Histoire Politique: 2 octobre 1958, proclamation de l’indépendance de la Guinée


Histoire Politique


Après avoir été membre de la fédération de l’Afrique-occidentale française (AOF) depuis 1904 et avoir obtenu une autonomie administrative relative en 1956, la Guinée rejette la proposition d’entrer au sein de la Communauté française et proclame son indépendance le 2 octobre 1958.

Le Parti démocratique de Guinée (PDG) d’Ahmed Sékou Touré est au cœur de la marche vers l’indépendance qui s’accélère à partir de 1958 avec la proposition de nouvelle Constitution présentée par le président français Charles de Gaulle. Lors du référendum du 28 septembre 1958, les Guinéens sont les seuls à refuser, et ce dans une proportion de 95 % (1 136 324 oui, contre 56 981 non), de joindre la Communauté française. L’indépendance est proclamée le 2 octobre, entraînant une rupture des liens administratifs et financiers entre la Guinée et la France qui retire ses cadres et ses crédits. Au cours des années qui suivent, la Guinée, un territoire riche en ressources naturelles, se rapproche du Mali et du Ghana avec qui elle forme l’Union des États africains. Elle obtient également des crédits de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et signe un traité d’amitié avec la Chine. Le PDG y est parti unique et Sékou Touré, ardent défenseur de l’indépendance, est élu président le 15 janvier 1961 par 99 % des électeurs. Il le restera jusqu’à sa mort, en 1984.

La Guinée, cinq ans après le 28 septembre 1958

En 1963, Sékou Touré, dans une interview qu’il a accordé à un journaliste de la télévision française, revient sur les circonstances de l’indépendance de la Guinée.

« [  ] je dirais que j’ai une grande considération pour le général de Gaulle. Je vous le dis, parce que je connais la France, parce que je sais la mutation politique qu’il a pu opérer en un minimum de temps. Je sais surtout les graves problèmes qu’il a abordés et qu’il a pu résoudre, sans que l’unité nationale n’ait été mise en cause en France, et même l’indépendance de la Guinée. Nous pourrons dire que nous la devons au général de Gaulle [  ] » Sékou Touré



En votant « non » au référendum sur la Communauté française le 28 septembre 1958, la Guinée accède immédiatement à l’indépendance. La France interprète ce vote comme une volonté de « sécession ». Elle supprime brutalement ses contributions techniques et financières à la Guinée et tente de l’isoler. La République de Guinée est proclamée dès le 2 octobre. Son président, Sékou Touré, se tourne alors simultanément vers les pays africains, les pays de l’Est comme de l’Ouest pour obtenir sa reconnaissance et la conclusion d’accords de coopération. L’Union soviétique et ses satellites, puis la Chine répondent favorablement. Cet appui se matérialise dès 1959 par une série d’accords commerciaux (envoi de matériels, de textile et de biens de consommation en échange de produits agricoles), industriels et culturels (briqueterie, centrale électrique, imprimerie « Patrice Lumumba », etc.) et sur la sécurité (appui des services de la Sécurité tchécoslovaque). Mais Sékou Touré n’entend pas s’inféoder à l’Union Soviétique, d’autant plus qu’il se présente comme un fer de lance des non alignés. Il pratique surtout une politique de neutralité en demandant équitablement une aide à tous. Un rapprochement s’opère à partir de 1962 avec les États-Unis, avec l’envoi des Peace Corps, de surplus alimentaires, et le développement des investissements dans les gisements de bauxite. La situation économique reste très précaire en 1963 mais le régime guinéen résiste. Au lendemain des accords d’Évian, Sékou Touré tente un rapprochement avec de Gaulle. La France se montre plus réceptive à la main tendue, en partie en raison de la concurrence des intérêts américains, et des accords de coopération sont signés en mai 1963.

28 septembre 1958: le jour où la Guinée a dit non à de Gaulle

La Guinée est devenue le premier pays d’Afrique subsaharienne à devenir indépendant de la France, après avoir voté «non» le 28 septembre 1958 au référendum instituant une «communauté» franco-africaine, proposée par le général de Gaulle. Avant ce vote, de Gaulle avait effectué un périple en terre africaine pour défendre son idée de communauté avec la France. Retour sur ces événements.

Revenu au pouvoir à l’occasion de la crise algérienne du 13 mai 1958, le général de Gaulle se lance dans une série de réformes, dont la modification de la constitution qui inclut un processus de décolonisation africaine avec une idée maîtresse, réunir les futurs pays indépendants africains dans une large communauté avec la métropole. Ce projet est inscrit dans le texte constitutionnel qui doit être soumis à référendum, en septembre 1958, aux Français de métropole mais aussi aux habitants des territoires coloniaux.

Pour défendre son idée, à l’été 1958, le général se lance dans une grande tournée des pays africains, d’Alger à Dakar, en passant notamment par Conakry.

Le 24 août 1958, il engage à Brazzaville la décolonisation de l’Afrique noire en proposant la création de la Communauté, cadre qu’il veut donner à l’indépendance des Etats de l’Afrique noire francophone. Lors de cette tournée africaine, de Gaulle propose «au suffrage de tous les citoyens des territoires d’Afrique et des citoyens de métropole» de former une Communauté dans laquelle chacun des Etats membres accédera à l’autonomie, avec un pouvoir exécutif et législatif. La défense, la politique étrangère, la politique économique et financière, le contrôle de la justice relèveront de l’exécutif de la Communauté.

La Communauté, cela veut dire Paris… De Gaulle est clair lorsqu’il affirme: «Il est naturel et légitime que les peuples africains accèdent à ce degré politique où ils auront la responsabilité entière de leurs affaires intérieures, où il leur appartiendra d’en décider eux-mêmes». Les affaires intérieures, pas plus.

Le 28 août, de Gaulle arrive à Conakry, capitale de ce qui n’est pas encore la Guinée. Il est accueilli par le jeune maire et député (RDA, Rassemblement démocratique africain, apparenté PC) du territoire, Ahmed Sékou Touré. Du haut de ses 36 ans, vêtu de son boubou blanc, signe de son africanité, il oppose au vieux général, âgé de 67 ans, un discours fort: «Nous ne renoncerons pas et nous ne renoncerons jamais au droit légitime et naturel à l’indépendance.»

«Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage»

Le chantage à l’aide française n’a pas marché avec le jeune leader guinéen qui, fidèle aux rêves de l’époque, croit en une «Afrique libre et décomplexée, anti-colonialiste, panafricaniste». Il lance à de Gaulle une phrase qui restera dans la légende politique du continent: «Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage.» 

Ce à quoi le général répond: «On a parlé d’indépendance. Et bien, je le dis ici plus haut qu’ailleurs, l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre en disant “non” à la proposition qui lui est faite et, dans ce cas, je garantis que la métropole ne s’y opposera pas.» Et il ajoute: «Elle en tirera, bien sûr, des conséquences, mais d’obstacles elle n’en fera pas et votre Territoire pourra comme il le voudra et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra.»

Selon les témoins de l’époque, le général de Gaulle est furieux. Il dira à ses proches: «La Guinée, Messieurs, n’est pas indispensable à la France. Qu’elle prenne ses responsabilités. (…) Nous n’avons plus rien à faire ici. Le 29 septembre, la France s’en ira.» Vexé, le chef du gouvernement français annulera toutes les réceptions prévues, ne dînera pas avec Sékou Touré comme convenu initialement.

95% de «non» en Guinée

Un mois plus tard, le 28 septembre, lors du référendum constitutionnel, tous les territoires d’Afrique (et surtout la métropolie) votent «oui»… sauf un: la Guinée. 95,2% des électeurs votent «non», alors que dans quasiment tous les autres futurs pays africains, le «oui» l’emporte avec des majorités dépassant les 90% (à l’exception de Magagascar, 77%, la future Djibouti (75%) et le Niger (78%).

Le «non» l’ayant emporté, la Guinée proclame son indépendance le 2 octobre. Mais les conséquences sont rapidement visibles. La France se retire brutalement. «Le 29 septembre, le gouverneur français informe Sékou Touré qu’à partir du 30, Paris mettra fin à toutes les aides jusqu’alors consenties et retirera son personnel technique, y compris les forces armées», rappelle un universitaire.

Le nouveau pays recherche des appuis en Afrique, auprès de Kwame N’Krumah (alors Premier ministre du Ghana) notamment, tandis que le monde soviétique propose de combler le départ des Français. Finalement, les relations avec la France se normalisent dans le milieu des années 60. Sékou Touré restera au pouvoir jusqu’à sa mort en 1984. Son geste historique restera cependant terni par sa gestion dictatoriale.





Sommet de Paris sur le financement des économies africaines [Déclaration finale]


Afrique


Le président français, Emmanuel Macron a réuni à Paris plusieurs dirigeants africains et européens, dans le cadre du sommet sur le financement des économies africaines. Objectif : aider les pays d’Afrique à s’extraire du piège de la dette et financer leur développement futur. 

Une trentaine de chefs d’État et de Gouvernement ainsi que des dirigeants d’organisations internationales y participaient 

Ce Sommet faisait suite à la diffusion d’une tribune de 18 dirigeants africains et européens, publiée le 15 avril 2020, en faveur d’une mobilisation de la communauté internationale pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique causée en Afrique par la pandémie.

Déclaration finale _ Sommet sur le financement des économies africaines [source: elysee.fr]





Almamy Bokar Biro et la France coloniale [Archives de la presse française]


RetroGuinée


GuineePolitique republie ces extraits qui présentent la version de la presse française de l’époque sur Almamy Bokar Biro Barry figure historique guinéenne.





Fouta Djalon, histoire d’une conquête [Archives de la presse française]


RetroGuinée


GuineePolitique republie ces extraits qui présentent la version de la presse française de l’époque sur la conquête du Fouta Djalon.





Almamy Samory Touré, les circonstances de son arrestation [Archives de la presse française]


RetroGuinée


GuineePolitique republie ces extraits qui présentent la version de la presse française de l’époque sur les circonstances de l’arrestation de ALMAMY SAMORY TOURE figure historique guinéenne. Le journal Mémorial de la Loire du 24 juin 1900 raconte le film des évènements.

La version PDF





Arrestation du roi de Labé, Alpha Yaya Diallo [Archives de la presse française]


RetroGuinée


GuineePolitique republie ces extraits qui présentent la version de la presse française de l’époque sur les circonstances de l’arrestation de Alpha Yaya Diallo figure historique guinéenne.

Le gouverneur de la Guinée a eu connaissance des agissements de ce chef qui avait trouvé moyen d’équiper clandestinement un corps bien constitué de deux mille cavaliers armés de fusils à tir rapide, qu’il faisait venir de la colonie portugaise.

Extrait: Journal l’Eclair du jeudi 23 novembre 1905

Lorsqu’il fut arrêté, en 1905, Alpha Yaya était un véritable monarque.

Extrait: Journal le Petit Parisien du lundi 28 août 1911

La version PDF à télécharger





Pour la France «le caractère non inclusif de ces élections [ ] n’a pas permis la tenue d’élections crédibles» en Guinée


Guinée – Point de presse de la porte-parole (24 mars 2020)

La France suit avec préoccupation la situation en Guinée, après
l’organisation, ce dimanche 22 mars, d’élections législatives et d’un
référendum en vue d’un changement de Constitution. Elle condamne les
actes de violence qui ont entraîné, durant cette journée, la mort de
plusieurs Guinéens.

Le caractère non inclusif de ces élections et non consensuel du
fichier électoral, ainsi que le rôle joué par des éléments des forces de
sécurité et de défense excédant la simple sécurisation du processus,
n’ont pas permis la tenue d’élections crédibles et dont le résultat
puisse être consensuel. La France relève aussi l’absence d’observation
régionale et internationale à l’occasion de ce double vote.

La France soutiendra les initiatives de la CEDEAO, de l’Union africaine et de l’OIF pour désamorcer les tensions en Guinée et restaurer rapidement un dialogue entre toutes les parties. Elle appelle tous les acteurs guinéens, quels qu’ils soient, à la responsabilité et à la plus grande retenue.


diplomatie.gouv.fr





Examen périodique universel : la Guinée sur le banc des accusés à Genève


Après 2010 et 2015, la Guinée de retour à Genève pour son troisième cycle dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU) qui consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Ce mardi 21 janvier 2020, la délégation guinéenne conduite par le ministre de la justice garde des sceaux Mamadou Lamine Fofana était à la 35e session de l’examen périodique universel pour présenter le rapport national de la Guinée sur la situation des droits de l’homme et écouter les recommandations des autres pays membres.

La France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le Canada n’ont pas manqué d’exprimer leurs inquiétudes suite aux violences meurtrières enregistrées ces derniers temps en Guinée.

Nous vous proposons quelques extraits des interventions

Etats-Unis, Mr. Philip Martin Cummings
France, Mr. François Gave

Voir d’autres extraits sur le fil Twitter @RIFCHEDIALLO


L’Examen
périodique universel (EPU) est un processus unique en son genre. Il consiste à
passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans
le domaine des droits de l’homme. Il s’agit d’un processus mené par les Etats,
sous les auspices du Conseil des droits de l’homme. Il fournit à chaque Etat
l’opportunité de présenter les mesures qu’il a pris pour améliorer la situation
des droits de l’homme sur son territoire et remplir ses obligations en la
matière. Mécanisme central du Conseil des droits de l’homme, l’EPU est conçu
pour assurer une égalité de traitement à chaque pays.

L’Examen
périodique universel (EPU) a été établi par la résolution 60/251 de l’Assemblée
générale des Nations Unies, résolution adoptée le 15 mars 2006 et qui est à
l’origine de la création du Conseil des droits de l’homme. Ce processus, basé
sur la coopération, a permis à fin octobre 2011, d’examiner la situation
des droits de l’homme des 193 Etats membres de l’ONU. Aucun autre mécanisme
universel de ce type n’existe à l’heure actuelle. L’EPU est un des piliers sur
lequel s’appuie le Conseil : il rappelle aux Etats leur responsabilité de
respecter pleinement et de mettre en œuvre tous les droits de l’homme et
libertés fondamentales. L’objectif ultime de l’EPU est d’améliorer la situation
des droits de l’homme dans tous les pays et de traiter des violations des
droits de l’homme, où qu’elles se produisent.


L’intégralité du passage de la Guinée ici





La si préoccupante crise politique guinéenne


RÉACTIONS. En interne ou à l’international, personnalités, partis, ONG et presse y vont de leur commentaire. Tous s’accordent à dire que l’heure est grave.

La répression a eu raison de la contestation guinéenne. Après trois jours de manifestations ayant fait au moins trois morts, le Front national
pour la défense de la Constitution (FNDC), le collectif de partis, de
syndicats et de membres de la société civile qui mène la protestation
depuis trois mois contre un éventuel troisième mandat d’Alpha Condé,
« suspend à partir de ce jour 15 janvier 2020 les manifestations »,
selon un communiqué publié mercredi soir. À travers cette suspension, le
parti vise à « procéder dans le calme à l’enterrement de nos victimes
et permettre aux Guinéens de se réapprovisionner » en produits de
consommation. Lundi, il avait pourtant appelé à une mobilisation
« massive » et « illimitée » à travers le pays. Les victimes de cette
semaine s’ajoutent donc à la vingtaine de civils tués depuis le début de la mobilisation, mi-octobre.

La diplomatie internationale inquiète

Une situation qui fait réagir à l’international. Devant la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale,
le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a notamment
appelé à « l’apaisement » cette semaine, tout en affirmant être
« particulièrement soucieux de la situation en Guinée ». « C’est la
situation la plus sensible aujourd’hui [dans la région] et l’engagement
du président Alpha Condé à demander une réforme de la Constitution ne
nous paraît pas être obligatoirement partagé ni par sa population ni par
ses voisins », a-t-il souligné. L’opposition en Guinée
est en effet convaincue qu’Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015,
entend se représenter fin 2020 alors que la Constitution limite à deux
le nombre de mandats présidentiels. Elle a été confortée dans ses
craintes en décembre quand le chef d’État guinéen, 81 ans, a indiqué
qu’il comptait soumettre aux Guinéens un projet de nouvelle Constitution, même s’il ne s’est pas exprimé sur ses intentions personnelles.

L’homologue de Jean-Yves Le Drian, Mamadi Touré, n’a guère apprécié la réaction française. Vendredi, il a rétorqué que « la République de Guinée, respectueuse de la souveraineté de tous les États, reconnaît le droit de tous les peuples du monde de faire le choix de leur avenir et de décider de leur destin. Tout comme ouverte aux débats et à la contradiction propre à la démocratie, la Guinée reconnaît à chacun de ses citoyens et à d’autres le droit et la liberté de donner leurs points de vue sur n’importe quel sujet qui ne peut faire l’unanimité dans aucun pays et dans aucune société démocratique ». « Dans le respect des lois qui la régissent, la République de Guinée rassure tous ses partenaires que ses choix tiendront compte, dans la transparence et l’équité, dans la volonté du peuple seul souverain, de ses engagements internationaux », a-t-il rappelé à la télévision nationale.

Du côté des États-Unis, le ton est le même. Tout en rappelant sa relation amicale avec le président Alpha Condé, Tibor Nagy, le secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines, affirme : « c’est une chose de modifier sa Constitution en donnant la parole au peuple et en suivant un processus clair. Mais là où nous avons un problème, c’est quand les dirigeants changent une Constitution uniquement pour se maintenir en place », déplore-t-il sur les ondes de RFI. « Nous surveillons cela de très près. Il y a eu des événements très inquiétants, avec des violences, des manifestations violentes et une répression violente. Notre ambassadeur est très impliqué et, à Washington, on regarde également cela de très près. » Sur le changement de Constitution proposé aux Guinéens, Tibor Nagy tâtonne. « Dans ma position, il est très inconfortable de dire : ceci peut avoir lieu ou pas, ceci est bien ou mal. Car au bout du bout, ce n’est pas aux autres pays ou à quiconque d’autre de décider, c’est au peuple. Le pouvoir doit rester au peuple. »

Une crise « préoccupante » pour l’Afrique

En Afrique, peu de réactions du côté des institutions et des personnalités. L’ancien président béninois Nicéphore Soglo n’a cependant pas mâché ses mots à l’égard d’Alpha Condé. « La période des monarchies qui ne disent pas leur nom est révolue. La balle est dans son camp », a-t-il assuré après une semaine en Guinée, dans le cadre d’une mission organisée par le National Democratic Institute (NDI) en collaboration avec la Fondation Kofi Annan à l’approche des élections législatives. « Faire une nouvelle Constitution, effacer ce qu’il s’est passé avant et recommencer… ces tours de passe-passe, personne ne l’accepte plus désormais », a affirmé l’ex-chef d’État à la BBC. « C’est l’un des éléments qui fait marcher les gens dans la rue, avec la répression qu’on a […] Comme l’a dit Goodluck Jonathan [qui a accompagné Nicéphore Soglo en Guinée, NDLR], il ne faut pas attendre qu’il y ait des génocides pour intervenir. » 

Des inquiétudes partagées également par les chefs religieux chrétiens de Guinée. Dans un communiqué publié par le site d’informations guinéen Le Djely, ils constatent « avec une vive préoccupation les crises sociopolitiques récurrentes qui troublent et endeuillent fort malheureusement l’ensemble du peuple de Guinée ». Et déplorent « la situation sociopolitique que traverse [le] pays aujourd’hui, situation émaillée de tueries, de pillages, d’agressions violentes, de ruptures, de dialogues, d’injustice, d’impunité, d’incivisme, du non-respect des textes ».

Le calme avant « la tempête » ?

Pour la presse de la région, aussi, la situation en Guinée est préoccupante. Pour le quotidien burkinabé Le Pays,
Alpha Condé ne renoncera pas à sa feuille de route. « Tout porte à
croire que malgré la clameur, le président Condé – qui est toujours
resté droit dans ses bottes face à la mobilisation de son peuple tout en
faisant la sourde oreille aux appels à la – est décidé à aller jusqu’au
bout de sa forfaiture qui fait de moins en moins l’objet de doute »,
est-il écrit dans un article publié le 16 janvier. « Quoi qu’il en soit,
avec la montée en flèche de la tension, la situation en Guinée est
devenue fort préoccupante », poursuit le journal.

Dans son dernier rapport mondial sur les droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW) n’est, elle non plus, pas tendre avec la Guinée. Pour l’ONG, il y a eu, en 2019, une répression croissante des libertés de réunion et d’expression. « La répression brutale des manifestations par le gouvernement guinéen et l’impunité quasi totale pour les abus commis par les forces de sécurité est la recette d’une détérioration préoccupante de la situation en matière de droits humains », avait d’ailleurs déjà affirmé en octobre Corinne Dufka, du bureau Afrique de l’Ouest de HRW. « Au lieu d’arrêter des dirigeants de la société civile, le gouvernement devrait enquêter sur les inquiétantes allégations de violences, y compris par les forces de sécurité, et sanctionner les responsables. »

Une opinion répétée dans le rapport publié ces derniers jours. Et que les autorités guinéennes, à l’image du ministre guinéen de la Sécurité et de la Protection civile, Damantang Albert Camara, n’ont guère apprécié. « Nous sommes conscients qu’il y a un enjeu très important à déterminer les violences qui se déroulent pendant les manifestations, à rechercher les auteurs des crimes qui font aussi mal au gouvernement. […] Cette volonté, nous la partageons, à condition que cela se passe dans la sérénité et qu’il n’y ait pas, des fois, des prises de position qui ne se justifient pas », a-t-il réagi. Pour Le Pays, la crise en Guinée n’en est en tout cas qu’à ses débuts. « On se demande si la trêve annoncée n’est pas une veillée d’armes qui annonce une grande tempête », s’inquiète le journal. Les prochaines manifestations, annoncées par le FNDC les 21 et 22 janvier prochains, donneront le ton.


Cet article est republié à partir de lepoint.fr. Lire l’original ici





Réformé, le franc CFA va glisser vers l’Éco


Un accord franco-africain pour un changement de nom du franc CFA vers l’Éco a été décidé. L’annonce a été faite à Abidjan par les présidents Ouattara et Macron.

Le pas presse dans les relations financières entre les pays africains de la zone franc et la France. À l’occasion de la visite du président Macron en Côte d’Ivoire, le président Ouattara a annoncé que huit pays d’Afrique de l’Ouest et la France ont décidé une réforme d’envergure du franc CFA. « Le franc CFA a été un outil essentiel, mais nous devons entreprendre des réformes encore plus ambitieuses afin de consolider notre dynamique de croissance, préserver le pouvoir d’achat de nos populations », a dit le président ivoirien, qui a tenu à préciser qu’il s’agit là d’une « décision prise en toute souveraineté ». Le premier changement va concerner la dénomination de la nouvelle monnaie. Ce sera l’Éco. « Nous avons décidé une réforme du franc CFA avec trois changements majeurs […], dont celui du nom », « l’arrêt de la centralisation de 50 % des réserves au Trésor français ». Point important : il n’y aura désormais plus de représentants français siégeant au sein des instances de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Réaction du président Emmanuel Macron : il s’est félicité de la « réforme historique majeure » que représente cet accord. « L’Éco verra le jour en 2020, je m’en félicite », a déclaré le président français ce samedi au cours d’une conférence de presse avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara. « Le franc CFA était perçu comme l’un des vestiges de la Françafrique », a-t-il estimé, expliquant que c’est en entendant la jeunesse africaine qu’il a voulu engager cette réforme. « Le franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu’elle juge post-coloniale. Donc rompons les amarres », a-t-il poursuivi.

Une décision « historique » qui accompagne la mise en place de l’Éco

L’annonce
de cet accord intervient au moment où la Communauté économique des
États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) exhorte plus que jamais ses États
membres à poursuivre les efforts visant le respect des critères de
convergence requis pour la mise en œuvre de la monnaie commune si l’on
en croit, cité par l’AFP, Jean-Claude Kassi Brou, président de la
Commission de la Cédéao à la clôture d’un sommet extraordinaire des
chefs d’État à Abuja.

Quel est le cadre prévu à cet effet ? D’abord, ce sera celui des critères clés de convergence. Il est prévu qu’ils restent en dessous de 3 % du Produit intérieur brut quant au déficit, de 10 % pour l’inflation, avec une dette inférieure à 70 % du PIB. En tout cas, tout en se félicitant des « progrès enregistrés », la conférence a demandé au comité ministériel en charge du dossier d’« accélérer » ses efforts en vue de « la création de l’union monétaire de la Cédéao en 2020 ». Les chefs d’État des 15 pays de la région ont par ailleurs adopté le symbole de l’Éco – « EC » – ainsi que le nom de la future banque centrale de la Cédéao, la « Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest ».

Pas de calendrier annoncé officiellement…

Interrogée par l’AFP en marge du sommet, Zainab Shamsuna Ahmed, ministre des Finances du Nigeria, poids lourd économique régional, s’est montrée cependant prudente, affirmant que la mise en œuvre de l’Éco en 2020 « n’est pas certaine ». « Il reste encore du travail à faire individuellement pour répondre aux critères de convergence », a-t-elle souligné. Selon la ministre, le principe acté est que les pays doivent avoir rempli ces critères « trois années de suite », ce qui est uniquement le cas du Togo pour l’instant. « Beaucoup de nos pays n’ont pas été en mesure de le faire, il y aura donc une session de surveillance pour évaluer les progrès des pays, puis une autre réunion en juin [2020] pour faire le point », a-t-elle affirmé.

… mais la fin d’une époque

Quoi qu’il en soit, il faut retenir que les changements qui vont être opérés autour du franc CFA confirmés par les présidents Ouattara et Macron mettent fin à une situation particulière au sein de la Cédéao. Jusqu’à présent, les monnaies au sein de l’organisation économique régionale se divisaient en deux camps : d’un côté, celui des huit pays utilisant le franc CFA, dont la parité fixe est arrimée à l’euro, et celui de sept autres pays avec autant de devises qui ne sont pas convertibles entre elles.

Pour rappel, établi en 1945, une quinzaine d’années avant l’indépendance des colonies françaises, la valeur du franc CFA est aujourd’hui indexée sur l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA). Les États utilisant le CFA devaient par ailleurs déposer 50 % de leurs réserves en France. En contrepartie, leur convertibilité illimitée avec l’euro leur donnait une crédibilité internationale. C’est désormais terminé pour les réserves et aussi pour la présence de Français dans les organes de gouvernement de la BCEAO, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest. Malgré tout, la France va continuer à accorder sa garantie. Voilà donc un chantier monétaire nouveau qui s’ouvre et qui promet bien des débats. Il se greffe à une question sur la table depuis des années, celle d’une devise unique dans la région qui a longtemps suscité les réticences du Nigeria, lequel exigeait que l’éventuelle monnaie commune soit déconnectée du Trésor français. Il semble qu’un verrou soit sur le point de sauter. Reste à savoir les modalités précises des changements opérés au niveau du franc CFA et leur adaptabilité à la nouvelle donne d’une greffe avec d’autres monnaies qui, elles, ne bénéficient pas de la garantie du Trésor français.


Le Point





Quel avenir pour le franc CFA? [Édito François Lenglet]


ÉDITO – La semaine du 16 décembre, Emmanuel Macron se rend en Afrique, où il évoquera notamment l’avenir du franc CFA, une monnaie très critiquée par bon nombre d’États africains comme n’étant plus adaptée aux réalités économiques modernes.


Emmanuel Macron se rend en Afrique la semaine du 16 décembre pour parler de l’avenir du franc CFA. Il doit notamment rencontrer le président de Côte d’Ivoire pour évoquer ce legs de l’histoire coloniale : il s’agit d’une monnaie liée à l’euro par un taux de change fixe, gérée par la France, et utilisée par 14 pays africains (8 en Afrique de l’Ouest dont la Côte d’Ivoire et le Bénin et 4 en Afrique centrale dont le Gabon).

Lancé en 1944, ce franc CFA a été pensé pour
créer un espace économique intégré, principalement au bénéfice des
entreprises françaises. Mais aujourd’hui, la contestation monte dans beaucoup de pays africains, qui veulent retrouver leur souveraineté monétaire.
Le mois dernier, c’est le président du Bénin qui indiquait vouloir
rapatrier les réserves monétaires des pays africains concernés. En Afrique de l’Ouest, il y a même un projet de monnaie commune alternative entre plusieurs pays : l’Eco.

Le CFA déséquilibre les pays

Aujourd’hui,
la moitié des réserves monétaires des pays qui utilisent le franc CFA
son déposées à la Banque de France, qui les rémunère à 0,75%
.
Mais l’influence de la France est aujourd’hui déclinante en Afrique, au
profit de la Chine et de la Russie notamment. La survivance du CFA
apparaît donc un peu baroque aujourd’hui. L’Élysée semble prête à accompagner cette évolution.

Pour les 14 pays concernés, le franc CFA représente à la fois des inconvénients et des avantages. D’abord, l’euro est une monnaie beaucoup trop forte pour les économies africaines,
qui les empêche d’être compétitives sur les marchés extérieurs. À
l’inverse, une monnaie forte facilite leurs importations, ce qui
déséquilibre commercialement les pays de la zone CFA.

L’indépendance monétaire est illusoire

Par ailleurs, le CFA englobe des pays aux réalités très différentes : rien à voir entre l’économie pétrolière du Gabon et une zone sahélienne dominée par l’agriculture. Pour cette raison, le FMI a longtemps été très critique sur la zone franc. 

Mais le CFA est une monnaie stable
: cela empêche les 14 pays qui l’utilisent de connaître l’inflation et
les crises monétaires qui touchent bon nombre de leurs voisins. En
contrepartie du handicap de compétitivité, ils bénéficient de la
crédibilité de l’euro.

Dans l’idéal il faudrait faire évoluer le système vers un taux de change ajustable garanti par la France, avec la souplesse nécessaire pour dévaluer en cas de besoin. Bien sûr, cela ne donnerait pas aux pays africains une souveraineté intégrale. Mais pour des petits pays africains ou européens, l’idée d’une indépendance monétaire totale est largement illusoire dans un monde où les capitaux sont libres : il n’y a que les États-Unis qui en profitent.


Cet article est republié à partir de rtl.fr. Lire l’article original





Les Russes et le «petit bijou» de la Guinée [Octobre 2009]

« C’est une expropriation illégale ! », a déclaré, furieux, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov. Le 10 septembre, la justice guinéenne a en effet annulé la vente de l’usine de bauxite Friguia au moscovite Rusal, estimant que le prix payé en 2006 était trop bas. C’est le dernier épisode de la bataille qui oppose les salariés à l’entreprise, accusée de laisser dépérir le site, fleuron de l’économie nationale, tout en durcissant les conditions de travail au nom de la crise.

Des arbres centenaires, des ouvrages coloniaux, un paysage de forêts denses et de rocs verdoyants ; puis, soudain, grandeur nature, apparaît l’image reproduite sur les billets de banque guinéens : les mines de bauxite de Fria, à deux heures de route au nord de Conakry. Trois immeubles en béton, ornés de milliers de balcons et de presque autant d’antennes paraboliques : ce sont les logements construits par le groupe Pechiney pour ses expatriés, maintenant une présence économique de la France à l’époque où le général de Gaulle, vexé par le rejet de la population locale (1), prenait subitement ses distance avec la Guinée, en 1958. Fièrement affiché se détache le slogan de Russki Alumini (Rusal), l’entreprise russe qui a acheté le « petit bijou » privatisé de la Guinée : « Responsabilité, fiabilité, compétence. »

Au huitième étage, M. Bakary Kourouma décroche un tableau. Petit
cadeau remis par l’entreprise à la fête des métallurgistes, en 2006, ce « diplôme d’honneur » félicite cet ouvrier qualifié « pour le service rendu à son département et sa contribution au développement de l’usine ».
Il gagne environ 900 000 francs guinéens (120 euros) pour gérer le
groupe électrique et l’approvisionnement de la ville en eau, qui dépend
entièrement de l’entreprise. Mais, corrige-t-il, tout compte fait — « pour maman, 200 000 francs ; pour papa, 100 000 ; 100 000 pour ma sœur et mon frère ; 50 000 pour téléphoner ; 50 000 de taxi-moto pour aller travailler… » —,
il ne gagne que 15 euros par mois. M. Kourouma travaille sous les
ordres de cadres qui logent dans une vaste villa que l’on voit du
balcon. Les barbelés qui l’entourent protègent, outre quarante expatriés
russophones, une piscine.

Il y a à peine soixante ans ne se dressaient ici que les quelques
cases d’un village aujourd’hui rayé de la carte, Kimbo. Il a laissé la
place à une cité de soixante mille habitants organisée autour de la « première usine d’alumine en terre africaine ».

Une ville-usine à l’européenne

Au début de l’année 1957, la compagnie Fria se constitue avec la participation d’entreprises américaine, françaises, anglaise, suisse et allemande (2). La responsabilité de la construction et de l’exploitation est toutefois confiée intégralement à Pechiney. En 1973, Fria devient la société d’économie mixte Friguia, avec la Guinée comme actionnaire majoritaire (51 %). Pechiney se retire en 1997, laissant l’entreprise à l’Etat pour 1 dollar symbolique. Il y a six ans, l’usine privatisée était cédée à Rusal.

Sous des nuages de poudre de bauxite, Fria se présente comme une ville-usine à l’européenne, avec ses cités ouvrières hiérarchisées par niveau de qualification, ses cheminées, ses hauts-fourneaux et ses « constructions sociales » — stades, maisons de jeunes, piscine —, expression du paternalisme affiché par le fleuron français de l’aluminium, Pechiney (3). La Guinée détiendrait près de seize milliards de tonnes de bauxite, soit un bon tiers des réserves mondiales connues de ce minerai, à la base de l’aluminium. Assez pour s’assurer, au rythme actuel, seize siècles de production… Cela représente en 2009, avec le fer, les diamants et l’or, 20 % du produit intérieur brut (PIB) du pays et 80 % de ses exportations.

Depuis l’effondrement des cours à l’automne 2008  (4), les mille deux cents ouvriers — et les mille six cents employés de sociétés sous-traitantes — sont confrontés au refus de la direction de remplacer certaines machines. « On fait tourner l’usine en bricolant, en remplaçant les pièces d’une machine par celles d’une autre, raconte un ouvrier. Les fournisseurs ont accumulé tellement de factures impayées qu’ils ont suspendu toute livraison de marchandises. » La direction, invoquant la crise, refuse également toute hausse de salaire et reste une des seules entreprises minières en Guinée à ne pas appliquer le salaire minimum national, soit 2,5 millions de francs guinéens (330 euros).

Les salariés sont invités à se « responsabiliser », peut-on lire dans le bulletin hebdomadaire de l’entreprise La Voix de Rusal (mai 2008) : « Si chacun prenait à bras-le-corps ses responsabilités, notre usine se porterait mieux et marcherait comme sur des roulettes. » Au lieu de se plaindre de la dégradation de l’outil industriel et de l’autisme des Russes, qui vivent entre eux et ont « écarté les Guinéens de tout poste de direction », les ouvriers devraient, selon le journal, se demander : « Que puis-je faire pour aider l’usine dans cette situation difficile ? Qu’ai-je fait, personnellement, pour la réduction des frais, pour l’amélioration de la productivité ? »

Un an auparavant, pour contrer les protestataires qui reprochaient à
l’usine les coupures de courant récurrentes dans la ville, Rusal a même
organisé… un concours de dessins d’enfants sur le thème : « Je sais économiser l’électricité »…
Personne ne se leurre. Vieil ouvrier formé par Pechiney, M. Ibrahima
Diallo Taribé, aujourd’hui chef de gare, dit ne pas connaître les « mécanismes mondiaux de l’aluminium »,
mais il ne lui a pas échappé qu’en 2008 Rusal est devenu le deuxième
groupe mondial du secteur. Son patron, M. Oleg Deripaska, dixième
fortune de Russie, est un proche de M. Vladimir Poutine.

Sous son gilet orange de sécurité, M. Gennadiy Ulyanich, chargé de la
communication du groupe, a enfilé la chemise des Peuls, une des ethnies
de Guinée. Il faut bien un peu de couleur locale pour faire passer la
pilule de la « crise ». Dans son bureau, face à une photo de ses enfants restés en Ukraine, il met la dernière main à La Voix de Rusal, digne héritière du Bulletin Pechiney.

Entre deux relectures d’articles qu’il doit systématiquement envoyer
en Russie pour validation, M. Ulyanich confie son malaise : « A
Moscou, ils ne se rendent pas compte qu’il y a ici des pères de famille
dans la difficulté, et que chaque ouvrier a des dizaines de bouches à
nourrir. »
Il confie, mi-fier, mi-inquiet : « Les Guinéens m’ont dit que le jour où ils nous chasseront, je serai le seul dont ils auront pitié ! » Et le cadre ukrainien de voir « les Chinois » succéder à Rusal.

Début avril 2009, les ouvriers de Friguia choisissent de réagir en faisant grève. Ils en appellent au capitaine Moussa Dadis Camara, qui a succédé au président défunt Lansana Conté (5) à la suite d’un putsch, en décembre 2008. Les travailleurs chassent de Fria la direction de Rusal. Le capitaine Camara tance l’entreprise tout en exigeant des ouvriers qu’ils reprennent le travail. Début juin, les plus bas salaires sont relevés de 40 euros par Rusal, mais l’entreprise refuse toujours d’appliquer le salaire minimum.

Dans une cour de la « cité célibataires »,
un quartier composé d’immeubles aux petites pièces lézardées équipées
d’un lavabo, une dizaine de salariés bravent l’interdiction que la
direction leur a faite de parler aux journalistes. Manœuvres ou employés
de sous-traitants, ingénieurs ou agents de maintenance, ils ne sont pas
dupes des « efforts » qu’on prétend leur imposer au nom de la crise mondiale : « Les Russes nous demandent d’accepter de vivre mal pour que le groupe reste. C’est du chantage ! »

« Quand ils sont arrivés, ils ont promis aux habitants qu’ils conserveraient tous les avantages, se souvient M. Mamadi Kourouma, membre de la Confédération guinéenne des syndicats libres (CGSL), majoritaire dans l’usine. Mais
on n’entend que le discours sur la réduction des coûts. Auparavant,
nous avions nos logements entretenus par l’entreprise, pas de coupures
de courant et des aliments moins chers, avec l’épicerie pour ouvriers
Economat.
 » Ce salarié de 29 ans,
qui n’a pourtant connu que l’épilogue de l’époque Pechiney, exprime
l’idéalisation du groupe français qui habite la population — et le rejet
des Russes qui l’anime.

Les nombreux « avantages »
dont les habitants ont hérité sont en effet dans des états variables :
s’ils disposent d’un centre de formation flambant neuf, les équipements
sportifs (stades, piscine, pistes d’athlétisme) sont vétustes ; l’eau et l’électricité, jadis gratuites, contingentées ; le jardin d’enfants a été fermé ; le service de transport des missionnaires et des familles pour Conakry a été confié à la sous-traitance ; l’« hôpital Pechiney »,
comme l’appellent les habitants, longtemps reconnu comme le meilleur de
Guinée, a vu son budget diminuer et n’est plus systématiquement
approvisionné en médicaments. En revanche, les logements sont demeurés
gratuits.

Face à la hausse du prix de l’essence et des denrées alimentaires, la
population de Fria a organisé, début mars 2009, une marche de soutien
au régime putschiste qui promet de « lutter contre la corruption » et de « renégocier tous les contrats miniers ».
L’ombre de l’ancien président, grand fossoyeur de l’économie du pays —
ses propres fils étaient à la tête de vastes réseaux de drogue, de
prostitution et de corruption —, plane sur ce qu’il convient d’appeler
l’« affaire Fria », parfaite illustration du « bradage » des ressources nationales à des groupes étrangers, prospérant dans un pays qualifié par ses propres habitants de « scandale géologique ».

Au cœur de la réprobation populaire : le prix de rachat de l’usine
(environ 14 millions d’euros) par Rusal, en 2003, alors que des cabinets
d’audit l’estimaient à 175 millions d’euros. Le 10 septembre, le
tribunal de première instance de Conakry a invalidé la vente, mais Rusal
peut faire appel, soutenu par Moscou, ou tenter de renégocier.

Nostalgie d’une époque révolue

Monsieur Pavel Ovchinnikov, le directeur, se défend de vouloir fermer l’usine tout en soulignant que « la consommation d’aluminium dans le monde a atteint son niveau le plus bas depuis vingt-deux ans ». Il rappelle que « la Russie s’est toujours comportée en partenaire de confiance du développement économique des pays africains ».
Et il relate volontiers la façon dont, dans les années
postindépendance, Moscou et Pékin ont sondé le sous-sol du frère
guinéen, coopérant dans le domaine universitaire ou commercial, offrant
même au pays… des chasse-neige, en témoignage de l’amitié
soviéto-guinéenne, tandis que Sékou Touré, prix Lénine pour la paix en
1961, envoyait à Moscou les artistes des Ballets africains. Quarante ans
plus tard, les Russes sont également chargés de l’exploitation de
vastes gisements de bauxite à Kindia, en Basse-Guinée, à travers la
Compagnie des bauxites de Kindia (CBK).

A l’« hôpital Pechiney », M. Alpha Hassimiou Diallo, médecin en chef, se fait l’avocat du diable. « Il faut bien se serrer la ceinture »,
estime ce praticien qui, du fait de son expérience dans les hôpitaux de
la région parisienne, s’est habitué aux discours sur la réduction des
coûts. « Chez vous aussi, on commence à ne plus rembourser certains médicaments, non ? » Pour lui, la qualification d’« hôpital mouroir » est infondée et traduit seulement la nostalgie d’une époque révolue. « Ici, 100 %
des frais sont assurés par Rusal. C’est un hôpital pour les
travailleurs et leurs familles, mais le reste de la population continue
de venir parce que l’établissement a la réputation d’être le meilleur de
Guinée. »
Pourtant, le groupe russe n’a pas renouvelé les appareils de l’hôpital depuis 2007.

A Fria, crise ou pas, les trains de bauxite continuent de partir tous les jours pour Conakry. Lorsque le convoi siffle dans la capitale, les vieillards, se tenant droits, contemplent d’un air admiratif les seuls chemins de fer encore en activité, avant de saluer les richesses du pays qui leur filent sous le nez. Et les jeunes Guinéens (60 % de la population) se bouchent les oreilles et défient du regard l’arrivée des wagons — qui les plonge dans des nuages de poudre blanche. Le long de la voie, à Conakry, l’alumine colle à la peau des habitants. Elle scelle cinquante et un ans d’indépendance du seul pays qui osa dire « non » à la France (6), et dont on affirme qu’il fut le seul à échapper aux réseaux de la « Françafrique ». Le long des routes, des publicités géantes rappellent avec simplicité les slogans naguère usités : « Rusal : pour la Guinée, avec la Guinée. »

Julien Brygo Journaliste. Auteur avec Olivier Cyran de Boulots de merde ! Du cireur au trader, enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers, La Découverte Poche, Paris, 2018.


(1) En 1958, c’est sous l’impulsion d’Ahmed Sékou Touré (1922-1984) que les Guinéens ont rejeté par référendum la participation de leur pays à la Communauté française proposée par le général de Gaulle.

(2) Il s’agissait de l’américaine Olin Mathieson Chemical Corporation (48,5 %), des français Pechiney et Ugine (26,5 %), de The British Aluminium Company Ltd (10 %), d’Aluminium Suisse SA (10 %) et du groupe allemand Vereinigte Aluminium-Werke AG (5 %).

(3) A propos du paternalisme de Pechiney, cf. Céline Pauthier, « Fria, une ville-usine en Guinée », université Paris-VII (Denis-Diderot), 2001-2002, p. 17.

(4) A la fin du quatrième trimestre 2008, la tonne d’aluminium s’échangeait à moins de 1 500 dollars (1 000 euros) contre 2 450 dollars (1 700 euros) au troisième trimestre.

(5) Lire Odile Goerg, « Fin de règne sans fin en Guinée », Le Monde diplomatique, avril 2006.

(6) Lire Michel Galy, « Le vol suspendu de la Guinée », Le Monde diplomatique, décembre 2003.

monde-diplomatique




Crise politique : Communiqué des Missions diplomatiques en Guinée

Communiqué des Missions en République de Guinée des Nations Unies, de la CEDEAO, de la Délégation de l’Union européenne, des Etats-Unis, de France, de Belgique, d’Italie, d’Allemagne et du Royaume-Uni.

CONAKRY – 16 OCTOBRE 2019 – La crise politique que traverse la République de Guinée est source de préoccupations pour la communauté internationale. L’insuffisance de dialogue entre les différents acteurs politiques provoque une escalade de la tension avec des recours à la violence, susceptible de porter gravement atteinte aux acquis démocratiques. Nous appelons tous les acteurs à renouer le dialogue dans le cadre du comité de suivi.

La communauté internationale rappelle que le droit de manifester est un élément essentiel de l’expression démocratique, au même titre que la liberté de la presse. Il appartient aux différents acteurs de faire preuve de calme et de retenue en bannissant tout recours à la violence ou un usage disproportionné de la force. Il importe que les libertés fondamentales soient respectées et que le gouvernement guinéen veille à garantir le respect de l’Etat de droit.

La communauté internationale est convaincue que la seule voie vers la stabilité, la croissance et la démocratie réside dans l’esprit de collaboration et de consultation de toutes les parties prenantes afin de développer une Guinée pacifique et prospère. Il est ainsi indispensable d’organiser dans les délais légaux des élections, législatives et présidentielles, libres, crédibles et transparentes, dans le respect du cadre constitutionnel et dans un environnement apaisé. Une éventuelle libération rapide des personnes détenues de façon préventive serait de nature à aider à l’apaisement.

europa.eu