Toma et Toma mania, les enjeux politiques exacerbent les clivages


Point de vue


Les Toma et les Toma Mania cohabitent depuis plusieurs siècles dans cette partie de la Guinée. Selon plusieurs historiens, les Toma seraient les plus anciens dans la région forestière. Facinet Béavogui dans son ouvrage Les Toma (Guinée et Libéria) au temps des négriers et de la colonisation française rappelle toutefois, que « le pays d’habitation actuel (la préfecture de Macenta) n’a pas été le premier où ils auraient habité ». Pour cet historien, les populations Toma auraient migré du nord vers le sud (Kérouané, Beyla vers Macenta). Jean Marie DORE dans son ouvrage La résistance contre l’occupation coloniale en Guinée Forestière: Guinée 1800-1930 confirme ce séjour des Toma dans la savane avant de descendre plus au Sud dans la sylve. Les sources notent cette migration vers le Sud entre 1570 et 1600.

Si les Toma et les Toma mania se disputent très souvent la paternité de la ville de Macenta, plusieurs historiens soutiennent que les Toma mania sont le résultat d’un métissage culturel et biologique entre les communautés Toma et Malinké. Une migration Malinké qui se situerait autour du XIIIème et du XIXème siècle

Dans un article intitulé Guinée : le prix d’une stabilité à court terme, Paul Chambers souligne qu’il existe en région forestière « une ligne de clivage importante entre les deux principaux groupes de population, les « peuples forestiers » – principalement Kissi, Toma, Guerzé et Mano – et les peuples d’origine mandingue – Malinké, Konianké, Kouranko, Manian. » L’auteur rappelle les évènements qui ont abouti à des violences intercommunautaires notamment en 1991, lors de l’élection controversée d’un maire malinké à la tête de la capitale régionale, Nzérékoré, qui avait provoqué le mécontentement des populations Guerzé ou encore « les oppositions entre Loma et Mandingo dans la guerre du Liberia se sont propagées en Guinée ».

Si ces conflits ont des causes historiques, économiques, sociales et culturelles, la récurrence des violences intercommunautaires dans la région forestière est aussi la résultante des « manipulations politiques ainsi que les défaillances et dysfonctionnements des structures administratives et judiciaires de la région. »

Les points d’achoppement entre les communautés sont nombreux. Dans un rapport de 2016 de l’ONG Action pour le Développement Communautaire, intitulé Les pactes communautaires, outils de prévention des conflits et de consolidation de la paix : le cas de la Guinée forestière et des pays limitrophes, Libéria, Sierra Léone et Côte d’Ivoire, on peut lire les points de vue des autochtones sur les allogènes et vice versa. Les premiers reprocheraient aux seconds « L’arrogance et le non-respect envers ceux qui les ont accueillis », « le refus de parler la langue locale (de celui qui a accueillis) et volonté d’imposer leur langue », « le refus d’accorder leur fille en mariage à l’autochtone alors que l’inverse est courant », « l’accaparement des terres de culture prêtées et occupation abusive des terrains non octroyés »… Quant aux allogènes, ils reprocheraient aux autochtones « le refus de reconnaître l’allogène comme membre à part entière de la communauté villageoise malgré l’ancienneté de leur installation dans le village »…

Les auteurs de ce rapport soulignent que les tensions sont aggravées quand les enjeux sont politiques notamment quand des « étrangers » expriment la volonté d’occuper certaines responsabilités politiques. Ici, les étrangers sont les allogènes.

Cette réalité constitue un terreau fertile pour le clientélisme politique et les manipulations.

Dans son ouvrage Le conflit ethnique: sa nature et les moyens de sa prévention par la communauté internationale, Witold Rackza définit les conflits identitaires comme des « différends culturels, économiques, juridiques, politiques ou territoriaux entre deux exemples ou plusieurs groupes aux origines différentes ». Il y a conflit de ce type lorsqu’un groupe se persuade, à tort ou à raison, qu’il est menacé de disparaître soit sur le plan physique, soit sur le plan politique, par la domination exclusive d’un autre groupe qui lui est insupportable. Dans le même ordre d’idées, François Thual dans Les conflits identitaires, souligne que « la survie réelle ou fantasmatique du groupe est en jeu, quand celui-ci se sent dépossédé non seulement d’un territoire ou de son territoire, mais plus gravement lorsqu’il se sent dépossédé de son devoir de vivre, de son identité et de sa spécificité ».

En Guinée, les enjeux politiques sur fond de manipulations et d’instrumentalisation des communautés mettent en danger la cohabitation pacifique et fragilisent le vivre ensemble.


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com

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