D’une impasse politique à une crise sociale, comment construire le pont consensuel?


Chronique


Une marmite bouillante, des ingrédients de toutes saisons (cherté de la vie, corruption, l’éducation des enfants compromise, difficultés pour se soigner, le calvaire des citoyens par manque d’infrastructures routières, l’obscurité qui aurait couté des milliards de francs guinéens) et au milieu des casseroles de la république, un apprenti cuisinier qui joue au Chef. Souffler constamment sur les braises sociales, il en a fait son sport favori. Manipuler le pauvre guinéen pour étouffer toute prise de conscience collective, il n’hésite pas à franchir la ligne rouge. S’il n’est pas stoppé dans sa folie incendiaire, il risque de faire cramer la baraque nationale. Il est le problème, le peuple a la solution.

Erik Neveu dans son ouvrage Sociologie des mouvements sociaux souligne qu’une « action collective suppose un travail sur les représentations », autrement dit une nomination et une problématisation d’une réalité sociale. Selon lui, il faut doter la mobilisation d’un langage en transformant le malaise en injustice, le légitimer au regard d’un système de valeurs et de normes.

La mobilisation autour des problématiques qui font consensus, une option à privilégier. L’opposition politique, pour être plus audible, devrait désexpertiser sa communication autour de son offre politique pour faciliter sa compréhension auprès des populations qui ont du mal à cerner certains enjeux nationaux. Dans une interview, le politologue Philippe Braud soulignait « Quand le suffrage universel est le seul moyen légitime d’accéder au pouvoir, il est impossible de tenir aux électeurs le seul langage d’expert. Celui-ci serait inaudible non seulement à ceux qui ont un faible bagage économique ou culturel, mais aussi à tous les citoyens ». Les questions autour d’une constitution, son importance restent pour une majorité de guinéens, un langage extraterrestre. Il faut privilégier plus de pédagogie, plus de proximité et plus d’appels aux émotions des citoyens. Les profils des électeurs sont difficiles à saisir car l’électeur est aussi un citoyen émotionnel. Philippe Braud a tenté d’expliquer les types de profils qu’on pourrait rencontrer. L’auteur de L’Émotion en politique note que certains électeurs donnent leurs voix à un candidat familier et rassurant même s’il est peu convaincant. D’autres en revanche, préfèrent le vote sanction. Ces derniers « verront dans le geste électoral le moyen de libérer une agressivité nourrie de frustrations accumulées, d’origine sociale, professionnelle ou même privée ».

Casser l’amalgame par l’éducation électorale

Le rapport de force engagé entre les guinéens qui défendent la démocratie et les autres témoigne de la nécessité d’éducation politique de proximité. C’est assez réducteur que la question de la défense de la constitution soit perçue par la majorité comme une compétition politique entre acteurs. D’ailleurs, c’est la perception préférée des promoteurs de cette forfaiture. Dans une telle configuration, certaines questions méritent une attention particulière. Comment faire comprendre à la majorité que ces promoteurs ne représentent pas 1% de la population guinéenne ? Comment lui faire comprendre qu’il n’y aura pas d’électricité parce que tout simplement le financement mobilisé est détourné par ce petit groupe ? Comment expliquer à la majorité qu’il est impossible pour un ministre de faire partie des plus riches du pays car son salaire et autres avantages liés à la fonction sont connus ? Comment faire comprendre à la majorité qu’une constitution est la boussole d’une nation ? Comment expliquer à la majorité que la fraude électorale est un détournement de leurs voix ? Et défendre sa voix est une garantie pour voir ses aspirations qui ont motivé son choix, prises en compte.

En dehors des clivages politiques assez prononcés et entretenus par une forte dose d’appréhensions et de mensonges historiques, les problématiques qui font consensus sont légion en Guinée car la pauvreté est la denrée la mieux partagée dans ce pays. C’est l’heure du bilan. Pour contrer l’enfumage d’état en cours sur des projets à venir (sur fond d’ouvrages de maquettistes), il est essentiel de dresser une liste des promesses non tenues par le régime et de travailler sur les éléments de langage dans le cadre d’une vaste campagne de sensibilisation citoyenne. En plus de l’argument contre un 3ème mandat pour Alpha Condé, il faut sensibiliser davantage autour des conditions de vie inacceptables des guinéens dans sa très grande majorité. Établir et expliquer la corrélation entre les scandales financiers (aux ramifications internationales) enregistrés depuis 2010 et la pauvreté grandissante des populations guinéennes, permet de construire un argumentaire solide pour une sensibilisation citoyenne autour de la forfaiture en cours en accentuant le discours sur le risque d’aggravation de cette pauvreté avec un régime qui a déjà montré ses limites.

Ce “cluster” gouvernemental est dangereux. Nous observons ces derniers temps, la formation d’un “foyer de contagion” par l’achat des consciences autour de Alpha Condé pour « recruter par décret » (pour reprendre l’expression du journal satirique Le Lynx). Face à cette imposture endémique, il est essentiel de marteler cette évidence : ces guinéens qui s’activent et s’agitent pour faire avaler à la majorité la pilule de la forfaiture usent et abusent de l’argent public.

Démultiplier les « Kankan » et s’inspirer des mobilisations historiques récentes en Afrique

Kankan, les aléas de la sortie de l’hypnose mal négociée

Le signal est donné. C’est toute la Haute Guinée, autrefois fief du pouvoir (la nuance est nécessaire à ce niveau, le RPG a perdu son fief traditionnel depuis très longtemps. C’est par la fraude qu’il entretient cette illusion de base politique locale imprenable) qui se réveille de la longue séance d’hypnose entretenue par Alpha Condé et certains fils de la localité. Les promesses ont une date de péremption car le peuple te rappellera toujours l’échéance.

Les populations de la Haute Guinée observent médusées l’insolente richesse bradée par certains de leurs enfants avec pour seul exploit, avoir réussi ces dix dernières années à manipuler par le mensonge et les fausses promesses toute une région. Ces gens-là ne se battent pas pour une région ou un groupe ethnique. Ils se battent pour leurs propres intérêts. 

Les manifestations de ces derniers temps pour réclamer l’électrification de Kankan et la réaction de panique des autorités nationales témoignent l’importance d’opérer une mutation intelligente des revendications pour une mobilisation générale des populations guinéennes.

Des exemples africains

Omar el-Béchir et le prix du pain

En triplant le prix de la farine, El-Béchir ne pouvait pas imaginer qu’il allait perdre le pouvoir après 30 ans de règne sans partage. Même si le glaive du pain maudit a été la goutte qui a fait déborder le vase, il faut rappeler que la situation économique du pays était très difficile.

Mohamed Bouazizi, et le printemps arabe

Les exactions policières de trop. Pour ce jeune vendeur de fruits et légumes tunisien, la coupe des frustrations était pleine ce 17 décembre 2010 quand il se voit confisquer sa marchandise par des policiers. S’immoler par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid était non seulement un acte de désespoir face à un système oppresseur mais surtout un acte de résistance et de révolte. Le monde entier assistait à la naissance de ce qu’on a appelé le printemps arabe et la chute de plusieurs régimes dans le monde arabe.

Les ingrédients pour un mouvement social d’ampleur en Guinée sont dans la marmite, il revient aux acteurs leaders de faire preuve d’intelligence et de savoir appuyer sur Cook pour libérer le pays.


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com

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