Édito: de la nécessité de réactiver les contre-pouvoirs citoyens

Par Sékou Chérif Diallo

Flou. Une trajectoire qui soulève des questions et renforce un sentiment de scepticisme chez de nombreux Guinéens qui, hier, célébraient la chute du dictateur Alpha Condé en accordant, de facto, une certaine légitimité populaire aux putschistes du 5 septembre 2021. Espoir, tâtonnements, confusion, incompréhension, et aujourd’hui, des inquiétudes, tel est le parcours d’une transition guinéenne aux contours flous.

La recherche de compromis avec tous les acteurs, démarche utile et inclusive en période transitoire, ne semble pas être une option privilégiée par les autorités de la transition. Ces dernières paraissent plutôt opter pour une gestion verticale et directive inspirée du modèle militaire. Les conditions de sélection finale des membres du CNT et le choix de son président illustrent cette volonté de pilotage solitaire de la transition à coups de décrets. Rappelons toutefois qu’une transition est par nature politique avec pour seul but de créer les conditions d’un retour à l’ordre constitutionnel.

Près de six mois après le putsch, les instruments fondamentaux d’une transition démocratique (projet de constitution, fichier électoral, financement des opérations de révision des listes électorales, organisation des scrutins…) n’ont fait l’objet d’aucune avancée concrète, que ce soit en commission ou dans le cadre d’un dialogue politique maintes fois réclamé par l’opposition.

Confusion. Des prérogatives de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) aux agissements extra-judiciaires du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), organe de la transition ressemblant davantage à une secte secrète par le caractère opaque de sa composition et de ses pouvoirs réels, nous observons une certaine cacophonie dans la démarche dite de moralisation de la vie publique. Qui fait quoi ? Quelle est la valeur juridique des nombreux communiqués du CNRD ? Peut-on sacrifier les procédures légales dans un processus judiciaire ? Autant de questions qui suscitent des interrogations et entretiennent une confusion au sein de l’État.

D’un autre côté, le Conseil National de Transition (CNT) s’offre une tournée à travers la Guinée pour, selon son président, rencontrer les populations locales. Un projet coûteux, inutile et foncièrement inefficace qui frôle le populisme. Compte tenu du retard pris dans sa mise en place, le CNT n’avait qu’une seule priorité: mettre en place les différentes commissions et travailler sur une première version de la nouvelle constitution.

Illusions. Concernant les étapes du processus électoral (clarification de l’organe en charge des élections, question du fichier électoral, mobilisation des ressources, calendrier…), les autorités de la transition entretiennent un flou total en répétant les mêmes intentions générales propres à la rhétorique des périodes de transition militaire : refondation de l’État, lutte contre la corruption. Or, l’histoire a montré que de telles ambitions relèvent souvent de vœux pieux aux résultats mitigés. Les institutions nées de transitions militaires souffrent d’un déficit de légitimité et leur durée de vie est parfois éphémère.

S’agissant de la lutte contre la corruption, le contraste est frappant entre les discours officiels et la réalité du terrain. Comme le souligne une étude de l’IFRI de 2016, “les gouvernants de transition, se sachant temporaires et menacés de disparition politique, sont davantage incités à se servir tant qu’ils le peuvent encore”.

D’où la nécessité impérieuse de recentrer l’action des autorités transitoires sur l’essentiel : réactiver les instruments juridiques indispensables et organiser des élections pluralistes. Plus on s’éloignera de cet objectif, plus le doute s’installera et plus le risque de crise politique sera grand. Par ailleurs, la fragilité économique du pays, sous perfusion depuis des décennies, est un facteur aggravant. Vouloir s’éterniser dans une transition instable, répulsive pour les investisseurs étrangers, c’est exposer le peuple aux conséquences sociales désastreuses d’un effondrement économique.

Méfiance. Aujourd’hui, le manque de lisibilité de l’action gouvernementale suscite des interrogations sur les véritables intentions de la junte. Il faut pourtant rappeler que les aspirations démocratiques du peuple guinéen ne sont plus à démontrer, eu égard aux nombreux sacrifices consentis qui ne sauraient être vains. Ce peuple ne saurait se contenter d’une version édulcorée du régime défunt. Il souhaite enfin jouir des avantages d’une démocratie authentique.

Or la communication outrancière à tendance propagandiste, la promotion de jeunes dans l’administration ou les actions calculées pour faire exploser l’adhésion populaire dans les rues de Conakry, ne suffiront pas pour s’attirer les faveurs inconditionnelles du peuple. Endurci par des décennies de souffrances, le Guinéen est devenu méfiant mais surtout plus lucide face aux vendeurs d’illusions et aux faux-semblants démocratiques.

Seule une feuille de route claire vers le rétablissement de l’État de droit et la tenue d’élections libres et transparentes permettra de lever les doutes quant à la sincérité des autorités de transition et de s’assurer de l’assentiment populaire. Le temps presse et les attentes sont immenses.

Contre-pouvoirs citoyens. Dans un contexte d’absence totale de contre-pouvoirs institutionnels, la réactivation des instruments légaux de veille et de mobilisation citoyenne est indispensable pour dénoncer les éventuelles dérives dans la conduite de la transition.

Malheureusement, le feuilleton de décrets qui se succèdent sans contrôle renforce l’attentisme intéressé de certains, préférant se taire dans l’espoir de récompenses. Or, donner les pleins pouvoirs aux dirigeants de ce pays, même à ceux clamant avoir “frôlé la mort” pour sauver la Guinée, serait une erreur.

Rappelons que, avant le 05 septembre 2021, d’autres Guinéens ont aussi risqué leur vie pour tenter de déloger la dictature d’Alpha Condé. Si le coup d’État du CNRD a été largement salué, notons qu’il est l’aboutissement d’une longue mobilisation citoyenne ayant fragilisé le régime illégitime et illégal du président déchu.

Aussi, la vigilance et l’engagement de tous sont plus que jamais nécessaires pour veiller au respect des objectifs démocratiques de la transition, et éviter un nouveau dévoiement du pouvoir au détriment des aspirations légitimes du peuple de Guinée.


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