui politique au plus haut niveau afin de démarrer », a conclu Abdoul Gadiry Diallo, président de l’OGDH. « Le président Condé a affirmé auparavant son engagement à mettre fin à l’impunité. Le président doit agir en faveur des victimes en appuyant sans équivoque l’ouverture du procès et le ministre de la Justice doit s’assurer qu’il s’ouvre dans les plus brefs délais. »

Source : communiqué FIDH