Des avancées mais aussi des manquements … La lettre ouverte au Colonel Mamadi DOUMBOUYA

Point de vue

Par Alpha Boubacar Baldé

Monsieur le Président,

Dans la matinée du Dimanche 5 septembre 2021, le peuple martyr de Guinée s’est réveillé aux sons de coup de feu dans la commune de Kaloum aux alentours du palais présidentiel. A mon réveil ce jour, en regardant le fil d’actualité Facebook sur mon téléphone, j’ai vu des informations au sujet de ces coups de feu à Kaloum sans vraiment oser y croire. Il faut dire que, j’avais perdu espoir qu’un jour notre armée serait capable d’un sursaut patriotique pour sauver ce qui restait de notre « Nation ».

Il m’a fallu voir Alpha CONDE débrayé, déboutonné et le regard hagard au milieu des membres de votre unité pour me rendre à l’évidence. Mon Colonel, à cet instant précis, je ne peux vous décrire le sentiment qui m’a traversé. Une chose est sûre, j’ai été envahi par différents sentiments :

  • La joie d’être enfin libéré du joug d’un Président qui s’est dévoyé,
  • L’espoir que notre pays venait d’avoir une ultime chance de réécrire son avenir,
  • L’inquiétude de l’échec dans la conduite d’une transition apaisée, inclusive et transparente.

Tout comme une large majorité de la population Guinéenne, j’adhère et approuve ce coup d’état qui est en fait un coup salvateur. Le véritable coup d’état, c’était le changement de constitution et le fait d’imposer un troisième mandat au peuple martyr de Guinée. L’intervention de votre unité était donc salvatrice à plus d’un titre. Dans vos allocutions diffusées d’abord sur les réseaux sociaux et ensuite sur les antennes de la RTG, vous avez motivé votre intervention par la situation socio-politique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique. Ces maux que vous avez listés lors de votre intervention, sont chacun, individuellement pris, des motifs qui justifient votre intervention. Ces maux gangrénaient notre pays tel un cancer qui métastase.

Monsieur le Président,

Le 5 septembre 2021, vous preniez avec les membres de votre unité, la décision courageuse de libérer le peuple martyr de Guinée. Je suis conscient des défis auxquels vous faites face. J’imagine combien, la tâche est complexe et ardue. J’ai l’habitude de dire, que le jour où la Guinée aura un Président désireux de servir le peuple, face à l’immensité de la tâche, il sera tenté de quitter la Présidence. Seul un patriote qui fait don de soi est capable de remettre notre pays sur les rails.

Dans votre interview sur RFI du 15/11/2021 vous disiez alors à Alain FOKA je cite : « Ma vie entière je la donnerai à ce peuple-là, qui mérite ça. Et si on a décidé le 5 septembre d’aller à la mort, c’est parce qu’on avait vu l’état de notre pays ».

Plus loin, à la question de savoir si vous serez candidat aux prochaines échéances électorales, vous disiez, « Je pense que j’ai été clair, et je vais l’être aujourd’hui encore avec vous : ni moi ni aucun membre de cette transition ne sera candidat à quoi que ce soit. Nous allons mener la transition à bon port avec tous les Guinéens ». Ces déclarations vous honorent Monsieur le Président. En tant que Guinéen, épris de notre pays et conscient de son potentiel, vos déclarations me rassurent et me donne espoir en des lendemains meilleurs pour notre peuple martyrisé.

Monsieur le Président,

Aujourd’hui, nous sommes le 5 décembre 2021. Bientôt, les 100 jours depuis que vous avez pris la lourde charge de diriger notre pays. Nous arrivons au terme de « l’état de grâce », cette expression religieuse utilisée sur le plan journalistique pour désigner, le moment de la vie politique pendant lequel l’opinion publique d’un pays est majoritairement favorable aux nouveaux dirigeants qui viennent d’accéder au pouvoir. Après 3 mois de gestion et bientôt 100 jours aux affaires, il est temps faire un bilan de vos actions et d’entrevoir les perspectives pour notre pays durant cette période de transition.

Parmi les bonnes réalisations à votre actif, celles qui retiennent le plus mon attention sont les suivantes :

  • Les actes de réconciliation que vous avez posés  
  • La nomination d’un gouvernement de technocrates composé uniquement de civils
  • L’adoption d’une charte de transition à laquelle le peuple adhère
  • La consultation des différentes composantes de la société Guinéenne sur l’orientation à donner à cette transition
  • L’interdiction de voyage et le gel des avoirs des anciens gouvernants le temps des audits
  • L’interdiction de sortie du territoire pour les membres de l’ancien gouvernement
  • L’audit du fichier de la fonction publique et la mise à la retraite des ayants droit
  • La mise à la retraites dans les rangs des Forces de Défense et de Sécurité pour les ayants droit
  • Votre engagement personnel et celui que vous avez pris sur la non-participation des membres de l’administration de la transition aux futures échéances électorales
  • Le gel des décaissements et la mise en place d’un processus de justification et de validation des dépenses publiques
  • La décision de faire de la Justice la boussole qui orientera le peuple de Guinée
  • Votre volonté de rompre de manière définitive avec les pratiques nocives des anciennes administrations
  • L’adoption des 5 valeurs du CNRD (Les 5 R) :
    • La Rectification institutionnelle : Bâtir des institutions fortes et légitimes
    • La Refondation de l’Etat : Moraliser la vie publique, restaurer l’autorité
    • Le Rassemblement : Conduire les affaires publiques de manière inclusive
    • Le Redressement : Rompre avec les anciennes pratiques et favoriser la transparence
    • Le Repositionnement : Respecter les engagements internationaux et repositionner le pays à l’international   
  • La création du CRIEF (Cours de Répression des Infractions Economiques et Financières) pour instruire les dossiers de détournement de deniers publics.

Parmi les manquements que j’identifie et qu’il me semble important de traiter pour une exemplarité de cette nouvelle administration, il y a :

  • La non-divulgation de la liste des membres du CNRD, qui est pourtant un organe de la transition figurant dans la charte de transition. Cela, entretient le flou sur la composition de cet organe. Dire qu’il est composé de l’ensemble des forces armées est une boutade. Même si c’était le cas, il est évident qu’un collège de responsables militaires siège au sein du CNRD. Cette liste doit être rendue publique par souci de redevabilité vis-à-vis du peuple de Guinée.
  • La non-déclaration du patrimoine par l’ensemble des membres de votre gouvernement n’est pas de nature à favoriser la transparence dans la gestion de la chose publique.
  • L’absence de définition de la durée de la transition dans la charte. Evacuer cette question au sein du CNT, n’est à mon avis pas opportun. Comment voulez-vous, demander à des conseillers nationaux qui vont bénéficier d’avantages et émoluments de décider de la durée pendant laquelle ils vont bénéficier de ces avantages en toute objectivité ?
  • La non-présentation par le CNRD et le gouvernement 3 mois après la prise du pouvoir, des actions à mener durant la transition et qui pourraient servir de base à la définition d’un chronogramme et donc d’une durée de la transition sur des bases objectives.
  • La non-clarification du statut de l’ancien président qui à mon avis doit être inculpé ou libéré. Trois mois après le coup d’état, il est plus que temps que les restrictions à sa liberté soient encadrées juridiquement à travers une inculpation pour sa responsabilité sur les crimes commis durant ses mandats.
  • L’instruction des dossiers d’audit sur la gestion de l’ancienne administration (Ministère, Régies financière, JAC 518, Organismes publics et parapublics…) et l’inculpation des gestionnaires indélicats.
  • L’absence de définition claire des critères concernant la désignation par les différents organismes des membres du CNT. Ce qui retarde la mise en place de cet organe législatif de la transition.  
  • Le retard dans le nettoyage de certaines directions notamment la CNSS, la DNI, l’ARPT, le PAC, la SOGEAC, l’ANAIM, le Fonds d’Entretien Routier (FER), l’Autorité de Régulation des Marchés Publics…
  • L’absence d’installation au moins sur chaque contient, d’un bureau permanent pour la mise à disposition de passeport. Il est inconcevable qu’après 63 ans d’indépendance, que nos ambassades ne soient pas en mesure d’établir ces documents à la diaspora Guinéenne à l’étranger.
  • L’absence de mise en place d’un cadre de concertation sur la conduite de cette transition avec l’ensemble des forces politiques qui ont participé à des élections en Guinée. La précision est importante. Il ne sert à rien de convier à des discussions des partis politiques fonds de commerce qui n’ont d’existence que l’agrément, de militants que la famille du leader et pour siège le porte document du Président ou son domicile.  

Monsieur le Président,


Ne craignez pas la contradiction, c’est par la confrontation de points de vue divergents que les meilleures idées émergent


Je suis exigeant avec vous. Je le sais, mais pour changer positivement notre société, le peuple de Guinée doit être exigeant vis-à-vis de ces gouvernants. Vous (les gouvernants) êtes au service du peuple. Vous êtes là pour servir le peuple et non vous servir de lui. Si le peuple de Guinée avait été exigeant avec vos prédécesseurs, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Les manquements listés précédemment sont des actions à mettre en place pour continuer sur votre lancée. Elles complètent celles que vous avez déjà initiées. Ensemble, elles permettront la naissance d’une Guinée Nouvelle que nous appelons tous de nos vœux.

Ne vous méprenez pas sur les objectifs de votre mission. Une transition n’a pas vocation à développer un pays. Le CNRD doit mettre en place des institutions inébranlables et réunir les conditions pour la tenue d’une élection libre, transparente et inclusive tout en laissant la liberté au peuple de librement choisir son dirigeant.

Ne vous méprenez pas sur la durée de la transition. Si vous l’allongez plus qu’il ne le faut, la lune de miel avec le peuple de Guinée va virer au cauchemar. Le peuple a soif de liberté, de justice, de démocratie et de développement.

Ne vous méprenez pas sur votre toute puissance. Aujourd’hui, vous êtes à la tête du pays, la situation d’Alpha Condé qui se croyait tout puissant et courtisé hier et qui se retrouve seul et abandonné aujourd’hui doit vous rappeler à l’humilité.

Ne vous méprenez pas sur vos collaborateurs. Privilégiez la compétence, le patriotisme, l’engagement, le sens républicain, la droiture et l’éthique dans le choix de vos collaborateurs. Dans notre pays, les anciens gouvernants avaient perverti la pyramide des valeurs (humaines, éthiques et morales). Il est de votre responsabilité par l’exemplarité de restaurer ces valeurs dans la gestion de la chose publique. La nouvelle génération ne doit pas avoir comme modèle les Kleptocrates de l’ancienne administration.

Ne vous méprenez pas concernant vos amis. Ceux-là qui acquiescent à tout ce que vous dites, ne sont pas vos amis. Ne craignez pas la contradiction, c’est par la confrontation de points de vue divergents que les meilleures idées émergent.

Cette lettre est le cri de cœur d’un Guinéen fou de la Guinée. Un Guinéen qui espère, que notre peuple martyr va enfin avoir des dirigeants soucieux de son bien-être. Un Guinéen qui espère que cette fois la Guinée va emprunter le bon chemin.

Puissions-nous être à la hauteur du moment que nous vivons actuellement.

Puissions-nous au terme de cette transition faire un PEUPLE, une NATION JUSTE, UNIE, INDIVISIBLE et PROSPERE.

Puissions-nous mettre en valeur notre patrimoine commun LA GUINEE en dehors de toute considération tribale.

Puissions-nous avoir une administration au service du PEUPLE.

Puisse l’abondance, dont la providence a doté notre être mise au service du peuple.

Puisse l’impunité et la corruption érigées en système de gouvernance être éradiquées.

Puisse le MERITE être le seul critère de promotion aux emplois publics pour une administration efficace au service du peuple.

Puisse nos Hommes politiques être conscients du fait que prétendre à diriger aux destinées d’une NATION consiste à « SERVIR » et non « SE SERVIR ».

Puissions-nous être fiers d’être des Guinéens tout simplement.

Monsieur le Président,

J’espère de tout cœur, que vous prendrez connaissance de cette lettre écrite par un citoyen concerné par le devenir de son pays et de ses concitoyens. Un citoyen qui vous interpelle avec les tripes. Un citoyen qui encore aujourd’hui craint de se réveiller et de réaliser que tout ce changement que vous avez amorcé dans notre pays était un rêve.  

Pour finir mon Colonel, je partage avec vous ces quelques mots d’un ami à propos de notre mère patrie la Guinée. Je ne doute point de l’écho qu’ils auront dans votre cœur de patriote comme ce fut le cas pour moi :

« Avant moi, tu existais déjà

Après moi, tu existeras encore

Terre mère, patrie de cœur, tu n’appartiens à nul Guinéen

Les Guinéens t’appartiennent, tu es l’origine

Te servir nous unira

C’est bien de t’aimer individuellement

C’est mieux de t’aimer tous ensemble. »

Patriotiquement votre,

Un citoyen concerné

Alpha Boubacar Baldé

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