Edito : Après la chute du dictateur, le scénario de la suite

Politique

Se préparer à vivre une période de confusion, de suspicions et de dérapages avant de retrouver le bon chemin.

Les coups d’état ont un cheminement presque identique. 

Acte 1: les nouveaux maîtres cherchent l’adhésion populaire (facile à obtenir dans un contexte de ras-le-bol général).

Acte 2: il faut trouver les ressources humaines pour assurer la continuité de l’état. Les premiers couacs commencent à ce niveau. Les populations ont des préférences, des profils, voire des noms de cadres qui ont su garder une certaine crédibilité dans un environnement de “tous pourris”, mais elles ont surtout des noms à bannir, des cadres (fonctionnaires et autres courtisans de palais) à effacer du répertoire politique national. Le plus souvent, les nouveaux maîtres ont aussi des accointances avec certains de ces indésirables car les talents particuliers de ces derniers sont le plus souvent utiles pour une junte qui ambitionnerait de se “sucrer” avant de partir tout en assurant ses arrières par une transmission négociée du pouvoir. Le choix des collaborateurs sera le premier indicateur qui définira l’évolution du capital confiance. 

Acte 3: mobiliser les ressources financières. Ils le savent, les audits pour récupérer l’argent « détourné » prennent du temps, les investisseurs attendent d’avoir une certaine lisibilité, les partenaires financiers demandent des garanties…, le tout dans un contexte où l’état avait déjà du mal à mobiliser des ressources internes. La solution classique avec son lot d’opacité consiste à se tourner vers des potentiels parrains financiers nationaux ou étrangers ou les deux à la fois. En contrepartie, la main qui donne est celle qui dicte les choix politiques. Le plus souvent, ces choix politiques trahissent les objectifs de départ.

Acte 4: l’impossible collaboration avec l’opposition politique. Je pouvais dire “difficile collaboration”. Mais non, elle sera “impossible”. Même si, dans un premier temps, chaque camp jouera le jeu habituel du consensus de façade mais très vite, ils reviendront à leur nature “moi et personne d’autre”.

En prenant acte de la nouvelle situation, la classe politique compte jouer un rôle de premier plan dans cette nouvelle configuration. Elle part du principe qu’une transition est limitée dans le temps, et à terme, les nouveaux maîtres doivent quitter pour laisser les compétiteurs politiques “agréés” sur le ring avec un arbitrage impartial. Mais l’histoire politique guinéenne nous enseigne que rien ne se passe comme prévu. La durée de la transition (les premiers signes du divorce), les acteurs, les instruments, le chronogramme, les priorités, les manœuvres politiques … tous ces éléments contribuent à alimenter les suspicions et conduisent le plus souvent vers une impasse. Surtout si les nouveaux maîtres possèdent un agenda de transmission du pouvoir en torpillant les règles du jeu démocratique. C’est du déjà vu et du déjà vécu.

Acte 5: la conjoncture économique s’invite dans les ménages. Pour un spécialiste, les effets du changement se sentiront au bout de plusieurs mois voire des années. Pour le citoyen lambda, la chute du régime Condé doit se traduire par l’amélioration des conditions de vie des populations. La transition n’est pas une période de développement, c’est l’analyse de l’intellectuel. Le peuple qui est sorti le 6 septembre est le même peuple qui sortira pour exprimer de nouveau son ras le bol. L’attitude des nouvelles autorités face à une telle éventualité définira la trajectoire de cette nouvelle aventure aux innombrables incertitudes.

Acte 6: retour à la case départ ou le début d’une véritable rupture.

Et la justice ? Quand ? Avec quels acteurs (les nouveaux maîtres ou ceux post transition) ? Quels dossiers ? Quel ordre de priorité ?

Certes, des exceptions existent et j’espère me tromper. Cependant, il est évident qu’ils (les nouveaux maîtres) ne feront pas pire que le régime Alpha Condé car le record de ce dernier en termes d’exactions, de violences, de corruption, de médiocrité est difficilement atteignable.

Mais vu l’ampleur des dégâts incommensurables dans la société guinéenne, il nous reste encore des périodes de tâtonnements et d’errements politiques avant de retrouver le bon chemin, en d’autres termes, soigner une société profondément malade dans l’espoir de «fabriquer» le guinéen nouveau. Désolé de gâcher la fête au lendemain de la chute du dernier dictateur des rivières du sud mais gardons toujours notre lucidité tout en restant optimiste.

Sékou Chérif Diallo

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