Quel régime pour la Guinée?


Point de vue


Par Pr. Alpha Amadou Bano BARRY (PhD, sociologie)

Au regard de l’histoire politique guinéenne marquée par le même type de régime politique et trois transitions, cet essai se propose de dévoiler les constantes du système politique qui sont au nombre de deux : la primauté du président sur toutes les institutions et celle des partis politiques sur le jeu politique avec le monopole de la candidature aux élections nationales et un système électoral dont les deux tiers des députés sont élus au travers d’une liste nationale. Ce texte a cherché aussi à déconstruire le fondement de la question ethnique en Guinée, sujet récurrent dans les échanges des salons et des bureaux, mais rarement en public. La question ethnique en Guinée est essentiellement politique et sert aux élites à assurer le contrôle de l’État et de ses ressources. Un président fort est le point central du dispositif du contrôle ethnique. Au regard de cette réalité, la Guinée gagnerait à expérimenter un autre système, celui du ticket aux élections présidentielles et d’un système électoral majoritaire à un tour et une forte décentralisation pour rendre le peuple plus responsable de son destin.

Cet essai est mon second sur la question du régime politique en Guinée. Le premier a été publié après 2010 et n’a servi, ni à doter le pays d’une constitution adaptée aux réalités sociologiques de Guinée, ni à éviter une troisième prise du pouvoir par les armes.

En 2023, je refais le même exercice tout en étant conscient que les intérêts sont si antagoniques dans ce pays qu’il est difficile d’arriver à soutenir ce qui ne favorise pas certains groupes. D’autres aussi n’aimeront tout simplement pas cette réflexion qui vient d’un ancien ministre[1] du régime précédent, car il a toujours été un crime de servir son pays en Guinée. Enfin, je sais aussi que les leaders politiques les plus représentatifs dans le paysage politique guinéen ne vont pas aimer. Car tous veulent un régime présidentialiste comme celui en vigueur depuis 1958 dans l’espoir qu’ils en seront les bénéficiaires. N’étant pas constitutionnaliste ni juriste, mon regard ne porte pas sur les règles du droit, mais sur leurs effets attendus ou imprévus sur le système politique et sur la société. Le regard du sociologue glisse en quelque sorte sur le droit, pour « obliquer» vers les contextes sociaux, économiques, politiques, culturels dans lesquels il prend naissance.

Au centre de la préoccupation du sociologue, c’est « l’esprit de la loi », c’est-à-dire ce qui serait le mieux en fonction des réalités sociologiques des populations et de ses élites à un moment donné de son histoire, la prise en compte de la réaction du milieu à la règle du droit avec un focus sur les acteurs et le processus de rédaction et d’adoption d’une constitution.

Durant le symposium organisé par le Conseil National de la Transition (CNT), j’ai eu le privilège d’écouter des sommités sur l’ensemble des composantes du système politique, de l’administration et de l’État. Il m’a été donné d’entendre par certains que la constitution des USA est la plus stable, car elle est dans les principes, la philosophie et laisse à la cour suprême le soin de trancher sur chaque cas qui pose un problème d’interprétation. Mais il est certain que le second amendement de la constitution américaine n’aurait pas été si ce pays n’a pas utilisé les armes pour conquérir son territoire, ni avoir des esclaves qu’il fallait dominer ni une guerre civile. Dans chaque constitution, l’histoire politique et les réalités sociologiques s’incrustent.

D’autres ont insisté pour faire valoir que le meilleur texte constitutionnel ne résoudra pas les problèmes d’éthique, de compétences et de courage des hommes et des femmes en charge d’appliquer et de faire appliquer le droit. On peut néanmoins ajouter que cela n’empêche pas d’avoir des « bons textes », c’est-à-dire des textes qui pourraient prendre en charge les réalités sociologiques et aider à corriger les lacunes. Car même si presque tous les conducteurs de mototaxis de Conakry ne respectent pas les feux de signalisation, personne ne se risquera à recommander qu’on élimine pour autant ces feux ou de ne pas prévoir des sanctions dans le code de la route.

La règle de droit est un discours normatif qui dit ce qui doit être, ce qu’il faut faire ou ne pas faire, et parfois comment le faire, et prévoit la sanction positive ou négative des actions permises, imposées ou prohibées.

Comme norme, la loi ne valide pas seulement une pratique en cours, elle peut aussi vouloir corriger une norme car elle possède une capacité de coercition pour amener la conduite individuelle vers ce qui est prescrit. C’est dans cette logique qu’il faut inscrire la loi sur la polygamie, l’excision et beaucoup d’autres dispositions de normes sociales. Donc, une bonne règle de droit a aussi pour vocation d’imposer une norme juridique pour qu’elle devienne une norme sociale.

Certes, la meilleure constitution n’éliminera pas les « faux démocrates », mais une « bonne loi démocratique » permettra d’avoir des leviers sur lesquels compter pour lutter et protéger les règles démocratiques. Le meilleur exemple de texte de lois ayant changé radicalement les choses est le travail fait par Jerry Rawlings au Ghana avec un système politique qui a permis d’asseoir une alternance démocratique. Ma lecture du marxisme et ma compréhension de la réalité sociale me font admettre que les hommes ne sont pas « bons » ni « mauvais » de façon génétique, ils sont simplement le produit de leur milieu. Si le milieu change, l’environnement impose de nouvelles normes, les Hommes s’ajustent et s’adaptent.

Le défi de la Guinée est, dans cette transition, d’avoir « des textes adaptés à nos réalités ». C’est-à-dire des textes qui corrigent les effets des différentes constitutions sur la société guinéenne. Car certaines des dérives actuelles dans la vie politique ne proviennent pas seulement du « mauvais Guinéen » non courageux, mais des textes comme je vais le montrer dans l’analyse sociologique des constitutions de 1958 à 2020.

LES EFFETS DE CERTAINES DISPOSITIONS DES CONSTITUTIONS DE 1958 A 2020

La Guinée, depuis sa première constitution de 1958, s’est inscrite dans un régime avec une forte primauté du Président de la République sur les autres pouvoirs et institutions de la République.

C’est la première constitution du 10 novembre 1958 qui a conféré au président de la République, en son article 25, l’autorité de nommer « […] à tous les emplois de l’administration publique. Il nomme à tous les emplois et fonctions militaires ». Cette disposition est restée intangible dans toutes les constitutions même si en 2010, un effort non abouti a été tenté pour donner un peu de pouvoir au premier des ministres avec deux articles contradictoires dont l’article 46 qui dit que le président : « nomme en conseil des Ministres aux emplois civils dont la liste est fixée par une loi organique » et l’article 58 qui dispose que : « Le Premier Ministre dispose de l’administration et nomme à tous les emplois civils, excepté ceux réservés au chef de l’État ».

Il était prévu que l’Assemblée Nationale, qui sortirait des urnes à la fin de la transition, devrait se charger de l’élaboration et de l’adoption de cette loi organique. Pendant les 11 ans, cette loi organique n’a jamais vu le jour et les nominations n’ont jamais été faites en Conseil des Ministres.

C’est la constitution de 1982 qui met au-dessus de l’édifice institutionnel le parti unique, le Parti Démocratique de Guinée (PDG) sur l’État et les institutions de la République avec la formule suivante :

a) Que la Nation Guinéenne est née de l’État ;

b) Qu’elle est engendrée par l’action des masses populaires mobilisées au sein du Parti Démocratique de Guinée ;

c) Que c’est le Parti qui a fondé l’État et que cet État ne peut donc que s’identifier au Parti qui l’organise, le dirige et le contrôle, en assumant réellement toutes les fonctions en tant que Parti-État et en œuvrant à la réalisation du Peuple-État.

Les constitutions de 1990 et les suivantes (2010 et 2020) ont aussi gardé les dispositions de l’article 25 de 1958 qui garantit la prépondérance du Président de la République dans l’agencement des pouvoirs, mais celle de 90 dans son article 3 (dans sa première version et dans sa version révisée de 2001) et celle de 2010 ont renforcé de leur côté la puissance des partis politiques en réservant aux seuls partis politiques, le droit de présenter « les candidats aux élections nationales », avec unsystème électoral qui fait élire les deux tiers des députés (76 sur les 114 députés) à la proportionnelle et seulement 38 à l’uninominal.

Les conséquences de l’article 25 et de la suprématie du parti unique ont fait du Président de la République un homme qui règne comme un monarque et qui gouverne seul et parfois avec des hommes de l’ombre qui deviennent plus puissants que ceux en position institutionnelle. Cette prépondérance absolue du président de la République a contribué à affaiblir pratiquement toutes les autres institutions ou à les inféoder à une personne oubliant les remarques de Montesquieu qui disait que : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Le droit accordé aux seuls partis politiques dans la désignation des candidats aux élections nationales (législatives et présidentielles) dans la constitution de 90 et le système électoral qui fait que les deux tiers des députés sont élus sous la bannière des partis politiques sur une liste nationale expliquent la toute-puissance des leaders des partis politiques et la subordination des élites administratives, commerciales et coutumières aux leaders politiques. Car ce sont les leaders des partis politiques qui déterminent les chances des uns et des autres à devenir député par leur positionnement sur la liste à la proportionnelle.

Élu sous la bannière d’une liste nationale d’un parti politique, sans aucun contact avec le peuple et avec la bénédiction des premiers responsables des partis politiques, les députés de la liste nationale n’ont aucune redevabilité envers la population, parce que n’étant pas élus directement par elle. C’est cette disposition qui explique la prolifération des partis politiques (186 semble-t-il). N’ayant pas d’ancrage local, ceux qui veulent devenir député et qui ne peuvent l’obtenir à partir d’un parti établi sont donc dans l’obligation de créer un parti et se présenter sur la liste nationale dans l’espoir de bénéficier du plus fort reste. Ce n’est pas le laxisme des fonctionnaires du ministère de l’administration du territoire dans la création et le contrôle de la fonctionnalité des partis politiques qui explique la prolifération des partis politiques. Ce sont les dispositions des constitutions guinéennes qui expliquent la prolifération des partis politiques et la tribalisation du jeu politique.

Pour corriger ces créations exponentielles des partis politiques, des solutions existent à travers les règles des systèmes électoraux[2] comme le font les pays anglophones et en particulier ce que Jerry Rawlings a fait pour le Ghana[3]. C’est donc en corrigeant ces dispositions institutionnelles dans la future constitution qu’il sera possible de solutionner certains dysfonctionnements actuels. C’est ce dispositif qui est exposé ci-dessous.

COMMENT RATIONNALISER LE NOMBRE DE PARTIS POLITIQUES DANS UN PAYS ?

Cette question sur le nombre de partis politiques en Guinée est dans le débat depuis 1990 avec la proposition du Président Lansana Conté de légaliser 2 partis politiques. Ce débat est redevenu actuel, polluant même la réflexion, après le retour de mission du Conseil National de la Transition (CNT) de l’intérieur du pays avec la demande de la population de réduire le nombre de partis politiques.

Le 5 septembre 2021, suite au changement de régime, avec la dissolution du gouvernement et de l’assemblée nationale, il aurait été plus compréhensible d’accompagner ces mesures par la dissolution des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile au nom de la « refondation ».

En ne le faisant pas à ce moment, il est devenu problématique de proposer dans la nouvelle constitution un système direct de réduction des partis politiques à 2 ou à 3. En 2023, plus de 15 mois après le changement de régime, toute tentative dans ce sens risque de ne pas bénéficier de consensus et pourrait soulever des revendications. D’autant que les plus farouches partisans de cette dissolution des partis politiques sont des leaders politiques qui ne pèsent presque rien sur l’échiquier politique. L’un pourrait justifier l’autre. De par l’expérience universelle, deux procédés existent pour réduire le nombre de partis politiques dans un pays. Il y a la formule directe et celle indirecte. Dans l’article de Jean Laponce (1962) ; « Bipartisme de droit et bipartisme de fait », Revue française de sciences politique, Paris, France, pp. 877-887, il est clairement mentionné que la restriction directe du nombre de parti politique est « d’établir par la loi le nombre des partis politiques autorisés à présenter des candidats aux élections ou bien encore de définir le nombre des partis autorisés à envoyer des représentants au Parlement ». Cet auteur met en évidence que « la limitation du nombre de parti n’est pas en contradiction avec les règles du jeu démocratique »,

De façon indirecte, il est possible d’y arriver aussi par des mesures législatives comme de restreindre le « droit de présenter des candidats aux deux seuls partis ayant obtenu le plus de voix à une élection primaire dans le cadre national ». De même, « la loi peut chercher à agir directement sur le nombre des partis en interdisant la représentation aux partis n’ayant pas obtenu un minimum de voix ». Dans ces conditions, « plus le minimum légal est élevé, plus grande est la pression sur les partis existants pour qu’ils se groupent » et donc se réduisent.

On peut aussi agir en changeant le système électoral. On sait que le scrutin majoritaire contribue fortement à une bipolarisation de l’expression du suffrage politique. Souvent pour obtenir une application stricte du bipartisme, d’autres dispositions complémentaires sont édictées sur les structures internes des partis, en imposant par exemple, comme c’est le cas aux Etats-Unis dans la majorité des États, l’élection des dirigeants du parti par l’ensemble non pas des membres du corps électoral mais seulement des électeurs du parti.

Le Ghana est, en Afrique, l’exemple typique d’un système indirect. Bien qu’ayant seize partis officiellement enregistrés, c’est deux partis politiques (National Democratic Congress, « NDC » et le National People’s Party « NPP ») qui s’alternent au pouvoir.

Le système électoral dans ce pays est fait de sorte qu’il apparaît difficile aux autres partis de remporter une élection. Au Ghana, les 230 membres du parlement du Ghana représentent les 230 circonscriptions du pays. Comme pour l’élection présidentielle, ils sont élus au suffrage majoritaire uninominal. C’est ce modèle qui donne le résultat de cette alternance démocratique tant vantée par les Guinéens.

Avec ce système indirect, le Ghana confirme la théorie de Maurice Duverger[4] qui démontre que le système électoral majoritaire à un tour est de nature à favoriser l’émergence d’un système bipartite. Donc la mesure la plus simple et la moins sujette à discussions pour réduire le nombre de partis politiques est la mise en place d’un système indirect au travers de l’utilisation du système électoral majoritaire à un tour.

Pour mettre en place ce dispositif, on devrait supprimer l’élection à la proportionnelle sur la liste nationale pour n’avoir que des députés élus dans une circonscription électorale et procéder au découpage du territoire national en circonscription électorale en tenant compte de certaines contraintes :

  1. Les préfectures qui ne remplissent pas le nombre d’électeurs requis pour atteindre le quorum doivent néanmoins se faire représenter à l’assemblée par un député élu à l’uninominal ;
  2. Dans les préfectures du pays qui dépassent ce quorum et ne font pas le double ou le triple ou quadruple, on procède toujours à l’arrondissement par le haut pour déterminer le nombre de députés qui sont tous élus à l’uninominal ;
  3. Les Guinéens de l’étranger devront être représentés par des députés élus dans des circonscriptions électorales. Ces circonscriptions peuvent regrouper plusieurs pays mis ensemble si le nombre d’électeurs n’atteint pas le quorum ou d’un seul pays si le nombre d’électeurs est conforme au quorum fixé.

D’ailleurs, personne ne devrait se soucier du nombre et de la gouvernance interne des partis politiques si l’article 3 disparaît. Sans cette disposition, chaque Guinéen qui remplit les conditions d’éligibilité devrait avoir la latitude de se présenter à toutes les élections nationales et locales. Dès que cette disposition sera adoptée, les partis politiques vont se vider de ceux qui y sont pour devenir député ou maire et se rempliront plus tard sur la base de la proximité idéologique.

La question de la tribalisation du débat politique en Guinée vient aussi du système politique avec un président élu seul à la tête d’un parti politique au suffrage universel à deux tours s’il n’a pas la majorité absolue au premier tour. C’est pour cette raison que je vais me permettre de dire quelques mots sur la question ethnique pour la déconstruire, car l’existence des ethnies ne signifie pas que les Guinéens sont des « ethnos ».

LA QUESTION ETHNIQUE EN GUINÉE

Les ethnies existent en Guinée et existeront pour toujours. Certains groupes ethniques actuels, ou qui se considèrent comme tels, n’existaient pas il y a de cela quelques siècles auparavant. D’autres groupes ethniques se sont détachés par la migration et se sont différenciés dans le temps avec des groupes qui les englobaient hier. D’autres enfin qui existaient jadis ont été absorbés au cours des siècles à travers les migrations, les cohabitations, les brassages et les assimilations.

Parmi ceux qui existent, certains vont disparaître, d’autres vont s’agrandir, d’autres enfin garderont l’étiquette et perdront certains de leurs attributs. Bref, les ethnies sont comme un corps : elles naissent, se développent, meurt et renaissent pour certaines et disparaissent pour toujours pour d’autres.

Tous les spécialistes de l’installation des populations que le colon a désigné par « Guinée », s’accordent à reconnaitre que les populations de la Guinée sont originaires du Sahel, à l’exception notable des Mandeyi et des Lomas, et que ces populations sont arrivées sur le territoire guinéen par vagues successives au cours des siècles. Certains des membres de ces groupes ne sont même pas venus ensemble comme les Bagas, les Nalous et les Peuls.

Les groupes ethniques en Guinée (que l’on dénombre à 24) donnent l’illusion à leurs membres d’avoir une origine lointaine commune, un destin identique et des valeurs meilleures que celles des autres. C’est ce sentiment développé et véhiculé qui consolide l’unité du groupe et renforce la solidarité. Pourtant, il n’est pas rare de constater dans la même ethnie, la pratique de plusieurs religions et des variations du phénotype et des ressemblances entre des individus appartenant à des ethnies différentes.

Chaque groupe fait croire, par la socialisation de ses membres, que sa culture, la manière d’être et de vivre sont les seules valeurs respectables. Dans la réalité, les différences affichées et parfois revendiquées ne sont que variations d’adaptation.

Les Guinéens ont une longue histoire commune, une histoire antérieure à celle de l’État guinéen et même à la colonisation. On sait avec certitude que le dessèchement du Sahara et la chute de l’empire du Ghana (vers 1076) ont eu pour conséquence une très grande mobilité des populations africaines de l’Ouest.

Cette mobilité s’est poursuivie et s’est prolongée avec la naissance et la disparition de tous les empires et États de la région (Mali au 13ème siècle, Songhaï au 15ème siècle, Ségou au 17ème siècle, Foutah Djalon et Macina au 19ème siècle, etc.) qui se sont succédé sur ce vaste espace qui va du désert à la lisière de la forêt en passant par la savane et les zones montagneuses du Foutah Djalon.

Cette histoire commune a façonné des liens (parenté à plaisanterie, liens matrimoniaux et autres liens de solidarité) qui soudent la société guinéenne et lui permet d’affronter les vicissitudes du « vivre ensemble ». Les ethnies qui habitent la Guinée sont semblables sur l’essentiel. Le mariage est le lieu privilégié de procréation, le système dominant est le patriarcat et la gérontocratie et la solidarité sont valorisées. Bref, les ethnies ont, pour l’essentiel, les mêmes valeurs. Les différences sont surtout linguistiques et organisationnelles, résultats des particularités historiques, démographiques et d’adaptation à l’environnement de vie. Même linguistiquement, ces 24 groupes ethniques se regroupent en deux familles de langues[5] pour parler comme les linguistes :

  1. Le groupe mandé qui regroupe le maninka, le Koniaka, le sosoxui, le dialonka, le lomagi, le kpèlèwoo etc. et ;
  2. Le groupe atlantique qui regroupe le tanda, le pular, le toucouleur, le kisiéi, le baga, le nalou et même d’autres langues de pays voisins comme le ouolof, le sérère, le diola au Sénégal et le balante en Guinée-Bissau.

Les Guinéens n’ont aucun problème à vivre ensemble, au sein du même quartier, dans la même cour, se marier entre eux, sans aucune considération autre que les sentiments des prétendants et le revenu de l’un ou de l’autre. Certes, les hommes de certaines communautés ont plus de difficulté que d’autres à contracter des liens matrimoniaux dans toutes les communautés et surtout dans toutes les familles.

Dans la vie de tous les jours, la différence ethnique est moins importante que celle en lien avec les classes sociales (pauvres et riches) et aux stratifications sociales (castes et autres catégories stigmatisées).

Ce n’est pas pour rien qu’en dépit des tensions orchestrées par certains acteurs politiques au moment des seconds tours des élections présidentielles, la Guinée n’a jamais basculé dans la guerre civile, ni dans la tentation de la sécession régionaliste. C’est d’ailleurs l’une des particularités de la Guinée : pays fragile sans mouvement sécessionniste.

Ce que tous les Guinéens ont voulu et veulent, en dépit de la suspicion, de la méfiance et de l’instrumentalisation ethnique, c’est d’être des Guinéens avec des droits identiques, des possibilités réelles de s’épanouir, de se réaliser et de pouvoir bénéficier des mêmes droits dans le choix des dirigeants du pays, d’accéder à la présidence de la République, aux hautes fonctions de l’administration publique et aux marchés publics sans aucune discrimination.

On peut dire, et ma spécialité et ma connaissance de la Guinée me le permettent, le problème de l’ethnicité en Guinée porte essentiellement sur l’accès aux ressources de l’État, aux avantages qu’ils procurent, aux privilèges qui s’y rattachent, à savoir :

  1. La présidence de la République et les accessoires que ce régime présidentiel offre, car il est sans contrôle ; les postes de l’administration publique (le président de la République nomme et révoque du plus grand au plus petit fonctionnaire) ;
  2. Les marchés publics (le président de la République attribue, à sa guise, richesses et pauvreté à qui il veut, comme Dieu) ;
  3. Les services sociaux comme les évacuations sanitaires aux frais de l’État et les bourses d’études à l’étranger logées à la présidence de la République.

On peut donc dire que l’ethnicité au niveau des élites administratives, politiques et commerciales est une stratégie individuelle qui permet d’accéder aux ressources de l’État. C’est une stratégie identique qui a été utilisée par certains jeunes après le 5 septembre pour éliminer toute concurrence en obtenant du nouveau chef de l’État qu’il dise qu’il n’y a pas « une école d’expérience » et « pas de recyclage ». L’ethnie, la jeunesse, les femmes, les handicapés ne sont rien d’autres que des variables que certains activent pour éliminer la concurrence, en vendant une catégorie « naturelles » en lieu et place d’une compétence.

Cette stratégie peut devenir collective en raison du fait que celui qui contrôle le pouvoir suprême récompense les membres de son « groupe ethnique » pour service rendu, l’appui à accéder à la présidence.

Contrairement à une idée largement répandue, tous les partis politiques guinéens ne sont pas « ethniques », certains qui ont recours à l’ethnicité le font à leur corps défendant. Rares sont aussi les partis politiques qui ne jouent pas de la corde ethnique à un moment ou à un autre, en des circonstances particulières et en présence de certains enjeux.

Si les partis se servent du fait ethnique ou sont facilement identifiables à des groupes ethniques, c’est parce qu’en dépit de l’existence de la réalité ethnique, les règles juridiques de la Guinée soumettent les candidats à la présidence, surtout au second tour, à l’instrumentalisation de l’ethnie pour gagner l’élection.

Depuis notre indépendance, nous mimons d’autres pays comme si nous avions une même histoire, un même processus de construction étatique et les mêmes populations avec la même sociologie.Le fait de demander que la nouvelle constitution tienne compte de la dimension sociologique ne signifie pas que les Guinéens doivent avoir une « constitution ethnique » comme au Liban ou le Burundi avec un partage ethnique du pouvoir. Cela ne veut pas dire que tous les Guinéens sont des « ethnos », ni plus, ni moins que d’autres Africains dans la sous-région. Il s’agit simplement d’avoir une constitution qui renvoie l’ethnie dans la sphère privée et domestique. C’est ma proposition exposée ci-dessous.

QUELLE CONSTITUTION POUR LA GUINÉE

La configuration ethnique de la Guinée et le passé politique devraient amener le législateur « pouvoir constituant dérivé » à proposer une constitution qui brouille le repérage ethnique en choisissant un régime politique de type présidentiel avec un ticket (président et vice-président), sans un premier Ministre, comme dans le modèle des Etats-Unis ou du Nigéria.

Ce modèle est celui du Nigéria après la guerre de sécession, du Kenya après les violences ethniques post-électorales, de l’Afghanistan après la longue guerre civile, de la Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire après les sanglantes guerres civiles dans ces deux pays.

Les critiques « juridiques » peuvent faire valoir que le vice-président dans le modèle américain est un président en réserve « un corps sans vie » jusqu’à l’empêchement de « l’autre », le président en exercice à la suite duquel il achève le mandat.

Dans la sociologie électorale de la Guinée, l’objectif n’est pas d’avoir un président « bis », mais plutôt d’avoir quelqu’un avec lequel on fait la campagne électorale pour éviter la « tribalisation » du débat électoral. Celui qui va aider son colistier à ne pas nommer seulement les membres de sa communauté, à ne pas tribaliser l’administration.

Dans une configuration institutionnelle pareille (président et vice-président), il serait suicidaire politiquement pour chaque candidat de choisir son colistier au sein de sa communauté. Quel que soit le nombre de candidats, on aura une configuration des tickets avec des combinaisons « mathématiques » de la Guinée dans sa diversité la plus large.

Dans ces conditions, il sera impossible de coller des étiquettes ethniques aux candidats en compétition. Et en même temps, on réduit la capacité des manipulateurs de la « chose ethnique », à trouver la faille à partir de laquelle ils pourraient l’instrumentaliser. En fait, ce type de régime aurait pour mérite de brouiller les logiques ethniques qui se rattachent à la candidature singulière d’un homme qui demande le suffrage du peuple.

Dans ce type de régime politique proposé et, pour permettre à l’équipe présidentielle d’avoir un bilan avant la fin de son mandat, il serait souhaitable d’avoir un mandat de 7 ans non renouvelable[6]. Un mandat de 7 ans devrait permettre à l’exécutif de faire un état des lieux des différents ministères, de monter des projets et des programmes, de mobiliser les ressources et de conduire les actions jusqu’au bout du mandat sans se soucier de l’élection à venir. Si la performance de ce mandat est probante, il serait possible que ce ticket dans sa combinaison actuelle ou dans une autre formule de se représenter après le mandat de ses successeurs afin de faire mieux lors du second mandat qui n’est possible que 7 ans après. Cette disposition a un double avantage à savoir :

  1. Ce mandat unique prédispose l’équipe présidentielle élue à se concentrer exclusivement sur son mandat et à la mise en œuvre de son programme (état des lieux, élaboration des projets, mobilisation des ressources et mise en œuvre, suivi et évaluation) et donner à voir les résultats avant de quitter le pouvoir ;
  2. Ce mandat unique empêche l’utilisation des ressources publiques par l’équipe sortante dans le cadre d’une nouvelle campagne électorale.

Si les Guinéens souhaitent deux mandats, il est préférable d’avoir deux mandats de 7 ans que deux mandats de 5 ans. Car dans un mandat de 5 ans, compte tenu du temps nécessaire pour des ministres de comprendre les rouages de l’administration publique, de faire un état des lieux objectif, de proposer une vision, de mobiliser des ressources[7], un gouvernement perd au minimum 18 mois avant de commencer de mettre en œuvre son programme. Dès la 4ème année, le président et son équipe retournent en campagne pour une année. S’il est reconduit, le processus recommence. De sorte que sur 10 ans, un président ne peut travailler réellement que 5 ans. Par contre, dans un mandat de 7 ans renouvelable, le président peut avoir 12 ans pour mettre en œuvre ses projets et programmes.

Une élection présidentielle et législative chaque 7 ans aurait l’avantage d’utiliser le budget national et l’appui budgétaire des partenaires techniques et financiers à autre chose qu’à financer des élections. Selon le rédacteur en chef[8] du Lynx, les élections législatives et présidentielles entre 2015 et 2020 ont « englouti pas moins de 1 695 milliards de francs guinéens soit près de 139 millions d’Euros. Un budget qui vaut plus du tiers du montant pour la réalisation de la route Mamou-Dabola qui est en chantier. Car le coût de ce projet est de 357 millions 302 942 mille Euros pour 370 Km ».

Dans ce régime, il serait souhaitable de canaliser l’équipe présidentielle dans l’exercice de son mandat, car « tout homme qui a du pouvoir est tenté d’en abuser. Seul le pouvoir arrête le pouvoir », en indiquant dans la constitution le nombre maximum des membres du gouvernement, de conseillers à la présidence et en limitant les postes à nomination qui relèvent de l’autorité du président (les ministres, les ambassadeurs et les chefs militaires).

Les ministres et les ambassadeurs proposés par le Président de la République devraient se soumettre à l’obligation d’audition devant les députés pour décliner leur feuille de route et permettre aux députés de produire une fiche évaluative à l’attention du Président de la République sur leur capacité à présenter et à défendre leurs dossiers et leur vision du secteur avant la signature de leur décret. Le président n’est pas obligé de modifier sa décision de nomination, mais il a une évaluation objective sur le personnel le plus élevé de sa gouvernance.

Les ministres devraient bénéficier de l’autorité nécessaire pour désigner les membres de leur cabinet (chef de cabinet, conseillers et attaché de cabinet) et les directeurs nationaux y compris ceux du pool financier, des ressources humaines et de la passation des marchés[9]. De même, chaque directeur devrait avoir l’autorité de proposer les chefs de division de sa direction et les chefs de section devraient être proposés par chaque chef de division.

Ce régime présidentiel doit l’être dans toute sa plénitude avec une séparation nette et étanche entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Il faut trouver les mécanismes et des modalités visant à garantir l’indépendance et l’intégrité du judiciaire en réduisant de façon drastique l’instrumentalisation des cours et des tribunaux par l’exécutif.

Il existe aussi dans l’air du temps l’idée d’avoir deux chambres (Haute et Basse), personnellement, je suggère une véritable décentralisation comme le dit si bien Bérété[10] dans sa thèse de doctorat en proposant que « Ces réformes devraient consacrer la séparation réelle des pouvoirs et la clarification des compétences entre l’Etat et les structures administratives en milieu local. Elles devraient ensuite impliquer l’augmentation des échelons territoriaux, le transfert progressif des compétences et des ressources et la définition du rôle des nouveaux acteurs du développement à la base : les Organisations de la Société Civile »[11]. Il a été transféré à des collectivités de base, les communes, des compétences qu’il aurait fallu donner à la région et à la préfecture. Car elles sont mieux outillées pour assurer ce transfert de compétences que les communes en l’état actuel. Au niveau des partis politiques qui arrivent à avoir des députés à l’assemblée nationale, il serait souhaitable de prévoir une subvention de 5% pour les financer afin d’éviter le financement du président fondateur. Naturellement, ce financement devrait avoir comme conséquence le non-financement d’un parti par un leader et toute autre personne, entité et/ou société avec obligation d’assurer le contrôle des dépenses des partis politiques par la Cour des Comptes, comme n’importe quelle entité qui reçoit des finances publiques. Si les dons et legs sont acceptés, ceux-ci devraient passer par le bureau de l’assemblée nationale pour assurer leur traçabilité.

Dans ce cas de figure, on devrait prévoir et codifier une procédure démocratique interne à chaque parti politique. Un cadre organique devrait indiquer certaines modalités de gestion de chaque parti politique avec l’obligation d’avoir une carte du parti et de payer ses cotisations annuelles pour être électeur et éligible au sein du parti. Les élections internes devraient être régulières et précéder les consultations nationales. Ces élections devraient se faire par l’organisme national en charge des élections du pays qui doit être à l’image de celle du Ghana avec des commissaires techniques qui ont la sécurité de mandat : « ils sont nommés à vie et ne peuvent pas être relevés brutalement de leur fonction par le Président de la République ». Dans ce système,aucun des élus ne devrait pouvoir changer d’étiquette politique en quittant son parti pour rejoindre un autre parti en cours de mandat ou créer un groupe politique.

En termes clairs, cette transition pour réussir doit rompre avec la trajectoire des précédentes pour que la démocratie ne soit ni communautaire, ni un moyen de créer et d’entretenir des dirigeants autoritaires, ni d’aider à avoir des politiciens de « chambre » d’accéder au pouvoir par le jeu de la transhumance et des allégeances de circonstances. De même, on ne devrait pas refaire les erreurs de 2010 en créant plusieurs organes[12] budgétivores pour caser le plus grand nombre de personnes.

On se doit de tirer les leçons des décisions sociologiquement erronées des deux premières transitions (1984 et 2009), pour éviter d’être schizophrénique, car “la folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent” (Albert EINSTEIN).

CONCLUSION

Au terme de cet exposé, il me plait de dire en quelques mots les grandes lignes de ma réflexion sous la forme de propositions non noyées dans des considérations théoriques et académiques dans l’espoir que quelques-unes au moins trouveront une oreille attentive auprès des Guinéens.

  • Considérant que le régime politique guinéen a toujours été un régime marqué par une forte primauté du Président de la République sur les autres pouvoirs et institutions de la République avec un pouvoir de nomination à tous les emplois militaires et civils, y compris ceux qui pourraient relever des ministres sectoriels ;
  • Constatant l’instrumentalisation ethnique et régionaliste lors du second tour des élections présidentielles ;
  • Soucieux de doter le pays d’un système politique qui corrige les erreurs du pays ;
  • Proposons un régime politique de type présidentiel avec un ticket (président et vice-président), sans un Premier Ministre, pour brouiller les logiques ethniques qui se rattachent à la candidature singulière d’un homme qui demande le suffrage du peuple ;
  • Suggérons que la durée du mandat présidentiel soit de 7 ans non renouvelable ;
  • Proposons qu’il soit prévu que le Vice-Président achève le mandat du Président en cas de vacance du pouvoir ;
  • Insistons pour que le nombre de ministres dans un gouvernement, de conseillers à la présidence et dans les cabinets ministériels soit déterminé dans une loi organique à adopter avant la constitution ;
  • Plaidons pour que les futurs ministres soient auditionnés par les députés, avant leur nomination, afin qu’il soit établi par les députés à l’attention du Président de la République une fiche d’avis technique ;
  • Demandons que le Président ne nome que les ministres, les conseillers à la présidence, les ambassadeurs et les chefs militaires ;
  • Suggérons que les ministres bénéficient de l’autorité nécessaire pour désigner les membres de leur cabinet (chef de cabinet, conseillers et attaché de cabinet) et les directeurs nationaux techniques et le pool financier, les ressources humaines et la passation des marchés. De même, chaque directeur devrait avoir l’autorité de proposer les chefs de division de sa direction et les chefs de section devraient être proposés par chaque chef de division ;
  • Exigeons la possibilité de candidatures indépendantes à toutes les élections (présidentielle, législative et locales) ;
  • Demandons la refonte totale du code électoral pour l’adapter au mode électoral majoritaire et en supprimant en particulier plusieurs dispositions qui facilitent la fraude électorale du bureau de vote à l’organe de gestion des élections ;
  • Proposons un Organe de gestion des élections (OGE) technique avec des membres qui ont la sécurité de mandat comme au Ghana : « ils sont nommés à vie et ne peuvent pas être relevés brutalement de leur fonction par le Président de la République ». On peut même y ajouter d’autres éléments de sécurité supplémentaire.

Pr. Alpha Amadou Bano BARRY (PhD, sociologie) Enseignant-chercheur/Université de Sonfonia/Conakry/Guinée

NOTES

[1]En Guinée, on ne devient coupable que lorsqu’on a été ministre. Tous les autres, ceux au-bas de l’échelle administrative, ne sont coupables de rien.

[2]Le système électoral d’un État comprend l’ensemble des règles, normes et institutions régissant la préparation, l’organisation et la conduite des élections. Il peut difficilement être analysé en dehors du cadre institutionnel du régime politique en vigueur.

[3]Le Ghana a connu sa première alternance lors des élections présidentielles de 2000 qui vit la défaite de Jerry Rawlings en faveur de John Kufuor.

[4]Duverger, M (1976) ; « Les partis politiques » ; Armand Colin, Paris, France.

[5]Contrairement à ce que beaucoup « d’analphabètes » diplômés disent, une famille linguistique n’est pas une parenté ethnique ni une appartenance au même groupe ethnique.

[6]Dans tous les cas, on se souviendra que dans un mandat de 5 ans, la pré-campagne et de la post-campagne absorbent 2 ans et ont des effets réels sur la création et la gestion des ressources nationales.

[7]Si le financement vient des partenaires techniques et financiers et non d’un prêt que la FMI refuse au nom du principe du taux d’endettement admise pour ces gendarmes des pays pauvres, il faut compter 2 ans avant de voir la couleur de l’argent. Car avec ces partenaires, le processus est plus important que le résultat.

[8]Mamadou Siré Diallo.

[9]L’ancien président avait déjà acté la nomination du responsable de passation des marchés par chaque ministre de tutelle. Il faut aller plus loin en éliminant le fait que les ministres sectoriels (finances, budget et fonction publique) nomment du personnel au sein des autres ministères. Sur d’autres publications, je vais revenir plus en détail sur cette nécessité.

[10]Mohamed Bérété (2007) ; « La décentralisation et le problème de la monopolisation du pouvoir par l’appareil d’Etat en République de Guinée », Thèse de Doctorat, Université Robert Schuman, Strasbourg, France.

[11]Rares sont les cadres du ministère de l’administration du territoire qui ont lu ladite thèse et il aurait plus utile dans ce ministère qu’à la santé.

[12]11 ans plus tard, certains de ses organes (Haute Cour de la justice, Haut conseil des collectivités) n’ont pas vu le jour.





Scandales de détournement de deniers publics: quelles responsabilités pour les établissements bancaires et les organismes de contrôle – BCRG, CENTIF


Gouvernance


Par Alpha Boubacar BALDE

Le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya président du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), lors de sa toute première prise de parole, a justifié la prise de pouvoir par la volonté de mettre un terme à la corruption, la gabegie financière, les détournements de deniers publics et biens d’autres fléaux qui gangrenaient l’administration CONDÉ.

Dans l’optique de la lutte contre les détournements et la moralisation de la gestion de la chose publique, la nouvelle administration du CNRD créait en décembre 2021, la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF)[1]. Cette juridiction spéciale fut créée pour examiner les infractions économiques et financières d’au moins un milliard de francs Guinéens (GNF). Depuis son installation le 21 janvier 2022, plusieurs dossiers de détournements de deniers publics lui ont été transmis d’après les communications du procureur spécial auprès de la CRIEF. Certains de ces dossiers ont été aussitôt transmis à la chambre d’instruction de cette cour.

Parmi les dossiers en cours d’instruction, nous pouvons citer entre-autres :

  • Le dossier dénommé NABAYA GATE pour un détournement supposé de près de 200 milliards de GNF soit l’équivalent de 20 millions d’euros impliquant d’anciens ministres (Mme Zenab DRAME, M. Ismaël DIOUBATE, M. Tibou CAMARA)
  • L’affaire de cession d’AIR Guinée pour 5 millions USD pour laquelle l’homme d’affaire et ancien député M. Mamadou SYLLA a été auditionné et l’ancien ministre des Transports au moment des faits et actuel Président de l’UFDG Cellou Dalein DIALLO est convoqué.
  • L’affaire MAMRI / ANIES (Mission d’Appui à la Mobilisation des Ressources Intérieures / Agence Nationale d’Inclusion Économique et Sociale) impliquant M. Kassory FOFANA pour 46 millions USD ainsi que la gestion de la primature où des décaissements non justifiés lui sont opposés à hauteur de 81 milliards de GNF soit l’équivalent de 8,1 Millions EUR.
  • L’affaire des anciens députés M. Amadou Damaro CAMARA, M. Louncény NABÉ, M. Michel KAMANO, Mme Zenab CAMARA… pour une affaire de 15 milliards de GNF soit 1,5 million EUR en lien avec la construction du futur siège de l’Assemblée nationale.
  • L’affaire de détournements supposés impliquant M. Mohamed DIANE sur la gestion du budget du ministère de la défense, la gestion des commandes de matériels d’opération, la gestion de la direction du service agricole de l’armée, le projet de construction de l’hôpital militaire de Dubréka…
  • L’affaire de l’Office National du Tourisme (ONT) impliquant M. Laye Junior CONDÉ pour un détournement supposé de 14 milliards GNF soit environ 1,4 million EUR.

Toutes ces affaires de détournements de deniers publics en cours d’instruction auprès de la CRIEF, si elles sont avérées, ont nécessairement bénéficié de la complicité active ou passive des banques commerciales et des organismes de contrôle que sont la BCRG, la CENTIF (Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières) …

DE LA RESPONSABILITÉ DES BANQUES COMMERCIALES

Compte tenu de l’importance des sommes en jeu, il est plus qu’évident que ces opérations n’ont pas été réalisées en espèces sonnantes et trébuchantes. Cela suppose donc le recours à des virements et transferts par l’intermédiaire des banques. Les révélations faites par les médias sur les avoirs liquides détenus par certaines des personnalités citées ci-dessus et d’autres sur leurs comptes bancaires domiciliés dans les banques commerciales semblent confirmer cet état de fait. Pourtant, ces banques commerciales ont des obligations de vigilance accrue lorsque les opérations qu’elles traitent concernent des personnes publiques ou mettent en jeu des montants relativement importants.

Il ressort de ces quelques affaires listées ci-dessus à titre illustratif, que l’ensemble des personnes impliquées sont des Personnes Politiquement Exposées (PPE)[2]. Selon les dispositions de la loi de Lutte Contre le Blanchiment des Capitaux et le Financement du Terrorisme ((loi N° 2021/0024/AN dite loi LCBCFT), les PPE sont : « Les personnes physiques qui exercent ou qui ont exercé d’importantes fonctions publiques en Guinée ou dans un autre État ». Pour les personnes ayant ce profil, les institutions financières ont des obligations accrues de vigilance sur les transactions dans lesquelles elles sont impliquées et/ou concernées. Les Articles 35, 36 et 37 de la loi LCBCFT exposent quelques obligations de vigilance qui incombent aux établissements bancaires dans les relations d’affaires qu’elles entretiennent avec les PPE. Si, dans la surveillance des comptes bancaires des PPE, des opération suspectes sont identifiées par les banques, ces dernières sont dans l’obligation d’en faire la déclaration auprès de la Cellule de Traitement des Informations Financières (CENTIF) suivant les dispositions de l’article 45 de la loi LCBCFT.

Par ailleurs, l’instruction N° 002/DGSIF/DSB du 3 décembre 2013 relative au contrôle interne émise par le Gouverneur de la BCRG, précise les dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme que les banques doivent mettre en place en son point IV. Les articles 31 à 37 de cette instruction précisent l’obligation de vigilance qui incombe aux établissements bancaires. Ils orientent sur les dispositifs de contrôle interne à mettre en place, ainsi que la conduite à tenir lorsque des opérations suspectes sont détectées par le dispositif de contrôle interne.

Au-delà de toutes ces obligations imposées par le cadre règlementaire, il est de la responsabilité des banques d’avoir une parfaite connaissance de leurs clients à travers les procédures KYC / KYB (Know Your Customer / Know Your Business). Ces procédures de collecte d’informations sur les clients (personne physique et personne morale) ont pour but, d’avoir une parfaite connaissance des clients afin de repérer les opérations inhabituelles et ou frauduleuses qui transitent par leurs comptes bancaires. Dans l’éventualité où les clients utilisent des prête-noms, la notion de « bénéficiaire effectif (BE) » intervient. Cette notion désigne la ou les personnes physiques qui en dernier lieu, possèdent ou contrôlent le client et ou la personne physique pour le compte de laquelle une opération est effectuée ou une relation d’affaires est nouée. Même dans ce cas de figure, les banques sont tenues à l’obligation de vigilance. Si elles ne parviennent pas à identifier le BE, il est recommandé de mettre fin à la relation d’affaire et faire une déclaration de soupçon (Article 32 de la loi N° 2021/0024/AN de la loi portant sur la LCBCFT).

Au-delà de la vigilance spéciale associée aux opérations des PPE, les banques commerciales ont dans leurs dispositifs de contrôle interne, un processus spécifique de validation s’agissant des opérations communément appelées dans le jargon bancaire « les opérations remarquables ». Cette appellation, désigne des opérations inhabituelles (montants engagés, opérations douteuses sans justificatif, opérations impliquant une PPE, opérations inhabituelles sur des comptes en sommeil, opérations sans lien avec le fonctionnement habituel des comptes clients…). Pour ce type d’opérations, le processus de validation fait intervenir des niveaux hiérarchiques plus ou moins importants au sein des banques. Ce mécanisme de validation, est censé prévenir et détecter les opérations suspectes pour la mise en œuvre des obligations déclaratives qui incombent aux banques commerciales. Toutefois, si les banques ne remplissent pas leur obligation de vigilance, que les personnes en charge du contrôle et de la conformité de leurs opérations soient en collusion (complicité) avec les clients impliqués dans ces scandales, leur responsabilité est engagée.

Les articles 84, 85 de la loi portant sur la réglementation bancaire du 12 aout 2013, précisent les obligations déontologiques des établissements de crédit.

L’article 84 dispose : « Les établissements de crédit s’interdisent, sous peine des sanctions prévues à l’article 86, de faciliter activement ou passivement la réception et le remploi des fonds d’origine criminelle. Entre dans cette définition, les fonds résultants directement ou par personne interposée, d’actes qualifiés de crimes ou délits par la loi guinéenne ».

L’article 85 dispose : « Les établissements de crédit et les autres organismes soumis au contrôle de la BCRG sont ténus à une obligation de vigilance concernant toute opération faisant naître un doute sur sa cause économique ou son caractère licite. Les préposés des établissements de crédit qualifiés pour effectuer des déclarations de soupçon à la BCRG en application des présentes dispositions, sont relevés vis-à-vis de cette dernière, de leur obligation de secret professionnel… ».

Les articles 86 et 87 précisent les sanctions pénales applicables aux établissements de crédit (personnes morales) et leurs collaborateurs (personnes physiques) en en cas de manquement avéré à leurs obligations.

Les multiples affaires révélées sur les avoirs colossaux détenus par des clients (personnes physiques et morales) dans les banques commerciales et qui ne semblent pas avoir de justifications économiques confirment l’application laxiste de l’obligation de vigilance, la défaillance des procédures de contrôle et le non-respect de la déontologie applicable à la profession bancaire.

DE LA RESPONSABILITÉ DE LA BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE DE GUINEE (BCRG)

La BCRG est l’institution financière primaire et l’autorité de tutelle pour les banques commerciales et compagnies d’assurance en République de Guinée. En tant que telle, elle œuvre à la définition et à la conduite de la politique monétaire du pays. Elle apporte son soutien à la politique du Gouvernement pour garantir une croissance saine et durable via la supervision du système financier (Banques – Assurances et Institutions de microfinance) et ainsi garantir le respect des fondamentaux gage de stabilité financière.

Selon les termes de la décision N° 028/DGSIF/DSB/2014 du 13 août 2014 relative à l’organisation du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT) à la BCRG, il a été mis en place un dispositif interne de LBC/FT à la Banque Centrale. La supervision de ce dispositif est assurée par le Gouverneur de la BCRG qui valide les options stratégiques et donne les instructions nécessaires à leur réalisation. Il existe donc au sein de la Banque Centrale, un responsable du dispositif interne de LBC/FT et au sein des agences de la BCRG des correspondants anti-blanchiment (CAB) dont le rôle est de veiller à l’élaboration et la mise en œuvre de procédures de contrôle interne, en conformité avec la législation guinéenne et les normes internationales applicables à la LBC/FT. Ils ont également entre autres, la responsabilité, d’élaborer et de transmettre à la CENTIF (Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières), les déclarations d’opérations suspectes concernant les clients après accord des autorités de la Banque Centrale.

En sa qualité d’autorité de tutelle, la Banque Centrale peut en vertu de l’instruction N° 052/DGSIF/DSB/2015 du 8 Juillet 2015, appliquer des sanctions pécuniaires à l’encontre des établissements de crédit coupables d’infractions à la réglementation bancaire. L’article 2 de l’instruction hiérarchise les infractions en fonction de leur nature et leur degré de gravité.

La loi confère à la Banque Centrale de la République de Guinée, la mission de veiller à la stabilité du système financier. L’article 95 de la loi N° 2021/0024/AN dispose que : « La BCRG est responsable de la réglementation et du contrôle du respect par les institutions financières des obligations visant la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme prévues par la présente loi et des autres actes juridiques permettant son exécution ». Á cet égard, elle est organisée pour assurer la surveillance des banques, des assurances et des institutions de microfinance évoluant en Guinée.

En exerçant les prérogatives que lui confère la loi via les contrôles sur place et sur pièce des établissements de crédit, la Banque Centrale incite ces dernières à se mettre en conformité avec la loi pour éviter d’éventuelles sanctions. Il s’agit-là, d’un levier coercitif à sa disposition pour veiller au respect de la réglementation bancaire par les acteurs impliqués et ainsi garantir une stabilité du système financier.

Les scandales impliquant des PPE, par ailleurs ordonnateurs de dépense publique, font intervenir des comptes domiciliés à la BCRG à partir desquels des virements et transferts sont faits vers d’autres destinations. L’existence de ces nombreuses affaires de détournement supposés de deniers publics, met en évidence également une défaillance des services de contrôle de la BCRG, l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration des opérations suspectes à la CENTIF.

DE LA RESPONSABILITÉ DE LA CELLULE NATIONALE DE TRAITEMENT DE L’INFORMATION FINANCIÈRE (CENTIF)

La CENTIF est un service administratif doté de l’autonomie financière et d’un pouvoir de décision autonome sur les matières relevant de sa compétence. Elle est sous la tutelle technique du ministère de l’Économie et des finances.

Elle a pour but :

  • De recueillir, analyser et traiter les renseignements propres à établir l’origine des transactions ou la nature des opérations faisant l’objet de déclarations de soupçons auxquelles sont astreintes les personnes assujetties notamment, la BCRG, le Trésor Public, les banques primaires, les ONG, et les entreprises et professions non financières désignées (EPNFD) ;
  • De recevoir toutes les informations liées à l’accomplissement de sa mission notamment celles communiquées par les autorités de contrôle et des officiers de police judiciaire ;
  • De requérir la communication, par les assujettis, ainsi que toute personne physique et morale, susceptibles de permettre d’enrichir les déclarations de soupçon ;
  • De faire ou de faire faire des études périodiques sur l’évolution des techniques utilisées aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ; en proposant des réformes nécessaires au renforcement de l’efficacité de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

C’est à cette cellule, qu’il appartient d’instruire les déclarations d’opérations suspectes (DOS) provenant des acteurs concernés (Banques commerciales, Banque Centrale, Commissaires aux comptes, Expert-comptable, Compagnies d’assurance, Notaires…).

Selon les dispositions de l’article 16 de la loi N° 2021/0024/AN de la loi portant sur la LCBCFT : « La CENTIF prépare et tient à jour des statistiques sur le nombre de déclarations d’opérations suspectes reçues, les suites données à ces déclarations, y inclus le nombre de déclarations disséminées. S’il en existe, la CENTIF tient également des données permettant de déterminer le nombre et le pourcentage des déclarations donnant lieu à une enquête ultérieure ».

L’article 47 de la même loi dispose : « Les institutions financières sont tenues de transmettre les informations complémentaires ayant trait à un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme sur demande de la CENTIF dans un délai maximum d’une semaine. Les institutions financières sont également tenues de répondre dans le même délai à toute autre demande d’information émanant de la CENTIF, même si elles n’ont pas transmis une déclaration préalable concernant le(s) client (s) ou les opérations faisant l’objet de demande ».

L’article 55 dispose que : « Les institutions financières, y compris leurs directeurs, les membres de la direction et leur personnel, doivent coopérer pleinement pour fournir l’assistance que les autorités de contrôle et de poursuites peuvent raisonnablement demander dans l’exercice de leurs pouvoirs ».

La CENTIF, à l’issue du traitement des déclarations d’opérations suspectes (DOS), si la suspicion est avérée ou semble plausible, la cellule dissémine spontanément ou sur demande, les informations et le résultat de ses analyses aux autorités administratives compétentes concernées. Cette dissémination doit être assurée via des canaux dédiés, sécurisés et protégés. Dès que le Procureur de la République reçoit un rapport de dissémination de la CENTIF, il doit saisir immédiatement le juge d’instruction. (Articles 90 et 106 de la loi N° 2021/0024/AN).

Les mesures coercitives dont disposent les autorités de contrôle lorsqu’elles constatent qu’un assujetti a violé les dispositions de la loi N° 2021/0024/AN relative à la LCBCFT peuvent être soit :

  • Des sanctions disciplinaires (avertissement, blâme…)
  • Des sanctions administratives (amendes administratives) avec publication de la décision de sanction
  • Des sanctions pénales (cf. Articles 499 à 506 et 507 à 509 du Code pénal)

La CENTIF, si elle était diligente dans le traitement des déclarations de soupçon qui lui sont transmises par les acteurs concernés et par sa communication sur les condamnations à l’issue du jugement des affaires participerait à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Ces différents acteurs banques commerciales, BCRG et CENTIF chacun en ce qui le concerne, s’ils avaient été rigoureux dans les obligations et les responsabilités qui sont les leurs, réduiraient le nombre de ces scandales financiers tous azimuts dans notre pays.

En plus des procédures judiciaire en cours, il est du devoir des nouvelles autorités du pays de situer la responsabilité des différents acteurs et de sévir (sanctionner) contre les acteurs indélicats conformément aux lois en vigueur. Cela, servira d’exemple et conduira les différents acteurs dans un cercle vertueux.

QUELQUES PISTES POUR FAIRE EVOLUER LE DISPOSITIF ET VEROUILLER LA PROCÉDURE DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX EN GUINÉE

Compte tenu de l’ampleur du phénomène dans notre pays, il est plus qu’indispensable qu’en plus du dispositif déjà en place et qui visiblement ne semble pas suivi par les acteurs (Banques, BCRG, CENTIF…), que les actions suivantes soient mises en place :

  • Un audit national auprès de toutes les institutions financières pour évaluer le niveau de maturité des procédures de contrôle interne et de conformité par l’autorité de tutelle qu’est la BCRG ;
  • Définir au sein de la BCRG un plan annuel d’audit des institutions financières (banques et assurances) pour s’assurer que toutes les opérations remarquables font l’objet de validation par les personnes habilitées et que les documents justifiant ces opérations sont collectés et archivés conformément aux prescriptions légales ;
  • Renforcer les sanctions pécuniaires et pénales applicables contre les acteurs qui feraient preuve de négligence dans leurs obligations de vigilance et d’obligations déclaratives sur des opérations qui ne sont pas suffisamment justifiées et documentées ;
  • Renforcer le rôle de la CENTIF afin qu’elle soit habilitée à mener des audits sur place et sur pièce à partir d’éditions d’opérations dont les critères seront à définir et qui devront lui être transmises de façon périodique par l’ensemble des acteurs concernés.
  • Veillez à ce que les personnes en charge de cette surveillance dans les institutions financières soient suffisamment formés sur les normes de lutte anti-blanchiment des capitaux et financement du terrorisme ;
  • S’intéresser aux opérations de transactions immobilières qui constituent un moyen plébiscité par les délinquants financiers pour blanchir les capitaux aux origines douteuses.

Ces recommandations loin d’être suffisantes, permettront de renforcer le dispositif déjà en place pour prévenir, détecter les opérations de blanchiment de capitaux et ainsi transmettre les dossiers au procureur pour jugements éventuels et sanctions.


NOTES

[1] Ordonnance N°007/PRG/CNRD/SGG du 2 décembre 2021, amendée par celle N°0008/PRG/CNRD/SGG du 6 décembre 2021.

[2] PPE – Personnes Politiquement Exposées (cf. article 5 de la loi N° 2021/0024/AN portant sur la LCBCFT)


Alpha Boubacar Baldé




Recours de Dalein et Sidya: le président du TPI de Dixinn est bien compétent pour suspendre en référé un acte administratif


Gouvernance/Justice


Les pratiques nauséabondes d’intimidation des juges, qu’on croyait pourtant révolues depuis le coming-out opéré par certains juges devant le roi Mamadi Doumbouya 1er, refont de nouveau surface en Guinée. Pour une transition censée avoir pour seule boussole la justice, cela peut paraitre déroutant.

En effet, La double décision rendue ce matin du 28/02/2022, par la juge des référés du Tribunal de première instance (TPI) de Dixinn qui déclare son « incompétence matérielle » pour connaitre de deux actes administratifs adressés aux deux anciens Premiers ministres, pose question.

Pour rappel, contrairement au dualisme de juridiction en vigueur en France par exemple en attribuant à des organes distincts des compétences pour connaitre des questions administratives (juridiction administrative) et des questions judiciaires (ordre de juridiction judiciaire), La Guinée connait un seul ordre de juridiction ordinaire, appelé à trancher aussi bien des questions administratives que celles judiciaires.

Compétence du TPI en matière administrative

Il faut aussi rappeler que les compétences des différentes juridictions en Guinée sont définies, sauf dans les cas prévus par une loi organique spécifique, par la loi N° 2015/019/AN du 13 août 2015 portant organisation judiciaire en République de Guinée. Les dispositions de cette loi sont claires et érigent le TPI en juge de droit commun en matière administrative, c’est-à-dire le juge ordinaire et normal pour trancher les litiges mettant en cause un acte administratif (décision prise par une administration publique).

En effet, l’article 25 de la loi susmentionnée dispose que « Le tribunal de première instance statue en premier ressort en matière civile, commerciale, administrative, sociale et pénale… ». Cela veut dire qu’un citoyen souhaitant contester une décision de l’État ou de ses démembrements, doit en premier lieu s’adresser au TPI, sous réserve des matières réservées à la Cour suprême. L’article 27 est encore plus explicite en précisant que « Le tribunal de première instance connaît de toutes les affaires civiles, administratives, commerciales, sociales et pénales pour lesquelles compétence n’est pas expressément et exclusivement attribuée à une autre juridiction…

Sous réserve des dispositions de la loi organique portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême, le tribunal de première instance est, en premier ressort, juge de droit commun du contentieux administratif. »

Dans le sens de ces deux dispositions rappelées, et contrairement à ce que la plupart des médias guinéens affirment, la compétence de statuer sur les actes administratifs n’est pas réservée à la Cour suprême, seules quelques matières limitativement énumérées relèvent de la compétence exclusive de la Cour suprême. Il revient bel et bien au TPI de trancher en premier ressort sur le contentieux administratif et dans le cas échéant, la Cour d’appel peut être saisie lorsque la décision rendue par le TPI ne convient pas à l’une des parties avant, in fine, de saisir éventuellement en cassation la Cour suprême.

Les domaines réservés de la Cour suprême

S’agissant de cette Cour suprême, les attributions et les compétences de sa chambre administrative sont prévues par les dispositions des article 2 et 36 de la loi organique du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême.

Plus précisément, les compétences de la Cour suprême en matière administrative sont définies dans son article 2 en ces termes : « La Cour Suprême est juge en premier et dernier ressort de la légalité des textes réglementaires et des actes des autorités exécutives, ainsi que des dispositions de forme législative à caractère réglementaire. »

Les attributions de la chambre administrative sont quant à elles déterminées par l’article 36 qui prévoit que cette chambre connait :

  • « en premier et dernier ressort, des recours en annulation pour excès de pouvoir, de la légalité des actes des collectivités locales,
  • « Du caractère règlementaire de certaines dispositions de forme législative ;
  • « Des pourvois en cassation contre les décisions rendu en dernier ressort sur le contentieux de pleine juridiction et les arrêts de la Cour des comptes ;
  • « Du recours en cassation contre les décisions rendues par les organismes administratifs à caractère juridictionnel ».

Il ressort de ces dispositions que la contestation des décrets, des ordonnances et des arrêtés ministériels est effectivement réservée à la seule Cour suprême. De même, il existe un principe qui reconnait « la compétence de la juridiction administrative pour annuler ou réformer les décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique », par l’État et ses démembrements. La cour suprême détient à elle seule, en Guinée, le pouvoir d’annulation d’un acte administratif. Ce recours en annulation, encore appelé recours pour excès de pouvoir (REP), ne peut effectivement être introduit qu’auprès de la Cour suprême.

Compétence du TPI pour statuer sur les ordonnances

Il est par conséquent évident que non seulement les recours introduits par les deux anciens Premiers ministres, MM. Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, auprès du TPI de Dixinn ne sont pas des recours en annulation et de surcroit, les contestations introduites portent sur des actes administratifs – signés par le directeur général du patrimoine bâti public – qui ne relèvent pas de la compétence en premier et dernier ressort de la Cour suprême.

C’est à cette aune et eu égard à l’urgence imposée par le délai contraint de la date butoir fixée dans les sommations, que les recours introduits l’ont été sous forme de référé, dans ce cas référé-suspension, c’est-à-dire une procédure d’urgence ouverte « pour demander au juge d’empêcher l’exécution immédiate d’une décision administrative » qui semble illégale. C’est donc une décision provisoire qui a été demandée au TPI de Dixinn et non un recours pour excès de pouvoir, ce dernier recours étant réservé, comme évoqué plus haut, à la seule la Cour suprême.

C’est en mobilisant d’ailleurs l’article 39 de la loi du 13 août 2015 portant organisation judiciaire en République de Guinée que l’on apprend qu’« en toutes matières, le président du tribunal de première instance peut statuer en référé ou sur requête ». Il faut comprendre qu’en toutes matières renvoie à tous les domaines d’intervention du juge ordinaire, sauf ceux réservés expressément à d’autres juridictions. Il suit de là que le TPI est bel et bien compétent pour décider de surseoir à l’exécution des lettres adressées par le patrimoine bâti public aux deux anciens Premier ministres pour quitter leurs domiciles. C’est en ce sens que cette ordonnance rendue ce 28 février parait incompréhensible.

La prérogative du juge des référés du TPI pour trancher un référé est confirmée par l’article 850 du code de procédure civile, économique et administrative de la République de Guinée qui dispose que « …Le Président du Tribunal de première Instance ou le Juge de paix peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite… »

À défaut d’avoir rendu public les deux décisions de la juge des référés du TPI de Dixinn sur les recours de MM. Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, il n’est pas possible de connaitre les motivations qui sous-tendent cette décision de la juge. Au regard toutefois de ces règles de droit rappelées ci-dessus, il apparait que le président d’un TPI est pleinement compétent en droit guinéen pour ordonner en urgence la suspension d’un acte administratif.

En définitive, les images impressionnantes montrant une forte mobilisation des forces de défense et de sécurité, tel un pays en guerre, avec à leur tête les colonels Balla Samoura et Sadiba Koulibaly, pour aller récupérer les clés de maisons vides et sans résistance, semblent montrer que seul ce spectacle intéressait cette junte militaire au pouvoir. Il est par conséquent possible que la juge ait pu céder à une pression du CNRD pour ne pas dire le droit afin de lui permettre d’obtenir ces images symboliques et populistes de récupération des clés des maisons de MM. Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré.

La boussole de la transition semble avoir perdu le Nord.

G.B (LeJour LaNuit)

Paris le 28/02/2022





Bauxite en Guinée: enquête en France après une plainte visant Alpha Condé et des sociétés minières


Gouvernance


Une enquête a été ouverte à Paris après une plainte pour corruption dans l’exploitation de la bauxite en Guinée impliquant le président Alpha Condé, plusieurs de ses proches et des sociétés minières, dont une française, a-t-on appris mardi de source proche du dossier.

Une enquête a été ouverte à Paris après une plainte pour corruption dans l’exploitation de la bauxite en Guinée impliquant le président Alpha Condé, plusieurs de ses proches et des sociétés minières, dont une française, a-t-on appris mardi de source proche du dossier.

Cette enquête préliminaire, ouverte par le parquet national financier (PNF) en septembre, fait suite à la plainte pour « corruption, trafic d’influence et blanchiment de corruption », déposée en août par le Collectif pour la transition en Guinée (CTG).

« Nous avons des soupçons très forts de corruption entre le clan au pouvoir et des miniers », dont l’Alliance minière responsable (AMR) et la Société minière de Boké (SMB), a indiqué à l’AFP Ibrahime Sorel Keita, porte-parole du collectif qui regroupe des opposants d’Alpha Condé, président depuis 2010 et réélu en octobre pour un troisième mandat controversé.

L’AMR, fondée en 2015 par deux jeunes entrepreneurs, Romain Girbal et Thibault Launay, a obtenu un permis pour exploiter la bauxite, signé le 7 juin 2017 par le président Condé.

Une semaine plus tard, l’AMR a cédé ce gisement à la SMB, l’un des principaux exportateurs du pays, détenue par un consortium franco-sino-singapourien.

« En peu de temps, les dirigeants de l’AMR, des inconnus dans le domaine minier, ont récupéré un permis d’exploitation dans une zone importante et l’ont ensuite refilé à la SMB, moyennant une plus-value folle estimée à 200 millions de dollars », a commenté M. Sorel Keita.

L’AMR avait assuré, à l’annonce de la plainte, avoir en réalité conclu un contrat d’amodiation, « une pratique courante dans le secteur minier international, parfaitement conforme au Code minier guinéen ».

« Nous n’avons jamais fait quelque chose d’illégal en France ou en Guinée », assure désormais l’AMR, qui compte dans son conseil d’administration notamment l’ancienne patronne d’Areva Anne Lauvergeon et l’armateur Edouard Louis-Dreyfus.

« L’origine des accusations est un combat politique qui nous est étranger », ajoute l’AMR, dénonçant des attaques « incompréhensibles » et précisant tout ignorer de l’enquête.

Me Pierre-Olivier Sur, qui défend Alpha Condé, a critiqué « l’instrumentalisation de la justice tant en France qu’en Guinée » dans le cadre « d’un combat politique ».

« Je n’ai aucun élément pour me prononcer, n’ayant pas eu accès à cette plainte qui procède d’une organisation politique et s’inscrit ouvertement dans un calendrier électoral », a souligné Me François Zimeray, avocat du dirigeant de la SMB Fadi Wazni.

Le PNF n’a pas souhaité s’exprimer.

La Guinée, pays pauvre d’Afrique de l’Ouest, détient les plus grands gisements mondiaux de bauxite, minerai utilisé pour fabriquer l’aluminium.

Son extraction est considérée comme polluante et destructrice de terres agricoles, selon l’ONG Human Rights Watch.

Mediapart/AFP





Affaire 200 milliards GNF: les Associations de presse dénoncent la citation à comparaître délivrée à l’encontre de trois journalistes


Gouvernance


Déclaration

Les Associations de presse AGUIPEL, URTELGUI, AGEPI, REMIGUI, UPLG ont été surprises d’apprendre que les journalistes, Youssouf Boundou Sylla de Guineenews, Ibrahima Sory Traoré de Guinee7 et Moussa Moise Sylla de l’Inquisiteur, ont reçu une « citation à comparaitre devant le tribunal correctionnel » de Kaloum, pour le 15 décembre 2020.

Cette « convocation » fait suite à la requête de Madame Zénab Dramé, ministre de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle qui accuse ces journalistes des faits de « diffamation » sur sa personne.

Les Associations de presse soutiennent les journalistes « convoqués » et condamnent les agissements de Mme Dramé, qui n’a pas attendu les conclusions de l’enquête ouverte par le procureur pour détournement de deniers publics, suite aux révélations de la presse, pour porter plainte contre les journalistes pour « diffamation », comme si, elle était déjà blanchie par la justice. 

En tout état de cause, les Associations de presse rappellent que les  lanceurs d’alerte et les dénonciateurs de corruption et infractions assimilées doivent bénéficier d’une protection spéciale de l’Etat contre les actes de représailles ou d’intimidation, selon l’article 100  de la Loi /L2017/041/AN du 4 juillet 2017 portant Prévention, Détection et Répression de la Corruption et des Infractions Assimilées.

Elles considèrent que la démarche de la Ministre est une manœuvre dilatoire pour empêcher l’instruction en cours pour détournement de deniers publics et une action d’intimidation de la presse.

Elles exhortent les autorités judiciaires à préserver leur indépendance et à respecter leur serment en évitant d’appliquer les consignes de punition des journalistes données par le Premier Ministre dans un communiqué du gouvernement.

Elles réaffirment leur soutien aux journalistes concernés et continueront à dénoncer les détournements des derniers publics, la corruption, la gabegie, comme l’a souhaité le Président de la République.

Les Associations de presse condamnent, vigoureusement, cette tentative d’intimidation de la presse, et défendront de toutes leurs forces la liberté de la presse chèrement acquise.

Conakry, le 6 décembre 2020

Ont signé:

L’Association Guinéenne de la Presse en Ligne (AGUIPEL)

L’Union des Radios et Télévisions Libres de Guinée (URTELGUI)

L’Association Guinéenne des Editeurs de la Presse Indépendante (AGEPI)

Le Réseau des médias en ligne en Guinée (REMIGUI)

L’Union de la Presse Libre de Guinée (UPLG)


Pour comprendre cette actualité





Système éducatif guinéen: l’autre grand corps malade de la République


Gouvernance


Il est largement admis que l’éducation est un moyen de lutter contre toutes les formes de pauvreté. Plus une population est éduquée, plus elle est productive. L’éducation conditionne la modification des comportements sociaux. Elle est le jalon de la compétitivité des États.

François Dubet et Danilo Martucceli dans leur ouvrage intitulé A l’École : sociologie de l’expérience scolaire, rappellent que l’institution scolaire n’a pas qu’une fonction instrumentale à savoir produire simplement des qualifications, mais selon eux, elle « produit aussi des individus ayant un certain nombre d’attitudes et de dispositions ». Ils soutiennent qu’être citoyens, non seulement ça s’apprend, mais ce doit être aussi un désir partagé pour assurer « la pérennité d’une communauté de destin ». D’un autre point de vue, on relie souvent la vitalité démocratique d’une société à la qualité de l’éducation citoyenne promue par son système éducatif.

La population guinéenne est caractérisée par un faible niveau d’instruction. Selon le recensement général de la population et de l’habitat de 2014, environ 32% des personnes âgées de 15 ans et plus sont alphabétisées, contre 68% de personnes non alphabétisées. Le système éducatif guinéen est confronté à des problèmes structurels qui accentuent son incapacité à améliorer la qualité de l’offre et son attractivité.

Financement du secteur en deçà de la moyenne des pays de la sous-région

Le système éducatif guinéen dans son ensemble souffre de sous-financement depuis une longue période. Selon le document Programme sectoriel de l’éducation 2015-2017, en 2005, la part des dépenses courantes du secteur sur les ressources propres de l’État (hors dons et hors secteur minier) était de 14%. En 2012, la même donnée s’établit à 14,8%, une valeur peu différente.

Sur le financement public du secteur de l’éducation, une note de l’AFD nous apprend qu’en 2013, le budget de l’éducation a représenté 3,2 % du PIB (par rapport à 4,7 % au niveau mondial) et 15,2 % du budget de l’État (contre une moyenne de 17 % pour l’Afrique subsaharienne). La même note souligne que l’arbitrage entre sous-secteurs n’était pas favorable à l’éducation de base et en deçà des objectifs fixés par la communauté internationale (la part du budget allouée au primaire était relativement faible, de 43,3 %, tandis que celle allouée au supérieur s’élevait à 32,5 %). La part de l’enseignement primaire dans les ressources publiques allouées au secteur a diminué de 51% en 2002 à 47% en 2008 puis à 43% en 2013. Malgré un certain effort croissant de consacrer au secteur de l’éducation des ressources publiques, cela reste en deçà de la moyenne des pays de la sous-région.

Dans un rapport d’analyse sectorielle publié en 2019 par l’UNESCO intitulé Guinée : Analyse du secteur de l’éducation et de la formation, Pour l’élaboration du programme décennal (2019-2028), les auteurs révèlent que le peu de ressources matérielles et financières disponibles sont dirigées principalement vers les services dont les activités sont les plus urgentes (préparation des examens, statistiques) et non les plus importantes en termes de qualité de l’éducation (formation du personnel administratif, des enseignants, élaboration des plans annuels).

La qualité, un des objectifs de l’Éducation pour tous

Dans une publication intitulée Perspectives : L’école au service de l’apprentissage en Afrique, publiée en 2018, la Banque Mondiale dresse un constat alarmant sur la qualité de l’éducation en Afrique. Selon l’institution, l’Afrique a fait d’incontestables progrès pour augmenter la scolarisation dans le primaire et le premier cycle du secondaire. Pourtant, près de 50 millions d’enfants restent non scolarisés et la plupart de ceux qui fréquentent l’école n’y acquièrent pas les compétences de base indispensables pour réussir dans la vie.

Elle souligne que la faiblesse des acquis scolaires dans la région [Afrique] est préoccupante : « trois quarts des élèves de deuxième année évalués sur leurs compétences en calcul dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne étaient incapables de compter au-delà de 80 et 40 % ne parvenaient pas à effectuer une addition simple à un chiffre. En lecture, entre 50 et 80 % des élèves de deuxième année ne pouvaient pas répondre à une seule question tirée d’un court passage lu et un grand nombre étaient incapables de lire le moindre mot. »

Si le défi de la scolarisation dans le primaire est en passe d’être gagné en Afrique avec plus de 80 % des enfants qui achèvent ce cycle, la qualité de l’enseignement proposé reste un défi.  

Au cours d’une conférence sur l’école de demain pour l’Afrique organisée par l’AFD en 2018 à Paris, le péruvien Jaime Saavedra, directeur pour l’Éducation de la Banque mondiale résumera les enjeux en ces termes « La scolarisation n’est pas l’apprentissage ». En d’autres termes, sans une éducation de qualité, la scolarisation ne suffit pas. Les chiffres sont inquiétants : « parmi les enfants scolarisés en Afrique subsaharienne, 93 % n’ont pas acquis les compétences de base en lecture et 86 % en mathématique. »

Dans un article intitulé Les défis de l’éducation dans les pays riverains de la méditerranée, Jean-Claude Vérez soutiendra que « privilégier la qualité de l’éducation plutôt que la quantité revient à dissocier acquis des élèves et taux de scolarisation, formation d’une élite et fuite des cerveaux, hausse du nombre de diplômés et chômage massif de ces mêmes diplômés, formation générale et employabilité, etc. » Chimombo cité par Fatou Niang dans un article intitulé L’école primaire au Sénégal : éducation pour tous, qualité pour certains, soutiendra cependant que « s’il est théoriquement admis que l’élargissement de l’accès à l’éducation devrait aller de pair avec l’amélioration de la qualité, réaliser conjointement ces deux objectifs peut être difficile pour les pays d’Afrique subsaharienne ».


« La scolarisation n’est pas l’apprentissage »

Jaime Saavedra


Depuis la conférence mondiale sur l’éducation pour tous de Jomtien en 1990, les organisations internationales ont adjoint à l’objectif d’expansion quantitative de l’éducation l’impératif d’amélioration de la qualité. Mais il a fallu attendre le Forum mondial sur l’éducation pour tous de Dakar en 2000 pour que la « qualité » soit au centre du débat sur le développement de l’éducation particulièrement en Afrique subsaharienne. À cet effet, l’objectif 6 de l’Éducation pour tous illustre l’importance d’intégrer l’enjeu « qualité de l’éducation » dans les politiques publiques des États « Améliorer sous tous ses aspects la qualité de l’éducation dans un souci d’excellence de façon à obtenir pour tous des résultats d’apprentissage reconnus et quantifiables – notamment en ce qui concerne la lecture, l’écriture et le calcul et les compétences indispensables dans la vie courante. »

Le défi de l’éducation pour tous que la communauté internationale s’est engagée à relever à Dakar, en 2000, a entraîné une hausse importante des besoins en personnel enseignant. L’Afrique subsaharienne n’échappe pas à cette réalité. Non seulement elle manque de ressources enseignantes, mais elle constitue aussi une partie du monde qui fait face à une croissance rapide de sa population en âge de fréquenter l’école.

Faible qualification du personnel de l’éducation, difficiles conditions d’enseignement et corruption

De façon générale, l’insuffisance de personnel qualifié pour assurer une bonne gestion administrative courante et conduire les politiques de réformes est une problématique majeure en Guinée. Le secteur de l’éducation n’échappe pas à cette réalité.

Dans un rapport synthèse de 2019 sur les ODD intitulé Les pays sont-ils en bonne voie d’atteindre l’ODD 4 ?, les auteurs du rapport soulignent que la proportion d’enseignants formés chute en Afrique subsaharienne.

Rappelons que la cible 4.c des ODD vise « D’ici à 2030, accroître considérablement le nombre d’enseignants qualifiés, notamment au moyen de la coopération internationale pour la formation d’enseignants dans les pays en développement, surtout dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement ».

Cependant, en Afrique subsaharienne, selon ce même rapport de 2019 sur les ODD, seuls 64 % d’enseignants du primaire et 50 % d’enseignants du secondaire ont reçu les formations minimum organisées requises, et ce pourcentage est en baisse depuis 2000 à la suite du recrutement d’enseignants contractuels sans qualifications pour combler les déficits à un coût moindre.

En Guinée, selon le rapport d’Évaluation sommative de l’appui du GPE à l’éducation au niveau des pays publié en mai 2020, « des mesures ont été prises pour introduire de nouvelles méthodologies et de nouveaux modes de formation des enseignants ». Mais selon les auteurs du rapport, « ces mesures sont en partie demeurées au stade d’essai et ne s’étendent pas encore à l’ensemble du pays. Elles comprenaient, entre autres : la mise à l’essai d’un programme de formation initiale de trois ans pour enseignants de niveau préscolaire dans trois centres de formation des enseignants; l’introduction d’une formation des enseignants en cours d’emploi sur la pédagogie de la lecture dans les petites classes; le soutien à quatre centres de formation des enseignants ». Les données dans ce rapport du Partenariat mondial pour l’éducation, indiquent une pénurie d’enseignants formés (seulement 19,5 pour cent) dans les écoles secondaires publiques et, dans une moindre mesure, dans les écoles primaires.

Sur la problématique de la défaillance du système éducatif guinéen et les faibles taux de réussite au baccalauréat, l’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Bailo Teliwel, dans une interview en 2019 soulignait que « Le plus important n’est pas la régression des taux d’admission mais bel et bien la régression de la qualité de l’enseignement ». Il faut rappeler que la Guinée a connu en 2018 (26,04 %) et 2019 (24,38 %) les taux de réussite au baccalauréat les plus faibles de son histoire. Pour ce professionnel et ancien acteur du système éducatif guinéen, « l’admission et le taux qui le chiffre sont les résultats d’un système et d’un processus qui est bien antérieur à l’examen. » Selon lui, cette situation est la résultante de plusieurs facteurs « les équipements, les infrastructures, la pédagogie, la qualité de l’administration, les activités scolaires et extra scolaires, l’encadrement parental et social, les politiques éducative, sociale et économique, les comportements, notamment des élites etc. »


Il faut rappeler que la Guinée a connu en 2018 (26,04 %) et 2019 (24,38 %) les taux de réussite au baccalauréat les plus faibles de son histoire.


Pour illustrer les conditions d’enseignement et la dévalorisation du métier d’enseignant en Guinée, EsterBotta Somparéet AbdoulayeWotem Somparé dans un article intitulé La condition enseignante en Guinée : des stratégies de survie dans le champ scolaire et universitaire guinéen, racontent des anecdotes qui ironisent la pauvreté de ces acteurs essentiels du système éducation « Je ne donnerai jamais ma fille à un enseignant, c’est un gendre trop pauvre » déclare un père, ou encore « Vous n’êtes qu’un enseignant, vous ne pourrez jamais acheter ça ! » réponse à un professeur d’université qui demande le prix d’une voiture à un vendeur. Ces auteurs rappellent le contraste du métier d’enseignant aujourd’hui en Guinée avec « le prestige dont cette profession était entourée à l’époque coloniale. »

La question du salaire des enseignants et son impact sur la qualité de l’éducation reste problématique. Il n’est plus à démontrer la corrélation entre un salaire attrayant et l’attractivité de la profession. Un salaire attrayant permet d’attirer et de retenir les diplômés les plus qualifiés dans la profession d’enseignant. Le salaire a toujours été au cœur des revendications du syndicat des enseignants guinéens avec son corollaire de grèves quasi permanentes ces dernières années.

Sur le matériel pédagogique dérisoire voire inexistant, il est rapporté dans un article publié dans Jeune Afrique intitulé Guinée : pourquoi les enseignants sont-ils en grève ?, les interrogations d’un enseignant guinéen « Avec les cours théoriques seulement, les élèves comprennent difficilement. Mais comment effectuer des travaux pratiques sans laboratoire ? », « Il n’y a même pas de bibliothèque ! » poursuit-il. Se prononçant sur les effectifs pléthoriques dans les salles de classe, l’enseignant témoigne qu’ils s’élèvent à « 130 élèves, voire plus » par salle de classe.

Cette situation renvoie à la problématique du financement du secteur et l’utilisation des fonds d’appui au secteur de l’éducation. Selon le rapport du Partenariat mondial pour l’éducation publié en mai 2020, en Guinée, comme dans de nombreux pays à faible revenu, le secteur est essentiellement financé par l’État, mais la majorité des dépenses d’investissement sont financées par des organismes externes. Par conséquent, les principales réalisations en matière de mise en œuvre des plans sectoriels dépendent du soutien des bailleurs de fonds. Toujours selon ce rapport, « L’aide publique au développement (APD) consacrée à l’éducation en Guinée est passée de 38,1 millions de dollars américains en 2015 à 47,1 millions de dollars américains en 2017 ».

La corruption affecte négativement la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs. Elle réduit les dépenses d’éducation, favorise le gaspillage et la mauvaise allocation des recettes de l’État.

Dans Écoles corrompues, universités corrompues : que faire ? publié en 2009, Hallak et Poisson définissent la corruption dans le secteur de l’éducation comme « une utilisation systématique d’une charge publique pour un avantage privé, qui a un impact significatif sur la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs et, en conséquence, sur l’accès, la qualité ou l’équité de l’éducation. »

Ces auteurs énumèrent les conséquences de la corruption dans le milieu éducatif selon trois principaux aspects : l’accès à la ressource éducative, la qualité du système éducatif et l’équité du système éducatif. Il ressort des conclusions de ces auteurs que la corruption influence négativement ces trois aspects et est un frein au développement social.

Lamia MOKADDEM dans un article intitulé La corruption compromet elle la réalisation de l’éducation pour tous ? : les canaux de transmission, souligne quant à elle, que  « plusieurs études et données empiriques mettent en évidence que les pays où les niveaux de corruption sont les plus faibles tendent à avoir des services publics très efficaces et à réaliser les meilleures performances éducatives. »

Classée parmi les pays les plus corrompus dans le monde, la Guinée occupait la 130e place sur 180 pays de l’Indice de la Perception de la Corruption dans le secteur public de Transparency International 2019. Selon une enquête Afrobarometer de 2020, une écrasante majorité (82%) des Guinéens évaluent la performance du gouvernement dans la lutte contre la corruption comme étant « plutôt » ou « très » mauvaise. Toutes les formes de corruption ont cours en Guinée, aussi bien la corruption active que la corruption passive. Le phénomène touche tous les secteurs de l’administration avec une ampleur plus grande dans les services de l’économie et des finances (douane, impôts, marchés publics…).


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com




Le niveau de la gouvernance recule en Afrique [Indice Mo Ibrahim]


Gouvernance


La Fondation Mo Ibrahim vient de publier son rapport 2020 sur la bonne gouvernance en Afrique. Pour la première fois depuis 2010, on note un recul de la performance continentale dans le domaine.

Selon le nouveau rapport, la moyenne africaine en ce qui concerne l’indice Mo Ibrahim de la bonne gouvernance est de 48,8 en 2019 contre 49 sur 100 en 2018 soit un recul de 0,2 point de pourcentage d’une année à l’autre. Cela n’était jamais arrivé depuis le début de la décennie.

L’étude indique que cette situation est due à la détérioration des performances dans trois des quatre catégories de l’indice, à savoir : participation, respect des droits et inclusion des citoyens ; sécurité et Etat de droit ; puis développement humain. En effet, ces dernières années, la progression des pays du continent dans ces secteurs a ralenti avec une baisse plus marquée à partir de 2015.

Entre 2010 et 2019, la performance des pays africains en matière de développement humain s’est améliorée de 3% (51,9 sur 100 en 2019) tandis que celle en matière de fondements pour les opportunités économiques a augmenté de 4,1% (47,8 sur 100 en 2019).

Cependant, le niveau des pays africains a reculé de -1,4% en ce qui concerne la participation, le respect des droits et l’inclusion des citoyens (46,2 sur 100 en 2019), et de – 0,7% en ce qui concerne la sécurité et l’Etat de droit (49,5 sur 100 en 2019). La faute notamment aux crises politiques et sécuritaires qui ont secoué plusieurs pays du continent.

Maurice reste le meilleur pays africain en termes de gouvernance avec un indice de 77,2 tandis que la Somalie est le pire pays du continent en la matière avec un indice de 19,2. Au cours de la dernière décennie, c’est la Gambie qui a réalisé la plus forte progression (+9,2) alors que la Libye détient la palme de la plus forte détérioration avec -5,5. L’Algérie arrive à la 15ème place (+3,3).

En ce qui concerne les régions, c’est l’Afrique australe qui réalise en 2019 la meilleure performance en matière de bonne gouvernance avec un indice de 53,3 suivie de l’Afrique de l’Ouest (53,1), l’Afrique du Nord (52), l’Afrique de l’Est (46,2), et l’Afrique centrale (38,8)

Notons que seuls huit pays ont amélioré leurs performances dans les quatre grandes catégories de l’indice Mo Ibrahim au cours de la dernière  décennie à savoir, l’Angola, le Tchad, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, Madagascar, les Seychelles, le Soudan et le Togo.

AFP

Lire le rapport complet ici





“Le mystère des 700 millions de dollars de Rio Tinto” en Guinée, les révélations de Libération


Gouvernance


Dans un article publié ce jeudi 30 juillet 2020 dans Libération, Agnès Faivre et Akoumba Diallo apportent un nouvel éclairage sur la destination des 700 millions de dollars empochés par la Guinée à l’issue de l’accord d’avril 2011 signé avec la compagnie minière Rio Tinto.


Republication de contenu Libération


L’accord signé en 2011 entre Conakry et le groupe minier aurait dû renflouer les caisses de l’Etat. Mais du côté du fonds censé gérer cette somme, le compte n’y est pas.

Un magot de 700 millions de dollars. C’est à peu près l’équivalent du budget de l’Etat en 2010 qu’empoche la Guinée à l’issue de l’accord d’avril 2011 signé avec la compagnie minière Rio Tinto. Mais «où sont passés les 700 millions ?» Depuis des années, la question est lancinante à Conakry. Libération est en mesure d’apporter un nouvel éclairage sur la destination (ou la disparition) d’une partie de l’enveloppe. Et sur son véritable montant. Ousmane Kaba, ex-conseiller à la présidence qui a planché sur les négociations entre le gouvernement et le géant minier, témoigne pour la première fois : «Rio Tinto a payé 750 millions de dollars sur un compte spécial géré par le gouverneur de la Banque centrale et le président de la République», affirme-t-il à Libération. Une information corroborée par deux autres sources proches du dossier. Rio Tinto maintient de son côté que 700 millions de dollars (et non 750) ont été versés directement au Trésor public guinéen. Soit. Mais à quoi a donc servi cette richesse tirée – enfin – du gisement de fer inexploité de Simandou ? Aux médias guinéens qui lui posent la question, le président Alpha Condé détaille lors d’une conférence de presse en juillet 2016 : «J’ai pris 125 millions pour entamer le barrage hydroélectrique de Kaleta. Nous avons commandé des groupes électrogènes avec 120 autres millions. C’est pourquoi nous avons eu l’électricité si rapidement.» Puis ajoute, le 29 janvier dernier à l’occasion de l’inauguration d’une agence d’Etat : «Le reste, on était obligé de le mettre sur un compte et c’est le Fonds monétaire international (FMI) qui décidait combien on devait dépenser par an.»

Bilan lapidaire

Quand l’institution financière revient officiellement en Guinée en janvier 2011, l’économie nationale est exsangue. «Compte tenu du défi de dépenser de manière efficiente ces recettes exceptionnelles, les autorités ont requis l’aide du FMI et de la Banque mondiale pour créer un fonds spécial», explique le FMI à Libération. Cette intervention aboutit à la création d’un fonds spécial d’investissement (FSI), mentionné le 23 décembre 2013 au Journal officiel. Mais étonnamment, aucune instance, internationale ou guinéenne, n’est en mesure de produire un document sur ce fonds et sur la gestion des 700 millions de dollars. Le FMI, lui, fournit un bilan lapidaire, reprenant pour l’essentiel un paragraphe de son «Programme de référence Guinée» de juillet 2011 : «185,5 millions de dollars ont été affectés au budget 2011» et 214 millions en 2012, pour des «investissements publics urgents surtout dans le secteur de l’électricité», tandis que 50 millions de dollars ont été versés à la Banque centrale. «Les 250 millions de dollars restants ont servi à financer le programme d’investissement public 2013-2015», écrit le FMI à Libération. Or la consultation des lois de finances 2011-2015 ne permet pas d’identifier de tels mouvements. Seul apparaît en 2012 un financement non bancaire de 348 millions de dollars pour combler le déficit budgétaire. Quant au FSI, l’affectation de ses fonds au budget de l’Etat est bien mentionnée dans les lois de finances 2013 et 2014, pour un montant total, ces deux années, de 254 millions de dollars. 232 millions issus de cette enveloppe ont été réellement dépensés, selon un document récapitulatif. Les plus gros postes d’investissement sont les infrastructures et l’énergie (construction et réhabilitation de routes, de ponts, construction de quatre microbarrages, travaux d’électrification) – des projets livrés ou en chantier, et parfois introuvables sur le terrain.

Flou sur le pactole

Le total des dépenses attribuées au «fonds Rio Tinto» dans les lois de finances atteint en réalité, au maximum, 580 millions de dollars. Restent environ 120 millions dont la trace s’est volatilisée. Ni le ministère guinéen de l’Economie et des Finances, ni la Banque mondiale, sollicités par Libération, n’ont répondu à nos questions sur la destination de ces recettes minières exceptionnelles. Recontacté, le FMI renvoie la balle à la Guinée. Il précise qu’il a, avec la Banque mondiale, aidé «à établir les procédures comptables régissant le FSI», mais pas «à gérer le fonds». Un peu court pour une institution supposée incarner la rigueur et qui, dans son «Programme de référence Guinée» de 2011, note qu’elle sera amenée «à donner des avis sur l’utilisation du FSI».

Ce flou sur le pactole de Simandou a aussi régné à l’Assemblée nationale. «Nous avons réclamé avec beaucoup de véhémence une commission d’enquête parlementaire, notamment sur l’utilisation des fonds de Rio Tinto, mais notre demande, prévue par la loi organique, n’a pas abouti, déplore l’ex-membre de la commission des lois Ousmane Gaoual Diallo. Par ailleurs, la loi de finances exige la production d’une loi de règlement qui détaille l’utilisation du budget annuel. Or elle n’a jamais été produite sous la gouvernance d’Alpha Condé.»


Cet article est republié à partir de liberation.fr. Lire l’original ici





Guinée: les juges et les magistrats sont perçus comme étant la frange des fonctionnaires la plus corrompue [Enquête Afrobarometer]


Gouvernance


La Guinée est classée parmi les pays les plus corrompus dans le monde, occupant la 130e place sur 180 pays de l’Indice de la Perception de la Corruption dans le secteur public de Transparency International (2019).

Pourtant, le Président Alpha Condé a montré une volonté de lutter contre la corruption avec la nomination de Me Cheick Sako au poste de ministre de la justice, qui a impulsé des réformes judiciaires pour éradiquer l’impunité. C’est dans ce cadre qu’en juillet 2017, une loi relative à la lutte contre la corruption a été adoptée, et il est souligné que désormais « les crimes économiques sont imprescriptibles » (Freland, 2019). Cette volonté de combattre la corruption s’est notamment traduite par l’éviction en juin 2018 des directeurs généraux de l’Office Guinéen des Chargeurs et celui de l’Office Guinéen de Publicité ainsi que leurs agents comptables pour suspicions de malversations (Nations Unies, 2018).

Malgré cela, comme l’a souligné en décembre 2019 le ministre guinéen en charge des investissements et des partenariats publics-privés, Gabriel Curtis, « la corruption est encore persistante en Guinée » (Diallo,2019), et aujourd’hui, avec la crise économique et sociale aggravée par la pandémie de la COVID-19, les besoins des populations confinées, et les ressources colossales que le gouvernement compte mobiliser, les risques de détournement des fonds sont réels.

L’enquête d’Afrobarometer en fin 2019 montre que la plupart des Guinéens pensent que le niveau de la corruption est à la hausse et les efforts du gouvernement de lutter contre ce fléau sont insatisfaisants. Les juges et magistrats, les agents des impôts, et les policiers sont perçus respectivement comme étant les corps les plus corrompus pendant que les chefs religieux et traditionnels ont plus de crédibilité que le personnel du service public. Par conséquent, la confiance des citoyens envers les institutions est faible, ce qui est susceptible d’entraîner des défiances populaires.

La corruption est aussi aggravée par une peur grandissante de représailles si les citoyens signalent les cas de corruption. D’ailleurs, une bonne partie des citoyens ont fait recours à la corruption pour obtenir des services et avantages dans le secteur public.


Lisez le document complet: La corruption en hausse selon les Guinéens, qui craignent des représailles s’ils en parlent


Quelques résultats choisis par notre rédaction


Sept Guinéens sur 10 (70%) affirment que les gens risquent des représailles s’ils signalent des actes de corruption aux autorités. La peur des conséquences négatives a connu une hausse de 7 points de pourcentage depuis 2017.


Le gouvernement répond « plutôt mal » ou « très mal » à la problématique de la corruption au sein de l’administration publique, selon huit Guinéens sur 10 (82%).




Afrobaromètre est un projet d’enquête et de recherche, non partisan, dirigé en Afrique, qui mesure les attitudes des citoyens sur la démocratie et la gouvernance, l’économie, la société civile, et d’autres sujets.





Covid-19: Wole Soyinka et 100 intellectuels africains demandent «de rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines»


Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveurdes populations africaines et selon les priorités africaines.

Extrait de la lettre adressée aux gouvernants africains


Lire l’intégralité de la lettre

Les risques qui planent sur le continent africain relatifs à la propagation du Covid-19, nous interpellent individuellement et collectivement. L’heure est grave. Elle ne consiste pas à juguler une énième crise humanitaire « africaine » mais à contenir les effets d’un virus qui vient bousculer l’ordre du monde et interroger les fondements de notre vivre ensemble.

La pandémie du coronavirus met à nu ce que les classes moyennes et aisées vivant dans les grandes mégalopoles du continent ont feint de ne pas voir. Depuis près de dix ans, en effet, certains médias, intellectuels, hommes politiques et institutions financières internationales s’accrochent à l’image d’une Afrique en mouvement, d’une Afrique nouvelle frontière de l’expansion capitaliste.

Une Afrique sur la voie de l’émergence économique ; une Afrique dont les taux de croissance positifs feraient pâlir d’envie plus d’un pays du Nord. Une telle représentation que l’on finissait par croire réelle à force d’en rêver se déchire désormais devant une crise multiforme qui n’a pas encore livré tous ses secrets.

Dans le même temps, l’ordre global multilatéral que l’on se figurait encadré par un minimum de traités se délite sous nos yeux, faisant place à une lutte géopolitique féroce. Ce nouveau contexte de guerre d’influence économique « du tous contre tous » laisse dans l’ombre les pays du Sud, en leur rappelant s’il le fallait le rôle qui leur échoit : celui de spectateurs dociles d’un ordre du monde qui se construit par-devers eux. 

La pandémie du Covid-19 pourrait saper les bases des États et des administrations africaines dont les défaillances profondes ont trop longtemps été ignorées par la majorité des dirigeants du continent et leur entourage.

Il est impossible de les évoquer toutes, tant elles sont nombreuses : sous-investissement dans les secteurs de la santé publique et de la recherche fondamentale, insécurité alimentaire, gaspillage des finances publiques, priorisation d’infrastructures routières, énergétiques et aéroportuaires aux dépens du bien-être humain, etc.

Autant de sujets qui font pourtant l’objet d’une littérature spécialisée, désormais abondante, mais qui semblent avoir peu pénétré les cercles du pouvoir des différents États du continent. La preuve la plus évidente de ce fossé est fournie par la gestion actuelle de la crise.

De la nécessité de gouverner avec compassion

Reprenant sans souci contextuel le modèle de « containment » et des régimes d’exception adoptés par les pays du Nord, nombreux sont les dirigeants africains imposant un confinement brutal à leurs populations souvent ponctué, lorsqu’il est n’est pas respecté, de violences policières.

Si de telles mesures satisfont les classes aisées, à l’abri de la promiscuité et ayant la possibilité de travailler à domicile, elles demeurent punitives pour ceux qui, pour utiliser une formulation répandue à Kinshasa, doivent recourir à « l’article 15 », c’est-à-dire à la débrouille et aux activités dites informelles.

Soyons clairs. Il n’est nullement question d’opposer sécurité économique et sécurité sanitaire mais plutôt d’insister sur la nécessité pour les gouvernements africains de prendre en compte les conditions de précarité chronique vécue par la majorité de leurs populations. Cela, d’autant plus que le continent africain a une longueur d’avance sur le Nord en matière de gestion de crises sanitaires de grande ampleur, au regard du nombre de pandémies qui l’ont frappé ces dernières années.

La nature ayant horreur du vide, plusieurs initiatives fragiles provenant de la « société civile » se mettent progressivement en place. En aucun cas pourtant, le dynamisme d’individus ou d’acteurs privés ne peut pallier la désorganisation et l’impréparation chronique que seuls les États seraient en mesure d’endiguer à travers le continent.

Plutôt que de subir et tendre la main à nouveau en attendant meilleure fortune, il serait d’ores et déjà souhaitable de repenser notre vivre ensemble en partant de nos contextes spécifiques et des ressources diverses que nous avons.

Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveur des populations africaines et selon les priorités africaines. Bref, il s’agit de mettre en avant la valeur de chaque être humain, quel qu’il soit et quelles que soient ses appartenances, au-delà des logiques de profit, de domination et de monopolisation du pouvoir.

Au-delà de l’urgence 

Les dirigeants africains doivent, et peuvent, proposer à leurs peuples une nouvelle idée politique d’Afrique. C’est une question de survie et non d’arguties intellectuelles comme on a trop souvent tendance à le croire. De profondes réflexions sont nécessaires sur la gestion et le fonctionnement des administrations nationales, de la fonction de l’État et de la place des normes juridiques dans la distribution et l’équilibre des pouvoirs à l’aune de systèmes de pensées adaptés aux réalités du continent.

En effet, la seconde étape de nos indépendances politiques ne se réalisera que sur les terrains de l’inventivité politique et sociale, de la prise en charge par nous-mêmes de notre destinée commune. Des initiatives en ce sens existent déjà. Elles mériteraient simplement d’être écoutées, discutées et encouragées. 

Le panafricanisme aussi a besoin d’un nouveau souffle. Il doit retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements. Si les progrès en matière d’intégration du continent ont été faibles jusque-là, la raison est que celle-ci n’a été conçue que sur la base de la seule « doxa » du libéralisme économique. Or, la pandémie du coronavirus montre tristement l’insuffisance de la réponse collective du continent autant sur le volet sanitaire qu’ailleurs.

Plus que jamais, nous sommes placés devant la nécessité d’une gestion concertée et intégrée de domaines relatifs à la santé publique, à la recherche fondamentale dans toutes les disciplines scientifiques et aux politiques sociales. Dans cette perspective, il est important de repenser la santé comme un bien public essentiel, de revaloriser le statut du personnel de la santé, de relever les plateaux techniques des hôpitaux à un niveau qui permet à tous, y compris les gouvernants eux-mêmes, de se faire soigner en Afrique.

Cette lettre est un morceau de rappel, de rappel de l’évidence : le continent africain doit reprendre son destin en main. Or c’est dans les moments difficiles que des orientations nouvelles doivent être décidées et que des solutions pérennes doivent être mises en place.

Cette lettre est destinée aux dirigeants africains de tous bords, aux peuples africains et à ceux qui essaient de penser le continent. Nous les invitons à saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un État au service du bien-être des peuples, de rompre avec le modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement extérieur, de sortir de la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance, et du profit pour le profit.

Il s’agit pour l’Afrique de retrouver la liberté intellectuelle et la capacité de créer sans lesquelles aucune souveraineté n’est envisageable. De rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines, de renouer avec les configurations locales, de sortir de l’imitation stérile, d’adapter la science, la technique et les programmes de recherche à nos contextes historiques et sociaux, de penser nos institutions en fonction de nos communes singularités et de ce que nous avons, de penser la gouvernance inclusive, le développement endogène, de créer de la valeur en Afrique afin de diminuer notre dépendance systémique.

Surtout, il est primordial de ne pas oublier que le continent dispose de suffisamment de ressources matérielles et humaines pour bâtir une prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun. L’absence de volonté politique et les agissements de l’extérieur ne peuvent plus constituer des excuses pour nos turpitudes. Nous n’avons pas le choix : nous devons changer de cap. Il est plus que temps ! »


Les signataires

Wole Soyinka (Prix Nobel de Littérature 1986)
Makhily Gassama (Essayiste)
Cheikh Hamidou Kane (Écrivain)
Odile Tobner (Librairie des Peuples Noirs, Yaoundé)
Iva Cabral (Université lusophone de Mindelo)
Olivette Otele (Bristol University)
Boubacar Boris Diop (American University of Nigeria)
Siba N’Zatioula Grovogui (Cornell University)
Véronique Tajdo (Écrivain)
Francis Nyamnjoh (University of Cape Town)
Ibrahim Abdullah (Fourah Bay College)
Maria Paula Meneses (Université de Coimbra)
Amadou Elimane Kane (Institut Culturel Panafricain et de Recherche de Yene)
Inocência Mata (Université de Lisbonne)
Anthony Obeng (Institut Africain de Développement économique et de Planification)
Aisha Ibrahim (Fouray Bay College)
Makhtar Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Koulsy Lamko (Écrivain)
Mahamadou Lamine Sagna (American University of Nigeria)
Carlos Nuno Castel-Branco (Économiste, Mozambique)
Touriya Fili-Tullon (Université Lyon 2)
Kako Nubupko (Université de Lomé)
Rosania da Silva (University Foundation for the Development of Education)
Amar Mohand-Amer (CRASC, Oran)
Mame Penda Ba (Université Gaston Berger)
Medhi Alioua(Université Internationale de Rabat)
Rama Salla Dieng (University of Edimburg)
Yoporeka Somet (philosophe, égyptologue, Burkina Faso)
Gazibo Mamoudou (Université de Montréal)
Fatou Kiné Camara (Université Cheikh Anta Diop)
Jonathan b (Witwatersrand University)
Rosa Cruz e Silva (Université Agostinho Neto)
Ismail Rashid (Vassar College)
Abdellali Hajjat (Université Libre de Bruxelles)
Maria das Neves Baptista de Sousa (Université Lusíada de São Tomé e Príncipe)
Lazare Ki-Zerbo (Philosophe)
Lina Benabdallah (Wake Forest University)
Iolanda Evora (Université de Lisbonne)
Kokou Edem Christian Agbobli (Université du Québec à Montréal)
Opeyemi Rabiat Akande (Harvard University)
Lourenço do Rosário (Université Polytechnique du Mozambique)
Issa Ndiaye (Université de Bamako)
Yolande Bouka (Queen’s University)
Adama Samaké (Université Félix Houphouët Boigny)
Bruno Sena Martins (Université de Coimbra)
Charles Ukeje (University of Ile Ife)
Isaie Dougnon (Fordham University)
Cláudio Alves Furtado (Université fédérale de Bahia, Université du Cap-Vert)
Ebrima Ceesay (University of Birmingham)
Rita Chaves (Université de São Paolo)
Benaouda Lebdai (Université du Mans)
Guillaume Johnson (CNRS, Paris-Dauphine)
Ayano Mekonnen (University of Missouri)
Thierno Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mbemba Jabbi (University of Texas)
Abdoulaye Kane (University of Florida)
Muhammadu M.O. Kah (American University of Nigeria & University of the Gambia)
Alpha Amadou Barry Bano (Université de Sonfonia)
Sean Jacobs (The New School of International Affairs)
Yacouba Banhoro (Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo)
Dialo Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Rahmane Idrissa (African Studies Center, Leiden)
José Luís Cabaco (Universidade Técnica de Moçambique)
Mouhamadou Ngouda Mboup (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Hassan Remanoun (Université d’Oran)
Oumar Ba (Morehouse College)
Salif Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Narciso Matos (Université Polytechnique du Mozambique)
Mame Thierno Cissé (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Demba Moussa Dembélé (ARCADE, Sénégal)
Many Camara (Université d’Angers)
Ibrahima Wane (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Thomas Tieku (King’s University College, Western University)
Jibrin Ibrahim (Center for Democracy and Development)
El Hadji Samba Ndiaye (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Benabbou Senouci (Université d’Oran)
José Luís Cabaço (Université technique du Mozambique)
Firoze Manji (Daraja Press)
Mansour Kedidir (CRASC, Oran)
Abdoul Aziz Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mohamed Nachi (Université de Liège)
Alain Kaly (Universidade Federal Rural do Rio de Janeiro)
Last Dumi Moyo (American University of Nigeria)
Hafsi Bedhioufi (Université de la Manouba)
Abdoulaye Niang (Université Gaston Berger de Saint-Louis)
Lionel Zevounou (Université Paris Nanterre)
Amy Niang (University of the Witwatersrand)
Ndongo Samba Sylla (Économiste, Sénégal)


Ecoutez l’entretien accordé par Wolé Soyinka à RFI dans l’emission, “Autour de la question” de Caroline Lachowsy sur cette lettre adressée aux gouvernants africains








L’apport du secteur minier au développement économique de la Guinée


Une étude publiée en mars 2011 intitulée « Les enjeux de la gouvernance du secteur minier en Guinée ». Avec un mandat de la coopération internationale allemande de faire un état des lieux sur les enjeux de la gouvernance du secteur minier en identifiant des pistes pour une assistance à l’Etat et aux institutions non étatiques dans le domaine de la bonne gouvernance dans le secteur, les auteurs de l’étude ont développé un aspect important dans le contexte guinéen qui est l’apport du secteur minier au développement économique.


La rédaction de guineepolitique dans sa rubrique « Rapports » a jugé nécessaire d’extraire cette partie du rapport pour une large diffusion. Il faudrait cependant replacer les données dans leur contexte.


Le poids du secteur minier dans le développement économique peut être analysé d’une part au niveau national à travers les ressources mobilisées par l’Etat et injectées dans le développement et d’autre part à partir des ressources fiscales locales et philanthropiques mobilisées et investies dans le développement communautaire.

L’apport du secteur aux finances publiques

En moyenne, les recettes minières ont représenté 21,94% des recettes globales de l’Etat sur les 10 dernières années. Le graphique ci-dessous montre que les recettes minières ont été maintenues à un niveau acceptable entre 2000 et 2001 (moyenne de 24%). Entre 2002 et 2004, le niveau s’est fortement détérioré pour se retrouver à un plancher de 14,04% en 2003. Par la suite le taux s’est fortement amélioré et c’est ce qui s’est traduit par un pic de 27,97% en 2006 et il s’en est suivi une tendance à la baisse jusqu’en 2009.

Il apparaît clairement que l’Etat n’a pu profiter entièrement des avantages financiers du secteur minier en raison de la nature des accords conclus avec les sociétés minières. Les recettes fiscales générées par le secteur ont sensiblement diminué durant les trois premières années de la décennie alors qu’elles étaient de l’ordre de 40% dans les années 90. Ce déclin est la résultante de l’allègement de la taxation du secteur minier après l’adoption du code minier de 1995 dont l’objet était de libéraliser le secteur. Ainsi, le niveau actuel d’imposition et de réglementation est déterminé par une approche cas par cas. Le code minier n’est utilisé que comme une référence. Toutes les conventions qui ont été négociées dans la décennie 2000 ont été réalisées sur une base ad hoc souvent avec des acteurs pas toujours imprégnés du secteur. En outre, dans certains cas les régimes d’imposition ont changé considérablement sur une base provisoire ou ad hoc, alors que les conventions existantes étaient en vigueur. La résultante de ces pratiques est que les conditions d’imposition n’ont jamais été les mêmes pour les sociétés minières. Des changements généralement négociés dans des conditions non transparentes se sont toujours produits.

La conséquence de ces pratiques est, pour le moment, la non-conformité des revenus tirés de l’industrie minière guinéenne aux standards internationalement acceptés. En effet, le taux moyen des recettes de l’Etat par rapport aux exportations minières sur les 10 dernières années est de 12,47% (voir graphique ci-dessous). Les revenus miniers représentent 21,94% des revenus globaux de l’Etat, en dessus du taux des mines par rapport au PIB (5,2%). De manière notoire ces taux cachent une performance faible et une décroissance de la capacité de taxation de l’Etat.

Parmi les six sociétés minières actuellement en activité en Guinée, une seule la CBG, avec une participation étatique de 49%, paie environ 85% du total des revenus miniers que l’Etat perçoit. Les autres sociétés versent des impôts et taxes qui représentent en moyenne entre 3 et 5% de leurs ventes brutes. Cette situation constitue un problème réel et résulte d’une mauvaise gestion du secteur qui a prévalu durant les 10 dernières années. Ainsi, les revenus sont largement en deçà de la moyenne internationale de 15%.

Certaines sociétés minières sont soupçonnées de manipulations comptables pour dissimuler leurs bénéfices réels. Ces faits sont souvent combinés avec le transfert injuste de prix qui est souvent pratiqué dans la chaine de valeur de la bauxite. Car, les groupes miniers qui opèrent dans ce secteur sont aussi les leaders mondiaux dans la chaine bauxite-alumine-aluminium. Ainsi, ils transfèrent des coûts entre les éléments de la chaine de valeur et font apparaître des profits là, où la fiscalité est plus souple. Pour le moment l’Etat guinéen ne dispose pas des ressources humaines nécessaires pour lui permettre de maîtriser les coûts de production réels des sociétés minières et de déceler ainsi ces pratiques. Les solutions doivent comporter la relecture du code minier, la mise en place de la réglementation requise et le renforcement des capacités du MEF et du MMG pour qu’ils jouent efficacement leurs rôles autant lors des négociations que lors du contrôle et du suivi des opérations.

Par l’intermédiaire des recettes budgétaires de l’Etat, le secteur minier assure l’équivalent de 15,88% des dépenses pro-pauvres (santé, éducation, eau potable, développement des infrastructures et autres secteurs prioritaires). Ce niveau des dépenses est largement en deçà des standards de la sous-région de 40%.

L’apport au développement socioéconomique des zones minières

Avant d’analyser les interventions des différents acteurs dans le développement communautaire au niveau des zones minières, il est important de se pencher sur l’existence d’une stratégie nationale.

Stratégie de développement économique durable des zones minières

Actuellement la seule stratégie nationale de développement communautaire qui est considérée comme une politique nationale est l’approche développée par le Programme d’Appui au Communautés Villageoises (PACV). Elle est orientée sur le déroulement d’un processus de planification participative qui permet à la communauté d’élaborer son Plan de Développement Local (PDL) et un Plan d’Investissement Annuel (PIA) dont la mise en oeuvre relève exclusivement de la responsabilité du Conseil Communal. L’aspect le plus important pour cette approche est l’apprentissage de la maîtrise d’ouvrage et de la maitrise d’oeuvre exercée par les structures communales et les liens de redevabilité entre ces structures et les communautés locales. Cette approche a été mise en oeuvre par le PACV lors de la phase pilote et durant les deux phases de mise en oeuvre (PACV 1 et 2), et les résultats ont été assez éloquents.

Lors de la conception de la deuxième phase du PACV, des réflexions assez poussées ont été entamées quant à la possibilité de mettre en place un deuxième guichet pour financer les activités économiques locales dont les porteurs sont les acteurs dynamiques économiques privées (activités agropastorales, petites transformations, autres activités génératrices de revenus etc.). Cette ouverture du PACV à la prise en charge du développement économique local a nécessité la révision du schéma institutionnel avec l’introduction des départements ministériels en charge des activités agropastorales à travers leurs démembrements au niveau régional et préfectoral en vue d’appuyer et d’accompagner la demande du guichet productif émanant essentiellement des organisations agropastorales. La complexité de la mise en oeuvre de ce nouveau mécanisme, utilisant les structures de gestion de la commune, a amené le gouvernement et les principaux bailleurs de fonds à abandonner cette ouverture du Programme aux activités économiques.

La même problématique de promotion d’un développement durable se pose avec acuité au niveau des zones minières. Même s’il reste évident que les besoins en infrastructures sociocommunautaires (écoles, postes et centres de santé) restent assez importants, la présence de la société minière s’accompagne avec l’apparition d’autres besoins (aménagement et développement urbain, gestion de l’environnement, création d’emplois, développement de petites et moyennes entreprises locales pour répondre à des sollicitations de la société minière, développement des activités agropastorales pour répondre aux besoins de consommation urbaine, fermeture de mines etc.). C’est dans ce cadre que le MMG, en partenariat avec la Chambre des Mines de Guinée (CMG) a été appuyé par la Banque Mondiale à travers l’utilisation des fonds CommDev pour réaliser une étude portant sur « le Cadre de Développement Communautaire pour le Secteur Minier en Guinée ». Cette étude a abouti à la proposition d’une approche qui se décompose en cinq phases :

  • Des études référentielles de base favorisant une meilleure connaissance du contexte,
  • Un plan d’engagement multipartenaire décrivant les contraintes, les actions à entreprendre et les engagements de tous les partenaires,
  • Une évaluation de l’impact environnemental et social qui permet d’établir les impacts positifs et négatifs sur les communautés et de préparer un plan de gestion de ces impacts,
  • Un plan d’action de réinstallation des communautés, et
  • Un plan de développement communautaire qui est la synthèse des différentes phases.

A notre avis, la problématique du développement communautaire des zones minières doit être une préoccupation du MMG et du Ministère chargé de la décentralisation. Il ne s’agit pas de créer une direction spécifique qui risque d’être plombée par des entraves bureaucratiques.

La structure idéale serait de créer une Cellule de Coordination d’un Comité Consultatif rattachée au Secrétariat Général du MMG, dont la mission se limite à servir de Secrétariat au Comité en charge du développement économique des zones minières. Ce comité aura la charge, entre autres, de :

  • Réfléchir sur une stratégie nationale de développement des zones minières en se basant sur les stratégies nationales et sectorielles ;
  • Promouvoir la mise en oeuvre de la stratégie lors de la phase développement d’un projet minier ;
  • Promouvoir les approches PPP pour le développement des zones minières ;
  • Appuyer la mise en oeuvre des projets de développement des zones minières ;
  • Renforcer les capacités des structures déconcentrées de l’Etat dans les zones minières pour un meilleur suivi de la mise en oeuvre des projets de développement dans les zones minières ;
  • Assurer le suivi et l’évaluation des projets de développement des zones minières ;
  • Capitaliser les différentes expériences en vue d’améliorer de façon permanente la stratégie.

Pour réaliser ces différentes activités, le comité sera présidé par le Secrétaire Général du MMG et sera composé de la CMG, des directeurs nationaux des structures du MMG qui sont impliquées dans cette problématique (DNM et le CPDM), de la Direction Nationale de la Décentralisation (DND), de la Direction Nationale du Développement Local (DNDL), de la Direction Nationale de l’Environnement (DNE), de la Direction Nationale de l’Urbanisme (DNU) et de la Direction Nationale du Budget (DNB).

La base de réflexion pour la stratégie et l’approche de développement communautaire sera celle du PACV. La mission du Comité sera de l’adapter aux besoins spécifiques des zones, notamment dans les domaines suivants : aménagement et développement urbain, gestion de l’environnement, création d’emploi, développement de petites et moyennes entreprises (PME) locales pour répondre à des sollicitations de la société minière, développement des activités agropastorales pour répondre aux besoins de consommation urbaine et fermeture de mines. Ce qui implique que l’approche en matière de formulation de la demande sera de type participatif et le PDL sera aussi l’outil de planification pour la mise en oeuvre des activités. Cela nécessite aussi qu’en plus des approches participatives classiques, des approches thématiques visant l’identification des besoins spécifiques soient réalisées pour permettre à la collectivité de disposer d’un PDL global.

Les ONGs internationales et locales qui disposent de réelles capacités dans la mise en oeuvre des projets et programmes de développement communautaire seront sollicitées pour la maîtrise d’oeuvre et la réalisation des activités.

Contribution du secteur au développement communautaire

A défaut d’une stratégie nationale de développement des zones minières, les sociétés et les acteurs locaux ont développé des approches assez variées pour appuyer le développement de leurs zones d’intervention. Trois types d’interventions ont été recensés : les interventions par le biais de l’administration locale, les approches projets et les interventions directes qui sont proches du philanthropisme.

 Interventions par le biais de l’administration locale

Cette approche consistait à verser chaque année un montant déterminé à la structure administrative qui assure la tutelle (région ou préfecture) sur une base contractuelle (convention minière) ou sur la base d’une entente entre la société minière et l’Etat. Cette structure est chargée de répartir ce montant aux autres collectivités territoriales (préfectures et CRD) suivant des clefs de répartition qui ne répondent pas nécessairement à une logique prédéfinie.

C’est cette situation qui a prévalu dans la préfecture de Boké avec la CBG de 1987 à 1998 et dans les deux sites miniers gérés par Rusal (Rusal / Friguia à Fria et Rusal / Débélé à Kindia).

Cette approche est actuellement dénoncée par les organisations de la société civile et les collectivités locales des zones d’intervention. Car, ceux-ci ne disposent d’aucune information sur les critères qui permettent de fixer les montants (Fria et Kindia) et sur les critères de répartition des montants entre l’administration préfectorale et les collectivités locales. Or, ces dernières sont les plus touchées par les effets négatifs des activités minières. C’est aussi le cas de la CRD de Sangarédi qui reçoit moins de 17,5% des 200 millions GNF versés chaque année par la CBG, alors que toutes les activités d’extraction se déroulent sur son sol.

A Fria et Kindia, cette forme de gestion de la contribution au développement local sur laquelle l’Etat a une grande responsabilité a toujours entrainé une frustration des communautés et conduit souvent aux blocages des carrières d’extraction ou à des soulèvements comme ce fut le cas, en 2009, de la mine de Débélé et qui s’est soldé par des pertes en vies humaines.

Approches projets

Dans le but de prévenir une situation conflictuelle qui risque de porter atteinte aux activités des sociétés minières, des projets de développement communautaire ont été initiés au niveau de quatre sites miniers :

  • A Siguiri avec la SAG,
  • Dans la préfecture de Boké avec Rio Tinto / Alcan et l’AFD pour un projet de construction d’une usine d’alumine,
  • A Beyla avec Simfer (Rio Tinto) et
  • A Kouroussa avec la SEMAFO.

Ces projets ont utilisé l’approche participative dans le processus d’identification des actions à réaliser. La différence entre ces quatre se situe au niveau de l’ancrage institutionnel pour la mise en oeuvre des actions. Dans le projet Rio Tinto / Alcan avec AFD qui intervient au niveau des trois CRD de Kolaboui, Kamsar et Sangarédi, c’est l’approche PACV qui est mise en oeuvre. La maîtrise d’ouvrage pour la réalisation des activités est assurée par la CRD qui

utilise son Fonds d’Investissement Local (FIL) alimenté par elle-même (quote-part de la CRD) et les bailleurs fonds (Rio Tinto, Alcan et l’AFD) avec l’appui technique du CECI en qualité de maîtrise d’oeuvre. Il en est de même au niveau de la SEMAFO qui verse la contribution locale au développement local au Programme de Développement Local en Guinée (programme du PNUD / FENU) qui utilise la même approche que le PACV.

A Siguiri et Beyla, les sociétés minières utilisent une approche plus ou moins similaire. Il s’agit de s’appuyer sur des comités locaux de développement pour la sélection des projets devant être financés par les fonds affectés au développement communautaire. A Siguiri, la SAG et les autres acteurs locaux se sont basés sur une structure légale prévue par les textes sur la décentralisation : le Comité Préfectoral de Développement (CPD), présidé par le Préfet et composé des Présidents des CRD et le Maire de la CU, des responsables des structures déconcentrées de l’Administration, des représentants de la société minière et des représentants de la société civile locale. Au niveau de Beyla, le Comité est composé uniquement des Présidents des CRD, des représentants de la société civile et ceux de la société minière. Sur le plan financier, les ressources sont gérées par la société minière dans les deux sites et les décaissements sont faits sur présentation de factures de prestations accompagnées d’une demande émanant des comités de sélection. Il est important de signaler qu’à Beyla, Rio Tinto décaisse des fonds provenant de sa fondation (Simfer / Simandou est à l’état de projet) et qu’à Siguiri les fonds proviennent des 0,4% du chiffre d’affaires qui constituent la contribution au développement local.

Sur le plan technique, ces deux initiatives sont soutenues par des opérateurs externes : Le CECI à Siguiri et le Bureau d’Entraide pour le Développement (BED) à Beyla, ceci en qualité de maîtrise d’oeuvre. La mission de ces prestataires est de former les acteurs locaux membres des comités pour qu’ils maîtrisent le processus de sélection et de mise en oeuvre des projets. Le constat global est que, tant que les prestataires assument cette mission, la transparence est toujours assurée. Ce qui n’est pas toujours le cas à la fin du contrat de l’opérateur. C’est le cas qui est actuellement observé dans la gestion de la contribution au développement local au niveau de Siguiri.

Interventions directes 

En plus de ces deux types d’intervention, toutes les sociétés minières investissent des fonds assez importants provenant généralement des fondations dans le développement communautaire de leurs zones d’intervention. L’objet de ces fonds dénommés « licence sociale » servent généralement à apaiser le climat social dans leur zone d’intervention et sécuriser les importants investissements réalisés et l’exploitation. Ces financements sont souvent réalisés sur la base d’une demande provenant des associations de jeunes ou des ressortissants et ciblent pour la plupart des cas la construction d’infrastructures culturelles, sanitaires, scolaires ou la réalisation de forages ou des puits améliorés. Il arrive aussi souvent que ces ressources servent à financer des activités génératrices de revenus au profit des associations féminines.

Ces types d’interventions viennent souvent compléter les deux autres types cités ci-dessus dans la plus part des sites miniers. Il est nécessaire de signaler que sur les sites de Rusal, ces pratiques sont très courantes. Malheureusement, les infrastructures réalisées ne correspondent pas toujours avec les besoins réels des communautés des zones d’extraction.

L’appropriation de ces types de projets par les communautés n’est toujours pas évidente. Car dans la plupart des cas, les bénéficiaires ne participent pas à la réalisation. Ce sont les sociétés minières qui engagent et suivent tout le processus de réalisation. Ainsi, il est fréquent d’observer le fait que les promoteurs se retournent vers la société minière en cas de dégradation de l’infrastructure ou de pannes des équipements.

Autres interventions des sociétés minières

Dans le but de mieux apaiser le climat qui prévaut dans sa zone d’intervention et pour répondre à une demande sociale croissante, la CBG a lancé un projet pilote assez innovateur de promotion de petites entreprises créées par les jeunes formés dans les écoles professionnelles. Ce projet dénommé « Projet Pilote Promotion des TPE (Toutes Petites Entreprises) » a comme objectif général la réduction de façon significative du chômage des jeunes garçons et filles dans les CRD de Kamsar, Kolaboui et Sangarédi. De façon spécifique, il s’agit de :

  • Réduire le chômage des jeunes par le biais de la facilitation à l’accès à la sous-traitance locale de la CBG,
  • Promouvoir l’entreprenariat féminin en offrant des opportunités de revenus aux femmes et
  • Contribuer à l’éclosion et au développement d’un tissu de PME locales pouvant offrir des prestations de qualité à la CBG et aux futures sociétés industrielles.

C’est dans ce cadre que des corps de métiers correspondant aux besoins locaux de la société minière dans des domaines comme l’entretien, la petite maintenance et l’assainissement ont été sélectionnés. Ce projet cible à impliquer les jeunes à travers leurs entreprises dans les activités de la société minière. Cette approche a des avantages certains pour la société car elle permet d’abaisser les coûts des sous-traitants locaux et permet aussi de lutter contre le chômage.

Actuellement l’expérience vient juste de démarrer. Elle paraît intéressante et les responsables de la société minière ont déjà identifié certaines contraintes comme la faible capacité des promoteurs en management et dans les domaines techniques (gestion de la qualité, respect des normes de sécurité etc.). Dans le domaine technique, la société dispose des ressources humaines pour assurer une meilleure qualification des dirigeants des TPE. C’est dans les domaines liés au management comme l’esprit d’entreprise, la gestion administrative, la gestion comptable et financière, etc., qu’elle souhaite l’appui des bailleurs de fonds institutionnelles.

Dans le même ordre d’idées, lors de la formulation de la deuxième phase du Programme de Développement Local en Haute Guinée (PDLG II), un protocole de partenariat avait été signé avec la SEMAFO qui avait décidé de mettre en place une ligne de crédit auprès d’une institution de micro finance en vue d’appuyer les projets des dynamiques économiques de la CRD de Kiniéro (groupements de producteurs et productrices, entreprises rurales, etc.).

L’identification, la formalisation et le renforcement des capacités des bénéficiaires devait être assurés par le PDLG avec les fonds du PNUD. Mais ce processus n’a pas été mise en oeuvre en raison des problèmes liés au fonctionnement du PDLG : contexte politique et retards dans la mise en oeuvre de l’outil d’analyse du FENU, à savoir du Système d’Analyse Institutionnelle et Financière des Collectivités Locales (SAFIC). Actuellement, la disponibilité de la Direction Générale de la SEMAFO de mettre en oeuvre son projet est toujours d’actualité, car l’objectif ciblée est de mieux insérer les entreprises rurales spécialisées dans la production de produits agricoles dans le secteur des BTP et l’assainissement dans les chaînes de valeur. Mais c’est l’appui d’une institution professionnelle pour accompagner ce processus qui fait toujours défaut. Histoire à suivre.

Impacts et contraintes liés aux interventions dans le développement communautaire

Les effets des interventions des sociétés minières dans le développement communautaire sont assez variés. Ils dépendent surtout du type d’intervention.

Impacts des interventions dans la lutte contre la pauvreté

Les interventions par le biais de l’administration publique ont des effets limités dans le développement économique des communautés locales et notamment dans la lutte contre la pauvreté.

Généralement, elles sont caractérisées par des pratiques de mal gouvernance qui affectent la répartition des fonds entre les différentes circonscriptions administratives et la gestion des fonds au niveau de chaque collectivité territoriale. Les autorités régionales ou préfectorales, qui ne sont que des représentants de l’Etat au niveau de la circonscription administrative concernée (région ou préfecture), s’attribuent la part la plus importante (entre 40% et 47% en moyenne des fonds versés), alors qu’il est rare qu’elles investissent ces sommes dans une infrastructure collective. Par contre, les collectivités locales qui abritent les installations de la société minière et les autres se partagent le reste des fonds. Il n’est pas possible d’obtenir des explications sur les critères de répartition des ressources au niveau de la société minière et de l’administration locale, Il a été aussi constaté que la capacité de gestion des autorités locales est faible. Généralement, elles cherchent à faire valoir un minimum de transparence en respectant certaines procédures du code des collectivités locales (convocation du Conseil Communal pour décider de la priorisation des investissements etc.). La situation qui prévaut dans les collectivités des zones d’extraction se comprend d’autant plus étant donné que le seul programme national de développement communautaire qui existe en Guinée, le PACV avait exclu de sa zone d’intervention les zones minières. Ceci avec comme argument l’existence de ressources assez importantes par rapport aux autres collectivités locales. Par conséquent et contrairement à celles qui ont été appuyées par le PAVC, les structures de gestion des collectivités des zones minières n’ont pas bénéficié des formations dans certains domaines clés comme : i) la gestion administrative et financière d’une collectivité locale, ii) les procédures de passation de marchés au niveau communautaire et iii) la gestion des infrastructures communautaires. Ceci dit, on peut bien comprendre que les pratiques de mal gouvernance rencontrées dans les collectivités locales des zones d’extraction relèvent aussi bien de l’analphabétisme assez élevé que de la méconnaissance des textes et règlements qui régissent la décentralisation.

Les interventions directes réalisées par les sociétés minières sous la forme de financements philanthropiques n’ont que des effets limités dans la lutte contre la pauvreté. Les infrastructures réalisées par ces types de financements ciblent particulièrement les jeunes et les femmes. L’objectif de ces actions n’est pas d’assurer le développement durable des zones d’extraction, mais il s’agit plutôt de chercher à se prémunir des éventuels soulèvements sociaux dans lesquels les jeunes jouent un rôle primordial.

Par contre, les interventions dans le développement communautaire des zones d’extraction portées par les projets et programmes ont des effets positifs dans la lutte contre la pauvreté. Leurs approches pour la détermination de la demande permettent d’impliquer les bénéficiaires dans tout le processus (identification, planification, mobilisation des ressources, mise en oeuvre, suivi et évaluation). Cette démarche permet aux communautés des zones d’extraction de résoudre leurs contraintes et d’améliorer leurs conditions de vie.

Contraintes des interventions

A la suite de l’analyse ci-dessus portant sur les interventions des sociétés minières dans le développement communautaire et leur capacité à promouvoir la lutte contre la pauvreté, des contraintes ont été mises en évidence. Les plus importantes sont : i) l’absence d’une stratégie nationale de développement des zones minières, ii) l’opacité de la gestion des ressources destinées à financer le développement des collectivités locales, iii) la faible implication des organisations de la société civile dans la gestion des ressources locales, iv) le faible niveau de la concertation entre les sociétés minières et les communautés, v) la faible capacité en management des structures de gestion des collectivités et vi) l’absence d’une stratégie dynamique des sociétés minières de promouvoir les entreprises locales dans leurs chaînes de valeur.

Absence d’une stratégie nationale de développement des zones minières

L’absence d’une stratégie nationale de développement des zones minière capable de promouvoir un développement durable intégré a été notoire. Cette situation a amené de grandes sociétés minières qui disposent d’une ligne de conduite proche des normes et standards internationaux les plus élevés en matière de développement durable à dérouler leur propre approche au niveau de leurs zones d’intervention. C’est le cas de BHP Billiton qui compte intervenir dans l’exploitation du fer du Mont Nimba – un milieu agroécologique disposant d’une biodiversité rare et très fragile – et de Rio Tinto pour l’exploitation d’une partie du Mont Simandou. Cette dernière société, bien qu’elle n’existe qu’à l’état de projet, projette dans le cadre de développement communautaire de s’investir dans tous les secteurs du développement durable de la zone de Beyla : Cet appui vise, entre autres, le développement urbain de la ville de Beyla et de la CRD de Nionsomorodou, le développement agropastoral dans 19 villages de la zone d’intervention et la promotion des PME locales en partenariat avec l’IFC et des institutions de formation et de micro crédit.

Par contre dans les autres sites miniers, chaque société minière déroule son approche suivant les trois types d’intervention décrits ci-dessus. Cette multiplicité dans les approches conduit souvent à des résultats très mitigés. Même celle qui est jugée actuellement la plus appropriée (approche projet) est confrontée à des problèmes de pérennisation. Dès la fin de la période d’assistance technique, le respect des procédures et des pratiques de bonne gouvernance est relégué au second plan.

Opacité de la gestion des ressources destinées à financer le développement des collectivités locales 

La confusion a toujours été entretenue par les problèmes liés à la production des textes d’application du code minier de 1995. Selon l’article 142, « les droits, redevances et taxes cidessus sont répartis entre les budgets de l’Etat, des collectivités locales et du Fonds de Promotion et de Développement Minier. Les taux de répartition sont fixés par arrêté conjoint du Ministre chargé des finances et du Ministre chargé des mines ».

Dans l’esprit d’expliciter l’article 142 du code minier, la note de service N° 0020/MMGE/03 en date du 31 juillet 2003, signé par le Secrétaire Général du MMG, fixe la répartition des taxes minières et celles de l’exploitation des carrières comme suit :

  • Budget national : 20% ;
  • Budget préfectoral : 25% ;
  • Budget CRD : 25% (dont 10% pour le district concerné) ;
  • Fonds Minier : 30%.

Par la suite, l’arrêté conjoint N° A/2007/033/MEDE- MMG/SGG du 29 janvier 2007 fixant les taux de répartition des droits fixes, des taxes et redevances résultant de l’octroi, du renouvellement, de la prorogation, du transfert et/ou de l’amodiation des titres miniers, exclu la collectivité locale de la répartition des droits taxes et redevances payés par les détenteurs de titres miniers. C’est uniquement l’arrêté conjoint N° 3765/MEF/MMG/SGG en date du 10 octobre 2008 fixant les taux et tarifs des droits fixes et taxes et redevances résultant de l’octroi, renouvellement de la prorogation du transfert et l’amodiation de titre minier qui affecte l’intégralité de la taxe superficiaire à la collectivité locale de la zone d’extraction.

Cette situation a favorisé l’installation d’une cacophonie dans la gestion des ressources locales provenant de l’exploitation minière et des carrières. Ainsi, dans chaque région ou préfecture, l’autorité administrative applique les textes qui correspondent à ses intérêts particuliers. Il est important de savoir que les structures de gestion des collectivités territoriales administratives telles que la région administrative et la préfecture sont des démembrements de l’Etat. Par conséquent et conformément à l’esprit de l’article 142 du code minier, elles sont exclues des bénéficiaires des impôts, taxes et redevances payées par les sociétés minières.

Même le recouvrement de la taxe superficiaire pose souvent des problèmes alors qu’elle est réservée à réparer les dommages occasionnées par l’ouverture des puits (recherche), des mines (exploitation) ou des carrières. Selon l’arrêté conjoint N° A/2007/033/MEDEMMG/SGG du 29 janvier 2007, la société minière ou l’exploitant de la carrière doit verser directement le montant de la taxe à la collectivité locale. Dans les zones ou le Président de la CRD ou le Maire dispose d’une forte influence et maîtrise les textes, il arrive à s’imposer et à faire valoir les droits de sa collectivité. Dans les autres cas, c’est la préfecture, par le biais du Chef du Service Préfectoral des Mines et Carrières, qui collecte ces taxes et les répartit en fonction des directives de l’autorité préfectorale.

Faible implication des organisations de la société civile dans les mécanismes de gestion des ressources locales

Elles jouent un double rôle, à savoir : (i) la promotion de la transparence dans la gestion des taxes et redevances minières et (ii) la formation des membres des structures de gestion des collectivités locales dans les domaines de la gouvernance administrative et financière.

Dans le domaine de la promotion de la transparence dans la gestion des taxes et redevances minières, la coalition nationale « Publiez Ce Que Vous Payez » (PCQVP) a installé des antennes dans les zones minières avec comme mission la promotion de la transparence dans la gestion des ressources provenant du secteur minier. Dans certaines zones comme Sangarédi, l’antenne est très dynamique et entretient des relations de partenariat avec le bureau de la CRD et la direction décentralisée de la CBG qui l’utilise dans la sensibilisation des communautés pour une meilleure gestion de l’eau et de l’électricité. Par contre, dans les autres sites miniers, ces antennes ne sont pas encore opérationnelles.

Il a été aussi constaté l’existence de quelques ONG locales qui sont appuyées par le Programme concerté de Renforcement des capacités des Organisations de la société civile et de la Jeunesse Guinéenne (PROJEG). Ces ONG jouent un rôle assez important dans la promotion de la gestion transparente des redevances minières et le renforcement des capacités des membres des structures de gestion des collectivités locales dans des domaines comme la gestion administrative et financière ainsi que la passation des marchés. Mais elles ne sont pas bien structurées.

Faible niveau de concertation entre les sociétés minières et les communautés

La capacité des sociétés minières à prévenir les conflits avec les communautés des zones d’extraction varie d’un site à un autre. Dans certaines zones minières comme Fria, Débélé (Kindia) et Kiniéro (Kouroussa) le niveau de concertation entre les sociétés minières et les communautés est faible. Cela résulte le plus souvent de l’absence d’une politique de communication et d’une certaine méfiance des responsables de la société par rapport aux communautés locales. Ces sociétés pensent que les rencontres avec les communautés risquent de se transformer en tribune destinée à la réclamation d’un certain nombre de doléances. C’est la raison pour laquelle les sociétés ne sont pas très intéressées par ce genre de rencontre.

Par contre, dans d’autres localités comme Siguiri et Sangarédi, l’existence de cadres de concertation entre la société minière, l’engagement de l’administration préfectorale et des responsables des CRD qui représentent les communautés permet de régler les problèmes identifiés et de prévenir d’éventuels conflits. La périodicité des rencontres est fixe- Dès qu’un acteur identifie un problème qui risque de perturber la paix sociale, il a la latitude de convoquer une réunion du cadre de concertation.

Dans certaines localités comme Kiniéro, la situation conflictuelle qui prévaut dans la zone et qui a pris des dimensions inquiétantes (avec des vols et la destruction des équipements de la société minière) est animée et entretenue par des acteurs externes, s’agissant surtout d’hommes d’affaires originaires de la zone, qui instrumentalisent certains acteurs communautaires comme le conseil des sages pour des raisons personnels. C’est pour cette raison qu’il est important, afin de créer un environnement pacifié, d’intégrer les associations des ressortissants dans la concertation car elles jouent un rôle important dans leur milieu d’origine.

Faible capacité en management des structures de gestion des collectivités locales

Malgré les efforts effectués par l’Etat dans le cadre du renouvellement des conseillers communaux, le niveau d’analphabétisme est toujours très élevé dans les collectivités locales des zones minières. La conséquence de cette situation est le fait que c’est dans ces zones où l’on rencontre les conflits entre les sociétés minières et les communautés locales les plus aigus – conflits généralement attisés par des acteurs externes qui manipulent les structures de gestion (conseil des sages ou conseil communautaire) ou les associations des jeunes.

Dans la plupart des collectivités locales des zones minières, il y a peu de membres des structures de gestion des collectivités locales qui ont bénéficié des formations nécessaires dans les différents domaines liés à la gestion communale (gestion administrative et financière, passation de marché etc.). C’est ce qui explique souvent les défaillances constatées dans le faible niveau de mobilisation et de gestion des ressources. Cette spécificité des collectivités locales des zones minières est la conséquence, au moins en partie, de la décision du PACV de ne pas les couvrir. 

Absence d’une stratégie dynamique des sociétés minières de promouvoir les entreprises locales dans la chaîne des valeurs 

Dans certaines sociétés minières comme la CBG et la SEMAFO, il a été constaté une réelle volonté de promouvoir les entreprises locales dans les chaines de valeur de l’industrie extractive. Dans tous les cas, ces expériences ciblent un double objectif. Il s’agit de prévenir les conflits avec les communautés locales dont les jeunes constituent la classe la plus sensible et de réduire le coût de la sous-traitance qui dès fois coûte très cher. C’est dans ce cadre que la CBG a mis en place son projet de promotion des toutes petites entreprises (TPE) et la SEMAFO cherche un appui institutionnel pour développer les organisations de producteurs et les petites entreprises rurales de la CRD de Kiniéro. Même si la première expérience (celle de la CBG) semble être très avancée, toutes les deux sont marquées par l’absence d’une stratégie réelle de développement des PME. Ainsi, le projet de la CBG est déjà confronté à des problèmes liés à la qualification des dirigeants des TPE dans certains domaines comme le contrôle de la qualité et la gestion comptable et financière alors qu’au niveau de la SEMAFO, le projet n’arrive pas à voir le jour.

Toutes ces contraintes qui bloquent l’émergence d’un développement durable intégré dans les zones minières sont les facteurs essentiels qui favorisent la pauvreté des communautés locales dont le corollaire est la persistance d’une situation conflictuelle qui n’est pas profitable à aucun des acteurs. Pour ces raisons, il est important que l’Etat et les sociétés minières conjuguent leurs efforts pour résoudre ces entraves.


Lire le rapport complet: Enjeux_Gouvernance_Mines_Guinee





‘’Un président ne devrait pas dire ça…’’

A la différence du récit d’enquête relaté par les journalistes d’investigation Gérard Davet et Fabrice Lhomme et François Hollande dans ‘’un président ne devrait pas dire ça’’, les discours aux relents populistes de Alpha Condé dénotent plutôt l’improvisation et l’amateurisme de la gouvernance à tous les niveaux.

Voici quelques extraits de notre ‘’président ne devrait pas dire ça…’’

« A Conakry, ce sont les mareyeuses, qui vendent le poisson. Les gens qui pêchent doivent vendre aux mareyeuses. Comment avons-nous pu autoriser les Chinois de vendre les poissons ? Nous sommes en train de faire des enquêtes. On va sanctionner tous ceux qui ont donné l’autorisation. Nous avons dit que la plupart des bateaux qui pêchent sont des bateaux étrangers. Les gens utilisent les Guinéens comme prête-noms. Désormais, il faut qu’on s’organise pour que les gens qui pêchent aient leur propre bateau pour ne pas qu’ils fassent de la consignation. Deuxièmement, tous les étrangers qui veulent pêcher ici maintenant doivent avoir leur installation à terre. Il ne s’agit pas de pêcher et partir. Nous allons leur donner des licences c’est-à-dire qu’ils font des frigorifiques et des chambres froides à terre. Toutes ces réformes doivent être faites. C’est pourquoi, moi, je ne peux pas féliciter le ministère de la pêche, même s’il y a eu beaucoup de progrès, certes, mais il reste à faire.

Les femmes mareyeuses ont raison, je ne dis pas d’aller casser mais elles ont raison. On n’a pas à donner à une société chinoise de commercialiser les poissons en ville, ce n’est pas leur rôle. Qui a donné cette autorisation ? Je demande au ministre de me donner le nom, on va le sanctionner puisque c’est se foutre de l’Etat guinéen. On a des règles. Les femmes-là se lèvent à 4h du matin, parfois, les voitures les renversent. Et on veut envoyer une société chinoise pour vendre à leur place. Est-ce que nous on peut faire du commerce de détail en Chine ? On ne va plus accepter que des gens prennent de pots-de-vin pour prendre des décisions contraires aux intérêts du peuple. » ©Guinéenews

« Lors d’une réunion, les opérateurs économiques m’ont dit qu’ils sont prêts à payer l’impôt, mais à condition que ça arrive dans les caisses de l’Etat parce que les gens détournement l’argent »

« Des solutions internes existent en Guinée. Malheureusement, avec la faiblesse de l’organisation de l’administration, on n’a pas pu les intégrer. Il ne s’agit pas de dire qu’on va punir tel ou tel, c’est un système. Il faut changer complètement le système. »

« On aime trop mentir sur les gens. Et si vous les suivez, vous allez sanctionner des innocents et laisser les véritables fautifs. » ©VisionGuinée

Pour rappel, Alpha Condé est le président de la République de Guinée et il se surnommerait Professeur Alpha Condé pour la petite histoire.

A suivre le prochain numéro de notre ‘’président ne devrait pas dire ça…’’