22 janvier 2007: chronologie d’une tuerie organisée


Par Sékou Chérif Diallo


Cette image a marqué les esprits. Nous sommes le 22 janvier 2007, une date funeste dans l’histoire de la Guinée. Ce jour-là, une marée humaine envahit pacifiquement les rues de Conakry, scandant un slogan qui résonne encore : “Nous voulons le changement”. Mais la manifestation tourne brutalement à la tragédie. Face à la foule désarmée, les forces de l’ordre ouvrent le feu sans retenue. C’est un massacre.

Dix-sept ans après, ce dramatique événement hante encore la mémoire collective. Les autorités restent silencieuses, laissant les familles des victimes dans l’attente d’une reconnaissance et d’une justice qui ne viennent pas.

A l’heure où la Guinée amorce une transition incertaine, il est plus que jamais nécessaire de faire la lumière sur ces violations des droits de l’Homme, et sur les nombreux autres épisodes sanglants qui ont jalonné l’histoire récente du pays. C’est une question de devoir de mémoire autant que de justice.

Dix-sept ans après cette sanglante répression, il est temps de faire la lumière sur les dramatiques événements survenus en ce début d’année 2007. Retour sur une période tragique dont les blessures peinent à se refermer.

ANNONCE D’UNE GREVE GENERALE

Le 2 janvier 2007, les principales centrales syndicales guinéennes, notamment la CNTG/USTG, l’ONSLG et l’UDTG, déposent un préavis de grève illimitée à compter du 10 janvier. Cette décision fait suite aux nombreuses dérives du régime en place :

  • Ingérences répétées du chef de l’État dans le pouvoir judiciaire, se traduisant par des libérations illégales de citoyens en conflit avec la loi
  • Endettement excessif auprès de la Banque centrale menaçant la stabilité monétaire du pays
  • L’incapacité du gouvernement à arrêter la dépréciation continue du franc guinéen qui aggrave l’inflation et la chute du pouvoir d’achat des populations en général et des travailleurs en particulier
  • Atteintes répétées aux droits syndicaux et au principe de leur indépendance par rapport au pouvoir politique
  • Dérive autoritaire du président de la République allant à l’encontre de ses devoirs constitutionnels

Face à ces nombreux manquements et à l’indifférence des contre-pouvoirs institutionnels, la société civile guinéenne choisit légitimement la voie de la contestation sociale pour opposer son refus à la dérive du régime.

10 JANVIER : DÉBUT DE LA GREVE

10 janvier : Le mot d’ordre de grève de l’intercentrale CNTG/USTG, élargi à l’ONSLG et à l’UDTG, est largement suivi sur toute l’étendue du territoire national. Les transports urbains et interurbains sont paralysés. Boutiques, magasins, marchés, supermarchés et restaurants sont restés fermés. Les ministères, banques, assurances, entreprises du secteur public et privé, compagnies minières, gares routières sont paralysés. Quelques compagnies aériennes annulent leurs vols en direction de Conakry.

12 janvier : Les leaders de la centrale syndicale sont reçus par le Président de la République. Ce dernier leur demande de lui faire des propositions écrites. Le même jour, vers 20h, des émeutes sont enregistrées sur le tronçon Hamdallaye-Bambeto-Cosa. Des jeunes manifestants, révoltés de voir circuler des taxis et des magbanas, érigent des barricades et lancent des cailloux sur ces véhicules.

13 janvier : Au siège de l’USTG, un comité de réflexion peaufine le document à remettre au Président de la République. Dans l’après-midi, sept jeunes sont arrêtés par les agents de la CMIS au siège du Conseil national des organisations de la société civile à Dixinn Bora. Ils seront libérés vers 1h du matin après plusieurs tractations et négociations entre les forces de l’ordre et les leaders syndicaux.

15 janvier : Le gouverneur de la ville de Conakry, Amadou Camara, interdit la marche pacifique du Conseil national des organisations de la société civile à laquelle avaient adhéré 14 partis politiques de l’opposition. Le même jour, les mouvements de protestation embrassent la commune de Matoto. Vers 17h, la secrétaire générale de la CNTG, Hadja Rabiatou Serah Diallo et le secrétaire général de l’USTG, Ibrahima Fofana, sont reçus pour une deuxième fois par le Président de la République. Les syndicalistes remettent au Président le document de proposition de sortie de crise qu’il leur avait réclamé, lors de la rencontre du vendredi 12 janvier. Quatre points meublent ce document :

  • Premièrement, la mise en place d’un gouvernement de large consensus, dirigé par un chef de gouvernement.
  • Deuxièmement, le respect du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
  • Troisièmement, le soutien du pouvoir d’achat des populations en général et des travailleurs en particulier.
  • Quatrièmement, l’application intégrale des accords signés entre le gouvernement, le patronat et les syndicats.

16 janvier : Les turbulences continuent à Conakry et à l’intérieur du pays. Dans la journée, les leaders syndicaux rencontrent les imams à la mosquée Fayçal pour leur remettre le document de proposition de sortie de crise, déposé la veille auprès du Président, et les exhorter à intervenir auprès du chef de l’État.

17 janvier : Dès 10h, une foule de manifestants, avec à leur tête les responsables syndicaux, scandent en chœur « Nous voulons le changement », prennent le départ à la Bourse du travail pour le Palais du peuple. Huit syndicalistes sont arrêtés, puis libérés et conduits à l’Assemblée nationale. Pendant ce temps, à Kaloum, les forces de l’ordre ont du fil à retordre avec les jeunes manifestants. À 20h, les syndicalistes se rendent au camp Samory Touré pour rencontrer le Général Kerfalla Camara, chef d’état-major de l’armée.

18 janvier : Des violents affrontements entre forces de l’ordre et manifestants sont enregistrés dans la haute banlieue de Conakry, notamment le long de la route Le Prince et au rond-point de Hamdallaye. De nombreux manifestants sont arrêtés.

19 janvier : Le président Lansana Conté limoge le ministre des Affaires présidentielles Fodé Bangoura qui avait fait arrêter Mamadou Sylla.

22 janvier : La grande tuerie. Il est 8h du matin, ce 22 janvier. Les habitants des quartiers de la banlieue de Conakry (Wanindara, Cosa, Bambeto, Dar-es-Salam…), envahissent la route Le Prince. Hamdallaye et Hafia se joignent au mouvement. La première confrontation, au poste de gendarmerie de l’escadron mobile n°2 de Hamdallaye, un agent de la sécurité tire à bout portant sur un jeune manifestant. La première victime est enregistrée. Scandant des slogans demandant le départ du président Lansana Conté, on pouvait entendre : “À bas la dictature ! Nous voulons le changement !”. Dès 11h du matin, toutes les artères des communes de Ratoma et Matoto étaient bondées de manifestants.

Selon une source hospitalière, cette seule journée du lundi 22 janvier avait enregistré plus d’une centaine de morts et 250 blessés.

Selon un rapport publié par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité et présenté le 2 mai à la télévision d’État par le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Justin Morel Junior, ces événements ont fait 137 morts et 1 667 blessés entre le 22 janvier et le 26 février. Par contre, d’autres sources indépendantes donnent un bilan plus important.

27 janvier : Les syndicats et le gouvernement s’accordent sur la nomination d’un Premier ministre avec le rôle de chef de gouvernement. Les syndicats suspendent la grève générale.

9 février : L’Union européenne, rejointe par la plupart des pays européens, se félicite de l’accord entre les syndicats et le gouvernement et « demande au gouvernement un éclaircissement sans réserve des circonstances de ces décès [pendant les manifestations] et des poursuites judiciaires contre les coupables».

Le même jour, le président Conté nomme Eugène Camara au poste de Premier ministre. Cette nomination d’un proche de Lansana Conté est rejetée par les syndicats et l’opposition dans leur ensemble, qui relancent la grève le 10 février.

11 février : Après l’enregistrement de plus d’une centaine de morts le 22 janvier et après, l’intersyndical exige pour la première fois le départ du pouvoir du président Lansana Conté.

12 février : Le président décrète l’état de siège, impliquant un couvre-feu de 20h à 6h du matin et de 6h à 16h sur l’ensemble du territoire. Toutes les manifestations, cortèges, rassemblements sont interdits. Les forces de l’ordre sont autorisées à arrêter toute personne dont l’activité présente un danger pour la sécurité publique et à mener en tout lieu des perquisitions de jour et de nuit.

16 février : L’Union africaine adopte une résolution condamnant l’usage excessif de la force et demande une enquête indépendante sur les violences.

17 février : Alors que les syndicats ont rompu les négociations, une délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, présidée par l’ancien dirigeant nigérian Ibrahim Babangida, arrive à Conakry.

18 février : La période du couvre-feu est désormais de 18h à 6h sur l’ensemble du territoire national. Les organisations de la société civile dénoncent les arrestations de centaines de sympathisants et militants de l’opposition par les forces de police et de gendarmerie.

25 février : Le président Lansana Conté accepte, sous la pression de la CEDEAO, le remplacement du Premier ministre Eugène Camara par une personnalité choisie sur une liste de 4 candidats désignés par les syndicats et la société civile. La grève générale est suspendue.

26 février : Lansana Kouyaté est nommé Premier ministre, chef du gouvernement.

Dix-sept ans après

Les massacres et violences perpétrés en Guinée sont le résultat de décennies d’impunité caractéristique des régimes politiques successifs. Du massacre du 28 septembre 2009 sous la junte militaire de Dadis Camara aux tueries sous Alpha Condé, et celles d’aujourd’hui sous Mamadi Doumbouya, ces crimes restent trop souvent impunis.

Pour honorer la mémoire des victimes et oeuvrer à une véritable réconciliation nationale, il est essentiel de lutter contre l’amnésie collective et de rappeler ces évènements tragiques. Une justice transitionnelle permettrait de reconnaître les souffrances endurées par toutes les victimes de violations des droits de l’Homme depuis l’indépendance du pays.

Seule une approche réparatrice, accordant une juste place à la vérité et à la mémoire, peut panser les plaies du passé et jeter les bases d’un avenir commun apaisé pour le peuple de Guinée.

Plus jamais ça

Pour un devoir de mémoire


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com

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